J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

jeudi 10 novembre 2011

#77: Richard And Linda Thompson "I Want To See The Bright Lights Tonight"

Je ferai rapide, pour plusieurs raisons, la première étant l'heure tardive à laquelle je me colle à mon post quotidien (si tant est que je le termine dans moins de 7 minutes, il est 23h53).

Je ferai rapide parce qu'il n'y a pas à tergiverser. Richard Thompson est un des plus grands guitaristes que la terre ait porté, et cet album, dans lequel, comme dans d'autres qui suivront, il partage les parties vocales avec sa chère et tendre, contient parmi ses plus belles parties de guitare. Et parmi ses plus belles chansons.

Ex-guitariste du groupe folk-rock anglais Fairport Convention, dans lequel trop de génies se tiraient la bourre pour qu'il en demeure vraiment quelque chose d'inoubliable, Richard Thompson claque la porte, ou plutôt la ferme doucement, British style, isn't it ? Et se lance. Se découvre aussi une voix poignante, au passage, et sort cet album à la pochette digne des mémoires de Jack l'Eventreur...

Alors bien sûr, on y entend dulcimer, accordéon et autres fifrelins indéterminés, mais on y entend surtout cette guitare, qu'au grand jamais personne n'a réussi à faire sonner pareillement (The Calvary Cross). Fusionnant au vrai sens du terme les intonations celtiques avec les riffs les plus rocks, dans des mid-tempos et des ballades à tomber, rien à dire. La beauté (Linda ?) s'est assise sur ses genoux : Et l'on a n'a pas à faire aux castagnettes de Mme Mc Cartney, si vous voyez ce que je veux dire... Madame chante, et drôlement bien (Has He Got A Friend For Me ? oui ! moi !!!! moi !!!). Même si Monsieur chante mieux encore (The End Of The Rainbow), et c'est peut-être le seul défaut, la seule frustration qui émane de l'album, mais ne boudons pas notre plaisir.

Curieusement, mais je dois être fatigué, mais il y a même un morceau qui me rappelle Abba (I Want To See The Bright Lights Tonight), mais finalement, tout cela est logique. Les norvégiens, entre deux harengs, vous ficelaient des chansons irréprochables, aussi... Mais que viennent faire ici ces trompettes mariachis ?

C'est tout le charme de l'album. Tout est permis. Le-dit morceau est directement suivi par une ballade construite de façon la plus traditionnelle possible, sauf que... que fait ce Rhodes au milieu des dulcimers (Down where The Drunkards Roll) ?

Et voilà qu'on pense à nos frenchies de Malicorne un instant plus tard (We Sing Hallelujah), mais sans doute est-ce eux qui ont pensé à lui, malgré tout le talent que je concède à Gabriel Yacoub.

Etc. Etc.

On navigue ici entre bonheur et félicité, entre rock & folk (eh oui...), et génie tout simplement.

Il est 0h 10, j'ai raté le post du soir, voici donc celui du matin.

Et je m'endors sur The End Of The Rainbow, justement.. décidément, ne le ratez pas celui-là. Pour les happy fews qui ne le connaîtraient pas, une merveilleuse introduction aux prodiges de Richard Thompson. Un de mes disques préférés ? Peut-être bien. Un disque à ramener d'une île (l'Irlande, le Royaume-Uni), dont on souhaite que jamais elle ne soit déserte, à écouter des choses pareilles...

The Great Valerio...

mardi 8 novembre 2011

#76: Pink Floyd "Wish You Were Here (Experience Edition)"

J'assume.

J'assume tout sur ce post.

- Le fait que Lyc l'ai déjà mis en ligne (parmi les amis, les autres m'importent peu).

- Le fait que c'est pas hype d'aduler Wish You Were Here en ces périodes où les plus de 45 ans songent au cadeau de Noël pour leur filleul de seize ans, période judicieusement choisie pour le re-fourgage (pardon, re-mastering), de ces choses  ("tu verras, tu vas aimer, ça c'était de la musique" - je l'ai fait avec un petit cousin et "Led Zeppelin IV", j'aurais mieux fait de lui offrir le dernier Grand Theft Auto, j'aurais eu l'air moins con et il écoute du R'N'B de toute façon et c'est très bien comme ça).

Et surtout, j'assume le fait d'avoir largement plus trippé, dans ma pré-adolescence et jusqu'à ce jour, sur Wish You Were Here que sur The Piper At The Gates Of Dawn. Merde, qu'est-ce que j'ai pas dit là. Ho, ne me faites pas dire que l'un est meilleur que l'autre. Y'a tellement de gens qui trouvent que l'autre, justement, est nettement moins bon, que je voudrais pas rentrer dans ce débat. Ne me ditent pas l'inverse non plus, donc, tombons simplement d'accord sur le fait que Pink Floyd, avec ou sans son icône, n'a jamais été le plus mauvais groupe des années 70.

Je voudrais simplement rappeler qu'entre le départ de Syd Barrett et la consécration suite à Dark Side Of The Truc, Pink Floyd a sorti, pour n'en citer qu'un, Meddle. Et je pourrais citer More, aussi. Putain, The Nile Song ! Me dites pas que Johnny Rotten ne l'a pas entendu.

Alors voilà, Wish You Were Here, en 2011, c'est l'histoire d'un gars qui part acheter les Smile Sessions en vinyle chez Leclerc, parce que bon... et qui tombe sur cette édition augmentée... voyons... de quoi ?

De choses, de clés, capables de le ramener 35 ans en arrière (enfin, disons 30 ans, je l'ai découvert un peu après, je suis jeune et clinquant ;o)). Le remastering, disons-le clairement, on s'en tape. On m'aura plus avec ça. Mais le fameux CD bonus, voire bonux, là, dans ce cas précis, est terrible. Terrible, car montrant qu'à l'époque, le Floyd avait des choses à dire. Trois morceaux live à Wembley, je sens que ça vous excite comme un pied de veau vinaigrette un 14 juillet. Sauf qu'en 1974, les Floyd n'avaient pas encore sorti l'album, et se payaient déjà Shine on You Crazy Diamond en live, ce qui pour moi signifie qu'ils ne capitalisaient pas sur Dark Prout of The Winxs. Qu'ils allaient de l'avant. Qui me trouvera un pirate des Stones de 1975 avec Miss You ou Start Me Up ? Personne ? Et je vais plus loin, les deux autres extraits, sous des noms aguichants, ne constituent rien d'autre que l'essentiel d'Animals, à venir bien plus tard (Raving And Drooling -> Sheeps, You've Got To Be Crazy -> Dogs).  Donc, que malgré la médiatisation déjà foldingue du groupe, ils se permettaient de tester en live des choses à l'état embryonnaire, certes, mais - j'ai la faiblesse de le penser - parce que leur créativité, à l'époque, dépassait largement la simple idée de promouvoir leur dernier album (Dark Plouf of the Schtroumpfs).

