J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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jeudi 29 décembre 2011

#105: Brad Mehldau "Songs"

Bien sûr, ça commence avec Song-Song, et ce morceau-là est d'une beauté et d'une efficacité sans failles... Suite d'accords cafardeux, dans les médiums, et vers 1'39, tout s'éclaire d'un seul coup... J'ai la faiblesse de penser que, rien qu'avec ce coup-là, Brad Mehldau avait gagné tout ses galons, et pouvait tout se permettre. Jeune, et pourtant jazzman... quel gâchis ? Un gimmick qui tue pourtant : Brad Mehldau reprend du Nick Drake et du Radiohead (du temps ou Radiohead composait des chansons, bien sûr). Et voilà de quoi faire monter la hype, et faire marcher le syndrome de la tarte aux pommes.

Vous ne connaissez pas le syndrome de la tarte aux pommes ? Sans le savoir, vous faites vous-même appel à cette technique de communication sans faille. Le syndrome de la tarte aux pommes s'exprime ainsi : "Autant j'aime pas les tartes aux pommes, autant, une bonne tarte aux pommes...". Tout est dit. Et là, on pourrait se l'adapter facile : Autant j'aime pas le jazz, mais autant un disque de jazz comme celui-là... Ou encore, autant je trouve que Radiohead, c'est surfait, autant, repris par Brad Mehldau, on savoure toute l'intelligence du morceau...

Bla bla bla.

Ce disque m'interroge. Bien sûr que la reprise de River Man est d'une rare beauté.  Mais qu'apporte-t-elle à l'originale ? Si ce n'est de se rappeler que Nick Drake chantait ses chansons comme de long chorus passionnés sur des harmonies blafardes.

Alors quoi ? S'agit-il de jazz, ici ? J'en sais rien, trop peu éduqué dans ce domaine. Mais ce qui me gêne, c'est quand même la relative absence de prise de risques. Tout ici retombe sur ses pieds en une moyenne de 4'35. Vous me direz que chez Duke Ellington aussi, on faisait dans l'efficace, le truc qui tue. Mais voilà, je suis en train de lire la bio de Monk par Laurent de Wilde, essayant par là de trouver un fil, un truc, me permettant d'accrocher à sa musique (celle de Monk, pas de Laurent de Wilde). C'est rempli de sang, de sueur et de larmes, sa vie, et même si j'ai du mal à accrocher à tout, ça me semble riche et aventureux. Ici, on est plus dans le Guide Michelin me semble-t-il. Non ? Ce côté un peu éthéré casse-pieds à la ECM (aïe, je vais me faire tirer dessus, là) ?

Ce post est donc l'objet d'une grande question : voilà un album quand même magnifique, bien ficelé, bien produit, qui a ravi des milliers de paires d'oreilles, notamment celles bien lavées des Inrockuptibles, et je ne sais trop qu'en penser. Qu'est-ce qu'on fait quand le disque est fini ? On se retrouve devant un verre vide avec trois cacahuètes dans l'assiette, et on n'a pas l'impression d'avoir voyagé très loin. Et pourtant, ceci est pompeusement sous-titré The Art Of Trio, volume 3 (extrait d'un coffret qui vient de sortir, et dont le reste m'emballe peu). Un peu plus tard, il se permettra un Elegiac Cycle, au piano solo, qui me fait penser à du Keith Jarrett sans trop d'inspiration. Me trompé-je ?

Ce post est donc en forme de poire, en guise de question. Un appel à commentaires. Je sais que l'album devrait plaire à certains d'entre vous, mais je vous le livre ici comme on montre un dépliant, une photo. Voilà, j'aime bien ces paysages, mais comment on fait pour y aller vraiment ?

Amis jazzmen, j'attends dans vos commentaires des liens qui mettraient la pâtée à ce Brad Mehldau dont, définitivement, je ne sais que penser... C'est magnifique, très très beau, mais voilà... ce côté Center Park...

Et qui me permettraient de vraiment voyager. Pas d'admirer la qualité des bas-médium des enceintes de  ma chaîne hi-fi.

The Art Of The Trio ?

10 commentaires:

  1. Pour moi, BM est un excellent interprète, mais il manque sérieusement d'originalité. En cette saison de ripaille et de cuisine un peu plus recherchée et surtout arrosée de crus que l'on ne peut s'offrir trop souvent, BM me fait penser à un bon "glup"... de la saveur et des odeurs au moment où il traverse le gosier, et tout de suite après plus rien, pas même un soupçon d'arrière goût.

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  2. Je vais reposter un de ces quatre le BILL EVANS YOU MUST BELIEVE IN SPRING
    Rien que pour raconter mon histoire, c'est mon premier VRAI disque de Jazz, je ne compte pas le plaisir d'écoute que j'ai eu pour ELLA, BILLIE ou LOUIS... Un pote a qui je parlai de ma difficulté à me passer de chanteur, m'a dit.. Toi, il te faut BILL EVANS, quand il joue du piano, c'est un chant que tu enetnds.
    Encore une posture astuce de futur blogueur que je me disais... Mais en fait... A suivre
    Pour le Brad, je devrai me replonger dans un bon album du monsieur: "Art Of The Trio"
    A suivre disais je

