J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

mardi 24 mai 2016

#187 : The Fall "Creative Distortion"

Le 22 septembre 2002, pour la majorité de l'humanité, il ne s'est rien passé. Enfin je n'ai pas vérifié mais en tout cas je n'en ai aucun souvenir. J'ai peut-être même dû me faire chier comme un rat mort ce soir-là. Vu les dates, ça colle. Sans doute pinté à la bière, et, sans m'en douter, je n'étais pas le seul.

Du moins si j'en crois ce double CD Live de The Fall, enregistré précisément ce soir-là, au King George's Hall de Blackburn (ces anglais ! ça ne s'invente pas). Enregistré et filmé, mais le film ne vaut rien. Regarder The Fall à la télé, ça revient à lire tout Proust via le Reader's Digest : tout ce qu'on imaginait meurt sous les pixels. Le guitariste n'a aucune classe, la salle est moche et la scène mal éclairée. Well well.

Donc, dans ce moment de grand oubli, quelque part au fond d'un patelin qu'on imagine pourri par la pluie, l'huile qui carbonise les oeufs qui dégoulinent sur les haricots dont la sauce tomate vient liquéifier le pain de mie qui frit dans la même huile, The Fall, joue. Comme d'habitude, dans une indifférence crasse (on entend bien dans le mixage qu'on a relevé le son pour entendre les trois applaudissements). La musique ? Basse, guitare, batterie, et grognements habituels de Mark E. Smith. Barissements aussi parfois, dans un micro qu'on imagine directement jeté à la poubelle à la fin du concert - qui donc voudrait ne serait-ce que s'en approcher après ça - musique souvent pataude (ce ridicule essai funky sur Telephone Thing, au hasard).

Et pourtant, ça pourrait presque ressembler au disque de l'île déserte mais avec une prise de courant pour la platine. Essayez d'expliquer à quelqu'un ce qui a pu vous arriver, là, un jour, un soir, dans un bistrot glauque ou une salle miteuse, et qui pourtant a changé votre vie. Sans réciter les inévitables London Calling, Beggar's Banquet, etc (rajoutez ici qui vous voulez, mettez-y aussi les Sex Pistols et Joy Division si ça vous chante, m'en fiche). Parce que cette poésie, vous l'avez - mis à part quelques rares privilégiés - rêvée. Vous avez bavé sur des pochettes en carton, collé votre nez devant une télé en noir et blanc, et basta. Mais The Fall, si j'en crois ce disque, on les a tous entendus un soir. D'une oreille distraite par la téquila paf peut-être, préoccupé par un fessier agité pourquoi pas, too much de ce que vous voulez, mais on l'a vécu : la soirée ou - va-t-en savoir pourquoi, le monde t'appartient et, tout en tapant piteusement du pied pas tout à fait dans le rythme, c'est toi, oui toi, qui donne la pulsation. Tu es le centre de la Création. Création de merde, de chômage, de racisme, de deuil, de cul et d'alcool mêlés dans une gueule de bois façon boomerang, mais une création quand même.

Alors pourquoi ce disque plutôt qu'un autre ? Et pourquoi pas. Tous ceux ayant tenté d'approcher un instrument avec autant de persévérance qu'une groupie (ou un groupie, un groupon ? comment on dit ?) se reconnaîtront dans ces lignes de basse pas dansantes pour un sou (Hey ! Luciani) à peine masquées par un guitariste qui n'a même pas deux cent francs pour s'acheter une fuzz et un batteur qui... ben un batteur quoi. Et le gars au micro qui se la pète, raconte ses histoires de tous les jours, s'arrête pendant de trop longs moments (merde, se dit-il, comment reprendre la main, j'y crois plus, j'ai soif, vivement demain). Mais on est tous dans la salle et un 22 septembre 2002, et ouf, Free Range ramène son cul et balance la purée et c'est reparti et c'est trop bon et toi, tu le sais, tu l'as voulu, c'est toi qui dirige cette petite entreprise.

