J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

mercredi 27 avril 2016

#181 John Coltrane "Ascension"

Il n'est pas toujours mal venu de hurler avec les loups. J'ai fêté mon cinquantième anniversaire il y a peu et l'on m'a offert le numéro spécial des Inrockuptibles consacré à l'année 1966. Quelle bonne idée, quelle originalité, quelle douce attention. Voyez, je sais apprécier les cadeaux à leur juste valeur. Sans surprise, j'ai pu lire énormément de choses prétentieuses sur des disques qui n'en avaient pas besoin pour exister par eux-mêmes. Je ne vous ferai pas l'affront de les citer tous, on nage dans le convenu et le déjà-vu allègrement, avec des palmes de taille 46 et dans une mer(de) d'huile : Blonde On Blonde, Freak Out, le Velvet (évidemment), Revolver et autres sont ainsi intellectualisés sur de longues plages de détritus verbaux et verbeux. Je faillis me noyer dans un ennui profond lorsque ce qui me restait d'attention fut capté par la photo de Coltrane, si calme, pour un album si... euh... foisonnant ?

Il est parfois doux de hurler avec les loups, parce que c'est vrai que ce disque, mazette, c'est quelque chose. Outre ses compagnons - qui d'ailleurs ne tarderont pas à aller voir ailleurs tant les efforts de leur employeur à produire des sons étranges venus d'ailleurs dans un saxophone qui n'avait rien demandé à personne vont les lasser, on trouvera ici Freddie Hubbard, Pharoah Sanders, et d'autres dont le nom ne me dit trop rien, tous prompts à faire cracher à leur instrument tout ce qu'il peut donner. Ce joli petit monde, 10 musiciens en tout, free-jazzent en choeur entre deux soli des uns et des autres, et ma foi quand ils ne jouent pas tous ensemble, dans l'ensemble, c'est mieux. Rajouterai-je que l'oeuvre tape ses 38 à 40 minutes  non-stop, vous me direz, ça n'est pas le Paris-Dakar, mais quand même.

Car Ascension a été enregistré deux fois. Les deux versions ayant fait l'objet d'une publication sous le même titre, même pochette, Coltrane préférant finalement la première à la seconde initialement publiée. Il serait sans doute passionnant de comparer les deux, voire les jouer en même temps, façon Free Jazz d'Ornette Coleman. Vous voyez, c'est ma foi un disque fort ludique, on peut faire plein d'expériences avec.

Bon, normalement, à ce stade, les adeptes de Coltrane ont déjà quitté la page, voir préparé des commentaires fielleux, couroucés et pleins de dépit à mon attention. Comment puis-je parler ainsi d'un tel Chef d'Oeuvre ? N'ai-je pas honte ?

Non, absolument pas.

Je vous avoue que, si j'ai du mal à me transporter vers le Nirvana, si j'ai du mal à communiquer avec l'Univers (avec un grand H) à l'écoute de ce joyeux bordel, je trouve tout cela totalement réjouissant, tout autant que sidérant et étrange.

Sidérant, au sens propre du terme, il ne vous faudra guère plus de trente secondes pour en faire l'exprience. Bon dieu ce beau monde est bien énervé, et le fait entendre, pour sûr.

Etrange, car dans ce qui paraît être un brouhaha informe, du boucan, donc, quand on baisse le son de la chaîne, contrairement à un disque de heavy metal, par exemple, la joyeuse troupe se fait encore plus sournoise et rien ne calme votre agacement si, comme mon épouse, l'agacement constitue l'impression première à l'écoute de cette oeuvre.

Réjouissant, enfin, et c'est de là que vient mon étonnement, car je me dis qu'il faut quand même du génie pour arriver à retenir l'attention de l'auditeur avec tel chaos de cuivres mêlés sans apparente vélléité d'obéir à des règles aussi convenues que la tonalité ou le contrepoint chers à Michel Legrand et François Valéry.

Car voilà, passé le premier barrage des cacophonies primales, on se sent initié, ou - comme dans un jeu de rôle d'Heroic Fantasy - passé au niveau 2. On procède ici par paliers, véritable Ascension donc s'il en est. Sans pour autant trop comprendre par quel trait de génie tout cela fonctionne.