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  3. Hi Jeepee,

    Le Brad me souviens l'avoir vu et entendu il y a une dizaine d'années au Parc Floral. Il avait pas trop d'héro dans les veines ce jour là et ça jouait pas mal. Bon voilà ok.. Par contre l'année suivante la claque monstrueuse avec Ahmad Jamal en trio lui aussi. L'osmose parfaite entre les musiciens, l'état de grâce pendant deux plombes. La vraie émotion. Ceci étant je suis quand m^me intéressé par ton post et t'en remercie. Le BM je vais prendre le temps (c'est l'occasion ou jamais) de l'écouter. Mais je pense qu'après je reviendrai à mes premières amours et pour n'en citer que certaines : l'immense Bud Powel, le magnifique Bill Evans, le maudit Sonny Clark, l'injustement incompris Phineas Newborn, le très monkien Thelonious et enfin le jeunot Stephen Scott dont il faudrait un jour que je vous balance un lien de son superbe Aminah's Dream. Ah J'allais oublier Wynton Kelly et Horace Silver et ... STOP ! Oui mais Brad dans tout ça ?

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  4. Hello Jeepeedee,
    Un mot sur ECM (forcément!):ce label est la folie d'un homme, Manfred Eicher, qui a su créer une esthétique unique et si elle peut en rebuter certains par son côté un peu glaciale, elle ressemble quand même à une vision et tout le monde n'est pas capable d'offrir un ensemble aussi éclectique tout en respectant "une ligne de conduite"...
    Brad Mehldau, c'est une autre affaire (même s'il a collaboré avec Charles llyod pour ce label), difficile à résumer en quelques mots, un jeu extrêmement limpide qui réclame pourtant de nombreuses écoutes si on ne veut pas rester à la surface. Bien que très différent du jeu de Monk, Mehldau excelle, lui aussi, dans ce que j’appellerai : "les sous couches" et il faut ouvrir bien grandes ses oreilles pour découvrir tout ce qu'il dissimule sous une première couche très brillante. (Personnellement, j'ai un petit faible pour "Largo".)
    Jimmy

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  5. D'accord avec Jimmy sur ECM, sauf sur un point. Cette musique n'est pas toujours glaciale, ou intellectuelle, ou bêtement normée. Par ex., écoutez le Dave Holland Big Band sur l'album "What goes around" ou ce qu'a fait Lester Bowie avec son Brass Fantasy. On a trop tendance à réduire ECM au son Garbarek ou à des "musiques" particulières (pour ne pas dire des sons) du genre Meredith Monk.

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  6. @ Jeepeedee,
    Merci pour le Mehldau ( j'avais déja écouté plusieurs de ses compositions mais était resté sur une impression mitigée : grand musicien ou faiseur ?? en fin de compte je m'aperçois que je le connais assez peu !)et pour ton post en forme d'appel à l'aide à "spécialistes es jazz" .

    @Jimmy,
    Ton explication sur le jeu "en sous-couches" et ta comparaison avec celui du Monk m'interpelle fort!
    J'y retourne en ouvrant bien mes oreilles....

    Concernant ECM, globalement d'accord avec toi :
    sûr c'est une musique que je trouve quelquefois lisse et "froide" mais il faut rendre à Eicher ce qui appartient à Eicher, à savoir de ne jamais avoir dévié dans sa démarche intellectuelle, artistique et musicale.
    Et personnellement, je lui suis reconnaissant de m'avoir fait découvrir Egberto Gismonti...période ECM d'abord puis en remontant le temps période Brazil avec l'Academia de Danças
    Bien à vous
    Echiré79

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  7. Hooo... vous allez pas quand même faire un flan sur ECM, si ? Parfois, on dirait des vierges effarouchées... Je suis comme ça, je lance parfois des trucs, et la mayonnaise monte... Désolé... Merci 1000x à ECM pour avoir signé Carla Bley, au hasard... Et tiens, voilà même un lien fait maison vers un Jan Garbarek glacial qui plus est, puisqu'il s'agit de chansons traditionnelles norvégiennes, une bien belle omelette, qui renvoie Dead Can Dance au boeuf à la menthe, rien que pour vous montrer que j'ai rien contre le bon Mannfred. Mais venez pas vous plaindre si le spleen vous envahit...

    https://rapidshare.com/files/2306327047/ABGJGR.zip

    Eh oui, j'en poste même dans les commentaires, des disques... Sais pas trop quoi en dire de celui-là, sauf que je l'aime bien, alors...

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  8. He Jimmy,

    Pas question d'en faire un flan......d'autant qu'avec la mayonnaise que tu as fait monter + l'omelette norvégienne proposée , je crains l'indigestion!
    Merci bien pour le Barbarek....promis on se plaindra pas d'un éventuel spleen

    AH LA LA MERCI aussi pour le Steve Reich que je viens d'apercevoir.
    Sur ce, il faut que je rappele le Père Noêl pour lui dire qu'il a oublié de me livrer un disque dur supplementaire
    Bien à toi
    Echiré79

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  9. Je trouve que tu exagères! Personne ne m'a semblé faire la vierge effarouchée ou donner dans le flan avec ECM. Au contraire, j'ai été surpris par le calme de chacun...
    Jimmy

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  10. Si les autres volumes t'intéressent (il y en a sept au total):
    http://jasapaal.blogspot.com/2012/01/brad-mehldau-art-of-trio-recordings.html

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