J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

samedi 29 octobre 2011

#66: Chess "Psychedelic Jazz & Funky Grooves"

OK, OK, les studios Chess... Home of the Blues. Muddy Waters. Tant d'autres. Et pourtant, voilà une compilation bien marrante, axée non pas sur les douze mesures qui ont fait le succès de la boîte, mais vers les à-côtés de l'histoire. Quand la pop a commencé à éclabousser la maison mère. Cette vague revenue d'Angleterre pour submerger les Pères Fondateurs de Chicago. Je savais pas non plus, mais chez Chess aussi on a tenté de récupérer un bout du gratin. Quitte à faire avaler des couleuvres au bon vieux Muddy Waters (Tom Cat), à un Bo Diddley pas plus choqué que ça (Bad Trip) et à plein d'autres qui n'auront eu que quelques secondes sur un vinyl pour constater - mais un peu tard - que là n'était pas la voie vers la postérité.

Voici donc des instants ephémères, aussi datés qu'un Bordeaux bouchonné, mais des instants beaux comme une olive dans un Martini. Bon dieu que tout cela groove diablement. Problème : n'ayant ni la caution Stax, ni la bénédiction Motown, cela ne pouvait pas coller. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. There's no business like Show Business...

Et pourtant... jamais compilation n'a aussi bien porté son titre. Le Funky Groove de Solomon Burke (Everlasting Lovelaissera pantois tout disciple d'un Marvin Gaye période Let's Get It On. Parce qu'aussi sensuel, mais plus musclé, si vous voyez ce que je veux dire, les filles...

OK, OK, la reprise du Tales Of Brave Ulysses de Cream par le Rotary Connection est un peu ridicule et pénible (qui a dit "comme l'original" ? Hmmm... c'est pas tout à fait faux) mais celle de Crosstown Traffic est mieux que la version revue par Gil Evans, au hasard. Et un machin comme Do Whatever Sets You Free par l'obscur Ramsey Lewis (enfin, obscur vu du bout de mon petit nez béotien) devrait offrir du matériel à sampler pour les quinze prochaines années de french touch electroïde (c'est à dire trois albums de Justice, au hasard) et, mieux encore, 7'53 de bonheur aux gens simples que la hype indiffère. Cette petite pointe de guitare jazzy est tout en délicatesse, là-dessus.

Oh, et puis voilà que ça part voodoo avec l'Afro-Harping de Dorothy Ashby ! Enfin... voodoo lounge, plutôt... (désolé, Mick et Keith, mais là le titre est justifié) mais bon, j'arrête de vous décrire tout le menu. M'est avis que plein de noms là-dedans ne diront rien à personne. Mais quand même, Marlena Shaw et son Woman Of The Ghetto... Raah, j'écoute tout dans le désordre, là, je redécouvre cette galette un peu oubliée et... pétard ! On passe du kitsch deluxe au groove fatal avec la même joie. Ca devrait plaire aux fans de Docteur Caraïbe (ils se reconnaîtront).

Voyez les gars, il est 1h30 du matin, et j'ai pas pu résister à vous en mettre un autre pour le week-end, alors que je devrais déjà être parti. Mais celui-là je vais me l'emmener pour la grosse fête de demain soir. S'agit pas de chasser les invités, là (j'en suis), mais plutôt de pousser le truc jusqu'au bout de la nuit. Et là, c'est parfait.

Et ça vient de chez Chess.... Y'avait donc pas que du 12/8 dans la boutique, le 4/4 se portait bien aussi. Mais le monde n'en a pas voulu. Le monde est ingrat et bête.

Pas vous.

Vous avez jusqu'à lundi ou mardi pour vous en remettre...

jeudi 27 octobre 2011

#65: Bob Dylan "Stuck Inside Of New York"

Ce post fait suite à celui de Lyc, concernant la nouvelle (baillements...) compile (rire nerveux) de Dylan, sensée émoustiller encore plus que les autres, grâce à des titres moins courus que d'habitude et, évidemment, à une maigre cerise sur le gâteau pour le fan hard-core : la première réédition CD de Trouble In Mind, face B de Man Gave Names To All The Animals, ce qui est crétin, car nous autres les fous furieux du Zim l'avons depuis bien longtemps déjà sur un bootleg... et nous nous en fichons des remasterisations. Nous achetons bien sûr les compiles, mais c'est le denier pour le culte, pour qu'on nous laisse tranquillement piller le reste, l'underground, les bootlegs, donc. Quoi, et alors ? On fait ce qu'on veut, non ?

Et Jimmy de me proposer d'en poster un ou deux, des bootlegs de Dylan. Naaan... Mince ! J'avais arrêté la dope ! L'armoire était fermée à clé, je ne passais plus mon temps à les pister, j'étais redevenu presque normal ! Ca va donc recommencer, tout ça ? Et ma vie de famille, mon travail, ma raison ? En plus, je me l'étais promis : bon, ok, tu crée ton blog, mais tu ne commence pas à poster du Dylan à tout va ! Et tout ça recommence. Turn, turn, turn, turn again...

Tout ça, c'était au début des années 2000, nous étions une société secrète qui s'échangeait sa bootlist en fichier Excel par e-mail. Et que si tu m'envoie celui-là je te donne celui-ci. Ca ne s'achetait déjà plus, mais il fallait gagner sa réputation, graver les disques sur des CD corrects, pas les merdes à 10 euros les 20 chez Carrefour, et expédier le lot partout dans le monde. A mon apogée dans cette secte, j'en recevais des dizaines par la poste tous les jours, et j'en envoyais autant. Ma postière me regardait d'un air louche, le facteur a sans doute dû appeler les RG... Une de mes fiertés était d'avoir TOUS les concerts de 2003. (Presque) TOUS les concerts de la tournée de 1984. TOUS les bootlegs de la tournée de 1966, même ses gratouillements dans les chambres d'hôtel. Et tant d'autres vanités...

Et puis les forums sont apparus, l'ADSL, les clients bitttorent et tout ça et tout a perdu de sa poésie. Pas question de leeching, avant. Un mauvais deal et le voleur était marqué au fer rouge dans toute la communauté. Donnant donnant. To live outside the law, you must be honest, comme disait le Maître.

Mais bon, tel un Keith Richard sur son cocotier craquant pour un rail de coke, tel un Miossec s'autorisant malgré tout une 27ème bière, me voilà replongé dans l'enfer de la dylanomanie. Un ou deux bootlegs ? L'horreur. Genre, tu préfère ton père ou ta mère ? Je n'ai pas pu, su choisir. Il y a autant de facettes de Dylan que de bootlegs existants. Alors laquelle, de facette ? Le jeune folkeux arrogant ? Les années mercuriales de 1965-66 ? Des raretés en studio ? Des répètes avec le Grateful Dead ? Sa période cul-béni (fantastique en concert, si, si) ? Seul le hasard pouvait à la fois satisfaire la commande et garantir une petite nuit de sommeil. Voici donc celui qui est sorti du placard, que j'ai contemplé avec nostalgie, passion et fierté.

Stuck Inside Of New York, c'est un live de 1988, dantesque. Immense. Le début du "Never Ending Tour", en formation serrée basse/guitare/batterie/Bob. Avec rien moins que G.E. Smith qui mène la danse. Envoie un solo furieux et définitif dès le Subterranean Homesick Blues qui ouvre les hostilités. Un Bob qui n'a pas encore définitivement cultivé sa voix de canard surréaliste qu'il exploitera par la suite, mais qui use d'un organe éraillé et passionné, malgré la débâcle discographique dans laquelle il errait à l'époque.. Des titres improbables et dispensables re-ciselés (I'll Remember You), de longues séquences acoustiques d'une pure merveille (Barbara Allen, Wagoner's Lad, tout droit sortis de l'Anthology de Harry Smith sans aucune arrière pensée commerciale (genre "non les gars, celles-là je les chante pour le plaisir, elles sont pas sur mes disques")... et plein d'autres), de vieilles bêtes électrifiées (John Brown, incroyable), des trucs rarement jouées en live (Bob Dylan's 115th Dream) et toujours une pêche incroyable (le très sous-estimé Silvio, Like A Rolling Stone... bien sûr) et un humour grinçant : Dylan introduit une de ses bigoteries (In The Garden), diabolisée et magnifiée au passage, en se demandant si, dans le cas ou Amnesty International reprendrait à nouveau un de ses titres pour la prochaine tournée (ils avaient choisi Chimes Of Freedom puis I Shall Be Released avec Sting et les autres andouilles bien pensantes), il ne proposerait pas celle-là, de peur qu'ils ne choisissent Jokerman. Offensif, sarcastique et teigneux comme en 1966... Même les plus rabâchées sont incroyables (Knockin' On Heaven's Door, Maggie's Farm, au hasard). Bref, de quoi, j'espère, rassasier tout le monde, des néophytes aux nostalgiques en passant par les addicts.

Que dire de plus ? Un mix chaleureux, bonne qualité et... raah, je retombe dans les travers de mes commentaires sur mon fichier Excel : soundboard donc, pas audience. Sounds great, man. Ah, puis, désolé pour les allergiques, y'a même des bonus tracks : deux morceaux enregistrés à Bristol, la même année. Les bootleggers étaient facétieux, ils vous collaient ce genre de trucs à vous faire baver en fin d'album, juste histoire de dire "j'en ai d'autres, si tu veux..." Saloperie de dealers ! Parce que bien sûr les bonus tracks en question envoyaient une purée démoniaque vous poussant irresistiblement à en trouver plus, toujours plus...

Ah, et puis, pour la pochette et le track-listing, allez faire un tour ici, sur... bobsboots.com. Snif, ça faisait bien longtemps que je n'y étais pas allé. C'est comme ce retour à la Baule, vingt ans après... Ou comme Gabin se pétant la ruche dans Un Singe En Hiver... Et remarquez que je vous offre un "Bob's Best". Ha ! quoi ! Ca ne vous parle pas ??? Si vous ne croyez pas à mon argumentaire, eux, vous pouvez largement leur faire confiance. Le label n'est accordé qu'avec parcimonie. Et je n'ai jamais été déçu. Au grand jamais. Des commentaires avisés et toujours justes, une belle enseigne, je vous le dis. Ah... tiens, je verse une larme émue en voyant que le look ringard du site n'a pas changé malgré toutes ces années... Comme ce petit vin de table qu'on vous sert toujours sans chichi dans tel petit bistrot perdu de Bergerac, et qui dépasse de loin certains prétentieux Bordeaux vides de saveur de la Gironde si proche.

Et puis tant qu'à faire, flânez dans leur catalogue. J'y suis toujours listé comme trader, enfin je crois que c'est moi, même si l'adresse mail est morte depuis longtemps... Quelle négligence ! Alors qu'il fallait montrer sacrément patte blanche pour être initié dans cette secte et listé sur le site : envoyer un CD à une adresse inconnue en 48 h chrono, et les gars écoutaient, vérifiaient si le boulot était bien fait... Ah mon pauvre monsieur, le bon vieux temps de l'artisanat. J'ai la triste impression de les trahir en postant du mp3. Mais le monde et les temps changent...

