J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

dimanche 15 mai 2016

#185 : King Crimson "Live In Toronto"

On prépare un album live, avec les vidéos et tout. Mais ce concert était tellement bon, pour vous faire patienter, on sort un bootleg officiel.

Voilà ce que vous lirez, en gros, sur le site de Robert Fripp. Vous pourrez vous dire, en voilà encore un que l'humilité ne va pas assommer. Il doit avoir des mollets, Robert Fripp, c'est pas possible, il est cycliste, pour de vrai !

Alors voilà donc le concert, nous précise-t-on, brut de coffre, juste on a coupé un blanc au début entre l'impro de Tony Levin et le premier morceau. Effectivement, dès le début, on comprend qu'on va tout avoir. Y compris le speech habituel : "ne fumez pas, ne prenez pas de photo sauf à la fin...", ce genre de conneries, "...et puis essayez de profiter du spectacle avec vos oreilles et vos yeux", et ça c'est pas si con à une époque ou, même si on avait été à la Havane au bon moment, on aurait cherché sur Youtube s'il y avait pas le concert des Stones en ligne pour commenter en direct. Donc, ok, Robert, on y va, on met le disque dans un lecteur de CD, on éteint l'ordi et on écoute.

Putain la vache.

Même le solo de batterie, il est trop fort. En 2016. J'ai écouté, en 2016, un solo de batterie d'un groupe de prog-rock sur le retour (avec TROIS batteurs ??!!!) et je l'ai trouvé bien. C'est sûr, ça peut pas être du prog, me disai-je il y a quelques instants en me torchant avec la pochette de Nursery Cryme de Genesis. T'es con, me dis-je l'instant d'après. Non pas parce que j'aurais pu revendre le disque de Genesis plutôt que de m'en servir ainsi, mais parce que King Crimson ça n'a jamais été du prog. On a qualifié leurs suiveurs de groupes de prog, parce qu'on n'avait pas le droit de dire merde dans la presse à l'époque, mais eux c'était différent.

Déjà, ils avaient joué à Hyde Park. Ensuite, ils avaient espanté Pete Townshend. Après, même les punks avaient peur du grand méchant loup en écoutant Red. Ensuite, quand ils ont fait de la merde on avait le droit de le dire donc c'était pas de la prog. C'était même plutôt funky. Et funky, d'après Google, ça veut dire froussard (d'après le Larousse Anglais-Français en ligne, super; dans le vent. Pareil donc.) . Qui se fait dessus. De la merde donc. De la prog. CQFD. Et pour être tout à fait honnête, le 5ème morceau du deuxième disque, Sailor's Tale, sent un peu des pieds, quand même. Mais sinon, par tous les dieux de l'enfer, saperlipopette et tabernacle, qu'est-ce que ça joue !

Je vous parlais l'autre jour de l'esprit du Grateful Dead d'antan qui vibrait encore dans ces concerts de l'été dernier, ben ici aussi. Un certain esprit. Comme d'habitude, il ne reste de King Crimson que ce que Robert Fripp veut bien garder, exit donc Bill Bruford, Reste Tony Levin et revient Mel Collins, lassé d'avoir payé sa piscine grâce à Dire Straits et tant d'autres. Bon sang voilà que je parle comme un mec qui chroniquerait un disque ! On s'en fout, en fait. C'est King Crimson, en 2016, tout cela est grotesque en soit. Quarante ans après avoir juré que grand dieu, un groupe comme ça ne devrait plus exister, les voilà encore. Et c'est tout juste si je fumerais pas un joint en regardant ma poussée d'acné dans le miroir. Car ils jouent Epitaph, vous vous rendez compte ?!! Le truc que, tout le monde va s'acheter un pull en chèvre, des yaourts bio, l'intégrale de Castaneda et une paire de clochettes rien qu'en entendant l'intro !

Et c'est beau. Bêtement beau, aussi connement qu'un coucher de soleil aux Antilles, car il y en a tout le temps des couchers de soleil aux Antilles, aussi techniquement qu'un iPad Pro avec un écran rétina que vous en croirez pas votre mère, aussi habituellement qu'un salaire à la fin du mois. Mais on le savait déjà, sauf qu'on n'aurait jamais pensé à perdre encore cinq minutes à reécouter ça. Faut pas déconner, y'a le dernier Radiohead !

