J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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jeudi 24 novembre 2011

#92: Christy Moore "Whatever Tickles Your Fancy"

Christy Moore est une sommité, une montagne, un roc. Barde officiel de la ballade irlandaise, c'est un monstre d'intégrité qui n'a jamais hésité à partir au front quand les conditions lui dictaient l'action (les sombres années Thatcher, Bobby Sands, tout ça). Voilà qui devrait faire réfléchir plein de petits rockers/chanteurs glapissant des protestations histoire de dire qu'ils sont révoltés et de repartir avec le pactole.

Christy Moore a été LE passeur, dans ces lointaines années 1970, naviguant entre folk pur et soyeux avec Planxty et chansons plus austères, à l'accompagnement minimal (un grand adepte de Woody Guthrie, ça n'étonnera personne), en passant par le rock version euh... fusion/jazz/world (? no se ?) avec Moving Hearts. Quitte à ne pas se mettre en avant, quitte à tambouriner du bodhran pendant que des Donal Lunny, Andy Irvine, Davy Spillane et autres Liam O'Flynn menaient la danse.

Christy Moore est toujours, plus qu'un interprète, une voix terrible de douceur et de peine mêlées, capable de transformer un navet en sonate, par la simple grâce de sa spontanéité et de son talent.

Et Christy Moore, jusqu'à ce jour, n'a pas eu droit au chapitre sur ce blog, si ce n'est indirectement, via un post du (merveilleux) live de Planxty d'il y a trois mois. Et c'est peut-être ça le plus fou.

Pour autant, quel album choisir ? L'homme s'est parfois fourvoyé dans des arrangements cédant à une modernité discutable (ouh, ces synthés FM qui lui ont pourri bien des albums, malgré leur discrétion), mais s'est souvent élevé tellement haut qu'il est cornélien de choisir.

Alors j'ai choisi cet album de 1975, un peu atypique mais tellement clinquant : Ici, c'est le concept de la face acoustique (plutôt fréquent chez lui) et de la face électrique (cas presque unique dans sa discographie puisque lorgnant vers le classic rock, voire le folk électrifié façon Alan Stivell de l'époque). Et puis la pochette est superbe, et puis...

...Il y a January Man. Vous savez, ces chansons qu'on entend une fois et qui paraissent éternelles, celles dont on dit pendant les 4'35 qu'elles durent qu'elles sont la plus belle chanson jamais écrite (et surtout jamais chantée). Un texte d'une poésie rare (la vie d'un homme en une année, ne riez pas, c'est beau et juste à rêver), une mélodie renvoyant Nick Drake au pupitre de clarinettiste de la fanfare de Stratford-upon-Avon, un arrangement délicatement désuet façon seventies, là encore, tout, mais vraiment tout y est. January Man... Non, j'arrête, savez-vous que j'en pleurerais, de celle-là ? Tout le reste de la face acoustique est un bien bel écrin pour ce chef-d'oeuvre. L'homme sait garder l'attention de l'auditeur a cappella avec son bodhran, rappelle (déjà, en 1975), le racisme ordinaire envers les tinkers, ces gitans irlandais partis errer sur les routes lors de la grande famine, dans une protest-song largement digne d'un Dylan (The Moving-On-Song), et le doucement coquin Bunch Of Thyme, qu'on imagine chantée à l'époque élisabéthaine aux petites filles pour se méfier des méchants bellâtres, merveilleux.

La face électrique déboule avec la renversante histoire d'un Tim Evans pendu par erreur (The Ballad Of Tim Evans), qu'on aurait pu rêver reprise par un Rory Gallagher, au hasard. Hargneuse et électrique en diable, pâtinée du son de l'époque, ça envoie. Jamais on ne l'entendra plus s'énerver ainsi. Who Put The Blood et Van Diemen's Land (oui, comme U Truc) sont majestueuses de langueur et de retenue, et le  Trip To Roscoff prend majestueusement One Last Cold Kiss, pas loin d'égaler January Man, par surprise. Si vous poussez un aah ou un ooh à ce moment précis, c'est tout à fait normal. An Dro Nevez, comme disait l'autre. D'après le Daily Mirror, Mike Scott aurait fait pipi dans sa culotte en l'entendant. Malheureusement, le son est un peu pourri sur celle-là. Ca a du sortir une seule fois chez Polydor, en Irlande uniquement*, et ça n'a jamais été remasterisé, l'ingé son ayant sans doute laissé le compresseur à fond à l'époque, parti boire une Guinness pendant ce temps. On ne rappellera jamais assez les dangers de l'alcool