Bref, s'il y en a un de répertorié chez eux qui vous tente, il est fort probable que je l'aie. J'ai des choses que même Columbia ne doit pas avoir, et dont ils ne soupçonnent peut-être même pas l'existence. Ceci dit, sans prétention aucune. Mais faut que je les retrouve... et la caverne est bien remplie... et c'est pas gagné... et j'ai pas le temps...

Mais bon y'a qu'à demander gentiment. Je fouillerai. Je pourrais même vous retrouver le pirate du concert (minable) à Paris en 1992 ou 1993, sur lequel on m'entend (je beuglais de bonheur les paroles de Tangled Up In Blue) au grand dam du bootlegger avec son magnéto et son micro-perche juste à côté de moi qui me regardait d'un air noir... Si, si, c'est vrai, j'ai chanté avec Dylan, moi, Môssieur ! Comme Hugues Aufray ! Et le petit Monde Entier des dingos de mon genre m'en est témoin.

En attendant, c'est ici.

Ah et puis, bon week-end. La maison sera fermée jusqu'à lundi au plus tôt... ;o)

mercredi 26 octobre 2011

#64: Jimmy Page & Robert Plant "Walking Into Clarksdale"

Voilà un album largement sous-estimé. Mais comment, à l'inverse, estimer à sa juste valeur le come-back osé (que des compos !) de Page & Plant après les magnificences originelles de Led Zeppelin, et surtout après l'album de retrouvailles semi-unplugged (No Quarter, présent chez Jimmy), défrichant des airs connus dans des arrangements royaux (l'immense version de Kashmir, rien que ça...).


Face au succès largement mérité de leurs premières vraies retrouvailles en 1995, faisant suite à des errements dont la décence nous interdira le rappel ici, Zozo et la Plume décident donc de remettre le couvert en 1998, pour un album ambitieux et aventureux (reprenant, certes un peu moins énergiquement, les choses là ou Physical Graffiti et Presence les avaient laissées). Four garanti, évidemment. Pas de remix de Stairway To Heaven, rien à quoi se raccrocher si ce n'est, pour les plus férus, cette envie de suivre les deux génies hors des sentiers battus, une fois encore, sait-on jamais ? Mais pour les autres... Avant l'ignoble In Through The Outdoor, Led Zeppelin s'était envolé vers des contrées difficiles, rigides et sans compromis. Et c'est là qu'on les retrouve.

Malgré une brève intro acoustique, Shining In My Light ne laisse aucun doute quant à ce qui va suivre. Rythmique tarabiscotée à la... on n'insistera pas, pauvre Bonzo... sertie de cordes arabisantes, et la gibson qui envoie le riff... Et le reste suit gentiment (When The World Is Young et son refrain doré aurait pu fonctionner en 1975...). Problème, Plant manque un peu de voix et Page, lassé de planter ses soli, se concentre sur des accordages tarabiscotés pour envoyer ses nappes venues d'ailleurs. Et ce ne sont pas les quelques loops (Most High, House Of Love) qui suffiront à assurer une quelconque modernité à l'album. Même si, encore, Most High... waouh... mais bon tant pis.

Face donc à un monde inconnu que les moins de 20 ans à l'époque n'avaient pas envie de connaître, et en retard sur leur temps, Page & Plant ratèrent le coche.

Et pourtant, encore une fois... Ecouté juste après Presence, l'imaginant sorti juste après, on tenait là un truc qui aurait pu les faire vivre un bout de temps encore... Sons Of Freedom, avec son petit côté Immigrant Song, aurait fait une excellente intro pour la tournée Led Zeppelin 1984. Qui aurait pu, à juste titre, toiser les autres stars du moment de haut et jouer à guichets fermés, comme d'hab'.

Ironie du sort, Plant reprendra Please Read The Letter avec Alison Krauss, sur son merveilleux Raising Sand qui connaitra le succès dix ans plus tard... Ten Years Gone... Tellement de succès que Plant refusera catégoriquement de partir en tournée après le concert de reformation de Led Zep à l'O2, parce que pris par des engagements avec la belle Alison... et on le comprend.

Que bref, voilà un bien bel album à redécouvrir, même si Robert Plant (déjà) baisse d'un ton et que Jimmy Page n'est génial que dans les parties rythmiques, encore une fois ses envolées en open-tuning ésotériques sont à re-estimer sur cet album. De même qu'une ambiance moite comme celle de Heart In Your Hand. Eux qui ont tenu les années 70 dans le creux de leurs mains, dictant la prochaine mode et imposant la marche à suivre jusqu'en 1977, les voilà ici complètement submergés par la vague electro qu'ils ne tentent que trop timidement de séduire par instants, via quelques bribes un peu world music (beurk, ce terme, quelle horreur). Leur éventuel avenir, proposé dans cet album courageux, ne saura pas intéresser grand monde. Dorian Gray rattrapé par l'image de son portrait, on connaît...

Oh, je ne prétends pas vous faire redécouvrir l'album du siècle, mais quand même. L'os, ici balancé, méritait d'être d'avantage rongé qu'il ne le fut à l'époque par les adeptes. Il y restait de la chair. Du sang, de la sueur, et beaucoup de larmes aussi, malheureusement ("Walking into Clarksdale, trying to keep my friends alive"... no comment).

Please Read The Letter...

mardi 25 octobre 2011

#63: Franck Pourcel "Meets The Beatles"

Force est de constater que l'Homme a, parfois, envie d'être méchant et cruel.  Cherchant le post de demain dans ma caverne, je suis tombé sur ce truc, acheté un jour, un matin, à jeun (je précise), trop excité par la chose et par la cravate du Monsieur, je me marre rien qu'à l'idée de vous l'offrir (dès ce soir, du coup). Ca fait très indirectement suite au post de Gil Evans reprenant Jimi Hendrix (après tout, un chef d'orchestre re-arrangeant des trucs géniaux, c'est pareil et kif-kif, non ?) et à la triste remarque de Jimmy, avouant ne pas être arrivé au bout d'un album de Count Basie reprenant les Beatles.

Alors, puisque Beatlesmania il y a à nouveau, l'heure est venue pour Franck Pourcel de re-tenter une heure de gloire. Profitant à l'époque de la dissolution toute fraîche des Fab Fours, l'homme qui n'avait peur de rien a tenté le coup (Remarquez toutefois que le My Sweet Lord de George Harrison - malgré ses fulgurances mariachi - figure parmi les deux bonus tracks de la réédition de chez Magic (je les aime ces gens-là), il n'avait pas osé à l'époque - on est intègre ou on l'est pas). Sans doute, le groupe Prisunic a-t-il racheté l'essentiel du stock, à l'époque. Mais c'est merveilleux. Le talent de l'homme est tel qu'on ne reconnaît les morceaux qu'au bout de cinq secondes, tellement la surprise est immense. Il a osé, se dit-on à chaque instant de ce chef-d'oeuvre baroque. Imaginez John, Paul, Georges et Ringo englués dans un pot de confiture de groseille, avec le regard vilain du Gargamelle de l'Easy Listening franchouillard des seventies trop content de son coup. Un bonheur. Je suis sûr qu'un Frank Zappa, reprenant I Am The Walrus sur ses dernières tournées, aurait adoré, malgré sa haine affichée pour notre beau pays.

Et le gars Franck n'est pas un manchot, qui fait tenir Hey Jude en 2'45 chrono, transforme Penny Lane en musique d'ouverture de Jeux Sans Frontières, et puis cette courte mais sulfureuse envolée flamenco sur I Me Mine et... mais je vous laisse découvrir. Moi, personnellement, je trouve cet album parfait quand la soirée s'éternise, que s'enclenche le débat Stones ou Beatles, que quelqu'un tente l'éloge des poèmes de Jim Morrison ou encore qu'on vient me raconter devant un calva que Radiohead c'est le futur du rock. Je m'éclipse, je bois une bière cul-sec et j'envoie le truc. Vas-y Franck, nettoie-moi le salon, fous-moi tout ça dehors. Je l'aime. Le Sylvester Stallone de la fin de soirée soporifique, le Mel Gibson qui clôt la discussion sur le dernier Sonic Youth à coup de napalme. Bien sûr, avant que les convives s'en aillent, j'ai droit à un regard apeuré et inquiet, mais je vais me coucher, enfin, heureux. C'est fini. Je remets sa swingante version de Help très fort, histoire d'être sûr que mes invités ne discutent pas d'un éventuel internement dans le jardin, et voilà.

Ce disque peut donc sauver votre vie. Ou votre fin de soirée. Après ça, je ne vois guère que la version disco de No Woman No Cry par Boney M, mais c'est nettement moins french touch. Les gens risquent de danser. Là, pas de risque. Même si votre meilleur ami est en train de conclure avec votre partenaire du moment, vous sauvez la situation. "Tu te souviens, chérie ?" et hop, le bellâtre s'enfuit. Et vous avez toute latitude pour rétablir la situation avec un bon vieux Phil Spector.

Et même, en d'autres circonstances, à fond sur l'autoradio, à 55 km/h sur une route communale du côté de Bar-le-Duc dans une Simca 1000, c'est encore mieux que le Nebraska de Bruce Springsteen et vous êtes le roi du monde.

Voilà donc une compile qui fera je l'espère faire pipi dans sa culotte à Keith Michard, pourtant bien méritant et vénéré par votre serviteur. J'ai des armes secrètes, parfois. Et quand je sors les flingues, ça déconne pas. Pfff... hé, Jimmy, c'est qui ce Count Basie ? Je te présente Franck, il a une offre que tu peux pas refuser... tu aimes le jerk, non ?

Vous avez été nombreux à apprécier mon post d'Il Etait Une Fois. Là, je vous file un gros tuyau. Un très gros poisson. Car vous le méritez. Car vous le valez bien. Ne me remerciez pas. Bon, si jamais la tutelle de Liliane Bettencourt est levée et qu'elle veut me faire un virement sur mon compte Paypal, ça me dérange pas. Je comprendrais.

Let It Be...

#62: Ted Nugent "Scream Dream"

Ted Nugent est un gros con. Redneck facho, à fond pour la peine de mort, passant son temps à chasser le daim faute de pouvoir lyncher des nègres, et on l'imagine bien idolâtrer Sarah Palin dans ses fantasmes les plus fous. Du coup, j'ai longtemps hésité avant d'en poster un, et ce n'est pourtant pas l'envie qui m'en manquait. D'abord, parce que le gars jouait sur une Gibson ES-335, qui n'avait rien d'une guitare de hard-rocker, mais plutôt de rocker tout simplement, et que j'ai toujours détesté que sous le vague prétexte d'une pédale overdrive ou d'une fuzz, on mélange artificiellement les genres. Mötörhead/Chuck Berry même panard.