Car c'est souvent en fin de soirée, tout le monde ou pas tombe le masque, les choses sont dites, ça finit en pleurs, au plumard ou en baston, mais non de dieu on lui a secoué les puces au Destin. On a enoyé chier toutes les emmerdes de la semaine avec ces quatre crétins qui font du rock'n'roll, là, devant toi, plutôt moins bien que qui vous voulez, mais foutrement plus vivant. Même s'il en faut de l'érudition et de l'imagination pour reconnaître, en fin de soirée, Victoria, c'est une reprise du morceau des Kinks. Shane McGowan n'est qu'un poseur à côté.

Voilà, en fait, ce qui s'est passé, et ce n'est pas vous qui allez me contredire, ce 22 septembre 2002 nous étions vivants. Nous avions quinze ans de moins, et c'est aujourd'hui qu'on en chialerait, et c'est aujourd'hui qu'il est doux d'écouter ce disque, qui nous ramène nulle part parce qu'on était ailleurs, mais qui nous emmène vachement plus loin que les vertes contrées de Blackburn ravagées par la dope. Et vous savez quoi ? Ben je vais me faire le deuxième CD dans la foulée, là, le volume à fond, en ce 23 mai 2016 durant lequel il ne s'est rien passé. Parce qu'avec un disque comme ça, ben n'importe quand il se passe quelque chose.

Et ne venez pas me parler de la Magie des Grands, j'en vois déjà qui stoogent leur doors attitude ou je-ne-sais quoi. Non, on parle de The Fall, groupe de merde cabotinant dans l'indifférence presque crasse si ce n'était Secret Records qui a eu le culot d'emballer ce set pour l'offrir au monde. J'imagine que l'objet n'existe déjà plus dans le marché commun, Surtout que là, alors que la moitié de la salle a déjà vomi les haricots dont je parlais tout-à-l'heure, Mark E. Smith récite un poème. Enfin, un texte. Savoir si c'est de la prose, on n'y comprend rien. On n'est pas au Grand Théâtre de Morrison, on est juste dans une salle pourrie et voilà, je voulais vous le dire, je l'ai dit.

N'empêche, je ne sais pas si le terme live a déjà mieux mérité son titre. Je me demande - est-ce l'effet Dolby Stéréo - si je n'ai pas un jeune britannique désabusé ivre de bière tiède prêt à me casser ma sale gueule de français là, dans mon salon, à deux pas. Dear, un effet saisissant. Et voilà que je trouve le batteur fantastique, à présent. En à peine 45 minutes, The Fall (re)devient le plus grand groupe du monde, dans l'anonymat cher au Roi Georges de ce patelin ou je n'enverrais même pas ma belle-soeur en séjour linguistique. Et vous balancera dans la tronche ce qu'aucun pavé de Dickens ne vous fera jamais autant sentir du doigt qui pue : vous êtes vivant, bordel, VIVANT.

Ce coup-ci ça mérite un lien, même deux.

10 commentaires:

  1. Putain, si j'étais patron d'une major, je t'embaucherai illico au service Com. Parce que là, tu viens de nous fourguer un disque (apparemment) de merde avec autant d'aisance qu'Al Capone écoulait son jus de betterave frelaté !
    Je ne connais pas. En temps normal, je n'aurais pas pris. Mais là, je charge !
    Merde, qu'est-ce que je foutais le 22 septembre 2002 ?!?!?

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  2. The Fall a, à son actif plus de 20 live, je crois et est même considéré comme étant plutôt bon (dans le genre bien entendu). J'avoue ne pas en avoir écouter vraiment (à part leur tout premier).

    Voilà un groupe dont j'apprécie l'attitude et la musique. Ta chronique vient juste me rappeler une promesse que j'avais faite chez Jimmy qui était de diffuser une album par décennie du groupe en partant du plus récent au plus vieux... Va falloir mettre en ligne tout ça (dis donc Keith, ça voudrait dire que t'écoutes pas mes disques?!?) et au moins mettre un deuxième...

    Moi, je suis toujours sidérée par la vitalité de Smith. Si tu ne connais pas le titre 50 year old man, je t'invite à y jeter une oreille. Il est vivant et sacrément plus que ses congénères de l'époque (depuis je ne saurais pas dire il n'a pas encore enregistré 60 year old man qui ne devrait pas tardé...)

    Par contre, sur les photos, c'est pas Bowie, lui, il a méchamment morflé. Alcoolique notoire et sans doute pas toujours clean, c'est certainement aussi un miracle qu'il soit encore debout.