Ceux qui sont allés écouter un concert ces vingt dernières années peuvent-ils me citer un seul groupe ayant encore dans l'esprit de ne pas simplement promouvoir un album, si gigantesque (au sens Billboard et Royalties) soit-il et d'oser balancer courageusement ce que pourrait - ou ne pourrait pas - en constituer la suite ?

Alors OK. On connaît la triste fin du Floyd avec Roger Waters en dictateur chiantissime et névrosé. The Final Cut (qui continue à m'émouvoir un peu) ne serait que des chutes de The Wall refusées par le groupe. Pire, The Pros And Cons Of Hitch Hiking aurait été l'alternative proposée par Waters au groupe face à The Wall. D'où l'idée malsaine, mais justifiable, argumentable à tous les étages, que ces fuites en avant ne pourraient que constituer un test de ce que les autres accepteraient d'enregistrer ou pas, vox populi au pouvoir.

Sauf que j'assume. Et que je considère Animals comme une belle bête, aussi. Rien à jeter ou presque, là-dedans non plus.

Depuis que je suis gosse, j'ai entendu parler de ce projet de dingues qu'avaient les Floyd d'enregistrer de la musique à partir des objets du quotidien. Depuis que je suis adulte et salarié, je me suis payé le logiciel Reason, de chez Propellerheads, et je crée des bidules avec des élastiques, des canettes de bière et autres choses de ce genre, je m'amuse avec ça, j'ai mille fois plus qu'un Fairlight dans mon petit Mac (et je vous fais grâce de mes modestes bidouillages, de surcroît). Et là, je découvre deux minutes de leur projet forcément avorté, et je suis sur le cul. Non pas que Wine Glasses, court extrait (mais je ne pense pas qu'ils en aient enregistré 3/4 d'heures, vu le boulot que ça représentait à l'époque, de leur HouseHold Project) révolutionne la musique contemporaine (?), mais je m'attendais à un truc inaudible façon On The Run, sur Dark Chose Of The Bing, eh ben non, on retrouve ici les prémisses de l'intro de Shine On Your Crazy Diamond. C'est peu, mais c'est déjà beaucoup.

Je peux me permettre de rajouter que la version de Wish You Were Here avec Stéphane Grapelli est superbe ? Disons, simplement avec un violon, parce que la partie jouée par l'immense Stéphane ne casse quand même pas trois doigts à Django Reinhardt et d'autres auraient pu le faire... Mais qu'importe... Oh, et puis la version de Have A Cigar à deux voix renvoie Roy Harper à ses études ésotériques avec Jimmy Page. Je ne suis ni Roger Waters ni David Gilmour, mais cette maquette-là m'aurait bien satisfait, pour l'album.

L'album... le produit fini qu'on connaît par coeur depuis des lustres. Remastering = zéro, on s'en fout, on est d'accord. L'édition de 1994 me procure les mêmes frissons sans me gêner aux entournures des maudites fréquences de Nyquist. Oui, mais frissons quand même. Mélancolique (reviens, Syd, reviens), déjà égocentrique ou presque (We're just two lost souls swimming in a fish bowl... entendez, Gilmour et moi, Waters, les autres on s'en tape) mais jamais, enfin pas encore, simpliste ni caricatural. Shine On Your Crazy Diamond, avec ses soli dantesquement mélodiques de Gilmour, reste le thème du disque. Entre deux, Waters tacle l'industrie du disque (Welcome To The Machine, et cette phrase superbe sur Have A Cigar : the band is really fantastic, oh by the way,which one's Pink ?).

Alors, on peut rire des arpèges de Wish You Were Here, éculées. Mais on peut rire aussi de Stairway To Heaven, Smoke On The Water, Johnny B. Goode, et de quelques autres moments (parce qu'éculés et rabâchés) qui auront contribué à rendre le rock éternel. En veut-on autant à Led Zeppelin aujourd'hui, qu'on en veut au Floyd ? N'y a-t-il pas une place pour nepas renier le Floyd sans Syd Barrett ? Même en 1974-75 ?

Ah que merdre, voilà un putain d'album, oh, j'ose, un sommet dans la carrière du groupe. Ses parties de synthé ringardes deviennent vintage pour notre belle jeunesse, en plus, et elles me vont bien, quand je rentre dans leur trip. Et je le redis, je tiens plus facilement les 12 minutes de Shine On Your Crazy Diamond en apnée que celles d'Interstellar Overdrive. C'est pas hype, pas cool, c'est peut-être du mauvais goût, un signe d'aliénation, mais voilà. M'en fous.

'tain, j'ai posté un album que je j'aime, on va dire que ça s'arrête là. C'est juste un blog, à la fin...

You've Got To Be Crazy !

lundi 7 novembre 2011

#75: Van Morrison "It's Too Late To Stop Now"

Après avoir inventé un incunable du rock'n'roll, Gloria, avec les Them, Van Morrison sortira un tube terriblement efficace, Brown Eyed Girl. Largement de quoi suffire pour miser sur le bourrin, lui prédire une carrière en or. Avec un sens inné de la mélodie, de la chanson parfaite, Van Morrison ne pouvait qu'intéresser l'industrie du disque, ou plutôt l'industrie du 45 Tours. Warner a donc logiquement signé l'Irlandais et lui a laissé carte blanche.

Il en sortira Astral Weeks, album intemporel, insaisissable, mélange de jazz et de folk, dans de longues mélopées bouleversantes mais inclassables. Sans le moindre tube. Qu'importe, se dit Warner, la veine folk était encore vivace au début des années 1970.

Alors Van Morrison sortit Moondance, avec le morceau éponyme très teinté de jazz, le reste étant plus électrique mais toujours aussi introspectif (And It Stoned Me, au hasard).

Puis Van Morrison sortira des albums très cuivrés, dont le Saint Dominic's Preview teinté big band, avec un hommage appuyé à Jackie Wilson. Jackie qui ? Alors que le monde du rock virait hard à droite et prog à gauche, les Stones ayant un mal fou à garder le cap, Van Morrison sortait des albums hors-norme, et surtout hors mode. Euh, Mr Morrison, et si... enfin... comment dire... vous écriviez quelque chose de plus... ? De plus quoi ? Je fais ce que je veux. Let me be. Fuck off. Oui Mr Morrison, d'accord.

D'accord, parce que dans la tourmente des années 1970, Van Morrison était le seul à avancer contre vents et marées - ce que son caractère d'irlandais (too much celtic blood) lui permettait sans doute facilement - et continuait ainsi, bon an mal an, sinon à atteindre des sommets de gloire, du moins à voir son public grandir régulièrement, tel un paysan fier de son champ de blé, dont il sait qu'il ne tirera pas plus que ce que la terre peut offrir, mais gérant son petit lopin de gloire en bon père de famille. Avec honnêteté, avec le savoir-faire dont il disposait, sans chercher à aucun moment l'esbroufe rémunératrice avant la retraite dorée platine. Juste un job, fait avec talent et honnêteté.