Du coup, puisque le gars ne mérite aucune considération, j'ai choisi l'album où il a l'air le plus ridicule, déguisé en Tarzan du heavy rock, le jouissif Scream Dream. Par nostalgie aussi, rappelez-vous, Wango Tango, l'émission de Francis Zéguth sur RTL - pardon - WRTL. Avant que Lenoir ne s'auto-proclame roi de la culture rock à la radio. Oui, il y avait du rock sur RTL, la radio familiale de mon adolescence, et je ne bénirai jamais assez Georges Lang ou Jean-Bernard Hébey pour tout ce que j'ai pu découvrir pendant que Drucker était baillonné dans l'armoire. J'étais passé d'André Torrent et Gérard Lenorman à Bruce Springsteen grâce à eux. Il existait des passerelles, encore...

Mais bon, fin de la séquence nostalgie. Après la finesse des posts précédents, il était temps de revenir à du brutal, du bestial même - dont acte. Oui je sais, Cat Scratch Fever ou Double Live - Gonzo sont peut-être meilleurs, mais c'est celui-là qui m'a fait découvrir le bonhomme. En pleine folie hard-rock, il a tenté, dans cet album, de rivaliser avec AC/DC et consorts, en alourdissant encore le son, et bon dieu que ça fait du bien. Même si je le range plutôt côté Spinal Tap que Led Zeppelin, cet album, parce que - malgré lui - je le trouve plutôt rigolo. De quoi se faire un trip d'air guitar tout seul dans son salon, avec ses riffs tranchants, sa rythmique lourdingue, ses hurlements de loup-garou... bref, que du bon, du con-con, certes, mais du bon. A l'époque, je le croyais méchant et rebelle, mais visiblement le bourrin ne boit que de l'eau et n'a donc aucune excuse pour ses sorties racistes et puantes. J'imagine quand même que George Bush a du mal avec ça, ça me console.

Et puis en même temps y'en a marre du rock bien pensant, intello et pleurnichard, toujours prêt à sauver le monde, les baleines et la couche d'ozone. C'est oublier que le plus important n'est pas là, qu'on ne leur demande pas de penser, aux rockers. Que l'essence du rock est bien plus présente dans l'intro et les 2'19 d'I Gotta Move que dans les douze prochains Coldplay. Que le rock'n'roll peut sauver votre vie. Même si, les déclarations de Lou Reed me font douter, suite à sa merde avec Metallica... Mais bon. C'est pas beau de vieillir.

Voilà voilà, retour au bercail difficile, une furieuse envie de me payer une tranche de rigolade, de la faire partager. C'est moins couru qu'AC/DC ou ZZ Top, mais tout aussi pêchu, alors allez-y. Retrouvez l'âge tendre de vos douze ans, les boutons d'acné, les auto-tamponneuses, la musette américaine et tout ça. Et si, par hasard, vous vous dites "qu'est-ce que j'étais con en ce temps-là", rassurez-vous Ted Nugent l'était (et l'est) plus que vous. Aussi con que Sardou, mais bien plus jouissif.

Wango Tango !!!

jeudi 20 octobre 2011

#61: Gene Clark "No Other"

Gene Clark ? Et personne d'autre ? Rien que lui ? Pas étonnant au vu de sa carrière. Débutant avec les Byrds, dont on se souvient qu'ils avaient été formés par Roger Mc Guinn, que David Crosby y a participé au début, que Gram Parsons a influencé leur virage country et (éventuellement) que le regretté Clarence White a illuminé leur fin de parcours, et c'est à peu près tout.

Et pourtant, il était là. Eight Miles High, c'était en partie lui, pour n'en citer qu'une. Mais Gene Clark, ça ne l'amusait pas de chanter des reprises de Dylan, dévolues à la voix chevrotante (mais merveilleuse aussi, hein, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas) de Mc Guinn, et il avait une trouille folle de l'avion. Out, donc, les Byrds. Il sortira un premier album solo, pas terrible, du moins très influencé par la "pop folk à la 12 cordes Rickenbaker" des Oyseaux. Il formera un duo avec un certain Doug Dillard, très orienté bluegrass, en 1968 (tiens, tiens... l'époque de Sweetheart Of The Rodeo des Byrds... sans doute un hasard), puis encore un album solo, connu comme "l'album à la bougie" ou "White Light", et là ça commence à devenir merveilleux.

Et puis, en 1974, sort ce No Other, sur Geffen Records, à l'époque où David Geffen signait à tout-va et chamboulait le show-biz en récupérant Dylan de chez Columbia. Sacré nez, sacré rapace. Mais on est pas là pour causer business. On est là pour causer de cet album magique, No Other.

Il y a des albums mythiques, pleins. Certains enregistrés avec peu de moyens, connaissant un succès immédiat et mémorable (choisissez le votre), d'autres re-découverts quelques années plus tard, un peu par hasard (Odessey & Oracle des Zombies), d'autres dont on parle beaucoup mais qu'on écoute peu (le Village Green des Kinks), d'autres encore chéris toujours par une poignée de fous furieux dans l'indifférence quasi-générale. Tel celui-là.

Un four commercial, malgré tout l'investissement financier. Des mois et des mois à peaufiner le Grand Oeuvre. Et non pas, comme ce qui reste des Guns'n'Roses, à trouver trois chansons pour le débile Chinese Democracy. Non, du travail, de la recherche, de l'aboutissement, des doutes, des avancées. Pour à peine 45 minutes de pur bonheur. De bonheur pour qui ? Pour quelques initiés. Même si cet album contient toutes les recettes qui feront les choux gras des Eagles (au hasard, mais Gene Clark était pote avec Bernie Leadon, qui ne perdra rien de la leçon... mais se fera évincer avant la timbale Hotel California, y'a une justice...). Et de cinquante mille groupes en devenir qui peuvent encore piocher les mille idées non exploitées là-dedans. Une véritable cathédrale, dans laquelle on ne se lasse pas de venir se recueillir. D'y observer les bas-reliefs, les voutes... Une production miraculeuse, des arrangements osés, par-dessus le marché. Et les bonus tracks (quelques démos, des alternate takes), sont là pour magnifier le bonhomme, même si on peut les jeter après écoute, par respect pour l'oeuvre finale : tout était déjà dans sa tête, au départ, et il a cherché, cherché.... Pas le genre à glandouiller en studio. Plutôt le genre à ciseler et peaufiner. Ca prendra le temps que ça prendra, mais il en sortira ce que j'ai dans la tête, rien d'autre.

Bien sûr, ça fleure bon le country-rock, mais ça part dans tous les sens avec un déluge d'inventivité et sans a priori (No Other, Strengths Of Strings par exemple). Et les ballades sont incroyables (Silver Raven). Tout est là, de cette mouvance rock californien à tendance (un peu) roots de l'époque, laissant sur place les ténors du genre parce qu'empli d'une émotion inédite chez les cadors du genre.

Mais la perfection n'est pas de ce monde, et l'indifférence de la plèbe à la sortie du truc aura raison d'un Gene Clark, qui finira sa vie à végéter et décrépir doucement, malgré quelques soubresauts, avant de claquer d'une crise cardiaque à 46 ans dans l'indifférence définitivement générale en 1991 (juste avant que David Geffen ne s'achète une île dans les Caraïbes grâce à Nirvana).

Sur sa tombe, figure ceci :

Harold Eugene Clark - No Other


PS : le blog est en berne jusqu'à mercredi prochain. Ca vous laisse tout le temps de déguster cet album dans votre baignoire, dans votre voiture, dans votre salon, mais pas dans l'avion, par respect pour le Monsieur. Je sais, ça fait dilettante, mais croyez bien que j'aurais préféré bloguer tout le week-end. Vieux papa qui pète les plombs, pas drôle. Mais ça vous regarde pas et c'est tant mieux pour vous. A bientôt les poteaux.

lundi 17 octobre 2011

#59: Hatfield & The North "Hatfield & The North"

Ni jazz ni rock ce soir. A la limite, rock progressif, quoique ce qu'on entende là n'a rien à voir avec les morceaux épiques d'un Genesis ou d'un Yes. Simplement une musique différente - ni jazz, ni rock, ni jazz-rock - certes ambitieuse (et par moment complètement barrée), mais au grand jamais potentiellement chiantissime. Pas d'histoires d'elfes, de géants de la 3ème lune ou autre.

Même mieux : ici, des synthés plutôt discrets, et/ou employés pour leurs sonorités comiques et décalées.

Puisqu'il faut donner un nom à tout ça, voici un bel exemple de la scène de Canterbury (Caravan, Soft Machine...) connue pour donner d'avantage dans l'absurde et l'humour abstrait que dans l'épopée du Seigneur des Anneaux. Les titres ci présents vous donneront une idée de l'ambiance : Fol de Rol, Shaving Is Boring, Lobster In Cleavage Prob, etc.

Côté line-up, c'est de la balle : Richard Sinclair, l'ex-bassiste/chanteur (cette voix !) du Caravan de la grande époque (dont j'ai déjà dit beaucoup de bien dans mon premier post, mais sans doute pas assez), Pip Pyle, un ex-batteur de Gong et Phil Miller, l'ex-guitariste de Matching Mole, notamment, auxquels vient se rajouter pour quelques harmonies sublimes (les heureux connaisseurs de Rock Bottom comprendront) Robert Wyatt en personne. Tout ce beau monde navigue dans le pataphysique avec la même aisance qu'un anchois dans l'huile d'olive, pour rester dans le thon.

S'ensuivent donc sans répit envolées proches d'un Zappa (Son Of "There's No Place Like Homerton") jouant avec Hawkwind (Shaving Is Boring), douces mélopées décalées (Lobster In Cleavage Probe), pop-songs géniales (Let's Eat (Soon)) et courts intermèdes insensés (The Other Stubbs Effects). Impossible, donc, de taper du pied, ni de compter s'envoler vers des univers uniformément éthérés. Par contre, pour qui prend le temps de se payer ça au casque pendant trois quart d'heures, délice assuré.

On me rétorquera qu'on ne retrouve là qu'un millefeuille d'influences des groupes d'origine. Ben on me le rétorquera. S'il y avait ne serait-ce que 10 albums du calibre de Rock Bottom, In The Land Of Grey And Pink ou encore Camembert Electrique, je dirais que tout ceci, effectivement, est un peu inutile. Mais ça n'est malheureusement pas le cas, et cette petite oeuvre d'art permettra aux addicts frustrés de n'avoir que bien trop peu d'albums de cette trempe à se mettre sous l'oreille de grapiller ici ou là quelques instants supplémentaires de paradis. Même si, chacun selon sa sensibilité, pourra s'ennuyer par instants.

Mais oui, ça fait voyager. Et l'ennui fait parfois partie du voyage. Surtout quand on part loin.

Bien plus loin que le nord d'Hatfield.

