Tout d'abord, mille excuses, entorse au Règlement : c'est du mp3 128 Kbps que vous aurez ici. Et mal taggé en plus. Ca ne se reproduira plus, mais ça se produit pour trois raisons. La première, c'est que le matos ici fourni a été enregistré dans les années 1920-1930. Vous avouerez que le mastering, la souplesse des graves et la brillance des aigus importe peu. La deuxième raison, c'est que du coup les trois double albums initialement parus au début des années 1950 tiennent dans un gros zip de 230 Mo - ce qui évitera à ceux qui ne crachent pas au bassinet de Rapidshare de ne pas être limités par le nombre de téléchargements parallèles.
La troisième raison - la plus importante peut-être, c'est l'urgence à répondre au débat qui fait rage sur le Club des Mangeurs de Disques au sujet du Kick Out The Jams du MC5 : d'aucune titillent parce que l'album a vieilli, qu'on a fait mieux depuis et patin-couffin. Sans vouloir jouer à l'ancien combattant, il est des stèles, des pierres angulaires qu'on ne déboulonne pas comme ça, sous prétexte que ça ne répond pas aux canons du confort d'écoute de nos années 2010. Sinon, ben y'a plus qu'à poster du Justin Bieber, parce que niveau dynamique, ça envoie mieux.
Ce que je vous offre là, c'est - pour ceux qui le désirent - un véritable trésor. Même Justin Bieber ferait mieux de tendre l'oreille. Toute notre culture musicale prétendument rock, ou hip-hop, ou même variétoche façon Cabrel vient de là, de l'idée de ce monsieur, Harry Smith. Pour ainsi dire, le père des blogueurs. Rien de moins. En plein Mc Carthysme, ce génial hurluberlu décide de compiler ses vieux 78 tours des années 1920 en une anthologie de la musique du peuple américain. Et non en une anthologie de la musique populaire américaine. La nuance est de taille parce que American Folk - Music se traduit par musique du peuple américain, et American - Folk Music se traduit par musique folk américaine. Déjà, là, c'est dit, le terme de "folk", il vient de là. Vous êtes en train de télécharger les Tables de la Loi. Et l'idée suprême, ce n'est pas d'enregistrer d'obscurs rednecks jouant du banjo dans le Kentucky, non, c'est de dire : voilà, tout ceci a été enregistré, pressé sur vinyl, et vendu à des milliers d'exemplaires avant la crise de 1929 aux Etats-Unis. C'est donc bien une musique populaire, surtout à une époque où si l'on trafiquait du moonshine whisky dans toutes les fermes, il était très délicat de pirater des mp3. Raisonnement très WASP, finalement : si les gens achetaient ça, c'est que cela les représentait.
Rajoutez à tout ça un peu d'ésotérisme, et - dans les notes de pochette tapées à la machine, l'absence volontaire d'indication sur la couleur de peau de l'artiste (pas question de blues ou de country, juste des chansons), et voilà le premier album pirate (la compilation a été éditée sans aucune autorisation des labels qui avaient fait faillite depuis plus de vingt ans), anti-ségrégationniste, de l'histoire de la musique américaine.
Mais surtout, ces quelques disques ont révolutionné la musique. Ont expliqué aux petits jeunots de l'époque (Bob Dylan, Joan Baez...) qu'il n'était pas nécessaire d'être un virtuose pour pousser la chansonnette et émouvoir les gens. La suite est connue, depuis Dylan jusqu'aux Sex Pistols et plus avant encore - en passant par le MC5. Et chez nous, un jour, Maxime Le Forestier dit "fuck" à Jean Sablon. Et les buildings de Tin Pan Alley s'écroulèrent.
On peut le regretter. Le syndrome do/fa/sol régna superbement pendant des dizaines d'années, mais quand même, quelle aventure !
Alors, au final, qu'entendrez-vous là-dedans ? Des choses tout simplement étonnantes, merveilleuses, étranges. Rustres, certes, mais prodigieuses. Un coup de banjo par ci, un bling-bling de guitare par là (non, Carla Bruni n'y figure pas, mais écoutez donc Didier Hébert, cajun de son état, dans I Woke Up One Morning In May (c'est en français, malgré le titre), il en joue encore plus mal, plus mal encore que votre nièce qui prend des cours depuis six mois, mais bordel, quelle émotion). Et pour les anglophones, des textes terrifiants. Ces fameuses murder ballads chères à Nick Cave. Des horreurs, qu'on chantait aux enfants pour qu'ils ne s'égarent pas au-delà du champ de maïs familial. Tiens, rien que la deuxième chanson, Fatal Flower Gardens. Terrible : des gamins jouent au ballon, hop, le ballon tombe dans le jardin de la voisine. Le plus téméraire va le récupérer et se fait assassiner par la-dite voisine, tout ça sous fond de Hawaian Steel Guitar très mignonnet. Le story board et la bande son que même Tarantino n'a pas osé à ce jour.