Les journalistes vous diront qu'il a un caractère de cochon. Mais n'ayant nul besoin d'eux pour donner un petit coup de pouce à son prochain album orienté disco parce que la mode le veut, les journalistes confondent mépris et liberté. Le syndrome "je me suis fait tout seul" cher aux protestants de Belfast ? Peut-être.

En contemplant sa discographie, ou plutôt, allons-y, son oeuvre, on y distingue un parcours encore plus intègre que celui d'un Dylan, car presque jamais auto-suffisant, contrairement à certains albums du Zim franchement merdeux (Empire Burlesque, au hasard - mais le titre est bien choisi, c'est déjà ça). Van Morrison a survécu aux années 80 (et nous a aidé à les supporter) avec des albums plus léchés, un peu jazzy variétoche, mais la musique n'était là que comme écrin pour une voix semblable à nulle autre (Common One, au hasard, No Guru No Method No Teacher assurément), des albums qu'on emmènerait bien sur une île déserte s'il y avait un bar ouvert tard la nuit...

Je vous accorde que c'est un peu moins vrai ces cinq-dix dernières années, et encore. C'est peut-être parce qu'un Dylan a su reprendre du poil de la bête et briller à nouveau de mille feux qu'on regrette la constance d'un Van Morrison ?

Enfin, donc, dans ce cochon de Van Morrison, tout est bon. Alors lequel choisir ?

It's Too Late To Stop Now, défintivement (enfin, ce soir, demain j'aurais pu prendre Tupelo Honey). Car voilà un live, enregistré en pleine période glam pré-punk (1974), où l'animal se produit avec force cuivres, cordes (The Caledonia Soul Orchestra), piano, un guitariste tellement heureux de ne pas jouer du rock façon power chords qu'il brille de mille feux dans ses interventions discrètes mais essentielles. Alternant ballades jazzy, morceaux plus enlevés (façon rythm'n'blues, hein, ceci n'est pas du rock, jamais...), Van The Man stupéfie tranquillement son auditoire dans une montée en puissance jusqu'au paroxysme que constituent Caravan et Cyprus Avenue. Oui, il joue Gloria, vite fait, et pas du tout façon garage rock. Non. Gloria redevient le morceau de rythm'n'blues qu'Otis Redding aurait pu (du ?) chanter. 4'15. Voyez, ceci ne représente presque rien dans mon répertoire. A l'écoute de l'album, on y croit à peine, mais il n'y a aucun overdub, d'aucune sorte. What you hear is what you get. Encore une claque dans la face du show-biz toujours prompt à... hmm... gommer certaines imperfections pour rendre le produit plus attrayant. Ici, la vérité est aussi belle que la légende, car de légende il n'y a pas. Absolutely live, comme on dit.

N'y voyez pas un critère limite réactionnaire de ma part. Zappa a parfois largement trafiqué et mélangé enregistrements live et studio, mais volontairement, pour les besoins de l'oeuvre, et pour mon plus grand bonheur. Je ne suis pas facilement impressionné par l'exploit, quel qu'il soit. Je recherche la beauté. Que Van Morisson atteigne de tels sommets sans filets n'est même pas le fait de musiciens extraordinairement doués. C'est simplement le fait d'un musicien qui sait exactement ce qu'il veut, ce qu'il pense être bien, avec des musiciens pas loin sans doute de penser la même chose, pas manchots certes, mais qui respectent à la lettre l'idée de l'artiste, s'acharnent à faire le job du mieux qu'ils peuvent - sachant que Van se permet évidemment des digressions au gré de ses montées d'adrénaline, je leur dis chapeau bas - bref, c'est tout simplement de la belle ouvrage. Oserais-je dire, de l'expression artistique dans ce qu'elle a de plus noble ?

Pour sortir un disque aussi peu hype, en 1974, pour que des pupilles se dilatent encore 37 ans plus tard quand on évoque la chose, je me dis que je ne dois pas avoir tout à fait tord sur ce coup-là.

J'ai à peine cité un ou deux titres de l'album. Même pas la peine. Quand la chose sera dézippée sur votre bécane, vous pouvez cliquer sur n'importe lequel d'entre eux pour décider s'il par à la corbeille ou s'il rejoint votre trésor personnel sur un disque dur ou un CD. Aucun souci.

Mais j'imagine quelques réticences : big band, jazz, no rock, faut-il entendre que tout cela pourrait ne pas être physiquement jouissif, je veux dire par là pas autant qu'un Brown Sugar, un Whole Lotta Love ou je ne sais quoi ? Peste non. Commencez par la fin, Caravan, alors, si vraiment vous êtes  inquiets.

Si tout cela vous fait quelque peu penser aux Waterboys ou aux Dexy's Midnight Runner's, plutôt, c'est tout à fait normal. L'Irlandais a beaucoup souffert. Et le pire qu'on lui ait fait subir, c'est de leur coller définitivement une cornemuse au cul, telle une casserole, pour l'éternité. Les Irlandais, les celtes, sont un peuple de l'âme, de la soul. Je me rappellerai toujours d'une de mes plus belles soirées à Galway, à écouter ce petit groupe de rock du coin, dont la Guinness m'a fait oublier le nom mais pas la musique. Et pourtant, j'étais Rennais dans l'âme, et on ne nous la faisait pas comme ça. Sauf que là, il n'y avait pas le buzz des Transmusicales pour célébrer ces nouveaux talents. C'était juste un vendredi soir normal, à Galway. Remplis d'une putain de hargne aussi, et donc, même quand l'époque veut qu'on prenne les guitares comme des armes (Stiff Little Fingers, au hasard).

Non Bono, Chris Rea, je ne vous oublie pas. Les Irlandais sont aussi un peuple de soupe.

Let's dive into the mystic...

samedi 5 novembre 2011

#73: Bob Dylan "The Rundown Rehearsal Tapes"

Chose promise, chose due. Syl, dans un commentaire, m'a demandé le coffret des 4CD de répétitions de la tournée de 1978, les voilà. Je pourrais m'arrêter là, parce que c'est une commande, et que je n'aurais pas forcément commandé ça, mais il y a quand même plein de choses à dire là-dessus. A cette époque, Dylan sortait de sa Rolling Thunder Review, grosse tournée US bohème, tentative (ratée) de rabibochage avec son épouse, Sara, avec le milieu folk (Joan Baez...), avec le milieu beatnick (Allen Ginsberg), le protest-song (le boxeur "Hurricane" Carter). A shooté des dizaines d'heures de rush pour son premier film, Renaldo & Clara, qui fera un four monumental. Je pense être une référence, certes anonyme, en matière de pathologie Zimmérienne, mais je ne suis jamais arrivé à le regarder jusqu'au bout, ni même pendant plus d'une demi-heure, tellement c'est... euh... particulier ?