A ce propos, le blog sera à nouveau en berne pour deux jours. Je m'en vais de force pour deux jours à Montmorillon suivre une formation mortifère. Inutile de dire que cet album va faire partie du voyage...

#58: R.L. Burnside "Wish I Was In Heaven Sitting Down"

...Un disque qui fasse voyager. Salaud, Jimmy, j'aime pas les commandes. J'ai hésité entre un Manset, un Messiaen, j'ai pas trouvé. Voulais pas poster un truc prog' rock façon canapé. Alors voilà, voilà un album qui me fait voyager. Qui me rend heureux, parce que témoignant du fait que le blues, au début des années 2000, pouvait encore s'acoquiner avec la mode de l'époque - les boucles, le trip-hop, tout ça.

Rien que le Hard Times Killing Floor Blues d'ouverture. J'en ai jamais entendu de version aussi triste, aussi juste. Malgré la prod' qui a dû plaire au neveu de JD Beauvallet, en stage sur un chalutier à la Nouvelle Orléans à l'époque. Scratches, samples à tous les étages.

Et alors ? Pas plus choquant que ces blancs qui jouaient derrière John Lee Hooker dans les 70's. Et qui ont boosté le vieillard vers des contrées boogie qu'il n'aurait pas osé, pu (au choix) emprunter tout seul. Qui ne lui auraient pas assuré la carrière que l'on sait.

Le vieux R.L. Burnside, on l'aura récupéré trop tard pour les Grammy Awards. Mais suffisamment tôt pour qu'il se prête à ce petit jeu. Blues roots vs Scratch'n'loops. Et les gars de chez Fat 'Possum s'en sont diablement bien sortis, même si parfois ça a un peu mal vieilli (déjà). On vit une époque moderne, c'est ce qu'on a dû raconter à John Lee Hooker, c'est sans doute un argument que R.L. Burnside a accepté sans broncher. Combien, le chèque ?

Douze milliards de dollars, si je pouvais. Si j'avais pu (R.I.P., R.L Burnside...). Le côté branchouille ne l'empêche nullement de balancer toute sa vie en 40 minutes chrono. Comme cela ne l'avait pas empêché de jouer avec le Jon Spencer Blues Explosion quelques années avant. Du putain d'enfoiré de blues moderne, genre la bête bouge encore. Il y a encore de l'alligator dans le bayou. Du Gris-gris devant ta porte si tu respecte pas le deal.

Bien sûr, des trucs comme Miss Maybelle sont complètement ratés. Mais quand juste après déboule Wish I Was In Heaven Sitting Down, c'est fou comme on a une capacité à oublier. A voyager.

Alors, flûte, on avait un Leadbelly au début de ce nouveau siècle, et le voilà déjà mort avant qu'on ait pu l'applaudir, fêter ça, profiter de ce trop bref instant de bonheur. Too many upside downs...

Oh, si je me pose en vieux cynique, je me dis qu'on avait trouvé là un bluesman has-been (Pléonasme ? Peut-être, mais écoutez donc R.L.'s Story... c'est beau et triste comme du Wim Wenders façon Paris, Texas...) comme il doit en traîner tant à chaque crossroad du sud des Etats-Unis, et qu'on en a fait un produit (Bad Luck City, au hasard), jouissif, certes, mais un produit quand même. Mais là, ça voudrait dire qu'il faut vraiment tout renier. Parce que même bien longtemps avant Steve Jobs, Columbia was good for you. Moi j'y entends quand même de la passion, dans tout ça. De l'envie.

J'ai pas envie de rentrer dans ce jeu-là. Ca nous mènerait trop loin. Au moment où j'écris ça, c'est See What My Buddy Done qui tourne. Bêtement scotché. Tu sais quoi, lecteur, là, je voyage. Putain, un album de blues moderne au sens du credo des années 2000, ça se refuse pas. Même si, je sais, il en a fait des plus roots, le garçon. Moi je dis, c'est un défi pour les années 2010 : c'est qui le suivant ? Chain Of Fools...

Et puis, dans quelques jours sort le nouveau Justice. Venez pas me gonfler avec les samples, ce soir. Re-écoutez plutôt cette version de Killing Floor, là, au début du disque... S'il vous plaît. Quelle putain de claque.

My Eyes Keep Me In Trouble...

Oh, by the way, y'a deux hidden tracks. Genre bruts de coffre. Rien que pour ceux-là...

dimanche 16 octobre 2011

#57: The Gil Evans Orchestra "Plays The Music Of Jimi Hendrix"

Ca commence, on dirait le générique d'un film de Jacques Demy. Tout en poésie naïve... Et puis on reconnaît très vite Angel, de Jimi Hendrix.

Après tout, ça n'est pas très étonnant. Malgré tout le respect que j'ai pour Michel Legrand, pour la poésie qu'il a largement contribué à apporter dans les films du Grand Jacques, dans le genre arrangements luxurieux et délicieux, Gil Evans reste le maître. Du moins, du peu que j'en connaisse, c'est à dire les albums avec Miles Davis. Du grand art. Et puis Miles Davis est parti dans des contrées que les contrepoints de Gils Evans ne pouvaient plus suivre. Quand on défriche, à la machette, des territoires inexplorés, il n'est pas pratique de trimballer un big band derrière soi.

Ce qui ne veut pas dire que Gil Evans ait été largué. Simplement, Miles cherchait autre chose, dans la folie de ces années 1968-70. Et les deux portèrent un regard éberlué sur Jimi Hendrix, qui avait sû ramener le blues à la maison, en revendiquant à juste titre l'influence black de cette rock music qui enflammait les petits blancs. Gil Evans avait bien capté, comme Miles Davis, que derrière les décibels et la pose stoner se cachaient des choses bien plus incroyables. Et Jimi Hendrix avait aussi admis que ces petits blancs avaient su insuffler quelque chose de grand en déstructurant le blues avec violence. Un blanc fou de musique noire, un noir fou de musique blanche, Gil Evans devait enregistrer avec Jimi Hendrix. C'était prévu.

La suite, tout le monde la connaît, le club des 27, etc.

Alors Gil Evans lui rendit hommage, tentant de montrer au public jazz coincé que l'hurluberlu qui jouait avec ses dents et brûlait sa guitare avait bien autre chose à faire que le singe dans les grands festivals de l'époque. Il le disait lui-même, Jimi. C'est l'époque qui voulait cette violence. S'il avait eu le temps, si... on peut imaginer tout ce qu'on veut. Y compris un Jimi Hendrix vieillissant jouant avec Clapton sur des albums chiantissimes et biens polis. La seule chose palpable qui reste, c'est cet album de Gil Evans, mettant en lumière les bas-reliefs qui se cachaient entre deux riffs... qui auraient pu se développer (Angel, Little Wing, Castles Made Of Sand, 1983 en sont d'ailleurs des exemples frappants). On peut imaginer ce que ça aurait donné si Jimi avait posé sa Stratocaster sur tout ça...

J'ignore ce que les fans de Jimi Hendrix pensent de cet album. Pour ma part, je trouve même certaines parties de guitare déplacées, risquées. N'est pas Jimi qui veut.

J'ignore ce que les fans de Gil Evans pensent de cet album. La reprise presque trop fidèle de Crosstown Traffic déçoit même un peu, les parties vocales inutiles. Quitte à taper dans le jazz, allons-y à fond. Tout ça a parfois un côté lounge/blaxpoitation façon Starsky & Hutch, presque rigolo. Un Martini, baby ? Aïe, fallait pas oser penser ça ?

Toujours est-il que je l'aime bien, moi, ce disque. J'aime bien quand les extrêmes se retrouvent. Oser, pour un jazzman, aller aussi loin dans le domaine maudit du binaire, je trouve ça chouette. Ca a dû en coincer plus d'uns, y compris l'oncle d'Amérique de JD Beauvallet. Et réciproquement, ouvrir les écoutilles des hippies en balançant des arrangements complexes sur un Voodoo Chile (avec, en plus, un début rigolo au possible, qui n'a pas dû déplaire à Zappa, et puis j'ai jamais entendu des cuivres balancer autant !!!), c'est un bel effort. Anticipant, rêvant, l'orientation funk qu'aurait pu prendre l'oeuvre du voodoo child...

Et surtout bien moins idiot que les compiles qui fleuriront, comme celle que je possède et qui ne m'a fait rire qu'un instant, Pickin' On Hendrix, où des sous-Marcel Dadi nous la pètent à la guitare sèche et des banjoïstes au chômage (pléonasme) tentent de nous faire taper du pied...

Sans doute, mi-figue, mi-raisin, mi-fugue, mi-raison, comme disait l'autre. Mais comme c'est la fin du week-end et le début de la semaine, c'est un post de transition. C'est à vous de choisir : rock ou jazz, lundi ? Là, ça envoie grave et on s'y perd en conjectures. Rien que ça, ça vaut le coup. Et puis surtout, surtout, à aucun moment on ne peut qualifier ça de jazz-rock. Et ça, ça devrait en rassurer plus d'un.

Quitte à lancer un débat venimeux, ça rappelle parfois les débuts formidables de Chicago. Merde, qu'est-ce que j'ai pas dit là... Enfin bon, l'essentiel c'est qu'il y a mille bonnes et mauvaises raisons de tenter le coup.

A real Crosstown Traffic...

jeudi 13 octobre 2011

#56: Roy Harper "Songs Of Love And Loss"

Ma dernière emplette de la semaine dernière. Et ne voilà-t-il pas que le disque est chroniqué dans Rock & Flock ! L'homme est comparé à Nick Drake, rien de moins (ni rien de plus, et c'est là que le bât blesse). Parce que, là, comme le titre l'indique, attendez-vous à passer 1 heure et 1/2 de guitare acoustique, de chansons d'amour et de pertes. C'est pas faux. Sauf que c'est une compilation "à thème". Roy Harper a fait des trucs bien plus ébouriffants que de la ballade folk, mais ça n'est pas l'objet ici. Compilées de main de maître (lui-même), joliment remasterisées (ça sonne), voici donc la face aimable du bonhomme. Tout cela est fort agréable, et comme l'automne arrive, un bon feu de bois et tout ira bien en ce week-end d'octobre.

Mais c'est quand même oublier que Roy Harper a été sulfureux, aventureux et plus mystique qu'à son tour. Pote d'un certain S. Flavius Mercurius (alias Jimmy Page) alors en pleine période ésotérique, on les imagine bien décrypter ensemble les Clavicules de Salomon dans le manoir d'Aleister Crowley. Roy Harper n'était par ailleurs pas avare de morceaux épiques (au hasard, Mc Gohann's Blues, 17 minutes sur le merveilleux Folkjokeopus, mais aussi l'album Stormcock, 4 longues chansons...), certes toujours orientés sur son jeu de guitare acoustique, mais explorant des contrées dépassant largement le cadre de cette belle compilation.