Il est parfois doux de hurler avec les loups. Mais quand les loups sont partis dormir. En l'occurence, les inconditionnels de Coltrane, ce pour qui le moindre pet dans son saxophone constitue un élément majeur de la musique des Sphères. Et je me permets d'admettre et même d'oser le dire, oui, Coltrane, sur la fin notamment, on a parfois l'impression qu'il imite le pet du Tyranosaure avec son instrument. Je me suis senti rassuré l'autre jour, je suis tombé sur une critique d'un live post-mortem récemment publié, qualifiant l'album de Coltrane Catastrophe. Quelqu'un ose donc quelque part dire qu'il n'aime pas. Que les jazzmen ont beau se lancer dans des chorus stériles sur la puissance du free jazz, le magnétisme effrené d'un artiste hors du commun, moi je n'aime pas quand Coltrane imite les prouts de mammouth pendant une demi-heure. Mais allez dire ça à un jazzman, c'est comme oser avouer qu'on n'a jamais tenu les 17 minutes de Sister Ray du Velvet sans aller faire caca ou acheter des clopes en bas de chez soi en attendant que ça se termine.

- Mais de quoi parles-tu donc pauvre imbécile ? Ce sont alors ici un régiment de mammouths gavés de haricots que tu encenses ! (merde, me dis-je, il restait un jazzman à lire ma prose jusqu'ici - caramba !)

- En fait, cher camarade, je trouve très inconvenant que l'on flatule en présence d'une dame. Or, à partir du moment ou sa chère et tendre Alice a remplacé McCoy Tyner au piano (enfin, remplacé... façon de parler), je n'entends plus que des pets dans sa musique. Et de ceux qui torturent et qui vous remuent les intestins dans d'interminables crampes stériles. Alors qu'ici encore, bien que toute notion harmonique voire même modale disparaisse déjà, le Real McCoy (facile, mais obligé) est toujours là, rattrapant le saxophoniste d'un accord certes interrogateur, telle la main d'un partenaire au trapèze volant, ouf, on a eu peur, mais tout finit bien. Et puis ici, c'est la flatulence enflammée d'une équipe en goguette, jubilatoire comme dans la Soupe Aux Choux, la Denrée Coltrane jetant un pont entre une galaxie mystérieuse et inexplorée et notre pauvre quotidien de mortels.

Et puis cette explosion, dire que cela s'est réellement passé pour de vrai, dans un studio, avec de pauvres instruments en tôle et des tambours en bois. Aussi ringard que la soucoupe volante du film pré-cité, mais qui s'envole tellement plus loin que ce qu'on serait en droit d'espérer avec la technologie actuelle, qui ne sert qu'à recréer de la musique de danse stupide comme le rock'n'roll en tant que mode passagère avant qu'il ne se teinte d'Afrique et de toutes ces belles choses qui en feront un Enfant Terrible et beau. Un soir que je participais à un Festival de Jazz, ignorant à la buvette la Master Class Jazz et Musique Traditionnelle (je n'invente rien, bombardes et binious tentaient l'improbable fusion be-bop, mes aïeux !), je me permis de défendre pendant une bonne dizaine de bières l'idée qu'on aurait pu arrêter de faire des disques après le Love Supreme de Coltrane. J'ai depuis arrêté de boire, mais je serais encore capable d'argumenter cette proposition. Si A Love Supreme est une prière fervente, c'est ici des bons dieux gueulés la tête dans les étoiles qu'on entend. Et quand tout semble déconstruit, il ne reste que la ferveur ici, et putain de bois quelle ferveur.

