J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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lundi 26 octobre 2015

#165 : The Carter Family "From 1936 Radio Transcripts" & "The Carter Family On Border Radio JEMF 01"

D'aucuns disent que la vie serait apparue par le plus pur fortuit des hasard il y a quelques milliards d'année. Dans un gloubiboulga originel (une sorte de soupe aux vermicelles sans pâtes), suite à un orage, se seraient synthétisé comme ça, spash ! des acides aminés qui n'auraient rien trouvé de mieux à faire (sur ce point, je suis assez d'accord sur la monotonie de l'époque) que de combiner en protéines et hop, comme ça, le jour de Carnaval, se transformer en double hélice d'ADN. Tout ça . pendant que la tectonique des plaques fabriquait les futures stations de ski.

Quand j'entends ça et que j'écoute la Carter Family, notamment ces show radio fraichement dénichés sur la toile je saisis ma bible et mon fusil et je dis NON ! Le Bon Dieu a bien pu être capable de créer l'univers en six jours !  La preuve, petits cons, c'est qu'en une seule journée de l'an de grâce 1926, alors qu'il n'inventerait le mp3 que quatre-vingt ans plus tard, Dieu a mis dans les mains de Ralph Peers, modeste employé de chez Victor, un rouleau de cire avec lequel il a enregistré A LA FOIS la Carter Family et Jimmy Rogers.

Et vous vous étonnez que les ricains soient cul-bénis ?

En plus, Dieu, toujours prêt à jouer à la kabale, a créé le mythe rock'n'roll avec ce fameux trio. Fondé par A.P. Carter (dont on taira le prénom tellement on a honte de lui), qui chantait à peu près aussi bien que Valéry Giscard d'Estaing jouait de l'accordéon et sa femme Sara, ils dévergonderont Maybelle, la cousine, qui elle chantait comme un Dieu et jouait de la guitare bien mieux qu'Eric Clapton qui n'était alors qu'un fatras d'acides aminés improbable.

A.P. se contentait de driver les gonzesses, et avait bien compris les enjeux du copyright, se gardant sous le coude le privilège d'avoir écrit ces chansons de folies vieilles comme Hérode. Le ver était dans le fruit comme le ying dans le yang, ce qui est en haut est en bas et tout le toutim ésotérique. On revivrait l'histoire avec Kim Fowley et les Runaways, Ike & Tina Turner, bref, moi je dis les gonzesses faut les mater, de toute façon elles ont aucun sens de la vraie valeur des choses. Et là-bas, en 1926, dans les Appalaches, ça serait quand même con de laisser dans le domaine public des diamants comme Wildwood Flower, Keep On The Sunnyside, Will The Circle Be Unbroken et tout le reste. On a vu ce que donnait la révolution russe de 1917. Aucun sens de la mélodie, les cocos. Même mort, Raspoutine nous gonflerait encore soixante ans plus tard avec Boney M, c'est vous dire la capacité de nuisance !

Non, je frime, je blague, je déconne. Parce que pour dire vrai, je sais pas quoi dire de la Carter Family. Quand j'entends Mother Maybelle Carter me chantonner Keep On The Sunny Side dans l'oreille (maman ! c'est toi !), je suis capable de même pas avoir peur d'une porte d'armoire restée ouverte, de Lénine ou de la crise de 1929.

Et Bon Dieu le premier qui me parle de musique de plouc ou qui traite Mother de vieille chèvre, je lui fais bouffer l'intégrale de Fernandel.

Parce que c'est pas la peine d'aller chercher le pourquoi de la Création dans les séphirots, tout est là. Disons le côté blanc de l'affaire. Vous me rajoutez bien évidemment une dose de Son House si vous n'avez plus de Robert Johnson en rayon et je vous fabrique un Keith Richard en cadeau Bonux. Ou un Gram Parsons. Quoique, à l'époque on était moins couillon et le blues n"était pas encore une marque déposée chez Chess, comme la country n'appartenait pas qu'à Nashville. Prenez les Mississippi Sheiks, ou Clarence Ashley, c'était pas la même couleur mais la même chanson. Tiens, Sittin' On Top Of The World ils la chantaient tous. Ca veut pas dire qu'on aimait forcément les négros dans les montagnes, mais je suis sûr qu'il y a des gens qui votent FN et qui écoutent Michel Sardou (quoi ? c'est pas un bon exemple ? Désolé mais j'en connais pas personnellement des gens qui votent FN !).