Et on ne rappellera jamais assez que le talent de Christy Moore aurait dû, dans un monde parfait, dépasser largement les falaises de Moher et les pubs de Dublin.

Si celui-ci ne vous convainc pas, oubliez Christy Moore. Vous ne seriez pas le premier.

Go ! Move ! Shift !

*(NDLR : en fait, il semblerait qu'il soit sorti en CD, couplé à son Black Album, sur un obscur label Australien, si l'on en croit Amazon. Christy Moore franchit donc les frontières, mais ne semble à l'aise que sur une île...)

11 commentaires:

  1. J'avoue ne pas connaître et pars donc à la découverte. Merci pour le partage.
    Jimmy

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  2. Si c' est aussi bon que "Planxty"
    Je crois que je vais adorer
    Merci

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  3. Je regrette de manquer de temps, je commence à louper pas mal de truc chez toi.... Et le Week End qui s'annonce, avec les échanges entre blogueur ne va rien arranger.... ha ha ha (Tiens, il y a comme un écho)

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  4. Pour "January Man" et ce que tu en as dit même si l'attaque du fragile Nick Drake est un coup vicieux pour nous inciter, et ça marche: Quel est ce titre qui lui permet de dire ça? Attention à l'effet boomerang... ;-)

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  5. Revenu dire que ce titre est effectivement touchant et après plusieurs écoutes je veux bien croire à ce qu'il bascule en ritournelle indispensable.
    MAIS il y a un MAIS
    Ce que Nick Drake a en plus, c'est la fragilité dans le chant. A l'écoute d'un M. Moore, tout tranquille qu'il semble être, je pense qu'un souffle ne suffirait pas à le déstabiliser. Alors que M. Drake, c'est lors d'un concert qu'une fenêtre ouverte a provoqué le courant d'air qui devait l'emporter ... Nous ne l'avons plus jamais retrouvé...

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  6. Hello Jeepeedee,
    Je viens de poster la récap avec les participants au jeu...
    Jimmy

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  7. Hi Jeepeedee :)

    Thanks pour cet album du barde républicain irlandais. Pour ceux qui en veulent un peu plus, j'ai posté, il y a 15 jours, son dernier album
    C'est ici:
    http://laspikedelycmusic.bloguez.com/laspikedelycmusic/3241970/Christy-Moore-Folk-Tale-2011-320

    Perso, je ne me hasarderai pas à comparer Nick Drake et Christy Moore... Ca me semble tout de même deux auteurs très différents.
    Bon courage pour votre "Semaine folle"

    Lyc

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  8. @tous : j'aime bien ce genre de débats : bien sûr que Nick Drake est fragile comme une plume, Christy Moore fort comme un roc. Je trouve ça marrant, de glisser quelques phrases qui ont, au moins, le mérite de vous pousser à réagir. J'ai, quand même, le droit de dire que je préfère Christy Moore à Nick Drake, mardi à mercredi, et les Beatles aux flageolets, non ? C'est mon blog, après tout. Comme dirait Lyc, mouarf !

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  9. "et les Beatles aux flageolets"

    Non, non, hurlent les saucisses

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  10. @devantf : je n'ai jamais comparé les Beatles à des saucisses ! Tiendrais-tu à entretenir la polémique ? Hi hi hi...

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  11. Youhou!

    "et les Beatles aux flageolets"

    Oups, gaffe à l'effet de serre, Eva Joly va demander la suppression de ce blog!

    J'adore les Paul (Simon, au hasard) & Mike (Jagger, au hasard aussi)
    Mouarf!

    Lyc

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