Il est parfois honnête de hurler avec les loups. Même si l'on ne chante pas la même chanson. Vous aurez compris peut-être que mes allusions gastriques, mon humour à trois balle et mes taquineries n'auront eu d'autre but que d'essayer de rendre à César ce qui lui appartient, de laisser de côté les convenances et les contrepoints littéraires qui collent aux basques du Trane depuis la nuit des temps. Bon dieu, laissez-le jouer, le garçon ! Comment peut-on seulement radoter ces niaiseries de salon en écoutant un disque pareil ? Alors oui, messieurs des Inrocks, ce Coltrane-là a toute sa place dans le panthéon que vous érigez sans grande surprise d'ailleurs à l'année de Ma naissance (ça a dû vous trouer le cul de dire du bien de Blonde On Blonde, admettre comme dans Rock & Folk qu'il s'agit du meilleur Dylan, même si c'est discutable, et vous poser un problème de fond que justement, ce ne soit pas A Love Supreme qui soit sorti cette année-là).

Il est parfois jouissif de hurler avec les loups. C'est d'ailleurs toute une bande de loups qui hurle ici, La note de pochette suggère que même les sourds ne devraient pas manquer ce disque. C'est d'ailleurs difficile, même sourd, de ne pas se le prendre dans le thorax. Il n'y a pas que les Stooges qu'il faut écouter fort. Testez-moi celui-ci à plein volume. Revenez me voir une demi-heure après. Le buzz ne sera pas dans les Inrocks, mais dans vos oreilles. Et les acouphènes qui suivent ce disque de Coltrane sont encore du Coltrane.

Ascenceur pour l'échappe-haut

vendredi 22 avril 2016

#180 : Prince "Small Club"

Prince est mort.

Ben oui, en 1993 je crois.

Après, il s'est fait appeler Love Symbol ou encore TAFKAP (The Artist Formerly Known As Prince), ce qui est à peine plus funky que QWERTY (pour faire US), quand on y réfléchit bien.

Et puis plus personne ne l'a plus appelé du tout. Son manager peut-être, et encore, rarement. Machin (on peut l'appeler comme ça aussi) sortait des triple-CD bidouillés tout au sampler qui n'intéressaient personne, et à chaque entrevue, sa maison de disque suait de peur à l'idée qu'il n'ait un nouveau projet novateur du même style.

Car Prince (là, on peut l'appeler Prince) à ses débuts était quand même sorti de l'electro-funk putassier la tête haute, et de 1999 à Sign O' The Times en a quand même mis plein la vue à à peu près tout le monde. Avec un culot et un talent formidables. Inventant le funk sans la basse dans un When Doves Cry mémorable, jouant la retenue lascive sur Sign O'The Times (la chanson), arrivant même à rattraper un Around The World In A Day casse-gueule et mal foutu, sauvé de justesse par un Raspberry Beret psyché à souhait.

Et puis un jour, la muse le quitta, emportant jusqu'à son nom dans sa besace, pour nous laisser avec une parodie informe de lui-même, laissant le hasard tenter de bien faire les choses, ratant la cible systématiquement ou presque.

Le terrible destin de Prince, c'est aussi que sa musique, si novatrice fut-elle (et encore, j'en entends qui glapissent dans le fond - et George Clinton ? Et Sly Stone ?), a vieilli peut-être bien plus vite que lui encore.

Alors que, s'il avait laissé un instant son ego au placard, s'il s'était contenté de jouer du funk, fut-il teinté de jazz, voire de jazz-rock, coulé de blues ou halluciné de guitares vrillantes, comme le firent bien avant lui tant de bons noirs, ne cherchant pas à damer le pion aux petits blancs dans les charts pop, peut-être aujourd'hui garderions-nous de lui un souvenir plus vivace.

Puissent ces deux galettes, enregistrées le 18 novembre 1988 en Hollande devant 400 personnes, pour un aftershow durant lequel - comme d'habitude - il se lâchait - y aider. Les plus pressés pourront même aller directement au Rave On To The Joy Fantastic final, quelques deux minutes d'un dernier solo de guitare renvoyant qui vous voudrez cueillir des fraises. Thank You - God is Love - good night.

Bonne nuit, petit Prince.

CD1
CD2

vendredi 15 avril 2016

#179 : Fauve "150.900"

Je les ai aimés, Fauve. Pour autant de mauvaises raisons, sans doute, qu'il y en a de bonnes pour les détester ou - mieux encore - les ignorer.