La tournée de 1978, surnommée "Las Vegas Tour", drainera des millions de spectateurs à travers le monde. Dylan embarquera un orchestre d'une dizaine de musiciens, voire plus, sax, mandoline, trompette et orgues à tous les étages, sans compter les choristes. Proposera des arrangements parfois douteux :la version reggae de Don't Think Twice It's All Right sur le live At Budokan (et ici répétée) est encore dans toutes les mémoires. Justement, tiens, on ne retient de cette tournée que les premiers concerts aseptisés au Japon, parce qu'officiellement commercialisés. C'est oublier le feu de dieu qu'il a mis dans notre capitale, à Nuremberg ("je suis particulièrement fier de la chanter ici, celle-là" dira-t-il avant de balancer Masters Of War dans un lieu lourd d'histoire et d'horreurs) et ailleurs. C'est oublier le message que l'histoire retiendra peut-être : Dylan, l'homme, a chié sa vie personnelle, a tout perdu, mais il reste l'animal de cirque, vous en vouliez, en voilà. Quand ça va mal, on met la musique très fort, parfois. Ces concerts en témoignent. La version boursoufflée et récurrente d'It's Alright Ma (I'm Only Bleeding) par exemple, mais surtout ces choeurs gospel qui annoncent/préfigurent la fuite en avant dans la religion qui va suivre. Sur les derniers concerts, Dylan arborera fièrement un pendentif orné d'une croix sans équivoque, essaiera Slow Train en soundcheck et déjà balancera une fois Do Right To Me Baby (Do Unto Others)...

Mis ce n'est pas de ça qu'on parle ici. On parle des répétitions de ce cirque, au mois de janvier 1978, dans les studios Rundown de Los Angeles. Toujours prêt, tel Chuck Berry, à embaucher des musiciens et techniciens au rabais, trop contents de jouer avec lui, il n'est pas étonnant qu'un ingénieur du son véreux ait proposé les bandes à la mafia du disque pirate. Et tant mieux pour nous.

4CD donc, remplis jusqu'à l'os à moelle de répètes de ce qui sera son répertoire pour la tournée à suivre. Un son souvent excellent, parfois juste moyen (mais le contenu excuse alors l'entorse à la qualité, comme cette dernière répète de Coming From The Heart, toujours inédit à ma connaissance). On navigue entre le convenu (Maggie's Farm, Ballad Of A Thin Man, Forever Young...) souvent interprété avec grandiloquence, et les trésors, ça et là. Un You're A Big Girl Now flirtant bon du côté d'un Stormy Monday jazzy, un Girl Of The North Country déjà gospel, un très rare et sublime Tomorrow Is A Long Time, et j'en passe et j'en oublie sans doute (The Man In Me, au hasard). On assiste à des ratages sans appel (la version variétoche de If You See Her, Say Hello, ah là non ! on peut pas faire ce qu'on veut avec celle-là ! Idem la version sirupeuse de You're Gonna Make Me Lonesome When You Go...).

4 CD de répètes, une sorte de Graal programmé... Dylan dans l'intimité d'un studio, le rêve ?

Oui et non. Ceux d'entre vous qui ont déjà joué dans un groupe le savent bien. Une répète, ça sert à caler les morceaux. Peut importe si on ne brille pas. On vérifie juste que tout est d'équerre avant le grand saut (et là, il semble qu'il y ait encore un peu de travail...). Mais bon, parfois aussi, sans le stress de la prestation, il se passe des choses grandioses et non reproductibles. C'est le cas ici, aussi. Un Repossession Blues balancé pour rire, pour détendre l'atmosphère. Un My Babe, idem, et un Just Like A Woman qui vient de me faire frissonner, comme cette version très soul d'I'll Be Your Baby Tonight, initialement country comme pas deux. Et puis, l'impression d'y être. De l'avoir vécu. D'être passé de l'autre côté du miroir. D'avoir volé un moment de l'artiste, qu'on garde jalousement de côté, pour y revenir, gratter, chercher l'os planqué au fond du jardin, pour plein de bonnes et de mauvaises raisons. Quand on en a marre des produits léchés pré-digérés qu'on nous propose à la consommation. Quand on a envie d'en connaître un peu plus que le voisin, qu'on se sent, dans ces moments délicieux et rares, un être privilégié. Qui savoure les dessous de l'Histoire.

Des gens comme Greil Marcus sont capables d'écrire un bouquin sur un truc comme ça. Des gens comme moi sont capables de les lire. Justement, à l'heure ou j'écris ça, traînent à côté de moi les 11CD fraîchement retrouvés de tout ce qu'on a pu récupérer des Basement Tapes, que je re-dépiote avec passion. A côté de ça, le pseudo-Smile des Beach Boys est une bien piètre affaire, non ? Ne me demandez pas de les poster, je n'en ai pas la force, pas le temps.

J'attire donc votre attention sur le fait que ce post s'adresse aux connaisseurs, aux tarés, aux passionnés. Le commun des mortels n'y trouvera pas pitance suffisante, contrairement aux deux concerts postés précédemment.

Comme d'hab', pour les pirates de Dylan, un petit tour chez Bobsboots s'impose.

Et puis y'a plus qu'à venir picorer les quatre volumes :

Rundown Rehearsals volume 1

Rundown Rehearsals volume 2

Rundown Rehearsals volume 3

Rundown Rehearsals volume 4

vendredi 4 novembre 2011

#72: Elliott Murphy "Aquashow"

S'il s'était appelé Durphy, il aurait trôné juste au-dessus du Blonde On Blonde de Dylan, si l'ordre avait été alphabétique dans mon antre à CD. Mais d'ordre, il n'y a pas. Et heureusement. Pour gagner sa place dans mon rangement quadragénaire, l'album aurait dû s'appeler Bla Bla Show, et de bla-bla il n'y a pas ici. Juste un gars, cherchant en 1973, le fameux thin wild mercury sound en pleine période glam. Ou est l'aiguille ? Ou est la botte de foin ? Nul ne le dira.

Elliott Murphy vit en France, aujourd'hui, et depuis longtemps. Malgré sa politique d'immigration largement discutable, mais la politique m'emmerde, c'est la musique qui me passionne, la France accueille donc Elliott Murphy, qui en toute logique aurait dû et devrait couler des jours heureux sur une île privée des Caraïbes, à boire des jus de fruit avec Eric Clapton, jouer à chat-perché avec Keith Richards sous les palmiers, regarder d'un oeil nostalgique ses disques de platines en rentrant, sans tomber bêtement d'un cocotier en cours de soirée.

