Thème du jour :
ENCORE UN PEU VERT! - Une première oeuvre pas tout à fait mure.
Lorsque sort son premier album, sobrement intitulé
Ry Cooder,
Ry Cooder, donc, n'est pas exactement l'exemple type du bonhomme encore vert. Il a déjà fondé un groupe avec
Taj Mahal, les
Rising Sons. Le garçon a par ailleurs déjà roulé son bottleneck avec
Captain Beefheart,
Little Feat ou encore - excusez du peu - les
Rolling Stones à qui il donne un sacré coup de paluche lors de la débandade de
Brian Jones, intervenant sur
Let It Bleed et sur
Sticky Fingers (la célèbre partie de slide de
Sister Morphine, c'est lui). On le retrouve également sur
Jammin' With Edward. Pressenti pour faire partie des Stones en lieu et place de
Mick Taylor ? Probable, mais le garçon a sans doute trop de personnalité dans son jeu. Serait capable de faire bien trop d'ombre à
Keith. Exit donc les
Stones.
Essentiellement un session man en ce début des années 1970, le passage est parfois dur et décevant dès lors qu'on parle de carrière solo. En l'occurrence,
Ry Cooder n'a pas forcément un grain de voix inoubliable et ce premier album contient, comme les suivants, son lot de reprises, des chansons qui, par ailleurs, ne sont pas franchement inconnues du ricain moyen, qu'il puise dans le blues (
Dark Is The Night, de
Blind Willie Johnson - déjà - bien avant
Paris, Texas donc), dans le folk (
Do Re Mi de
Woody Guthrie) ou dans la country (
My Old Kentucky Home).
Ce qui sidère toutefois, c'est qu'en 1971 quelqu'un ose aligner ces trois reprises sur un même album. Les rednecks n'aiment pas les noirs, les folkeux méprisent la country, bref, fallait quand même choisir son camp.
Alors, quand en plus c'est le dingo
Van Dykes Park, l'homme du
Smile des
Beach Boys, qui produit le tout, on peut craindre le pire.
Résumons la situation : un session man très doué, certes, mais sur le papier incapable de revendiquer une étiquette, pas franchement songwriter dans l'âme, un producteur singlé et une pochette crépusculaire, cela sent bon le bac à soldes, bonsoir Simone, retourne donc cachetonner auprès des manches qui ont des idées mais, justement, des problèmes de manche.
Et ben non, Simone, t'as tout faux.
Car tout cela tient sacrément la route. Car
Ry Cooder, qui s'en doutait, n'est pas seulement un guitariste d'exception, c'est un musicien à part entière qui à aucun moment ne tombe dans le piège du solo tapageur, dans le clafoutis façon VRP chez Fender ou Gibson.
Ry Cooder a plein de musique dans la tête, et quand bien même il n'écrit pas encore beaucoup, il apporte une nouvelle couleur à des vieilles scies qu'on n'imaginait plus sortir d'ailleurs que du Ryman Auditorium ou d'un vieux gramophone. Ca explose donc de partout, parce que là on n'a même pas évoqué, les influences New Orleans, particulièrement sensible dans
Pigmeat, ce fameux beat inclassable, ce piano bastringue, le tuba, tout ça. Qu'on retrouvera à la même époque chez son vieux pote
Taj Mahal, son double qui lui non plus n'hésitera pas à provoquer le redneck en récupérant le banjo volé aux noirs et en reprenant des trucs comme
Cluck Old Hen.
Alors oui, tout ici est encore un peu vert, mais vert comme une laitue fraichement cueillie dans le potager.
Van Dyke Parks assaisonne un peu trop par moments, n'hésitant pas à faire dans le symphonique un peu psychédélique (mazette, les cordes sur
Do Re Mi, fallait oser !!!). Et surtout, chanter, on sent que
Ry Cooder s'y plie plus par obligation que par vocation. Ca sent la première prise sur bien des morceaux (
Do Re Mi, là encore, mais quel délice !), mais là encore, à l'heure du tout policé, retravaillé à l'Autotune, on ne s'en plaindra guère. Péchés de jeunesse aussi, mais péchés délicieux, des morceaux comme
Police Dog Blues, tout acoustiques, lorgnent parfois un peu trop vers
Marcel Dadi et ont dû faire pousser plein d'acné aux nombreux gratouilleurs prépubères de l'époque.
A l'inverse, des choses comme
Goin' To Brownsville, rythmique minimale, emmenées par la mandoline, c'est incroyablement bien trouvé.
Rory Gallagher saura s'en rappeler pour son
Goin' To My Hometown...
On trouve donc dans ce premier album solo, tout ce qui rendra Ry Cooder indispensable, qui culminera même dès le second album,
Into The Purple Valley, jusqu'au troisième,
Boomer's Story, sortis tous deux en 1972. Alors que par la suite on sent ce premier vent faiblir quelque peu, de nouveaux horizons vont se développer, influences mexicaines notamment, pour culminer bien des années plus tard.
C'est sans évoquer sa contribution au cinéma, oui, oui,
Paris, Texas bien sûr, mais tant d'autres films aussi,
Crossroads (un navet par ailleurs), au hasard, ou son double blanc (désolé du jeu de mots),
The Long Riders. L'homme excelle dans tous les exercices de style, car, justement, il les dépasse tous.
Car
Ry Cooder n'hésitera jamais à se remettre en question et, chose rare pour un guitariste interprète, ses capacités à écrire des chansons toujours étonnantes et sans concessions ne feront que se développer avec le temps (Au hasard, son merveilleux
Pull Up Some Dust And Sit Down de 2011.
Un premier album un peu vert, certes, mais du haut de ses 66 ans, le vieux gars semble plus vert que jamais. Chapeau l'artiste. Sombrero ou Stetson, peu importe.
En 1971, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il lui reste bien des choses à faire.
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