On se souviendra bien sûr de l'hommage de Led Zep sur leur 3ème album, mais aussi de la partie vocale de Roy Harper sur le Have A Cigar du Floyd. Mais pourquoi tous ces hommages et ces mains tendues ? Tout simplement parce que l'homme était sans concession par rapport aux impératifs commerciaux de l'époque. Et là, on comprend bien des Pink Floyd ou Led Zeppelin jaloux de cette liberté perdue, payer leur dû à ceux qui ont su rester intègres. Histoire, au hasard, de récupérer un peu de bonne conscience quand l'objectif était d'amasser un maximum de pognon. Même si, il faut bien l'avouer, Led Zeppelin III est un des albums les plus courageux que je connaisse étant donnés les enjeux financiers liés au succès planétaire de Whole Lotta Love. Et Wish You Were Here du Floyd, si l'on décrypte les paroles, semble totalement dédié à Syd Barrett, et empli de scrupules. La contribution de Roy Harper y apparaît donc comme une sorte de donation, le "denier du pauvre"...


Bref, donc, un monsieur bien étrange, capable d'insuffler non seulement des bons sentiments, mais aussi de pousser des rock stars à rester sur le droit chemin de l'intégrité. Pas rien. La reprise de Girl Of The North Country, ici présentée comme un traditionnel anglais, mais copie presque conforme de la version de Dylan semble n'être rien d'autre qu'une façon de mettre les points sur les i : hé, l'opportuniste, tu oseras m'attaquer pour la présenter comme telle ? Le Zim est visiblement resté silencieux...

Alors, je me répète, un regret : tout ceci ne présente qu'une facette de l'homme. Puisse-t-elle vous pousser à découvrir le reste. Un  peu comme si l'on limitait Leonard Cohen à Suzanne et qu'on oubliait First We Take Manhattan...

D'autant que le compilation court jusque dans les années 1990, et que les choses les plus passionnantes étaient écrites depuis bien longtemps déjà.

Mais bon, avec un Bert Jansch fraîchement décédé, si cette compilation d'un Roy Harper bien vivant peut vous aider à pénétrer son univers, et la richesse d'une guitare acoustique bien envoyée, tant mieux. Soyez curieux, écoutez le reste, ne vous limitez pas à l'image d'un folksinger dépressif ici dépeinte. Sans doute, certains de ses autres exploits ont-ils plus subi l'épreuve du temps qu'une ballade à la guitare acoustique, facilement plus intemporelle que des explorations façon je passe ma Gibson acoustique dans une pédale wah-wah, mais que diable ! Gardez les écoutilles ouvertes. Cherchez, fouinez, découvrez toutes les facettes du bonhomme. Roger Waters, Jimmy Page et moi-même sommes entièrement d'accord sur ce sujet...

Hats off to Roy Harper !!!

Euh... ceci dit, je pars m'exiler dans la Creuse ce week-end. On se revoit donc dimanche, sauf si la folie me pousse à poster autre chose ce soir. Mais bon, vous avez comme moi de quoi savourer des châtaignes et du vin bourru avec cette compile pour le week-end...

mercredi 12 octobre 2011

#55: Madeleine Peyroux "Careless Love"

Vous connaissez tous ces compiles, genre "j'aime pas la musique classique mais ça, j'aime bien". Mon problème à moi, c'est que le jazz vocal a tendance à m'ennuyer très rapidement, et j'ai en conséquence beaucoup dormi pendant que Diana Krall et surtout Norah Jones créaient le buzz dans les années 2003-2004. Et puis, dans un article de Rock & Folk, Patrick Eudeline a su suffisamment me toucher en parlant de Madeleine Peyroux pour que j'achète cette galette. J'ai appris depuis qu'elle en a vendu un bon million d'exemplaires, mais on m'avait rien dit.

Rien que la pochette m'a affolé. La féline Madeleine en robe du soir assise là dans une rue mal famée de New York ou d'ailleurs, glups... Ensuite, le label, Rounder Records, m'a rassuré, ces gens-là ne sortent pas n'importe quoi.

Et puis j'ai écouté l'album... et j'y trouve mon compte. Des arrangements chiadés mais vivants, de la guitare, de l'orgue, bref, pas le schéma basse/batterie/piano traditionnel. Des reprises osées (Elliot Smith dans Between The Bars, Hank Williams dans Weary Blues) dont certaines carrément réussies. Le Dance Me To The End Of Love laisse sur place le vieux Leonard Cohen, et You're Gonna Miss Me When You Go écrase la version de Dylan. Pas rien. Entre deux, je me permets de moins accrocher à certains trucs, mais ce disque, que j'ai écouté en boucle dans ma bagnole aujourd'hui, a sur me réveiller suffisamment de fois pour que je l'explore plus à fond. J'aime l'idée, ça me rappelle un peu Brad Mehldau qui ose des reprises de Radiohead, Nick Drake ou autres, malgré son estampille jazz pur jus.

Et puis cette voix, veloutée mais insolente, moi ça me tue. Je vais encore m'attirer des foudres si je parle de Billie Holliday, alors je n'en parlerai pas. Pas assez calé sur le sujet, pas prêt à répondre aux remarques qui vont fuser.

Alors voilà, si vous n'êtes pas dans le million d'acheteurs de l'album, peut-être que mon petit post aura servi à quelque chose d'autre qu'à passer pour un âne inculte. Pour être tout à fait honnête, je préfère même son dernier album, Standing On The Rooftop, qui me fait frissonner carrément du début à la fin, mais comme Lyc l'a déjà balancé...

Si donc il reste 2-3 ânes qui n'ont pas encore testé les vocalises de la belle Madeleine (celle-ci est à moi ! pas à Proust), c'est par-là :

Careless Love

PS : et si vous avez des liens (pas avec elle, je la veux pour moi tout seul) vers ses autres albums, merci par avance de laisser des commentaires. Je la veux toute à moi.

mardi 11 octobre 2011

#54: Flamin' Groovies "Teenage Head"

It's only rock'n'roll but I like it ? Euh... non, un peu déplacé vu le contexte. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'album, ni le groupe, Teenage Head est sorti en 1971, à la même époque que Sticky Fingers des Stones. Et force est de constater que les morceaux de la première face du vinyle originel ressemblent étrangement à ce que les Stones balançaient à l'époque : High Flyin' Baby n'est pas sans rappeler Gimmie Shelter, City Lights le versant acoustique de Beggar's Banquet, comme d'ailleurs la reprise de 32-20 de Robert Johnson, Yesterday's Numbers reprend carrément l'arrangement de Street Fighting Man... A leur décharge, il existe aujourd'hui des médicaments génériques. Pour ceux qui ne se sont toujours pas remis de cette période bénie des Stones - disons 1968-72 - ils trouveront là de quoi faire vibrer une vieille corde sensible. Les amateurs de Lennon période "hey Phil Spector, mets-moi un peu d'écho", mâtiné de country rock west coast, disserteront aussi sur Whiskey Woman. Que diable, qu'importe !

Il paraît que Mick Jagger (ou Keith Richards, on ne sait plus trop) aurait avoué que Teenage Head était bien meilleur que leur propre Sticky Fingers "sur le thème du rock et du blues classiques revisité dans un contexte moderne". On peut évidemment prendre ça pour un beau compliment. Mais quand on connaît le côté perfide de l'animal Jagger, c'est une façon à peine cachée de dire "écoutez, regardez comme on nous copie sans vergogne, nous sommes donc le standard du rock 70's". Ou une façon d'en lâcher une bonne sur le fait que pfff... les Stones m'emmerdent, je serais meilleur tout seul. Effectivement, on ne trouve pas ici de déchets façon Moonlight Mile...

Alors peut-on en vouloir aux Flamin' Groovies d'avoir étalé si peu discrètement leur influence majeure ? Il n'existe pas cent cinquante recettes de la tarte aux pommes - et les Stones, reprenant Chuck Berry - le savaient bien aussi. Tout est dans la fabrication de la pâte, le choix des pommes. Et basta. Et pour tout dire, ici, la pâte rock'n'roll, est ma foi fort bien pétrie, et les pommes - les morceaux - fort bien choisi(e)s. Dès la deuxième face, les Flamin' Groovies reviennent à des choses sinon plus académiques, du moins bien moins estampillées copyright Glimmer Twins. Mais bon dieu comme tout cela fait du bien, et l'on imagine quel bien cela aurait pu (dû) faire à l'époque. On plongeait doucement - au choix - dans le hard rock ou le prog rock - et eux tenaient la barre du rock'n'roll bien en main. Et, c'est tout à leur honneur, un morceau comme Teenage Head préfigure les Cramps et tout le reste dans le genre. Mais trop tôt. Too much, too soon.

Et puis, malgré la braguette d'Andy Warhol, je préfère de loin cette pochette, merveilleusement bordélique et fun. Simple. Pas de concept nébuleux, juste des gars qui font du rock, et qui, putain, le font bien.

Et puis, oui, sur le CD, il y a des bonus tracks, dont je sais que les puristes ne raffolent pas. Mais mazette ! Voici livrées les petits divertissements entre deux prises plus "sérieuses" et qui n'étaient pas sensées finir sur la galette : Louie Louie, Shakin' All Over, Walking The Dog, Carole, That'll Be The Day, etc. Dieu bénisse les bonus tracks. Rien que pour celles-là.

Rien que pour ça, je suis comme Mick Jagger, je préfère cet album à Sticky Fingers. J'imagine qu'entre deux prises de Sister Morphine, les Stones se faisaient une prise moins musicale, et surtout qu'ils étaient déjà incapables de prendre leur pied à continuer à jouer du rock'n'roll juste pour déconner. Et c'est pas le Jammin' With Edwards, dans lequel il manque la moitié de la troupe, remplacée au pied levé par (notamment) Ry Cooder, qui me prouvera le contraire...

Sans prétention, deux mots qui qualifient à mon humble avis cet album pas loin d'être légendaire pour ceux qui l'ont tenu, un jour, entre leurs doigts fébriles.

Definitively not Yesterday's Numbers

lundi 10 octobre 2011

#53: Jean-Michel Caradec "Portsall"

...En écho au Jack Treese, précédemment posté (et qui envoie quelques notes de banjo ici), et en écho à Mr Anonyme qui a (néanmoins) eu le courage de rappeler l'existence du bonhomme à la blogosphère. Hommage à Jean-Michel Caradec, donc. Et pas un best of. Pas de Colline Aux Coralines ou de Petite Fille De Rêve. Son grand oeuvre, à mon humble avis. Ce Portsall qui doit dater à la louche de 1978, par là. Son album le plus "breton" s'il en est, bien qu'il n'ait jamais tâté du biniou. Portsall, la ballade magnifique (guitare et accordéon), fait bien entendu référence au naufrage de l'Amoco Cadiz, mais Sous La Mer D'Iroise, sous-titre de l'album (et single de l'époque, osé), est tout simplement poétique. Avec ses arrangements à deux temps, genre reprise instrumentale et les cuivres qui déboulent... Bon bien sûr, on n'est (malheureusement) pas chez Muscle Schoals, et ça reste franchouillard, mais quand même...