Non, je m'emballe encore. Vous allez peut-être rire, mais vous n'allez que rire. Vous allez passer votre chemin chercher ailleurs désespérément le dernier Dead Weathers, et j'aurai perdu ma soirée pour rien.

Et pourtant, je reste muet. L'angoisse de la page HTML blanche. Sais pas pourquoi c'est tellement difficile de dire tout le bien que je pense de ces trois lascars. Maman. Ca doit être ça. Maman. Ce drôle de sentiment, que de se sentir bien, dans un cocon d'amour, avec maman qui me chante de si jolies chansons. Des choses affreuses aussi, ces murder ballads qui font bien plus peur que le vilain Père Fouétard caché dans l'armoire. Mais tout ça, c'est la vie said the old folks, whch means that you never can tell, comme disait Chuck. Et qui viendrait me dire qu'on a pas besoin d'être un peu soudés, surtout ces derniers temps ? La folie Daech, Charlie, merde. T'es où mon pote ? Toi qui crache pas sur Led Zeppelin parce que c'est ringard et banane et tout ça ? Merde, j'en deviendrais rétrograde. Maman. Encore une chanson. S'il te plaît.

Alors oui, amateurs de grand frissons, adeptes de la drum'n'bass parce que ça fait style, des expérimentations de Brian Eno qui est allé vachement loin dans le concept minimaliste tu vois, et toi, oui toi qui a réussi à écouter Kurzweilen de Stockhausen jusqu'au bout ! Je te lance le grand défi : aller au fond des choses, en prendre plein la tronche, tout ça en écoutant ce vieux machin avec la chèvre qui bêle en grattant une guitare en bois. Ah c'est sûr c'est pas funky comme expérience, ça parle du Bon Dieu, c'est pas de la poésie façon Dylan sous amphétamines, c'est américain on-ne-peut-mieux-ni-plus, et c'est limite dangereux. Tu risques de pleurer ta mère. Et deux fois : y'a même pas Wildwood Flower ni Will The Circle Be Unbroken, sur la galette. Ta mère !

Maman.

Mother Maybelle.

C'est pas de l'acide à minets, ce truc. Merci mon Dieu.

Et merci Keith poir ta compile country qui m'a fait replonger...

Just Another Broken Heart

There'll Be Joy Joy Joy

samedi 24 octobre 2015

#164 : Dr John "Locked Down"

Ce bon vieux Docteur. Personne ici, ni ailleurs, pour le descendre en flèche. Il impose le respect, le vieux roublard. Il sent le gumbo par tous les pores, et vas-t-en pas lui chercher des noises, les pattes de poulet devant ta porte c'est jamais bon. Et puis on sait jamais.

Pour autant; je n'ai jamais rencontré personne se vantant de posséder sa discographie intégrale. Même pas sûr que le toubib ait été piraté. Non pas qu'il ait commis de mauvais album mais... comment dire... si j'étais mauvais, le Mac Rebennac je l'appellerait bien le Mac Rabachenac. Oui oui c'est sûr, je me crois sur parole, y'a rien de mauvais, jamais, toujours ce groove caractéristique de Bourbon Street, ces cuivres qui balancent, et puis qui oserait se plaindre d'une reprise de Jelly Roll Morton par ici, de Professor Longhair par là ? Oh personne, encore une fois, on sait jamais. Mais bon...

Identifiable au moindre coup de glotte, le Docteur fait partie des meubles. Seriez-vous du style à passer dans votre salon et rester scotché ? Waaah ! la putain de belle chaise que j'ai ! Top classe, je vais la prendre en photo ! Euh...

Bon, c'est sûr, le premier album était visqueux comme un okra trop cuit et redoutable car dangereux. Grooves salaces marécageux, cantiques vaudous qu'on ose pas écouter trop fort, parce que le Baron Samedi, à ce qu'il paraît, y'a pas intérêt à l'inviter à manger le jambalaya... Et puis In The Right Place, comme son titre l'indique... Et j'ai un faible aussi pour Duke Elegant, ses reprises funky de Duke Ellington (originaire d'où vous savez, il allait quand même pas reprendre Charlie Parker, hein !). Et puis un truc par ci-par là (j'ai même oublié le titre, mince...).