    Caractère insupportable, empêcheur de tourner en rond, pourfendeur de toute hypocrisie, sans doute francophobe, gueulard notoire, Mark E. SMITH est un chic type, mais de loin! lol

    The Fall a bati une vraie œuvre et personne en France ou presque n'en parle, ou alors du genre un résigné et pour faire son devoir d'école pour paraitre plus crédible que le voisin. Y a pas un journaliste qui semble s'en soucier et le jour où il va clapser, ils auront plus de boulot pour combler leur retard que pour Bowie ou Prince... Il mériterait largement des Hors-Série, mais on préfèrera toujours Iggy Pop en maitre de cérémonie destroy... Comme si c'était le must du subversif et de la crédibilité rock que de le vénérer! Qui tient les paris sur le Hors-Série The Fall?

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    1. En tout cas je tiens le paris sur Mark E.Smith pour ce qui est de la fameuse rock'n'roll attitude (Iggy n'est plus qu'un bourgeois encanaillé depuis des lustres). Je m'en vais de ce pas écouter 50 year old man, me sentant particulièrement concerné, et suis preneur des disques à écouter en priorité, étant encore peu rassasié en la matière.

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  3. Voilà un disque furieusement rock, qui émane d'un accouplement incestueux entre Dr. Feelgood et les Sex Pistols.
    Sorry Audrey, j'ai du zapper ta publication ! Je découvre que le groupe et toujours vivant et propose une discographie aussi longue que la quéquette à Rocco !
    En plus, ce cochon de Mark E. Smith s'est maqué avec une claviériste mignonnette comme tout. Comment y fait avec sa trogne de raisin ?!?!?

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    1. Avec plaisir Chris - j'attends moi aussi les posts avec impatience, voire, si possible, deux-trois titres d'albums à écouter en ultra-priorité !

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  4. D'une manière générale, tu peux prendre n'importe quel de leur disque jusqu'à 1985, ce sont quasiment tous des classiques, ou en tout cas ils en sont truffés.

    L'un des tout meilleurs est Hex Enduction Hour mais c'est certainement l'un de leur moins accessible
    This Nation's Saving Grace est consideré souvent comme leur classique. Et si on en trouve un dans les classements des mailleurs gnagnagni gnagnganagn , on le trouve régulièrement cité.
    Infotainment Scan est également souvent cité. Il s'agit de leur première vraie incursion dans l'électro. Même si ça reste très rock.

    Me concernant, j'ai quelques albums chouchou: Room to live pour le son de basse et de guitare; Kurious Oranj; Fall Heads Roll (que j'ai proposé chez Jimmy) et Country on the click (j'aime bien leur façon de mélanger leur rock primitif avec une techno assez dur sans pour autant ressembler à Nine Inch Nails, quel que soient les ingrédients, ça ressemble à du The Fall). Ce groupe est capable de pondre un vrai classique avec des trucs qui terminent à la poubelle chez les autres groupes. Prends un morceau comme Hip Priest, j'ai dû mal à imaginer qu'un type est pu "penser" un tel morceau. Et pourtant, c'est sidérant de génie!

    Je crois que le groupe m'a prise de vitesse depuis les années 10 et que je n'ai pas écouté les derniers.

    Sinon Totally Wired est une bonne compilation de la première période. Et 50,000 Fall Fans Can't Be Wrong couvre plus largement leur œuvre.

    Je pense qu'avec ça, tu pourras nous faire un bon exposé. Le devoir est à rendre pour vendredi prochain. ^-^

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    1. Merci pour ces conseils. J'avais déjà évoqué Hex Induction Hour ici (le disque est quelque part dans un carton, bloody hell), j'écoute les autres sur youtube, impossible de trouver des liens décents ;o(

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  5. Ce n'est pas pour rien qu'on la surnommé le Louis-Ferdinand Céline électrique!

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  6. C'est Audrey qui m'a fait découvrir (et aimer) ce groupe, dont la pléthorique discographie fait tout de même peur (et puis j'aime la mule et phish, ça va faire beaucoup après)... étrangement le texte du jour ne fait pas écho à mes propres impressions, enfin pas de façon aussi brutale barmaid binouze... donc ça donne envie de s'y recoller.

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