Tout le monde était d'accord là-dessus, en 1973, quand parut Aquashow. Tellement d'accord que Columbia le débaucha pour un Just A Story From America tout aussi merveilleux, quelques années plus tard. Que je n'ai pas retrouvé en premier, dans mon fatras, ce qui a facilité mon choix cornélien : voici donc Aquashow.

Aquashow, dans un monde bien fait, aurait dû renvoyer Springsteen dans son garage familial, à passer un CAP de Tôlier-Métallier.  Aquashow aurait dû enterrer tout ce qui a pu se passer cette année-là. Les plus méchants parleront de pétard mouillé, les plus lucides diront que la pyrotechnie aquatique est  difficile, le feu n'aimant pas le contact de l'eau.

Aquashow, c'est au bas mot trois classiques éternels, Last Of The Rock Stars, How's The Family et Marilyn. Et sept autres chansons juste formidables. Et quarante-cinq minutes à rester scotché devant tant de talent, qu'on ne se relève même pas du fauteuil. Qu'on balbutie, fatigué, Marilyyyyyyn Monrooooe, she dieeed for us... quinze, vingt fois, hagard. Sans pouvoir faire autre chose.

Aquashow, c'est l'histoire triste d'Elliott Murphy, qu'on imagine malgré tout heureux, comme aurait dit Camus, limité à répandre son talent dans tellement de concerts acoustiques dans des rades à trois sous de Brie-Comte-Robert, d'où à chaque fois 17 personnes sortent transformées et heureuses, mais où la multiplication par le nombre de communes de France n'atteint même pas le millième de ce que les ventes de cet album auraient dû atteindre en deux mois dans le Minnesota à l'époque.

Aquashow, c'est rappeler aux Inrockuptibles que leurs critiques acerbes de ses albums enregistrés sans moyens au début des années 90 sur un 4-pistes DAT mais recelant des pépites sans pareilles (On Elvis Presley's Birthday) relèvent tout simplement de la vacherie et de la méchanceté. Seuls moments illusoires de gloriole, Springsteen l'a régulièrement invité sur scène lors de ses concerts dans notre pauvre pays. Redevable, sans doute. Certainement. Evidemment.

Aquashow, puisque c'est mon blog, c'est l'histoire d'un pré-ado coincé dans les Vosges passant des après-midi à jouer la rythmique de Last Of The Rock Stars sur sa 12 cordes avec le disque à fond.

Aquashow, c'est sans doute, je l'espère, pour certains d'entre vous, une histoire similaire. Une histoire d'amour presque oubliée, qui fait toujours mal, qui justifie en tout cas un geste désespéré sur un modeste blog, avec juste ce commentaire qui me taraude : MAIS BON DIEU C'EST PAS VRAI !!! ECOUTEZ CA !!! RENDEZ-LUI JUSTICE !!! HE WAS BORN TO BE THE KING, HE WAS BORN TO BE A MAN !!!


Last Of The Rock Stars ???

PS : Faites un tour sur son modeste site bricolé à la pauvre hauteur de ses trop modestes moyens, http://www.elliottmurphy.com, et écoutez-moi sa version désabusée du Last Of The Rock Stars, ici présente si pleine d'espoir et de rage... Ca me donne envie de pleurer...

jeudi 3 novembre 2011

#71: Bob Dylan "Blonde On Blonde (mono)"

J'avais 12 ans à l'époque, mon pote Franck en avait 14. A l'époque, quand on prenait la micheline pour aller à Colmar, avec 50 francs, on se payait un disque, un Américain-steack-hâché-frites et le billet de train. Y'avait trois disquaires, à Colmar : Schildnecht, mais il vendait aussi des abats-jours et des machines à laver, alors bôf, Music Box - le spot - plein de grands, chevelus, qui écoutaient le dernier  Yes au casque en fumant des clopes, et Discoboîte, le plus sympa. Il tentait de fidéliser sa clientèle, et nous proposait plein de trucs à découvrir. On faisait systématiquement les trois, on écoutait un David Bowie ici, on découvrait les Doors là (Morrison Hotel, je me rappellerai toujours, c'était chez Schildnecht, j'avais confondu avec les Byrds et je trouvais de fait l'album un peu... hmm... bizarre et violent, non ?).

Après, on faisait un point, discutant du pour et du contre de ce qu'on avait entendu et on faisait notre choix. Et on dévorait les pochettes dans la micheline, au retour.

Franck avait un grand frère de 16 ans qui avait une discothèque dingue. A me souvenir des pochettes, il y avait La Mort d'Orion de Manset, Tonight's The Night de Neil Young, et plein d'autres albums de cette trempe qu'on était - d'après lui - trop jeunes pour aimer. Mais bon, il écoutait aussi Barclay James Harvest, alors faut relativiser.

Moi, j'avais une grande soeur, scotchée à Harvest de Neil Young, forcément. Et j'avais Dylan, qu'on m'avait décrit comme un gars qui chante avec une guitare et un harmonica. Ma maman m'avait appris à jouer de l'harmonica, mon rêve c'était d'apprendre à jouer de la guitare. Il n'en fallut pas plus pour qu'il représente une sorte d'idéal. Il chantait des chansons contestataires, et moi j'étais pour la réintroduction du lynx en Alsace, donc c'était un mec géant, forcément. Alors j'ai acheté Street Legal quand il est sorti, en 1978, et j'ai passé tout l'été à n'écouter que ça.

Dès l'automne, j'en avais déjà trois ou quatre de plus, des albums de Dylan. Blood On The Tracks, Before The Flood, Desire et Hard Rain. Ceux qu'on trouvait à Carrefour. Qu'on m'achetait quand j'avais de bonnes notes à l'école. Mais c'était pas toutes les semaines qu'on se faisait notre trip à Colmar, avec Franck. J'en avais ramené le premier David Johansen, aussi, je me rappelle. J'adorais Funky But Chic, Donna et Frenchette. Et puis un jour, j'ai manqué d'inspiration. J'ai demandé au disquaire de chez Discoboîte un truc un peu country. Il m'a fourgué Rumours, de Fleetwood Mac. Le salaud. J'y cherche toujours la moindre note de pedal-steel... mais bon. Je suis rentré, j'ai écouté, et j'ai pleuré.

Aujourd'hui, on ne pleure plus quand on entend un truc vraiment naze sur Deezer, mais à l'époque, c'était trente huit francs soixante de foutus en l'air. Une montagne ! Un désastre !

Ma maman, face à mon émoi, m'a proposé de retourner voir le monsieur qui m'avait fait ça, et de tenter un échange. J'ai raclé ma tirelire, de rage, j'ai trouvé les vingt deux francs qui manquaient pour ce double album de Dylan, Blonde On Blonde, qui me faisait tant rêver. Et je suis revenu avec, laissant soin au disquaire (chez qui je n'ai jamais remis les pieds) le soin de fourguer son Fleetwood Mac au coiffeur d'à côté.

Et puis...

