Selon un sondage SOFRES jamais publié car exécuté par un stagiaire de HEC en guise de mémoire de fin d'études, 74% des Français prennent les mandolines pour des banjos, 47% n'ont aucune idée de la différence entre les deux instruments, 4,3% d'entre eux connaissent le nom d'Earl Scruggs et 0,03% d'entre eux distinguent le style bluegrass du style clawhammer tel que traditionnellement joué dans les Appalaches.
Par mon expérience personnelle, possédant à la fois un banjo et une mandoline, je rajouterai que 87% de mes amis, voyant les machins trôner entre ma Telecaster et ma 12-cordes me demandent "c'est quoi, ces trucs ?". Depuis que je me suis mis au bouzouki, 92% de mes connaissances me prennent pour un improbable poète de l'instrument à cordes, et ne cherchent même plus à écouter mes explications passionnées.
Par mon expérience personnelle, quand j'explique que ça, c'est un banjo, 99,8% des gens qui passent chez moi me demandent si je sais jouer Delivrance. Avant, je leur jouais dans 79,4% des cas, maintenant, dans 98,7% des cas, je réponds d'un regard vide "aah... non... je connais pas. Moi j'écoute plutôt Dock Boggs ou Clarence Ashley". Et dans 77% des cas, je n'ai pas à les inviter à manger, après l'apéro. J'ai même, du coup, économisé 43,2% sur le budget bières de la maison. Car ils repartent déçus, sans même que je sois obligé de leur proposer un deuxième verre.
Et je tiens même à rendre hommage à ma belle-mère qui m'a un jour offert un excellent ouvrage sur l'histoire du banjo. Et qui, en plus, ne boit pas de bière.
Face à cette indifférence inéclairée de nos compatriotes, et constatant qu'outre-Atlantique, les génies du banjo et les songwriters un tant soit peu doués (je suis sûr que 99,7% de la population de la Caroline du Nord n'hésiterait pas à me qualifier de tanche, en tant que banjoïste), ont naturellement suivi les lois de l'offre et de la demande dans les années 1970, et sont venus montrer leur instrument bizarre dans notre beau pays vierge de toutes références. Jack Treese fut l'un d'eux (et même l'immense Bill Keith, au passage). Un bon gars. Gratteux raisonnable par ailleurs, plein d'idées, il fut accueilli à bras ouverts par l'écurie Saravah, adulé par un Jean-Michel Caradec qui s'était à l'époque démené pour produire ses albums (un autre grand monsieur, dont je vous parlerai bientôt d'avantage), oui mais voilà, Jack Treese n'a jamais joué Delivrance.
Et Jack Treese est parti trop tôt, bouffé par le vilain crabe. Après avoir, quand même, profité de la douceur de la Dordogne, des magrets de canards et du farniente qui vont avec. Cela ne l'empêchant pas de pondre une bonne douzaine - voire deux - de bonnes chansons de facture folk, de se payer le loyer en grattant son banjo par-ci par-là, et sa guitare par-là par-ci. Mais bien sûr, l'homme n'a jamais pondu de chef-d'oeuvre définitif. N'a jamais décroché la tymbale. A juste passé du bon temps dans notre cher pays, joué de la musique sans complexe et à son rythme (il y a des années où l'on n'a envie de rien faire, rappelez-vous), un peu de banjo et beaucoup de guitare picking aussi.