Donc, revenons en 1974, sur le disque, là, vient de se terminer Starless. Et je suis déçu, ils sont pas montés aussi haut que sur l'original. Mêmes notes pourtant, rien à dire sur le jeu de guitare, mais plop. Plop. Dommage. Sauf que la magie fonctionne à nouveau, en rappel. Comme si, deux minutes pour aller pisser, prendre une douche et boire une limonade et hop, y sont repartis les gars.

Car oui, ça t'a une tronche de best-of, ce concert. A ma connaissance, à part Red et Lark's Tongues in Aspic, pendant très longtemps le Bob n'a rien voulu savoir du reste. Et on commençait à en être peinés, un peu. Un peu comme quand on éteint la lumière pour pas qu'on voie qui prend la dernière part de tarte, on avait envie de lui dire, à Bob : écoutes, on s'en fout si ça te fait mal aux rotules, si ça fout en l'air ta continuité conceptuelle et tout ça, mais c'était quand même bien aussi ce que tu as sorti avant la phase finale avec Wetton et Bruford. On dirait rien, on pardonnerait cet écart, mais on aimerait bien que tu les joue, quand même. Tu comprends, au prix du ticket de concert, attendre le rappel, c'est raide quand même. Et c'est un mec sympa, Bob. Pas du genre rancunier. A peine quarante ans après, il dit bon, bon, d'accord... Hop et là tout le monde se tait et...

Et voilà.

On est là, bêtement, à aduler une tanche comme Mel Collins, en train de se débattre avec son sax sur 21st Century Schizoid Man qu'il en invoquerait presque le fantôme de Coltrane, c'est dire. Epoustouflant. Très sérieusement. Etonnant et Impressionnant. Je ne peux pas m'empêcher de penser que jusqu'alors, toute cette période entre le premier album et, disons, Starless And Bible Black, ça n'était pas raisonnable. Mais si vous entendiez comme il fait le job, Mel, car il fait le job que Fripp lui a demandé, et c'est tout, mais c'est énorme. Ecoutez cette version de Pictures Of A City. Le saxophone, chez King Crimson, c'est comme la trompette dans le jazz... Et même ça fonctionne encore en 2016.

Alors non, tout cela n'est pas funky. Tout cela est même regrettable, encore, que de s'étonner sur King Crimson en 2016. Et alors quoi ? Trouver autre chose, mais où ? Chez R... Ah non, eux, ça suffit. On parle pas d'un truc agréable. On parle d'un moment de défonce, d'un poison qu'on s'envoie dans les oreilles comme de l'héroine dans les veines ou de la bière dans le siphon, peu importe. Un truc qui t'emporte, quoi. Que tu écoutes d'abord en te disant, sourire en coin, voyons ce qu'ils nous pondent ces vieux cons, et qu'au final, t'es aussi étonné que ta grande soeur quand elle avait découvert le fameux disque avec sa pochette prog de merde il y a 30 ans c'est à dire à l'époque déjà 10-15 ans après le truc.