33 ans plus tard, je vous poste la version mono, ici, sur un blog. Je vis avec cet album, comme tant d'autres, bien sûr, mais toujours avec la même émotion qu'à l'instant (ou plutôt les quinze jours que j'ai passés cloîtrés avec mon electrophone) où j'ai découvert ce disque.

Je n'ai rien à raconter sur cet album, je poste le disque de ma vie, c'est tout. Visions Of Johanna, I Want You, 4th Time Around, Absolutely Sweet Mary, Sad-Eyed Lady Of The Lowlands. Ecriture automatique, de ce qui me restera à jamais gravé au fond du coeur.

Et voilà comment je suis devenu à jamais dylano-dépendant, comme tant d'autres, sans doutes pour d'autres raisons. Voilà pourquoi je voue toujours un haine féroce à Fleetwood Mac, et à tout ce qui pourrait se rapporter à ce genre d'ersatz insupportables. On ne fait pas ça à des gosses, c'est dégoûtant, non ?

Ici donc, la version mono, x-ième rachetée (le remaster en SACD est superbe... oui, je fais partie des andouilles à l'avoir acheté, avec la platine qui va avec, et pour l'occasion), mais prudemment, ici, sur iTunes, parce qu'à 45 ans on essaie parfois de ne pas systématiquement se faire plumer, et je n'avais pas les sous pour le coffret des six premiers albums à l'époque. Et parce que j'étais un peu dubitatif quant à l'intérêt de la chose... Et en réécoutant l'album, là, je me dis que je vais choper le coffret dès demain, plutôt que d'économiser pour le Beach Boys. Mais, non, c'est pas sérieux, il faut que je me raisonne, et je n'y arrive pas en écoutant ça. Emotionnellement, je ne me l'accorde toujours qu'à doses homéopathiques.

La seule version mono que j'ai rachetée (en digital donc, en plus), mais parce que voilà le fameux Thin Wild Mercury Sound voulu par Dylan dans son mixage d'origine, la stéréo n'étant que balbutiante et accessoire à l'époque. Autant donc s'approcher de l'artiste le plus près possible. Et quitte à être en mono, le m4a de chez Apple (re-encodé en mp3 pour vous dans les meilleures conditions possibles) devrait suffire : ça s'écoute fort, pas sous un casque, et n'importe où de préférence. L'objet n'était/n'est pas la haute fidélité.

Voilà, c'est tout, je n'ai rien d'autre à dire. Le vinyle, je l'ai toujours, et à jamais. Ces photos bizarres, la liste incomplète des musiciens, tout ça me fait toujours et de plus en plus rêver quand on connait l'histoire.

Pour moi, l'histoire a commencé à Colmar. Un trou à rats comme Mobile, sans doute. Je voulais en sortir, ne pas être...

Stuck Inside of Mobile

...même si j'ai toujours le blues de Memphis, mais c'est une autre histoire.

PS : Discoboîte a évidemment fermé depuis longtemps. C'est devenu un lavomatic, je crois. C'est la seule histoire de disquaire qui ferme qui ne me fasse pas trop venir la larme à l'oeil, même si c'est cruel...

mercredi 2 novembre 2011

#70: Bob Dylan "Avignon"

25 juillet 1981, dans la Cité des Papes. Le Nouveau Prophète clôt sa tentative d'évangélisation de l'Europe par un dernier prêche. Mais le Malin ne l'entend pas de cette oreille. Deux personnes, dans l'assistance, mourront ce jour-là...

On dirait le début d'un polar façon Da Vinci Code, et pourtant, c'est à peu près ça qui s'est passé ce jour-là, à Avignon, lors du dernier concert de la tournée européenne de 1981 de Dylan. D'abord un gars meurt en s'électrocutant - d'où la fin abrupte de Slow Train - c'est donc bien un soundboard recording (Note du Bon Dieu : ah c'est Malin comme remarque !) - puis une fille se casse la nuque en tombant d'un mur.

Pour les jeunots, en 1981, Bob Dylan n'était pas en odeur de sainteté auprès de son public. Après deux albums gospel voire carrément catho (Slow Train Coming et Saved), une tournée désastreuse (financièrement) dans de petites salles des Etats-Unis à ne chanter que son nouveau répertoire devant un auditoire médusé et frustré, le Zim a décidé de mettre un peu d'eau dans le sang du Christ avant d'entamer un repentir international, précédant la sortie de Shot Of Love dans lequel le juif errant converti reborn christian daignera chanter quelques chansons laïques mais que les fans hard-core canoniseront par la suite (Lenny Bruce, In The Summertime, l'immense Every Grain Of Sand). Retournement de veste ? Nouveau Judas ? Que nenni : le message ici, est clair : Je ne vous ai jamais dit, chanté autre chose, saurez-vous l'entendre ?

Pour preuve, la lecture ésotérique de la set-list : Ca démarre par un Saved envoyé sur les chapeaux de roues, suivi d'un I Believe In You bien plus martelé que l'originel (oups, pardon, l'original), avec son orgue d'église qui sera proéminent durant tout le set, suivi de Like A Rolling Stone, dans une version à mon goût jamais égalée. Tout ça sans temps mort, ce qui est rare chez Dylan, qui ne s'est jamais gêné de faire semblant d'accorder sa guitare pendant un temps infini entre deux morceaux, le temps de retrouver l'inspiration, la pêche ou je-ne-sais-quoi. I Believe In You raconte l'histoire d'un gars rejeté de tous parce que croyant en... Dieu ? Quelque chose ? Like A Rolling Stone raconte l'histoire d'une fille paumée après avoir goûté au luxe et à la gloire éphémère. Effectivement, le message est clair. Intermède gospel chanté par une de ses choristes ('Till I Get It Right) histoire qu'on pige bien le message, et on repart du début : la Genèse, Adam et Eve chassés du paradis à cause du serpent (Man Gave Names To All The Animals). Condamnés à travailler et à souffrir pour trouver leur nourriture. A travailler ou ? Dans la ferme à...Maggie, bien sûr ! I ain't gonna work on Maggie's farm no more, nous lance-t-il sans transition sur le même ton. S'en suivent quelques exemples de l'errement des hommes face à la futilité d'un amour perdu (Girl From The North Country), d'une société sans espoir (Oh my God am I here all alone ? chante-t-il dans Ballad Of A Thin Man qui commence tel un prêche gospel dans une église noire du Bronx, impressionnant). Plus loin, The Times They Are A-Changin' (do you speak juste un peu english, frenchies ?) est directement suivi d'un Let's Begin sans équivoque. It's time to realise, well I'll try hard again, my new found friend...

