J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

samedi 5 novembre 2011

#73: Bob Dylan "The Rundown Rehearsal Tapes"

Chose promise, chose due. Syl, dans un commentaire, m'a demandé le coffret des 4CD de répétitions de la tournée de 1978, les voilà. Je pourrais m'arrêter là, parce que c'est une commande, et que je n'aurais pas forcément commandé ça, mais il y a quand même plein de choses à dire là-dessus. A cette époque, Dylan sortait de sa Rolling Thunder Review, grosse tournée US bohème, tentative (ratée) de rabibochage avec son épouse, Sara, avec le milieu folk (Joan Baez...), avec le milieu beatnick (Allen Ginsberg), le protest-song (le boxeur "Hurricane" Carter). A shooté des dizaines d'heures de rush pour son premier film, Renaldo & Clara, qui fera un four monumental. Je pense être une référence, certes anonyme, en matière de pathologie Zimmérienne, mais je ne suis jamais arrivé à le regarder jusqu'au bout, ni même pendant plus d'une demi-heure, tellement c'est... euh... particulier ?

La tournée de 1978, surnommée "Las Vegas Tour", drainera des millions de spectateurs à travers le monde. Dylan embarquera un orchestre d'une dizaine de musiciens, voire plus, sax, mandoline, trompette et orgues à tous les étages, sans compter les choristes. Proposera des arrangements parfois douteux :la version reggae de Don't Think Twice It's All Right sur le live At Budokan (et ici répétée) est encore dans toutes les mémoires. Justement, tiens, on ne retient de cette tournée que les premiers concerts aseptisés au Japon, parce qu'officiellement commercialisés. C'est oublier le feu de dieu qu'il a mis dans notre capitale, à Nuremberg ("je suis particulièrement fier de la chanter ici, celle-là" dira-t-il avant de balancer Masters Of War dans un lieu lourd d'histoire et d'horreurs) et ailleurs. C'est oublier le message que l'histoire retiendra peut-être : Dylan, l'homme, a chié sa vie personnelle, a tout perdu, mais il reste l'animal de cirque, vous en vouliez, en voilà. Quand ça va mal, on met la musique très fort, parfois. Ces concerts en témoignent. La version boursoufflée et récurrente d'It's Alright Ma (I'm Only Bleeding) par exemple, mais surtout ces choeurs gospel qui annoncent/préfigurent la fuite en avant dans la religion qui va suivre. Sur les derniers concerts, Dylan arborera fièrement un pendentif orné d'une croix sans équivoque, essaiera Slow Train en soundcheck et déjà balancera une fois Do Right To Me Baby (Do Unto Others)...

Mis ce n'est pas de ça qu'on parle ici. On parle des répétitions de ce cirque, au mois de janvier 1978, dans les studios Rundown de Los Angeles. Toujours prêt, tel Chuck Berry, à embaucher des musiciens et techniciens au rabais, trop contents de jouer avec lui, il n'est pas étonnant qu'un ingénieur du son véreux ait proposé les bandes à la mafia du disque pirate. Et tant mieux pour nous.

4CD donc, remplis jusqu'à l'os à moelle de répètes de ce qui sera son répertoire pour la tournée à suivre. Un son souvent excellent, parfois juste moyen (mais le contenu excuse alors l'entorse à la qualité, comme cette dernière répète de Coming From The Heart, toujours inédit à ma connaissance). On navigue entre le convenu (Maggie's Farm, Ballad Of A Thin Man, Forever Young...) souvent interprété avec grandiloquence, et les trésors, ça et là. Un You're A Big Girl Now flirtant bon du côté d'un Stormy Monday jazzy, un Girl Of The North Country déjà gospel, un très rare et sublime Tomorrow Is A Long Time, et j'en passe et j'en oublie sans doute (The Man In Me, au hasard). On assiste à des ratages sans appel (la version variétoche de If You See Her, Say Hello, ah là non ! on peut pas faire ce qu'on veut avec celle-là ! Idem la version sirupeuse de You're Gonna Make Me Lonesome When You Go...).

4 CD de répètes, une sorte de Graal programmé... Dylan dans l'intimité d'un studio, le rêve ?

Oui et non. Ceux d'entre vous qui ont déjà joué dans un groupe le savent bien. Une répète, ça sert à caler les morceaux. Peut importe si on ne brille pas. On vérifie juste que tout est d'équerre avant le grand saut (et là, il semble qu'il y ait encore un peu de travail...). Mais bon, parfois aussi, sans le stress de la prestation, il se passe des choses grandioses et non reproductibles. C'est le cas ici, aussi. Un Repossession Blues balancé pour rire, pour détendre l'atmosphère. Un My Babe, idem, et un Just Like A Woman qui vient de me faire frissonner, comme cette version très soul d'I'll Be Your Baby Tonight, initialement country comme pas deux. Et puis, l'impression d'y être. De l'avoir vécu. D'être passé de l'autre côté du miroir. D'avoir volé un moment de l'artiste, qu'on garde jalousement de côté, pour y revenir, gratter, chercher l'os planqué au fond du jardin, pour plein de bonnes et de mauvaises raisons. Quand on en a marre des produits léchés pré-digérés qu'on nous propose à la consommation. Quand on a envie d'en connaître un peu plus que le voisin, qu'on se sent, dans ces moments délicieux et rares, un être privilégié. Qui savoure les dessous de l'Histoire.