Un post rageur, même si la musique ne l'est pas. Caradec a toujours fréquenté les ténors du genre, et a même fait un bout de route (celui de la galère) avec eux (Le Forestier, par exemple), et n'a jamais que récolté les miettes. Et pourtant, quel gratteux, trop humble pour se la péter acoustique trop longtemps, quel amateur éclairé du folk US (Elle M'a Dit Non, C'est Râpé...), quel... poète ? Ben ouais. Ici, les textes sont parfois rageurs (Au Ciel De Mai, Je N'Ai Pas Demandé A Naître), toujours un peu fleur-bleue (Le Petit Ramoneur, Isabeille), mais moi je lui pardonne tout. Tout, ne serait-ce que pour cette Marie d'ouverture, trop ringard pour être idiot, trop sincère pour être calculé. Le problème de Caradec, c'est que d'être fou de Dylan et d'Elton John en même temps, il ne peut que se passer des choses étranges, pas forcément évidentes ni acceptables d'emblée, comme ça.

Du coup, le gars a toujours trimé. Fait le larbin chez RCA pour finir les fins de mois (d'où son job de producteur, et il n'a rien trouvé de mieux que Jack Treese pour renflouer la maison mère, c'est vous dire s'il a dû bouffer des pâtes plus qu'à son tour). Largué un temps (cet album était sorti sous je ne sais plus quel label confidentiel). Cachetonné dans des galas minables en province (jusqu'à finir écrabouillé sous un camion en 1981, un soir de fatigue, sans doute).

On m'objectera des paroles gnan-gnan, parfois. Je réponds non. Maladroites, parfois, dans sa volonté, sa quête de faire du surréalisme à la Dylan 65, mais pour le reste... Caradec avait fait le choix de raconter les petites choses de la vie, les belles amours, voire les envie de culbuter de la chair fraîche, telles quelles. Avec gentillesse, humour, et second degré.

J'attends vos posts. Venez me dire que tout cela vaut moins que Florent Pagny et les autres. Que c'est bêta. Je n'y répondrai pas. Je n'ai pas de réponse. Juste une émotion qui m'étreint quand j'écoute ses chansons, et plus particulièrement cet album. Bourré de Fender Rhodes (on m'a facilement à ce jeu-là). D'arrangements charmants. D'un peu de tristesse pour lui (bien sûr, c'est moins maîtrisé, charpenté et calibré que ses compères "nouvelle chanson française" de l'époque). Plein de maladresses, aussi. Mais de cette maladresse qui vient du coeur parce qu'on n'a pas les moyens, ni les réflexes des requins de la prod' pour sortir un truc calibré au quart de poil.

Ce jour de 1993, quand j'ai trouvé cette réédition en CD, ça a été un des plus beaux jours de ma vie. Mon vinyl grinçait désespérément, j'avais 27 ans et j'ai cru tenir l'éternité de l'oeuvre dans un CD. Là, je le rippe de peur qu'il me lâche, traces de doigts, de larmes, du temps qui passe. Je pense pas qu'il en existe une édition collector, un jour. Et je vous colle même l'image du vinyl d'origine tellement le visuel de la réédition était moche, que j'en ai trop honte pour lui.

Oh, je suis bien conscient que les statistiques de fréquentation de mon blog baissent, à poster des trucs pareils. M'en fous. Il existe un rond-point Jean Michel Caradec, à Morlaix. C'est tout. Moi je l'envoie sur la blogosphère, peut-être que ça tourne en rond aussi, mais peut-être que j'agripperai un ou deux bloggeurs ? En plus d'Anonyme ?

Ecoutez Marie. C'est pas de la Petite Marie. C'est du pur beurre. Ca n'est peut-être que le Aline Breton ? Je deviens peut-être gâteux ou nostalgique ? Ou magnaco-dépressif ? No Se. Quand tu dis "je t'aime" au soleil il se lève tôt. Vous avez là le plus bel album de Jean-Michel Caradec sous votre truffe.

#52: Taj Mahal "The Real Thing"

C'est une évidence, ce blog manque de blues. Le problème, c'est que la grande majorité des albmus de blues que j'écoute, ceux de vieux de la vieille encore en mesure de compter jusqu'à 12, me rappellent la salle à manger de mes grands-parents : tout est en ordre, propre et lustré, chaque chose à sa place, et tout est prévu à l'avance : le repas du dimanche, le club tricot, etc. Et il fallait rester poli à table, pas un mot plus haut que l'autre. Quand, en plus le majordome Eric Clapton s'occupe du service, on est certain d'avoir des couverts en argent, mais aussi de la soupe de légumes bien fadasse (papy fait un régime sans sel). Alors bien sûr, on peut piocher dans l'album de famille, Robert Johnson, Charley Patton, mais ce sont là des photos qu'on a vues cent fois. Et puis je viens de poster l'album des vacances à Marseille de Mamy en 1937, alors on va pas remettre une couche tout de suite.

Deux choix s'offraient à moi : le trublion de la bande, RL Burnside, que je remets à plus tard, ou le tonton parti voyager sur les mers du sud, les Caraïbes et la Jamaïque : Taj Mahal. Drôle de nom, mais pas plus mystique que Muddy Waters, au hasard...

Taj Mahal, donc, Henry Saint Clair Fredericks de son vrai nom, débuta sa carrière sur la côte ouest des Etats-Unis, dans les années 1964, avec Ry Cooder (un blanc ! mais quel blanc !), dans les mort-nés Rising Sons. Il faudra attendre Love ou Sly & The Family Stone pour que, quelques années plus tard, le public accepte ce mélange presque anticonstitutionnel à l'époque, sinon des genres, du moins des couleurs de peau.

Taj Mahal sera quand même vite repéré et adulé par le public rock blanc (il jouera dans le Rock'n'Roll Circus des Stones dès 1968), et commencera sa carrière par trois-quatre albums de blues bien chiadés. Un dieu de la dobro, toujours prêt à balancer un blues en 4/4 bien binaire, et à reprendre des choses réservés habituellement aux blancs. Dans son album De Old Folks At Home, il poussera même la provoc' jusqu'à n'utiliser pratiquement que le banjo, en solo, et tenter de récupérer l'instrument initialement ramené d'Afrique par les esclaves et confisqués par les rednecks. Il reprendra même des machins comme Cluck Old Hen qu'on entend bien plus fréquemment dans les Appalaches que dans les juke joints de la Louisiane.

Comme dit, sa curiosité l'amènera à intégrer dans sa musique d'autres influences comme le calypso ou le reggae (jusqu'à produire des albums très pénibles, parce que bien léchés et sans âme). Mais au début des années 1970, en 1971 pour être précis, Taj Mahal est au meilleur de sa forme et de sa créativité et propose cet album live, The Real Thing, enregistré au Fillmore East, magnifiquement, et audacieusement entouré.

Tout cela débute par un Fishing Blues acoustique en entrée. Oui, le Fishing Blues qui clôturait l'Anthology of American Folk Music. Genre, on reprend les choses là où Harry Smith, réfractaire au clivage noir/blanc dans la musique traditionnelle américaine les avait laissés. Voilà, c'est fait, le morceau acoustique terminé, on passe aux choses sérieuses. Et déboule le back-up band de Taj Mahal : basse, batterie, piano, guitare électrique mais, et surtout, pas moins de 3 tubas, sax et autres cuivres, pimentant la suite d'une touche New Orleans savoureuse. Ain't Gwine T'Whislte Dixie Any Mo', instrumental de quelques secondes qui ouvrait le merveilleux Giant Steps, s'étale ici sur presque 10 minutes, et la part belle est laissée aux cuivres, dans des soli jazzy complètement émouvants. Et ces tubas qui soutiennent - voire remplacent - la basse électrique - c'est un délice et une audace rarement savourés sur un disque estampillé blues, ou blues-rock ou je-ne-sais-quoi.

La suite groove tranquillement - de l'audace, toujours de l'audace - jusqu'à ce duo banjo/tuba, Tom & Sally Drake, complètement ébouriffant. Qui aurait osé ? Pas les pâlots au Stetson, ni les bronzés de la Nouvelle Orléans. Taj Mahal, oui. Et tout continuer à couler dans un véritable bonheur de musique métissée à souhait, du laid-back (Big Kneed Gal, au hasard) au plus furieux (She Caught The Katy And Left Me A Mule To Ride, oui, le truc dans l'album des Blues Brothers, tous cuivres et harmo en avant, Diving Duck Blues limite bluegrass dans le rythme). Et Taj Mahal de s'éclater tout du long à l'harmonica, et de laisser la part belle au groupe. On est très très très loin du cliché couplet/refrain/solo de guitare de Pappy Blues... Et ce final... You Ain't No Street Mama, But I Like The Way You Strut Your Stuff de 18 minutes ternaires, aéré, mélodique, véritable suite de pleins et de déliés, un truc à rester scotché dans son fauteuil la nuit durant, simple et beau à la fois. Oh, sans éclats majestueux, pas la peine de chercher la tablature, tout est dans le groove, inébranlable. Douze mesures, répétées à l'infini, ou presque. Et, toujours, ces tubas... Un de ces albums live intemporels. Le vrai truc...

...The real thing !

dimanche 9 octobre 2011

#51: Frémeaux & Associés "Marseille 1921 - 1951"

Oui, oui, je sais. Frémeaux et Associés, c'est pas ceux qui chantent sur le disque. Masi moi, je les élève au même rang qu'un Phil Spector, genre le(s) gars qui ne di(sen)t pas un mot mais qui fait (font) prendre la mayonnaise - ou - en l'occurence ici, l'aïoli. Hommage aux compilateurs de tous bords, eux sont les rois dans le business français. Des passionnés, des curieux, qui vous font passer du blues des années 30 à Vincent Scotto avec le même bonheur. Des qu'on pourrait comparer à des Jimmy ou des Keith Michards, mais avec le sens du commerce, osant encore sortir des CD dans cette époque maudite. Qu'on imagine bien turlupinés quand il s'agit de limiter à 40 morceaux une compile intitulée Harmonica Blues, alors qu'ils en ont une centaine sur les rangs. Il faut savoir trancher, ciseler, compacter. Ca ne tiendrait qu'à moi, je leur accorderait volontiers le prix de Meilleurs Ouvriers de France.

Hommage à Frémeaux & co. donc, mais pourquoi Marseille ? Euh... C'est mon post N°... 51 !... OK, c'est de l'humour à trois balles, et justement, de l'humour il y en a plein ici. De la merveilleuse Bouillabaisse de l'immense Fernandel à l'hymne définitif à la paresse que constitue Aujourd'hui Peut-Être de Fernand Sardou (oui, oui, le père du petit con...). Et du rythme, de la mélodie, du swing à tous les étages.

