J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

vendredi 30 décembre 2011

#106: Steve Reich : Phases - A Nonesuch Retrospective

A l'heure où j'écris ces lignes, je me flagelle tel Silas dans le Da Vinci Code. Poster ce pavé, alors qu'on le trouve à 25 euros dans toutes les FNAC de Navarre, et que le compositeur de ces oeuvres vit modestement dans un appartement New-Yorkais alors qu'un Brian Eno vit allègrement sur le matelas de dollars sans cesse engrossé par le dernier U2 et le prochain Coldplay entre deux albums censés vanter son génie underground, ça me pose question.

Alors je me dis que si j'ai pu faire connaître Steve Reich à trois personnes grâce à ce post, trois personnes qui seraient passées à côté du coffret en cherchant les rééditions de Pink Floyd à la FNAC, ça vaut son pesant de cacahuètes. Et personne n'est volé. Sauf Pink Floyd, peut-être, puisque pour le Noël prochain ces gens-là auront l'idée de mettre ça sous le sapin plutôt que Dark Side Of The Moon. Alors, let's go.

Si je poste ce gros calibre (plus de 800 mégas, de la patience il faudra pour télécharger la chose - et d'avantage encore pour l'écouter dans son intégralité) un 30 décembre, ça n'est pas tout à fait un hasard. Je l'ai moi-même acheté un 31 décembre, et l'ai écouté un 1er janvier au réveil. Etait-ce l'aspirine, les abus de la veille ou la musique et le tout qui m'ont à jamais vrillé la tête ?

Et puis, c'est la période des étrennes, et, me semble-t-il, en voilà une bien jolie. Incapable de rivaliser avec l'intégrale de Nino Ferrer postée par Jimmy, mais quand même, si, un peu. D'abord, parce que de rivalité il n'est pas question chez les Mangeurs de Disques, ensuite, parce que, si jamais, vous êtes esseulé(e) le soir du Nouvel An, Nino Ferrer ça rend triste. Comme James Brown, les Stones ou autres. Vous allez danser dans votre salon, tout(e) seul(e), avec toutes ces chansons qui appellent le groove, les potes, tout ça ? Misère. Profitez plutôt de cette solitude pour tenter une expérience qu'on ne peut que difficilement partager. Jouissez du fait qu'aucun journaliste inrockuptible ne soit là pour vous faire l'article, et lancez la musique. Je vous conseille fortement, car le coffret est très bien fait, de commencer par le 1er CD. Drumming, qui finit le 5ème, est un peu trop barré pour s'y plonger direct. Dans un sauna, la douche glaciale ne profite que si l'on a goûté à la sueur de la vapeur à 50 degrés auparavant... Vous serez accompagné dans votre voyage par des gens pas manchots. Pat Metheny, le Kronos Quartet, entre autres, ça va bien se passer. Un voyage qui vous mènera droit vers les frissons que seul votre cerveau reptilien pourra aborder avec sérénité, grâce, et remerciements.

Car il s'agit ici de musique qualifiée de répétitive, terme barbare imaginé par des intellectuels trop avares pour partager leur bonheur. Mais dont tout un chacun - qui ait jamais tapé du pied à l'écoute d'un Donna Summer - se souvient vaguement. On est donc bien loin d'un oratorio de Bach, d'un morceau de Chuck Berry ou d'un live de Zappa où cinquante idées fusent à chaque minute. Ici, on laisse le temps au temps. Au derviche de tourner. Commencez par Music for 18 Musicians. La même pique-note de piano vous accompagnera pendant une bonne heure. Un peu comme dans In C, de Terry Riley (à qui Fripp et Eno ont piqué l'idée des Frippertronics, soit-dit en passant, et qu'il faut que je poste, en 2012, dans la version majestueuse du Kronos Quartet). Tout bouge doucement. Très doucement. A peine. Un peu. Rappelant ainsi que la répétition fait la transe. Bref, un truc de fou, capable de rendre des fans de Yes adeptes de la techno en une heure à peine. Si, si... on ferme les yeux... on écoute... Après ça, vous êtes prêts pour le boum-boum. Et pour Vivaldi. Deux pour le prix d'un. Cette musique rappelle l'importance du temps, du rythme, et vous transforme en moins de temps qu'un psy vous prendrait pour découvrir l'amour que vous portiez à votre maman et cette envie de tuer votre papa qui fait que vous avez, un jour, volé des Carambar à la supérette du coin. Enfin, je dis ça...