Voilà, ce que je trouve plus nul part, sauf dans de vieilles armoires : de l'étonnement. Prenez un groupe comme King Gizzard & The Lizard Wizard. Ca te fait un buzz que même toi tu écoutes. Leur dernier album est une bombe, du début à la fin. Ca n'ar-rête-pas. Sauf que, un moment tu as un haut-le-coeur, tu te dis, merde, la date limite de consommation, j'aurais dû regarder quand même. Mais non, t'inquiète, c'est du rock psychédélique cellophané et pasteurisé, aucune crainte. Déjà, rien que le nom, on dirait un album de King Crimson, c'est dire. Mais bon, le problème, la raison pour laquelle ce live paraît moins incongru, lyophilisé et jetable que les Gizzard machin (mais vous pouvez mettre les White Stripes à la place, on s'est fait avoir pareils), c'est que l'on sent sinon le vécu - on s'en fout du vécu, on attend la becquée, c'est tout - du moins la trajectoire du groupe. Et les King bidule (finalement on dirait un nom de croquettes pour chien) ne font que reproduire quelque chose qu'ils n'ont pas inventé, jamais, ils n'ont jamais rien inventé. Ils font semblant, avec l'album acoustique qu'on dirait Traffic - on dirait, en effet - donc c'est bien fait. La Beauté du Monde était déjà là quand ils sont arrivés, ils n'ont même pas eu à la détruire, les punks l'avaient déjà fait. So what can a poor boy do except sing in a rock'n'roll band ? Même ça, les Stones l'avaient déjà souligné en 1968. Et là, en 2016, je ne trouve un peu de poudre qu'avec un live de King Crimson. Non, plus exactement, avec CE live et avec KING CRIMSON. Ne remplacez pas un et King Crimson avec qui vous voudrez, ce n'est pas ça que je voulais dire. Et, surtout, malheueusement, ça ne fonctionne pas.

Il n'y a plus grand chose qui fonctionne, d'ailleurs. Je pourrais vivre avec seulement A Love Supreme de Coltrane, et oublier tout le reste.

Voilà, c'est sans doute un coup de déprime et ça va passer. Je me remettrais bien Sympathy For The Devil par Mötörhead, d'ailleurs. La classe, ce Lemmy. Dernière chanson du dernier album, le classique des Stones. Et tout ça, au feeling. Sans préméditation. Qui aurait cru que ce balourd réussirait mieux sa sortie que, au hasard, David Bowie ? Mais on s'en fout, au fond, de Bowie. On s'en fout de toutes ces considérations qui ne tournent au final qu'autour de ce qui jusqu'à il y a peu tournait aussi - à savoir un disque. Enlevez tout ce qu'il y a autour, qui ne sert à rien, écoutez juste la musique, ça vous plaît ? OK C'est cool. Sinon, tant pis. Et là ça me plait, alors je le dis. Je reécoute ce Starless et je m'en veux déjà de l'avoir trouvé piteux  (juste les samplers d'aujourd'hui qui imitent mieux les cordes que les Mellotron d'hier et c'est dommage ?). Et d'avoir traité Mel Collins de tâcheron. Ca se joue pas sur commande, ce qu'il fait là-dessus - les quelques notes sur Starless, je parle même pas du reste. Le reste... Je regrette qu'ils aient pas joué Catfood, aussi, tant qu'à faire.

Voilà le problème, plus, toujours plus. Il y a deux heures ce disque me suffisait largement pour passer le week-end, et là j'en veux à tous ces jeunes cons de ne plus m'étonner, et je pleure comme un sot parce qu'il y a pas Catfood sur le disque de ces vieux cons.

Vérifiez vous-même, ici et , elle y est pas. Mais prenez le temps, juste avec les oreilles, de vérifier.




4 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  2. Ben tiens, je m'ouvre un Bergerac, une boite de camembert et du pain. J'attends le King Crimson, je le charge et je me jette sur STARLESS fait parti de ce lot de chansons qui ne m'ont jamais lassé. Ça c'est pour la musique.
    La chronique coincée entre deux pages de "Paradise's Bar", le tout n'étant pas étanche et c'est tant mieux. Merci

    RépondreSupprimer
  3. Trois batteurs pour remplacer Bill Brufford, c'est lui qui doit être fier.
    Il aura fallu cette version de STARLESS pour que soudain, le final, me rappelle "WOMEN OF IRELAND" c'est plus évident ici....
    Bon, tu as beau faire des explications en relief, tu aimes des artistes de l'époque où ils cherchaient à sortir du carcan Blues & Rock. Il y a de superbe réussite, mais ce n'est pas un débat. Quoique, je me lancerai bien dans un chronique pour moi aussi mettre en avant...Quelle heure il est à Paris? 17h... Et Lundi pas boulot et bmon Bergerac sent bon

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout à fait. J'envie ton Bergerac, aussi. Merci d'être passé.

      Supprimer