Le livret nous apprend qu'en ces temps immémoriaux ou Robert Johnson rencontrait le diable non pas à la croisée des chemins mais chez Columbia qui le paya trois francs six sous pour ses oeuvres définitives et l'obligea ainsi à traîner les routes jusqu'à la mauvaise rencontre, définitive, Marseille était une place réputée et exigeante pour qui voulait se lancer dans le Music Hall. A la croisée de l'Europe et de l'Afrique, de tous les continents, il fallait en avoir pour mettre tout le monde d'accord. Et pas seulement une tripotée de critiques branchouilles comme le grand père de JD Beauvallet. Un peu comme, serais-je tenté de dire, Detroit, pour qui se sentirait l'ambition de mettre à genou le monde du rock'n'roll.

Les chansons à la gloire de la cité Phocéenne abondent, vous vous en doutez. Et qui en voudrait à ces chansonniers de toiser fièrement la capitale à l'heure où un Jean-François Gravier n'avait pas encore écrit Paris et le Désert Français ?

A l'image des Minstrel Shows aux Etats-Unis, où des blancs singeront les noirs, nombre d'artistes parisiens singeront leurs pairs Marseillais (comme l'opportuniste Jean Sablon ici présent...). C'est bien connu, quand on est admiratif et jaloux, on se moque. Sans compter que c'est de Provence que nous vient, à peu près à la même époque, la première oeuvre digne des tragédies grecques du XXième siècle, avec les Marius/Fanny/César de Pagnol. Bien plus près de nous, c'est toujours grâce à ce même humour qu'un groupe comme IAM, en dansant le Mia, permettra l'explosion du rap - pardon - de la tchatche - en France. Special hommage à Massilia Sound System, aussi.

Autrement dit, c'est toujours d'ailleurs que nous viennent les plus belles richesses. Alors remettons ces chansons à l'honneur avant qu'elles ne soient définitivement englouties dans l'antre innommable de la Bête fasciste. Les mystiques et les gitans nous rappelleront par ailleurs que Marie-Madeleine avait débarqué pas loin, à l'époque vraiment très lointaine où notre beau pays était encore accueillant. 

Sans avoir le moindre besoin d'en croire un mot, même si ça n'est pas la vérité, gardons-en l'esprit. Frémeaux & Associés ont imprimé la légende sur deux CD.

Ca c'est Marseille !

PS : promis, pour le prochain post, on revient à quelque chose de plus furieux... 

vendredi 7 octobre 2011

#50: Jack Treese "Me And Company"

Selon un sondage SOFRES jamais publié car exécuté par un stagiaire de HEC en guise de mémoire de fin d'études, 74% des Français prennent les mandolines pour des banjos, 47% n'ont aucune idée de la différence entre les deux instruments, 4,3% d'entre eux connaissent le nom d'Earl Scruggs et 0,03% d'entre eux distinguent le style bluegrass du style clawhammer tel que traditionnellement joué dans les Appalaches.

Par mon expérience personnelle, possédant à la fois un banjo et une mandoline, je rajouterai que 87% de mes amis, voyant les machins trôner entre ma Telecaster et ma 12-cordes me demandent "c'est quoi, ces trucs ?". Depuis que je me suis mis au bouzouki, 92% de mes connaissances me prennent pour un improbable poète de l'instrument à cordes, et ne cherchent même plus à écouter mes explications passionnées.

Par mon expérience personnelle, quand j'explique que ça, c'est un banjo, 99,8% des gens qui passent chez moi me demandent si je sais jouer Delivrance. Avant, je leur jouais dans 79,4% des cas, maintenant, dans 98,7% des cas, je réponds d'un regard vide "aah... non... je connais pas. Moi j'écoute plutôt Dock Boggs ou Clarence Ashley". Et dans 77% des cas, je n'ai pas à les inviter à manger, après l'apéro. J'ai même, du coup, économisé 43,2% sur le budget bières de la maison. Car ils repartent déçus, sans même que je sois obligé de leur proposer un deuxième verre.

Et je tiens même à rendre hommage à ma belle-mère qui m'a un jour offert un excellent ouvrage sur l'histoire du banjo. Et qui, en plus, ne boit pas de bière.

Face à cette indifférence inéclairée de nos compatriotes, et constatant qu'outre-Atlantique, les génies du banjo et les songwriters un tant soit peu doués (je suis sûr que 99,7% de la population de la Caroline du Nord n'hésiterait pas à me qualifier de tanche, en tant que banjoïste), ont naturellement suivi les lois de l'offre et de la demande dans les années 1970, et sont venus montrer leur instrument bizarre dans notre beau pays vierge de toutes références. Jack Treese fut l'un d'eux (et même l'immense Bill Keith, au passage). Un bon gars. Gratteux raisonnable par ailleurs, plein d'idées, il fut accueilli à bras ouverts par l'écurie Saravah, adulé par un Jean-Michel Caradec qui s'était à l'époque démené pour produire ses albums (un autre grand monsieur, dont je vous parlerai bientôt d'avantage), oui mais voilà, Jack Treese n'a jamais joué Delivrance.

Et Jack Treese est parti trop tôt, bouffé par le vilain crabe. Après avoir, quand même, profité de la douceur de la Dordogne, des magrets de canards et du farniente qui vont avec. Cela ne l'empêchant pas de pondre une bonne douzaine - voire deux - de bonnes chansons de facture folk, de se payer le loyer en grattant son banjo par-ci par-là, et sa guitare par-là par-ci. Mais bien sûr, l'homme n'a jamais pondu de chef-d'oeuvre définitif. N'a jamais décroché la tymbale. A juste passé du bon temps dans notre cher pays, joué de la musique sans complexe et à son rythme (il y a des années où l'on n'a envie de rien faire, rappelez-vous), un peu de banjo et beaucoup de guitare picking aussi.

Quand même, en 1997, par là, surgit une réédition des trésors de Saravah, et Jack Treese eut droit à deux CD pour le prix d'un. Merci, monsieur Pierre Barouh. Rien n'est inoubliable, mais presque tout charmant. Le premier CD est plus orienté vers les productions bien léchées, le deuxième vers des chutes de studio (studio ? vraiment ?), avec des moments délectables, dont sa version laid-back d'A La Claire Fontaine. Les deux contiennent de grands moments de banjo, de guitare en picking tranquillou, flirtent parfois vers le créneau Steve Waring (les otaries), mais chacun y trouvera son compte. Faites votre marché, comme à Sarlat. Zappez tel morceau, attendrissez-vous sur tel autre. Ce mec n'était pas un génie, juste quelqu'un plus doué pour jouer de la musique que pour ravaler votre façade ou dépanner votre machine à laver. Il fut un temps ou ce genre de talent d'artisan était tout aussi reconnu. Et l'humilité du personnage transparaît dans chacune des chansons ici présentes. Il y en a 43 dans le paquet. Cela ne m'étonnerait pas que vous en trouviez une bonne douzaine qui vous convienne. Au bas mot. Douze chansons, ça suffit pour ne pas l'oublier complètement. Pour ne pas oublier cette époque, Saravah, et Pierre Barouh, des gens comme ça. Et ne venez pas me dire que les Higelin sortis sous le même label à l'époque étaient plus chiadés. L'époque était dingue, il nous en reste des bribes. Dont celle-là. D'où mon...


PS : Demain le bog est fermé pour cause de tourisme. Les affaires reprendront dimanche, si tout va bien.

jeudi 6 octobre 2011

#49: King Crimson "USA"

Putain quelle claque... Je le dis sans honte à l'écoute du CD, mais j'imagine qu'ils étaient des centaines à le penser ces soir-là à Asbury Park et Providence, USA, ces derniers soirs de juin 1974. King Crimson at full force. Le milleur line-up de la première période : Bill Bruford, batteur immense, roi des 3/4 de 16èmes de temps, John Wetton, bassiste faramineux et chanteur puissant, David Cross au violon et au mellotron, et Robert Fripp aux guitares... violentes, merveilleuses, déjà pensées vers l'avenir (Fracture), vers la version 2.0 comme on dit aujourd'hui.

Parce que tout ça tournait trop rond, devenait vraiment trop pachydermique, Robert Fripp décréta peu après qu'il "ne devrait plus exister de dinosaures comme King Crimson". End of the game. A vous les punks. Après un ultime Red, que je vous invite à acheter, ou à chercher ailleurs, majestueux et éternel, Fripp se lancera dans des trucs plus absconds, avec Brian Eno, laissant de côté pour un moment le super-groupe (au grand dam de Bill Bruford qui avait quand même quitté un job en or chez Yes pour suivre l'aventure... pas très sympa pour lui, ni d'ailleurs pour l'immense John Wetton, mais bon, soit on est sympa, soit on fait ce qu'on veut, et Robert Fripp a eu l'intelligence, le culot et la force de choisir).

Voici donc ce live, USA, plaquette argentée brandie comme un étendard sur la pochette : oui, nous avons troué le cul des amerloques. Nous, King Crimson, malgré notre musique exigeante et barrée.

Musique hyper-violente ici, loin des concessions de l'époque (le pauvre et minable Greg Lake, ami des débuts, avait déjà nuit depuis longtemps avec Emerson, Lake & Palmer dans des albums prétentieux et inutiles de vantardise et virtuosité inutiles). Lâchant malgré tout une version éternelle du 21st Century Schizoid Man qui ouvrit le premier album, genre je ne renie rien du passé, j'ai amassé des briques, construit mon temple, le reste du disque est sans concessions et tout aussi brutal que ce premier brûlot. Quoique... Starless est un moment inoubliable pour qui ne l'a pas vécu : chansonnette émouvante au début, partant en vrille dans un solo de guitare à une note (salut, Emerson, Prout et Casse-Burne, votre vantardise est inutile, et je le prouve !), jamais vécu plus d'émotion de ce côté du rock dit progressif...

Je ne peux pas m'empêcher, quand j'écoute un disque, qui plus est quand j'écoute un album live, que d'imaginer ce qui se passe dans la tête des musiciens. Et là, je capte Robert Fripp, prêt à tout larguer, assis sur son tabouret, toisant le public en jouissant de la force de la musique qu'il a réussi à développer, malgré toutes ces galères de changements de musiciens (c'est moi le leader, c'est moi qui sais où aller, si ça vous plaît pas, la porte est là, en gros...), un petit sourire aux lèvres : voilà, je suis arrivé au bout du chemin, c'est terminé. Je n'irai pas plus loin dans cette voie, mais voyez - et écoutez jusqu'où je suis allé... D'où les 3 minutes d'applaudissements à la fin de l'album, sans espoir. No way. C'est fini. Ca a été dur, je l'ai fait, qui d'autre ? Fichez-moi la paix maintenant. Fin de l'album brutale. Stoppez-moi ces gueulards.

#48: Kula Shaker "Peasants, Pigs & Astronauts"

Du temps où il y avait encore des disquaires, il arrivait qu'en flânant dans leurs échoppes, on tombe soudain sur un truc inconnu et improbable, et qu'on reparte, ravi, la chose sous le bras (du temps des vinyls) ou dans la poche (du temps des CD).