Alors vous pensez, ce Locked Down butiné au hasard, fallait vraiment que j'aie déjà téléchargé l'album en espagnol d'Abba pour que, lassé par le sommeil qui tarde, je clique sur le lien. Etant par ailleurs pas très au fait du truc, ce n'est que plus tard que j'ai appris que le skeud était produit par le gars des Black Keys, Dan Auerbach, c'est ça non ? Hype, donc.Et là je me suis senti doublement berné : et d'une, le disque était excellent, et de deux, j'avais cédé aux sirènes commerciales, les pires, celles que je déteste. Quand un jeune on à la mode fasse l'aumône à un Ancient pour le remettre sur le devant de la scène. Prenez l'autre perdreau du jour, Jack White, OK il avait fait un miracle avec Loretta Lynn, mais il n'a pas empêché la vieille Wanda Jackson de sonner comme un potiron plasmolysé au milieu d'un champ de blettes. Et puis, par chez nous en Phrance, la bernique hurlante, M, qui s'est cru, non mais oh, capable (et pire, a pensé qu'il lui était indispensable) de redorer l'image de notre Johnny national ! Et rappelez-vous de Lenny Kravitz, le Canada Dry recycleur de clichés Lennoniens, il a tenu combien, deux albums avant qu'on découvre la filouterie ?

Mais là, niqué le Jeepee. Tout cela est évidemment vintage à souhait, mais bon sang que c'est bon. On a presque l'impression parfois que le vieux Docteur aurait poussé jusqu'à Memphis faire chauffer la marmitte chez Stax. Je sais, vous allez me dire que tout cela n'est qu'un feu de paille. Mais non, ça fait plus d'un an que ça dure. J'ai même acheté l'album ! Si j'étais parano, enfin, si j'étais à la place du Docteur et parano, je me dirais que c'est peut-être volontairement que personne ne lui a dit, pendant toutes ces années, que ça serait peut-être bien qu'il change un peu de style, pour éviter de fâcher la concurrence, voyez-vous.

Et puis je me souviens maintenant que le Dan avait même réussi à me bluffer avec Lana Del Rey (et je revendique toujours, malgré les rires caustiques d'une bonne moitié de la blogosphère). Non, ce mec a du talent. Et j'aimais bien les Black Keys, même si le dernier album... bof bof. Il a eu du bol, le Docteur. Le Dan a dû choper le melon depuis, comme le Jack Stripe - pardon - White, qui produit tellement bien ses disques qu'il oublie d'en écrire de bonnes chansons.

Bien sûr, le livret du CD est pompeux (mais vous vous en fichez, je l'ai pas scanné) et raconte cette merveilleuse renaissance grâce à Dan Auerbach, qu'ils ont jammé à l'arrière d'un honky-tonk à cinq heures du mat' et que non non vraiment ça n'a rien d'un revival. C'est la magie les mecs, le mojo, tout ça. Ca fait un peu pub de la Mère Denis pour Ariel, et ça gâche un peu le truc, mais fallait bien expliquer un peu aux djeuns pourquoi un mec branché trainait avec un grabataire, sans doute.

Bref, un truc de fou. On sent l'arnaque à plein nez, un peu comme chez Fernand Raynaud, allo Tonton ? Pourquoi tu tousses ? C'est pas de la farine, c'est du sucre en poudre !!!

Peut-être, mais ça ressemble drôlement à du Brown Sugar, cette affaire. Alors, si pour vous  Dr John ça fait un bail, prenez un rail ! Big Shot !

You Lie ?

mardi 13 octobre 2015

#163 : Léo Ferré "Alors, Léo... (enregistrement public 1990)"

Je garde cet accord à la fin...
Alors, faites-moi plaisir, comme ça vous serez tout à fait avec moi...
Je m'en vais, je vous souhaite bonne nuit.
N'applaudissez pas à cette chanson mais... merci d'avance...

Ce sont là les derniers mots, concluant la dernière version d'Avec Le Temps du dernier concert enregistré par Léo Ferré au TLP Dejazet en 1990. Juste avant le silence définitif de l'Amer, le silence radio ayant été largement anticipé par des médias qui n'avaient que foutre des derniers balbutiements d'un anarchiste emmerdeur à l'aube de ces années 1990 dominées par les Boys Band.

Je m'en vais, je vous souhaite bonne nuit.

Et quelle nuit, puisque jamais le soleil ne s'en est remis, sans doute par respect pour l'artiste. Il n'y a plus rien. Ces choses n'ont plus cours. Un Pascal Nègre fanfaronnait déjà en ces années putrides, affirmant haut et fort, sans complexe, que Universal ne signerait pas un Jacques Brel de nos jours. Alors, Léo... pensez donc.