J'arrête là, je pense avoir été assez convaincant pour prouver qu'en 1981, Dylan continuait sa route, sans se renier, complexifiant juste un peu plus son oeuvre avec ses nouveaux cantiques. Dylan a toujours cherché à intégrer l'inconscient (musical) collectif dans son travail, depuis ses débuts folkeux directement inspirés de l'Anthology of American Folk Music, en passant par les Basement Tapes largement décrits par Greil Marcus comme une tentative de re-création d'un univers populaire (une République Invisible, chansons destinées à être interprétées par les autres, pas par lui - je est un autre, disait RimbaudI And I chantera Dylan), la country (Nashville Skyline), etc. jusqu'aux chants de Noël récemment. Opportuniste ? Génial ? Sans doute les deux et plus encore.

Arrivons à la conclusion : un Blowin' In The Wind littéralement martelé avec rage, It Ain't Me Babe (genre "t'as toujours pas compris ??!!!") et un Knockin' On Heaven's Door (ben tiens ! Elle est facile celle-là) guilleret comme jamais, comme une Bernadette Soubirou en extase.

Toujours est-il que le voilà obligé d'expliquer, presque de marteler qu'il y a toujours deux façons de voir les choses - c'est la Table d'Emeraude d'Hermès Trismegiste, ce qui est en haut est en bas - et quand Bob Dylan s'énerve, ça le fait. Je dis ça pour le païen moyen que mes commentaires ésotériques et  pompeusement dylanologues emmerdent à juste titre. A celui-ci je dis aussi que voilà un des sets les plus explosifs et passionnés du Zim, et de loin. Les choristes ne gâtent pas l'affaire, loin de là, un Fred Tackett à la guitare, un Tim Drummond à la basse (énorme) et un Jim Keltner à la batterie non plus.

Dieu soit loué (oups, pardon, encore une fois), quelqu'un était là pour capter le concert dans une qualité mirifique pour l'époque, et c'est à peine si nos oreilles chastes (je l'ai fait exprès, celle-là) et éventuellement pucelles du péché bootlegien, habituées au remastering d'aujourd'hui pourraient être gênées par le côté artisanal de la chose. Sinon, la version de Girl From The North Country est à tomber raide, Lenny Bruce est encore plus magnifique que sur l'album à suivre, ce qui n'est pas peu dire, et le reste varie entre l'excellent et le sublime. J'avoue donc mon péché (hi hi...) mignon : c'est le Dylan de 1979-81 que je préfère, en live. Et j'en ai d'autres à vous refiler, si jamais vous adhérez à mon Eglise...

Pour les détails techniques (set-list, pochette...), faites donc un tour chez bobsboots, évidemment. Ceci constituait le 2ème volet de la série Jeepeedee's Bootleg Series. Comme me voilà libéré d'Yves Simon, j'entame un nouveau feuilleton. Qui risque de durer plus longtemps que Dallas... Et j'en profite pour balancer un nouveau sondage moins couillon que le premier (voir à droite).

I'm hanging on to a solid rock !

PS : Encore une fois, si vous cherchez un pirate particulier, il est très probable que je l'aie. Demandez, et vous recevrez...

mardi 1 novembre 2011

#69: Yves Simon "Une Vie Comme Ca"

D'abord, la pochette : urbaine, plastique, fini l'acajou des guitares sèches. Yves Simon, assis dans une station, attend le prochain métro. D'un air un peu inquiet, mais décidé à ne pas rater le prochain train, comme ce fut le cas avec Un Autre Désir qui emmenait ses chansons sur une voie de garage. Remarquez aussi que le monsieur est rasé. Finie, la barbe baba-cool. Ne reste que l'écharpe rouge...

Guitares électriques, tissées d'échos, d'entrée. Qu'est-Ce Que Sera Demain ? Ne laissons pas durer le suspense : pour toi, Yves, ça sera plutôt la fin que le début, c'est là à mon humble avis le dernier grand album que tu nous signe, même si, dans le suivant, on pourra encore repêcher 2-3 perles... mais bon. Là, tu tiens encore un petit chef d'oeuvre, ou presque. Profitons-en...

Et le reste de l'album flirte - souvent avec intelligence - avec le tremblement des années 80, sans encore perdre trop la "patte" de l'artiste, pour le meilleur comme pour le pire. Synthés grinçants, rythmiques sèches et carrées, guitares saillantes mais sans soli ou presque. Une Vie Comme Ca, on l'aurait bien imaginée acoustique en 1975, ici la voilà synthétique et électrique, superbe. Et puis arrive le vrai chef d'oeuvre du disque, Ma Jeunesse S'Enfuit. Diable ! Yves Simon arrivait, là, à mettre une âme dans ces machines, même dans cette caisse claire si typée par ailleurs... Si sa jeunesse s'enfuit, sur ce titre, Yves Simon court devant. Beau à chialer. D'émotion, et aussi de regrets, là encore, pour la suite.

Bien sûr, il y a quelques ratages, aussi. Comme d'hab'. Trop Petit La Vie est - encore - un peu caricaturale et maladroite. Retour en arrière, avec des arrangements futuristes, ça passe moins. Dans ce registre, Dans 20 Ans Tout A L'Heure passe bien mieux à mon avis... limite punk dans l'esprit, bien crade comme il faut. Peut-être le morceau le plus rock de sa carrière, puant comme une station de métro, bien vu, belle boule. Planète Peut-Etre est franchement FM, et moche à souhait comme une chanson d'Indochine. Et dire que c'est vers ça qu'il va se diriger, quel gâchis. Héros In Héros Out, façon rock de stade avec ses guitares à la Queen période 80's, ne convainc guère plus. Les guitares y sont trop moches. Dommage. Fallait laisser tomber ces guitares façon rock FM puant, Yves, et surtout ce saxo putassier qui n'apporte mais vraiment rien du tout à l'affaire. Tu comptais pas la faire dans des stades, quand même, si ?

La poire pour le dessert, y'en a deux. J'T'Imagine, intelligemment jazzy, est adorable, hors d'âge, témoin que l'homme a évolué, a su créer d'autres ambiances même quand il revient à une instrumentation plus acoustique (piano, contrebasse... même si la partie de batterie rappelle un peu trop le 50 Ways To Leave Your Lover de Paul Simon pour être tout à fait honnête). Et j'ai toujours un faible pour Amnésie Sur Le Lac De Constance. Qui me semble bien résumer l'album : quand Yves Simon va vraiment de l'avant, c'est superbe. Quand il reste entre deux eaux, c'est raté.

J'ai oublié Ego Ego, juste rigolote, et le compte est bon : Je me rends compte que j'ai détaillé toutes les chansons du disque. Manquant de fait un peu d'inspiration pour vous faire rêver, parce que la gueule de bois à venir s'annonce souvent de façon dramatique sur cet album, gâtant un peu des textes toujours pertinents et pleins d'émotion, en attendant le cauchemar. Reste, quand même, quelques très très beaux instants. Mais ça sent le sapin... en plastique. Je posterai peut-être encore le suivant (USA/USSR), Jimmy (il est vraiment pour toi, ce post...), mais là j'en ai ma claque d'Yves Simon... et je l'aime trop pour lui faire honte avec la suite.