Tout ça a commencé par un trajet Niort -> Nantes via blablacar. Le chauffeur, un djeun de 27-28 ans dans une belle Mégane tunée vitesse et accélération a passé le CD de Vieux Frère # 1 pendant tout le trajet, c'est-à-dire 3x d'affilée, quand même. Cette musique m'a d'abord fait doucement rigoler dans ma barbe, ce vieux sourire de vieux con que vous connaissez tous, puis elle m'a agacée, et arrivé à Nantes, à un arrêt de tram en banlieue en novembre, j'ai cherché Fauve sur Deezer. Et là, dans l'atmosphère si chère à Barbara, dans un tram glauque, leur musique a pris tout son sens.

Huit mois plus tard j'étais aux Francofolies. Carrément. Fauve a joué après IAM. Les vieux lions se retiraient, avec un putaing de sacré panache, soit dit en passant, et les jeunes loups prenaient la suite. Avec, semblait-il, la même intégrité, la même foi et la même rage que les tchatcheurs de Marseille. Et là encore, malgré l'écran géant flouté et son message à trois balles (nos gueules n'ont pas d'importance, c'est le message qui bla bla bla), malgré la guitare euh... bon, malgré les hormones adolescentes qui bruinaient sur Saint-Jean d'Acre, au lieu de me finir à la bière (c'est pas moi qui conduisait), je suis resté bouche bée - bêêh direz-vous, oui, peut-être - et j'ai écouté le maxi Blizzard en rentrant.

L'année suivante, j'ai attendu fiévreusement la sortie de l'album, Vieux Frère #2, et je l'ai trouvé chouette. Non, ils ne se renouvelaient pas trop les petits gars, non, pas de progrès sidérants à la guitare, mais après tout c'était bien la suite de Vieux Frère #1 et les textes étaient toujours aussi percutants.

Percutants ? Le vieux Jeepee délire ! Retombe en enfance !

Ben oui, peut-être. Avouons-le nous, entre vieux cons qui bloguons à grand coup de Nick Drake, à qui moque l'autre qui écoute Ange pendant que l'un se pame sur cette vieille loutre ménopausée avant l'âge de Lou Reed ! On se rêve encore jeune, avec de la musique de vieux.... On voudrait... revivre. Ca veut dire, on voudrait vivre encore la même chose. Ben ouais, Gérard, t'as peut-être raison, reprends un coup de blanc et lâche cette guitare, tu nous chanteras Phèdre demain, t'as plus de voix !

Je me suis imaginé revivre, avoir à nouveau 27 ans, en écoutant Fauve au lieu de Nick Cave, (ou même... Manset ?) c'est plausible, non ? IAM me gonflait à l'époque, trop rigolo, trop politique, mon drame était intérieur. Le même que celui du p'tit gars qui braille dans Fauve, en fait. Et comme Fauve, de manière à peine voilée (de façon aussi maladroite que les Louise Attaque singeant les Violent Femmes en français dans le texte), évoque les années SIDA des Nuits... Fauves (vache, les jeunes, faites un effort quand même !) tout cela est complètement raccord. Comme, à l'époque, rêver du grand amour quand ça commençait à tomber comme des mouches autour de moi, là-bas chez les corbeaux rennais, tout cela est bien désuet. Peut-être, mais ça colle. Je me rêve jeune avec de la musique de jeunes.

Des jeunes qui voulaient avancer, rien lâcher, tout ça tout ça. Résultat, au bout de 3 ans, dépôt de bilan (soit disant provisoire, mon cul, restez donc six mois à profiter de votre blé et vous allez avoir du mal à nous chanter le blues du mangeur de nouilles, les p'tits gars). L'histoire se répète, mon Gégé, c'est la même pour tout le monde.

N'empêche que même dans leur cadeau de départ - dernière fournée d'oseille avant l'autoroute - je les trouve classes et fidèles à eux-mêmes. Entre-couper les extraits de concert par de petits témoignages, comme ça, là, ça me rappelle un peu le Nitty Gritty Dirt Band à l'époque de leur live qui... Oh ta gueule vieux con.

Euh... ouais, vous avez raison. A choisir, je me verrais plutôt dans le rôle du vieux frère...

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