Un jusqu'au boutiste qui reviendra de tout, qui n'hésitera pas à s'accompagner sur scène de ses propres arrangements pour orchestre, sur bande magnétique sans doute faute de fric pour se payer le-dit orchestre, et qui sans concession sortira sa musique telle qu'il l'entendait, alors que, ma pauvre dame, on ne fait plus dans le symphonique, ça ne se vend pas. Sauf bien sûr, s'il s'agit de Jeane Manson reprenant les plus beaux arias avec l'orchestre de Moscou, mais c'est autre chose.

Que dire sur cet album ? Rien. Certains savent. Les autres, qu'ils passent leur chemin.

Ou plutôt si, et c'est là le but de ce billet : cet album est aujourd'hui introuvable, jamais réédité. Sans doute pour des raisons bassement vénales, liées à la joute judiciaire que se livrent Barclay et le fils de Léo ? Un manque flagrant d'intérêt commercial et de retour sur investissement ?  alors en attendant des jours meilleurs, le voici. Et j'en ai d'autres dans ma besace qui ont vécu le même sort : les concerts de 1988 au Dejazet, le live aux Francofolies, l'Opéra du Pauvre... Une honte.

Comme deux heure et demi de bonheur vous attendent, je ferai court. Je n'applaudirai pas, à sa demande. Je me tais. Je vous laisse la musique...


CD1

CD2


dimanche 11 octobre 2015

#162 : The Rolling Stones "I Gave You Diamonds You Gave Me Disease (The Exile Outtakes)"

Aujourd'hui tout est là. Comme si Big Brother avait changé de stratégie, face à ces petits humains qui tentaient de briser le barrage à grand coups de cuiller à pot. Le flot s'est déversé d'un seul coup sur une humanité aussi surprise que désorientée. Des grimoires alchimiques aux révélations de wikileaks, en passant par Candy Crush Saga, le deep web, Facebook, les réseaux terroristes et ce-dit blog, et tant d'autres bien sûr. Rechercher la clé du monde est possible, elle se trouve sans doute sur internet, telle une aiguille dans une botte de foin numérique.

Et il faut avouer que la stratégie de Big Brother est diablement efficace. Le rocker moyen en avait déjà largement fait les frais à grands coups de bonus tracks à l'heure du CD, puis des remasterisations quand tout fut édité, j'en passe et des meilleures. Pourtant, sommes-nous nombreux à les réécouter, ces bonus tracks ? Nettoyées à grands coups de Pro-Tools, ma pauv' dame, c'est fou ce qu'on peut faire avec l'informatique. Voyez (évitez d'écouter) l'album Love des Beatles, sur lequel le fils de George Martin s'est amusé à tout mélanger, ha ha, hi hi, que c'est drôle. Prout, répondit le coussin péteur, faut arrêter les conneries. Rééditer Sticky Fingers en double CD et ne même pas inclure la version live de Let It Rock réservée aux espagnols qui sous Franco ne devaient pas entendre parler de morphine, c'est quand même un comble, une idiotie, une gaffe, une honte, un gros doigt, quoi. Le problème n'étant pas de pouvoir se procurer le-dit morceau, mais le fait d'effacer d'un revers de manche un pan de l'histoire, alors même que c'est ce qu'on cherche à nous vendre.

L'histoire avait salement débuté avec la réédition d'Exile On Main Street fourguée avec un CD entier de morceaux inédits, craché/juré d'époque. Universal semblait donc pouvoir réécrire l'histoire, et, pourquoi pas, nous sortir un jour l'album inédit enregistré par les Stones au Maroc en 1969. Au hasard. Sauf que, dans les crédits de la pochette, en tout petit, on peut lire que Liza Fischer fait des choeurs sur plusieurs morceaux. Liza Fischer ! Elle n'avait jamais dû tailler une pipe en 1972, peut-être n'était-elle même pas née ? Elle a commencé à se faire mettre la main au cul par Jagger en 1995, à ma connaissance, et le lippu n'aime pas la chair flasque. Alors aux chiottes, le CD.

Car Exile On Main Street, bordel, c'est un disque capital. Un fourre-tout démentiel de se qui se passa sur la Côte d'Azur, à Nellcote, en 1972. Je le sais j'y étais. Enfin, pas loin, au camping Miramar à la Londe-les-Maures, mais quand même, je sais de quoi je parle. Deux disques bricolés à la va comme je te pousse, des bandes retravaillées à LA après l'épisode frenchy, desquelles on a tenté de récupérer des choses par ci par là. Mais il reste ces images mythiques de ce groupe de dingues sur la riviera, les défilés des dealers, les jams de minuit à six heures du matin, les histoires de cul, orchestrées par un Keith Richards maître des lieux mais pas du tout maître de soi. Et tout au long des deux galettes, ce bordel, ce paradis artificiel que devait être la Cave de la villa, transparaît à grosses gouttes, malgré les efforts désespérés de Glyn Johns et l'angoisse de Jagger d'en sortir quelque chose de présentable.