Des gens comme Greil Marcus sont capables d'écrire un bouquin sur un truc comme ça. Des gens comme moi sont capables de les lire. Justement, à l'heure ou j'écris ça, traînent à côté de moi les 11CD fraîchement retrouvés de tout ce qu'on a pu récupérer des Basement Tapes, que je re-dépiote avec passion. A côté de ça, le pseudo-Smile des Beach Boys est une bien piètre affaire, non ? Ne me demandez pas de les poster, je n'en ai pas la force, pas le temps.

J'attire donc votre attention sur le fait que ce post s'adresse aux connaisseurs, aux tarés, aux passionnés. Le commun des mortels n'y trouvera pas pitance suffisante, contrairement aux deux concerts postés précédemment.

Comme d'hab', pour les pirates de Dylan, un petit tour chez Bobsboots s'impose.

Et puis y'a plus qu'à venir picorer les quatre volumes :

Rundown Rehearsals volume 1

Rundown Rehearsals volume 2

Rundown Rehearsals volume 3

Rundown Rehearsals volume 4

13 commentaires:

  1. Hier, j'ai écouté ton premier live, excellent, je pensais me mettre à jour et voilà qu'un coffret tombe! Ah, que la vie est dure!
    Jimmy
    P.S. : merci pour la passion.

    RépondreSupprimer
  2. Rien à ajouter au commentaire de Jimmy.
    Merci pour ce superbe cadeau qui va m'aider à passer avec intérêt et passion ce dimanche plus qu'inondé sur la Côte.

    RépondreSupprimer
  3. Après une écoute rapide du premier volume, je dois préciser que je suis très étonné de la qualité sonore de ces plages.
    Certaines sont bien du style "work in progress", d'autres auraient pu avantageusement figurer dans les "Bootleg series" officielles.

    RépondreSupprimer
  4. Eh bien me voilà bien content si ce coffret vous plaît. Ca n'est pas celui que j'aurais choisi spontanément, comme dit, et ça me rassure donc, ce qui reste à venir (pas tous les jours, hein, ça prend un temps fou et j'ai envie de poster d'autres trucs aussi) devrait en toute logique vous émerveiller d'avantage encore : au hasard, les répètes de la tournée "Rolling Thunder Reviex", les répètes avec le Grateful Dead (majestueuses), les concerts de 97 au son (et à la pêche) prodigieux, et tant d'autres merveilles, à mon humble avis.

    Merci, en tout cas, pour vos encouragements

    RépondreSupprimer
  5. Oh si, please, poste nous les Basement Tapes !

    L'"Avignon" était du tonnerre, vraiment !

    Merci pour nous !

    Odilon

    RépondreSupprimer
  6. Merci pour ce précieux post et pour tes commentaires; toujours riches, instructifs et passionnés !!!

    RépondreSupprimer
  7. Oh ben alors, si chacun émet ses désidérata, le Dead a toujours été MON groupe préféré. Par conséquent, quand le coeur t'en dira... surtout que cela fait déjà deux fois que tu cites ces plages en quelques jours. Ceci dit, je suis quelqu'un de patient (un des avantages en vieillissant, c'est qu'on apprend à relativiser, et j'ai paradoxalement l'impression d'avoir plus de temps devant moi - peut-être parce que, en réaction au raccourcissement inévitable de la vie, je compense en prioritisant les choses et en ne conservant que ce qui est important à mon sens)...
    Hum! Pas très claire, mon explication (en plus, mâtinée d'un jargon de dispatcher)...

    RépondreSupprimer
  8. Sincèrement, j'adore Dylan, mais j'ai envie que tu postes autre chose, comme tu le dis toi-même ; personnellement, un Zim par semaine ça me semblerait magnifiquement suffisant!
    Jimmy

    RépondreSupprimer
  9. @anonyme : non mais ?!!! Onze CD d'un coup ? Faudra attendre Noël... qui sait... pourquoi pas... mais c'est un truc de maniaque, je te préviens...

    @psegpp : bon, d'accord, je vais essayer de retrouver ça... ça me fera trop plaisir de replonger dedans...

    RépondreSupprimer
  10. @psegpp : en attendant, va faire un tour ici : http://bigozine2.com/roio/?p=868

    @Jimmy : t'inquiètes... mais comme je manque un peu d'inspiration, je revisite la cave, c'est tout...

    RépondreSupprimer
  11. J'y suis allé... J'y suis resté... Heureusement que les proxy de mon réseau professionnels m'interdisent un certain nombre de protocoles, de sites, et d'outils... sinon je n'aurais pas beaucoup bossé aujourd'hui. Et les Free spots de mon quartier ne me permettent pas tout non plus. Bref! La nuit va être longue...

    RépondreSupprimer
  12. Ces bandes sont de véritables trésors, ça donne très très envie d'écouter les répètes avec le Dead... Dylan ou l'art de se réinventer à chaque instant... Chaque version est unique. Autre pépite surnaturelle, 3 titres avec orchestre symphonique au Japon en 1994... À pleurer de bonheur...
    Vu à la Tv mais jamais trouvé en bootleg. Défi ?

    RépondreSupprimer
  13. @Anonyme : Défi ? Non... c'est même sorti chez Columbia sur un CD Single de l'époque, si ma mémoire est bonne. Donc j'ai. Mais le temps me manque. Un jour, sans doute.

    RépondreSupprimer