J'ai découvert Kula Shaker comme ça, par hasard, sans rien savoir du buzz qui avait tourné autour, un jour de 1999 chez Gibert à Toulouse. Intrigué par la pochette, fasciné par la production (ce n'est qu'en ouvrant le livret plus tard que j'y lus le nom de Bob Ezrin, celui de Berlin, des meilleurs Alice Cooper et du Floyd de The Wall (et de Kiss, aussi, mais bon, pour ma part...). Des grands efforts qui passent ou qui cassent, en quelque sorte.

L'album fut littéralement massacré par la presse rock, et on ne parla plus de Kula Shaker. Je trouvai un jour leur premier album - sensé être génial, lui - et fut bien déçu : c'était encore l'époque de la pop de Manchester, on pleurait les Stone Roses et les Happy Mondays en écoutant Oasis, c'était donc une sale époque. Et ce premier album sentait mauvais les samples à trois balles et le groove médical de soirées trop hype pour être honnêtes ou pour être tout simplement fun.

Par contre, ce Peasants, Pigs & Astronauts... je ne comprends toujours pas pourquoi il est de si bon ton de le détester. Parce que mélangeant trop les genres ? Pompeux et boursouflé ? Possible. Moi je dirais plutôt riche, ambitieux et courageux. Et j'assume. Bien sûr les références pop sixties agaceront les agités de la pop "moderne", les samples énerveront les fans de Grateful Dead et les sitars indiens agaceront à peu près tout le monde. Et pourtant, qu'est-ce que ça joue. Je connais peu de groupes de cette époque (à laquelle je ne me suis jamais trop intéressé, il est vrai, à part les Chemical Brothers, et les Propellerheads, electro à fond, tant qu'à faire, donc hors-sujet dans cette affaire) qui avaient eu le culot de balancer des cuivres dans leur marmelade. A part les Dandy Warhols. Les vénérés Dandy Warhols, mais là, nous sommes plus nombreux à être d'accord.

Alors oui, bien sûr, voilà de la musique qui se voulait ambitieuse, riche et généreuse. Par trop d'innocence (pochette vraiment trop typée prog rock, en 1999 !), par manque de continuité conceptuelle ou du fait de l'absence d'un plan marketing adapté, l'album s'est retrouvé aux chiottes de l'histoire rapidement. Et Kula Shaker se sépara, et les Inrockuptibles s'en réjouirent. Crétins.

Bien sûr, leur leader était un allumé des philosophies indiennes, mais véritable passionné et connaisseur, mais quelques sorties sur la beauté du symbole de la svastika suffirent à détruire toute crédibilité au groupe, accusé de néo-nazisme par une presse n'ayant cure du symbolisme hindou, et plutôt prête à cracher dans la soupe, surtout quand une occasion rêvée comme celle-ci se présente.

J'ai longtemps et souvent acheté puis revendu des CD, pour en financer d'autres, pour payer le loyer, et je me mords les doigts de certaines galettes fourguées en vide-grenier et introuvables aujourd'hui. Kula Shaker a passé cette épreuve avec brio et discrétion, j'ai toujours une grande affection pour cet album.

Bien sûr, le plus daté dans l'affaire c'est les références au Madchester des années 1990 qui transparaît par ci par là. Pour le reste, c'est un feu d'artifice d'influences diverses, majestueusement rendues cohérentes par un Bob Ezrin en grande forme. Je vous propose donc de tenter l'aventure, mais ne le dites à personne, ça n'est pas hype que d'apprécier cet album de Kula Shaker.

Dix ans plus tard, en 2010, ils sortiront un nouvel album fort sympathique. Je l'ai écouté, il est fort agréable, mais comme pour les Waterboys, la messe est malheureusement dite pour eux depuis longtemps. Les Inrockuptibles ne font même plus l'effort de les détester.

Last Farewell ?

mercredi 5 octobre 2011

#47: The Waterboys "Fisherman's Blues (Collector's Edition)"

La fameuse île déserte... Les fameux 5, non, 10, non 50, non, allez, 25 albums qu'on emmènerait... Encore mieux que compter les moutons quand on n'arrive pas à dormir...

La fameuse liste impossible, parce que de nouveaux candidats se pressent au portillon à chaque nouvelle insomnie. Et que notre humeur change chaque jour. Admettons qu'il faille y intégrer un Dylan : Blonde On Blonde ou Blood On The Tracks ?  Naan, trop commun, Time Out Of Mind mériterait tout autant sa place... ou peut-être aucun Dylan parce que ça prendrait la place d'un Townes Van Zandt ? Bref... On en viendrait presque à avoir des insomnies du fait de cette fichue liste.

Les gens qui n'aiment que le reggae ou le punk rock ont de la chance. C'est plus simple. Ceci dit, je pense que ces gens-là n'aiment pas vraiment la musique, il y a tellement de champs à explorer, c'est pas possible d'avoir les écoutilles aussi fermées...

J'estime avoir une chance inouïe qui me permet de trouver le sommeil systématiquement : S'il ne fallait qu'un seul album, j'emmènerais sans hésiter une seconde le Fisherman's Blues des Waterboys. Pour des raisons personnelles, affectives (même si pas forcément liées à des souvenirs heureux), bien sûr, mais aussi et surtout, parce que la plus grosse claque que j'ai pris, c'est quand l'intro de Fisherman's Blues a résonné sur les baffles de ma chaîne. J'avais vaguement apprécié This Is The Sea, qui m'avait aussi vaguement gonflé (j'ai du mal avec l'opérette), et j'avais acheté le 33 tours sur la simple foi de la pochette.

Cela m'est arrivé une seule fois dans ma vie : rester paralysé, regardant la galette tourner, pendant tout le temps d'un morceau. Sous l'emprise d'aucun stupéfiant - mis à part les watts qui sortaient de la chaîne - j'ai connu un moment inégalé. Depuis ce jour, j'essaie d'employer l'expression "rester scotché" avec parcimonie et discernement, parce que je l'ai vécue.

Je ne sais pas si vous pourrez ressentir cet effet en regardant les volutes psyché de Windows Media Player ou la face austère d'iTunes en écoutant ça, et je vous déconseille bien évidemment de tenter d'insérer une vitre dans votre lecteur CD. Mais sur les conseils de Jimmy, je me décide donc à poster des trucs "évidents", des fois que quelqu'un, quelque part, n'ait jamais mis les oreilles au bon endroit et soit encore vierge d'un tel délice, d'une telle claque.

Après la sortie de This Is The Sea, Mike Scott (autrement dit, les Waterboys puisqu'il n'y a qu'une seule tête dans le groupe) se retrouve propulsé nouvel espoir d'une new wave qui commence à sentir des pieds (il fait la première partie des Simple Minds à l'époque du tube idiot - Alive & Kicking). Rajoutez une histoire d'amour, un violoniste irlandais de plus en plus envahissant (Steve Wickham) - genre si, si, je t'assure, l'Irlande tu vas adorer - et voilà notre Ecossais parti dans les studios de Landsdowne, à Dublin, sans trop savoir quelle suite donner à sa petite réussite.

Alors, tel un Dylan avec The Band en 1967 (voir les Basement Tapes ici présentes), il enregistre, sans fin, pendant un an ou deux. Des compos, mais aussi plein de reprises (Dylan, Hank Williams, Van Morrison...), histoire de voir vers quels horizons toute cette musique le mènera. De cet épisode, il reste les morceaux de la face A : Outre le Fisherman's Blues déjà encensé, on y retrouve un peu de Big Music (We Will Not Be Lovers, trop longue à mon goût, morceau chiant de l'album, et World Party - whooo !!!), de la country (Strange Boat) et une seule reprise, mais de taille, le Sweet Thing de Van Morrison.

Suite à quoi, le voilà embarqué vers Spiddal, à côté de Galway, et décidément barré folk. Il change de face, le disque aussi. Et là, tout est plus roots, plus campagnard, du vachard And A Bang On The Ear à la grandiose mise en musique du Stolen Child de William Butler Yeats, tout ça décoiffe, et prouve à qui en douterait encore que laisser la musique traditionnelle à des folkeux, c'est comme laisser la confiture aux cochons, encore une fois, un mélange des genres passionné donne des choses passionnantes. Dans la musique aussi, il peut être salutaire d'éviter la consanguinité.

Inutile de dire que cette version deluxe donne un petit bout d'os à ronger aux plus affamés. Notamment des reprises enregistrées lors des premières sessions à Dublin. Avec même pas mal de viande dessus, donc. Il existait déjà un album d'outtakes officiel de ces sessions, mais un Mike Scott nostalgique et maladroit avait jugé bon d'y rajouter des overdubs. Comme les Stones sur la réédition d'Exile On Main Street (que vient faire Liza Fischer sur des séances de 1972 ???).

Alors voilà un disque pas tout à fait pop, pas tout à fait folk, pas tout à fait country, pas tout à fait rock. Mais tout à fait grandiose, parce que nourri de tous ces courants et grandi par toutes ces différences. L'inverse, total, de la world music, qui consiste à rajouter un banjo sur une boucle electro, un sitar sur une ballade mexicaine ou un Ry Cooder sur un dictateur cubain.

Et je me permets d'ajouter que cette chose est sortie en 1988, année dérisoire en découvertes, et malheureusement riche en productions imbuvables (arrgh... cette caisse claire surcompressée avec trois tonnes de reverb...). Et que cela reste immense. Intemporel. Même ces couillons de Simple Minds (c'est eux qui se sont appelés comme ça, c'est pas ma faute), en viendront à nous la jouer celtique (Belfast Child, j'en vomis encore...), et chez nous les Soldat Louis réussiront à faire rentrer le biniou dans les Super U. C'est vous dire l'influence immense de cet album.

Bon, OK, on pourrait aussi dire que les Pogues avaient un peu labouré le terrain... Mais si on peut plus être de mauvaise foi ou interpréter l'histoire à sa guise, ça sert à quoi de donner son avis ?

L'album d'après, et même tout ce qui suivra, n'atteindra plus ce niveau. Room To Roam sera franchement trop typé folk-rock (la reprise du Raggle Taggle Gypsy, au hasard), et la suite (sa copine irish l'aura largué), franchement rock FM (Dream Harder) ou péniblement acoustique et confessionnelle (les albums sous son nom), ou moitié-moitié. Mike Scott n'aura pas été en mesure de conserver la grandeur que lui aura conférée ce Fisherman's Blues. Mais Barak Obama aussi a décu. Mitterrand aussi. Dylan aussi. Même Caïn. Même Adam et Eve. Nous sommes tous condamnés à décevoir. Mais plus on déçoit, plus on a fait naître un bonheur, un espoir. A un instant donné. Merci, Mike, de m'avoir donné cet instant.

...And A Bang On The Ear !