J'ai passé un été entier à maîtriser mes premières décharges hormonales, tenter de juguler les pustules adolescentes qui me voilaient la face, et surtout à écouter, allongé sur mon lit, Exile. Disque 1, Face A puis B puis Disque 2 dans le même ordre. Interdit de zapper pour arriver plus vite à tel ou tel morceau. C'était un excellent exercice pour tromper l'ennui profond d'un mois d'août en Alsace. Et de lire les crédits, là encore : se rendre compte qu'il y avait peut-être, à tout casser, trois ou quatre morceaux sur lesquels les Stones jouaient tous ensemble. Que Richards tenait la basse sur Happy, mais bordel, qu'est-ce qu'il foutait Bill Wyman ? En plus, le petit ami de ma soeur, qui habitait Nice, m'avait montré la fameuse villa. Vue de mes yeux vue, de loin, certes, mais avec mes sens exacerbés d'adolescent turgescent, il n'en fallait pas moins pour tout imaginer. Se retrouver avec les Stones dans la cave. Je peux vous dire que Let It Loose a été enregistré un dimanche en fin d'après-midi, par exemple. J'en suis sûr, je m'étais fabriqué l'histoire de A à Z.

Et je peux aussi vous dire que Jagger a flippé grave. Môssieur trainant dans les hauts lieux a vite redressé la barre avec un Goat's Head Soup bien léché. Exile On Main Street est l'adieu des Stones bordéliques et sincères, welcome to the Rolling Stones (c) Company, toutes ces histoires d'Altamont, de Brian Jones, de Gram Parsons, de coke party sur la Côte d'Azur, ça allait bien comme ça. Goat's Head Soup sortirait en 1973, l'année du choc pétrolier et du début de la crise. Celle qui nous amène aujourd'hui même là où nous sommes, Daech et compagnie, le fascisme prêt à mordre et j'en passe et des meilleures. En 1972, à Nellcote, les Stones sont partis en vrille dans une cave qui sentait le salpêtre, comme certains morceaux de l'album, d'ailleurs (Rip This Joint, Ventilator Blues...).

Est-ce que tout ça a vraiment existé, comme le bramerait Johnny sur la 7ème de Beethoven ? Ce putain de CD Bonus sur la réédition d'Exile m'a fait douter. Liberty Valence semblait me rire au nez du haut de son pur-sang.

Et bien oui. Et ce jour est le plus beau jour depuis bien longtemps, à vrai dire. Grâce à ce pauvre bootleg déniché en 30 secondes sur le net, disponible un quart d'heure plus tard sur la bécane, gravé sur un CD cinq minutes après et crachant son son pourri sur ma chaîne dans la minute qui suivit. Tout ça depuis le fond de la Martinique, messieurs dames. Sans même fouiner chez des disquaires obscurs de la capitale.

Avec le fier sentiment d'avoir niqué Big Brother, son aiguille, sa meule de foin et le FBI en passant.

Et de l'écouter, allongé dans la torpeur tropicale, de vibrer à chaque morceau, inédits, versions alternatives, instrumentales, parce que ce putain de jus de bonheur et de passion, il en reste encore. Une note folle de Bobby Keys sur un Sweet Virginia plus péchu que l'original, quelques notes d'un futur Tumbling Dice, sur un Good Time Women qui de facto passera à la trappe, un Let It Loose instrumental, dont on sent que Keith vient de trouver le riff et que les copains rajoutent le piment (aah cette section de cuivres, putaaaaain !), une version d'All Down The Line qu'on jurerait avoir été écrite dans les cinq minutes précédentes, jouée en pilotage automatique façon Brown Sugar, genre, ça on sait faire, alors on voit ce que donne la chanson et quoi, plein d'autres choses encore.

Et surtout ce son : correct, mais sans plus. sentant malgré iTunes la bande magnétique à plein nez, mixage déplorable au casque, bref, le genre de chose que Pro-Tools ne saura jamais faire, et qui m'assure que tout cela n'est pas un hoax. Tout cela a vraiment existé.

Le CD vient de se terminer sur un I'm Going Down d'anthologie. Je me lève, j'éteins l'ordi, je remets le disque.

Putain d'époque de merde.

Je retourne à Nellcote.

Let It Loose.