Et puis Steve Reich, c'est quelqu'un. Un vieux gars avec une casquette sur le front, qui a tenté d'exorciser le nazisme auquel il a survécu (Steve Reich, en plus, rien que le nom, pas facile...), et qui non content d'explorer le temps dans ses variations les plus intimes (Music For Mallet Instruments, Drumming, au hasard....) y mêle un côté protest à tomber de respect. Different Trains, sur la base du tagactatoum bien connu de ceux qui ont expérimenté les Corails avant le TGV, ose le parallèle entre ceux qui traversaient les States vers toujours plus de croissance et ceux qui menaient à Auschwitz... Une grosse, grosse, énorme claque. Le Dylan de la  musique dite savante, ou d'autres termes bien choisis de façon à ce que cela paraisse trop hermétique pour vous (la bonne blague), pas moins. L'émotion en plus. Et Steve Reich continue aujourd'hui encore de se faire tacler. On s'est indigné de la pochette de son dernier album, axé sur les événements du 11 septembre (on voyait trop bien les avions). Il l'a modifiée, bonne pâte. Humble et rieur devant la connerie des gens.

Et devant la cupidité de tant d'autres qui en écoutant ça, n'ont pu qu'inventer l'electro, frimer devant des journalistes face à à l'inventivité de de leur Grand Oeuvre, alors que la partition était déjà, depuis longtemps, écrite dans un modeste loft de New York, dans un quasi-anonymat... Mais qu'importe. Quand je vais acheter des clopes au tabac du coin, je croise ce vieux harki qui se fait systématiquement traiter de bougnoule par les autres clients (je ne serai pas vulgaire, aujourd'hui), mais qui partagent bien volontiers un p'tit blanc avec lui. C'est le prix qu'il paie pour avoir eu une vie à peu près tranquille. On devrait s'en révolter. Une bonne résolution pour 2012 ?

Alors, ne me parlez pas de David Bowie, David Byrne, Brian Eno, Aphex Twin, Justice, Daft Punk ou je-ne-sais-qui et bien d'autres après ça. Tout est là. Cela n'enlève rien à la qualité des disques qu'ils ont pu produire, mais ça laisse comme un blanc quant à ce qui leur a permis d'en arriver là. Autant l'influence d'un Dylan, même si l'on ne supporte pas sa voix de canard alcoolisé, est communément admise, autant, modestement, me semble-t-il, Steve Reich reste un peu trop dans l'ombre et mériterait une bien plus large audience, et, surtout, une majestueuse reconnaissance. Y compris de la part d'un Philip Glass.

Ouvrez la boîte de Pandore, vos oreilles n'en reviendront pas. Ca n'enlèvera pas un décibel de talent à Pink Floyd, un dollar à Brian Eno, mais ça peut vous ouvrir les portes de la perception, bien plus largement qu'un album des Doors, surtout après un milliard d'écoutes d'une de leurs oeuvres hypnotiques façon When The Music's Over, quand le plaisir s'émousse, si, comme moi, vous avez fondu sur ce truc-là dans votre prime jeunesse tant et tant de fois. Des choses incroyables peuvent se produire avec Steve Reich. Soyez l'Indiana Jones du retour aux sources de tout ce que le rock "intello" (Talking Heads, tout ça...) a pu produire ces trente dernières années. Vous n'en reviendrez pas indemne.

Tout est là, ou presque.

Presque, à peine. Et c'est ça qui est bien.

7 commentaires:

  1. Je ne sais pas ce que je vais découvrir dans cette rétrospective. J'ai déjà acheté un certain nombre d'opus du bonhomme. Excellente idée que d'essayer de le faire connaitre. Arte avait passé un superbe documentaire sur lui il y a quelque temps (pendant les fêtes de fin d'année 2010 me semble-t-il). On doit pouvoir trouver le DVD. Ce qu'il expliquait sur sa manière de composer était tout à fait passionnant.
    En attendant, merci Free. J'ai téléchargé la chose en une douzaine de minutes.
    Et meilleurs voeux à toi aussi.

    RépondreSupprimer
  2. @psegpp : si tu trouves un lien, dis-le moi. Content de t'avoir fait plaisir. A l'année prochaine (ou peut-être à demain ?)

    RépondreSupprimer
  3. Finalement, à part "Tehillim", je n'avais rien de ces cinq galettes. C'est vraiment un superbe cadeau que tu nous fais...
    Et c'est marrant mais la musique dite répétitive me donne souvent envie de sautiller, voire carrément de danser. Heu! Non! J'écoute quand même avec concentration... C'est génial!

    RépondreSupprimer
  4. En fait, il y a eu deux émissions intéressantes. Celle-ci
    http://classiquenews.fr/voir/lire_article.aspx?article=3089&identifiant=2009820ANPZ2JLWXD06MSKEO061HJTLP
    et une autre le 15 novembre 2010.
    Maintenant, pour les retrouver...

    RépondreSupprimer
  5. psegpp : tu as retrouvé ton cerveau reptilien... bientôt tu chasseras le canard au boomerang... sans rire, c'est normal, c'est naturel, c'est bien... non ?

    RépondreSupprimer
  6. Envoie Jimmy ! Avec plaisir, bonheur et impatience !!!

    RépondreSupprimer
  7. Passé une nuit fantastique. Heureusement que je dors peu sinon je risquerais de ne pas être en forme ce soir. Pour une fois que ma femme et moi allons rester peinards sans mômes...
    Heu! Non pour le canard. Je suis végétarien orthodoxe. ;-)

    RépondreSupprimer