Quand même, en 1997, par là, surgit une réédition des trésors de Saravah, et Jack Treese eut droit à deux CD pour le prix d'un. Merci, monsieur Pierre Barouh. Rien n'est inoubliable, mais presque tout charmant. Le premier CD est plus orienté vers les productions bien léchées, le deuxième vers des chutes de studio (studio ? vraiment ?), avec des moments délectables, dont sa version laid-back d'A La Claire Fontaine. Les deux contiennent de grands moments de banjo, de guitare en picking tranquillou, flirtent parfois vers le créneau Steve Waring (les otaries), mais chacun y trouvera son compte. Faites votre marché, comme à Sarlat. Zappez tel morceau, attendrissez-vous sur tel autre. Ce mec n'était pas un génie, juste quelqu'un plus doué pour jouer de la musique que pour ravaler votre façade ou dépanner votre machine à laver. Il fut un temps ou ce genre de talent d'artisan était tout aussi reconnu. Et l'humilité du personnage transparaît dans chacune des chansons ici présentes. Il y en a 43 dans le paquet. Cela ne m'étonnerait pas que vous en trouviez une bonne douzaine qui vous convienne. Au bas mot. Douze chansons, ça suffit pour ne pas l'oublier complètement. Pour ne pas oublier cette époque, Saravah, et Pierre Barouh, des gens comme ça. Et ne venez pas me dire que les Higelin sortis sous le même label à l'époque étaient plus chiadés. L'époque était dingue, il nous en reste des bribes. Dont celle-là. D'où mon...
PS : Demain le bog est fermé pour cause de tourisme. Les affaires reprendront dimanche, si tout va bien.
bonjour, c'est tellement rare d'entendre parler de ce chanteur et musicien hors pair qu'était Jack Treese, que j'ai découvert grâce à mon intérêt pour Jean Michel Caradec, disparu il y a pile 30 ans cette année dans un accident de voiture.
RépondreSupprimerEn tout cas, je vais le prendre, je suis scotché à 112% et dommage que nous ne soyons pas dans la même pièce car ton budget bière serait resté probablement intacte, mais avec deux ou trois bouteilles de rouges j'aurai pu t'écouter et effectivement j'aurai peut-être fini par parler de DELIVRANCE, comment l'éviter ;-)
RépondreSupprimer@Jimmy : Une compile de Jack Treese chez Frémeaux ? Vraiment ?
RépondreSupprimer@devant : pour éviter Delivrance, il suffit de taper clawhammer boanjo sur youtube, au hasard, et rester scotché par cette technique incroyable bien que rustique, qui permet de sortir des sons complètement inédits par ailleurs d'un instrument à cordes comme le banjo.
@anonyme : je n'oublie pas Jean-Michel Caradec. Merci de lui avoir rendu un petit hommage. J'ai juste un peu de mal à retrouver le CD que j'ai envie de poster ici.
RépondreSupprimer"clawhammer boanjo" OK noté
RépondreSupprimerTres bonne compil de Jack Treese mais auriez vous l'integralite de Maitro the truffle man?
RépondreSupprimerSouvenir de jeunesse. Merci
@Jimmy : ben oui, c'est vrai, je voulais poster un Frémeaux et ta remarque... bon bref, on trouve l'inspiration comme on peut, et quand c'est des gens biens qui vous y mènent, c'est d'autant mieux, non ?
RépondreSupprimer@devant : oui, "clawhammer". Un de ces quatre je posterai une compile de banjo de Caroline du Nord de chez Rounder - immense. Un truc incroyable. Rien à voir avec la country, le folk US tels qu'on les entend habituellement, et rien à voir avec le banjo d'opérette façon bluegrass que t'as vu comment je joue vite... une espèce de rythmique sournoise, limite vaudoue... Mais y'a tellement de choses... Dock Boggs, Roscoe Holcomb, Clarence Ashley... Patience... ou cherche ailleurs en attendant...
Au passage, dans ma période mélancolique, le zazard me propose "The Little Prince" de Jack Treese.
RépondreSupprimerJ'explique, il y a une notion d'empreinte musicale afin de faire des playlist dynamiques à partir d'un thème, ici Charles Dumont / Femme De Ma Vie.
La playlist contient plein de ces chansons toute douce et s'est donc glissé ce superbe Treese. Merci encore à toi....
Merci pour votre article sur Jack Treese. C’est toujours émouvant de voir qu’on ne l’oublie pas...
RépondreSupprimerJe vous ai mis dans les liens sur le site: http://treese.compositeur.net
Et si ça vous intéresse, des informations autour d’un projet autour de jack:www.autourdejacktreese.com
Avec la complicité de quelques artistes que vous signalez sur votre site.
Cordialement,
Catherine Treese
catherine.treese@bbox.fr