Et tout ceci est bien structuré : Ballads (les deux premiers disques), Social Music (les deux suivants, mêlant allègrement gospel et violoneries redneck) et Songs (les deux derniers disques, les plus beaux à mon très humble avis). Et les diamants, certes non polis, fusent. Mais je m'emballe, ce post est déjà trop long ! Voyez cet article sur wikipedia pour retagger les fichiers, en apprendre plus (mais finalement les noms des artistes et les titres des morceaux importent peu...) et plonger dedans. Ca demande du temps d'apprendre à nager mais...
C'est un voyage merveilleux.
Le Monsieur là, c'est Clarence Ashley, jouant The Cuckoo pendant un festival folk revival dans les années 1960. L'original est bien évidemment à déguster dans l'Anthology...
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RépondreSupprimerSalut JeePeeDee !
Comme pour le MC5 qui n'est pas égal à E, je prends pour découvrir, car ta chronique a sérieusement aiguisé ma curiosité naturelle !
Je reviendrai t'en reparler après le week-end (si j'ai un peu de temps), mais je suis déjà sensible aux évocations Rednecks et de Nick Cave !
Si ça ne me plaît pas je te le ferai savoir ;-)
Pour les amateurs, la tracklist détaillée:
RépondreSupprimerVol 1
1. Henry Lee —Dick Justice
2. Fatal Flower Garden" — Nelstone's Hawaiians
3. The House Carpenter — Clarence Ashley
4. Drunkard's Special — Coley Jones
5. Old Lady and the Devil" — Bill & Belle Reed
6.The Butcher's Boy" — Buell Kazee
7. The Waggoner's Lad" — Buell Kazee
8. King Kong Kitchie Kitchie Ki-Me-O — "Chubby" Parker
9. Old Shoes And Leggins" — Uncle Eck Dunford
10.Willie Moore" — Burnett and Rutherford
11. A Lazy Farmer Boy" — Buster Carter and Preston Young
12. Peg and Awl" — The Carolina Tar Heels
13. Ommie Wise — G. B. Grayson
14. 'My Name Is John Johanna" — Kelly Harrell
Vol 2
1. Bandit Cole Younger - Edward.L Crain.
2. Charles Giteau - Kelly Harrell
3. John Hardy Was A Desperate Little Man - The Carter Family
4. Gonna Die With My Hammer In My Hand - Williamson Brothers
5. Stackalee - Frank Hutchison
6. White House Blues - Charlie Poole; North Carolina Ramblers
7. Frankie - 'Mississippi' John Hurt
8. When That Great Ship Went Down - William & Versey Smith
9. Engine 143 - The Carter Family
10. Kassie Jones - Lewis, Walter 'Furry' Lewis
11. Down On Penny's Farm - The Bentley Boys
12 . Mississippi Boweavil Blues - The Masked Marvels
13 . Got The Farm Land Blues - Carolina Tar Heels
Vol 3
1. Sail Away Lady -Uncle Bunt Stevens
2. Wild Wagoner - Jilson Setters
3. Wake Up Jacob - Hunt, Prince Albert Texas Ramblers
4. . La Danseuse - Blind Uncle Gaspard
5 . Georgia Stomp - Andrew Baxter
6 . Brilliancy Medley - Eric & Family Robertson
7 . Indian War Whoop -Floyd Ming & His Pep-Steppers
8. . Old Country Stomp - Henry Thomas
9.. Old Dog Blue - Jim Jackson
10. . Saut Crapaud - Columbus Fruge
11. Acadian One-Step - Joseph Falcon
12. Home Sweet Home - The Breaux Freres
13.. Newport Blues - Cincinnati Jug Band
14. Moonshiner's Dance Part One - Frank Cloutier and the Victoria Cafe Orchestra
Et si je vois passer une version 320, je vous ramène le lien ... Autant en profiter !
Pour les amateurs de fichiers HQ:
RépondreSupprimerhttp://the-american-nightmare.blogspot.com/2009/05/anthology-of-american-folk-music.html [dans le commentaire #2 >> 3 liens ...]
Pour ceux qui veulent en découvrir plus:
The Harry Smith Project: The Anthology Of American Folk Music Revisited
http://the-american-nightmare.blogspot.com/2009/05/harry-smith-project-anthology-of.html
Merci ! Jimmy !
RépondreSupprimer@Chti73 : Merci pour avoir rapatrié la track-list, je suis un gros fainéant...
Le 128 cé dans la kaisse du chat brother!! top les 33tours sur la Bay tu repasses dire 1 mo pour voire
RépondreSupprimerExcellent article, je cherche moi-même à en préparer un pour mon blog dans les futures semaines. Tout ça à cause de ce foutu Robert Crumb qui m'a redonné envie de plonger dans les racines de la "musique du peuple américain". Je tâcherai de me souvenir pour commencer de la nuance. Il est possible que dans les prochaines semaines je commence à faire une traduction maison du livret - mais là je suis pas couché... Merci encore d'avoir partagé ton article. Pour ma part j'ai l'objet entre les mains et ça ressemble fortement à l'un des trucs les plus précieux du monde.
RépondreSupprimerSuper Jimmy, merci pour ton boulot !
RépondreSupprimerMAIS, où est le(s) lien(s) valide(s) aujourd'hui ? est-ce possible d'en obtenir un ?
Merci beaucoup !!