Enfin on verra. Parce que son dernier album (Rumeurs) est beau comme les premiers jours, ou presque. Mais celui-là traîne encore au fond des bacs à 6 euros 99, alors je vous invite vraiment à l'acheter les yeux fermés. Il est bien mieux que tous les prochains Murat, le duo avec Françoise Hardy (Aux Fenêtres De Ma Vie) est à tomber. Combien de temps il nous faudrait pour garder sa jeunesse ?

Ma Jeunesse S'Enfuit...

#68: Beausoleil "Bayou Cadillac"

La Toussaint... les deux posts de Jimmy et d'Antoine, sur Billie Holiday, l'enterrement de 1ère classe offert au Smile de Brian Wilson (et non des Beach Boys, au risque de me répéter - voir ci-dessous), tout cela est d'une tristesse...

En écho au boeuf Guinness d'Antoine, et au soleil qui inonde mon antre, je vous propose donc de prendre l'automne par les cornes, avec un double-post, cuisine et musique.

1) Cliquez sur l'image ci-dessous pour l'agrandir, téléchargez-la et partez au supermarché chercher les ingrédients (le bouquin, Cuisine de Louisiane, par Jacqueline Denuzière et Charles Henri Brandt se trouve plus facilement sur Amazon que les gumbos - pardon, l'okra - au Super U)



2) Achetez le disque qui va si bien avec :

...Et laissez le bon temps rouler !

Ah, quoi ! j'ai pas décrit la musique par le menu ? Ben non, je décris le menu par la musique, une fois ou deux n'est pas coutume. Je m'en tiendrai aux notes de pochette : Gombo music from a gombo band, ça vous va ?

#67: Beach Boys "Smile Sessions (2CD)"


Je modifie le petit mot écrit hier soir, tard (disons au petit matin), qui ne voulait trop rien dire et ne faisait que traduire mon embarras mêlé à l'excitation quand la chose est arrivée sur mon disque dur. Ainsi donc, et cela m'avait échappé, on remet le couvert et on nous refait le coup du serpent de mer Smile, des Beach Boys.

Tout le monde connait l'histoire, inutile de la rabâcher. Pour les moins de trois ans qui surferaient sur ce blog, rappelons simplement que Brian Wilson, après avoir épaté les Beatles (et le reste du monde bien plus tard) avec Pet Sounds, ne se remettra pas de leur Sergent Pepper et n'arrivera pas à sortir son Grand Oeuvre. Ne s'en remettra jamais, et les autres garçons lui en voudront toujours d'avoir abandonné la planche à surf qui rimait si bien avec la planche à billet pour tenter de leur faire chanter des trucs bizarre à la gloire des légumes. Légume, Brian le deviendra, et se verra petit à petit écarté de l'entreprise Beach Boys dès lors prête à dériver gentiment vers le néant. Quand vraiment on manquera d'inspiration, on laissera Brian revenir sur son échec le temps d'une ou deux chansons (Surf's Up, par exemple), sauvant certains albums ultérieurs du naufrage, mais c'est tout.

Et puis, au début des années 2000, Brian s'est réveillé, et au hasard d'une rencontre avec de talentueux musiciens fascinés par son oeuvre, s'est permis de proposer au monde entier désormais acquis à sa cause, de nouveaux albums prometteurs et, surtout, l'intégrale de Pet Sounds en live. Brian vivant, heureux d'avoir récupéré ses petits. Et la rumeur courut... et l'avenir donna raison à la rumeur. Smile sortit ainsi en 2004, estampillé Brian Wilson. Et fut proposé lors de concerts de toute beauté. Mais certains de tourner autour du pot, de faire la fine bouche. Eh oui, Brian avait vieilli, et des années d'anti-dépresseurs avaient quelque peu laissé un goût pâteux à son élocution. Qu'importe, les vidéos en témoignaient. Brian semblait tellement heureux... Une véritable catharsis, et on ne pouvait qu'être heureux pour lui, tout pardonner de ses limites vocales, et s'envoyer le Smile tardif plusieurs fois par jour parce que, mine de rien, c'était un sacré bon disque, faute d'être le disque du siècle.

Alors voilà, quelques années ont passé, Brian Wilson nous propose aujourd'hui des relectures de Gershwin qui n'intéressent pas grand monde. Mais après Smile, que pouvait-il faire d'autre ? Plus rien dans la besace, dernières cartouches grillées... Alors autant continuer à côtoyer les Dieux, auprès desquels on lui réserve d'ores et déjà une place bien méritée.

Et puis voilà qu'apparaissent ces Smile Sessions, déclinées en version pauvre (celle ici proposée, piquée à je ne sais plus qui hier dans la nuit, en .m4a donc, désolé) ou grand luxe (5CD, double vinyl !... si quelqu'un a un lien en attendant que j'ai pu économiser la centaine d'euro nécessaire... car je vais me faire avoir, forcément). On imagine que plusieurs années de batailles d'avocats ont été nécessaires pour reprendre Smile à Brian et l'estampiller à nouveau "Beach Boys". Et on se sent presque coupable, en écoutant la tentative de re-création de l'album, de préférer ce son vintage, bricolo, ces instruments d'un autre âge, à la cathédrale tardivement érigée par le Maître. On ne peut que croire au miracle, on se l'écoute et... et tout ça, on l'avait déjà, sur plein de pirates. On en a plus encore (oui, Jimmy, ça vient, les 3CD de sessions de Good Vibrations), donc on en ressort frustré. Mais bien sûr, on n'a pas accès aux bandes originales, donc on n'a pas pu faire tout ce travail - fantastique, il est vrai - de mixage et de post-production visant à faire tenir debout l'oeuvre branlante et inachevée des années 1967. Un beau travail de musico-thanato-practie, un peu comme dans les épisodes les plus glauques de Six Feet Under...

Mais on reste perplexe. A qui cela profitera-t-il ? Y a-t-il encore des gens qui ne connaissaient pas l'histoire, qui découvriront tout ça aujourd'hui grâce à ce bel objet ? Ne pouvait-on pas définitivement laisser Smile reposer en paix, dans le giron de Brian Wilson ?

J'espère que Brian Wilson va bien. Qu'il était d'accord avec tout ça. Ce qui m'étonnerait, lui qui ne voulait qu'au grand jamais ces sessions maudites ne voient le jour, et qui prétendait même avoir détruit les bandes (il aurait dû s'en charger lui-même si tel était le cas, on ne peut faire confiance à personne)... Les autres, enfin les deux-trois survivants, leur maison de disque, ceux qui l'ont méprisé et laissé s'enfoncer sans se rendre compte de ce qu'il avait essayé de donner ne méritent pas cet hommage tardif et ce cash-flow qui va en découler en ces périodes de fêtes.

Smile, ça aurait pu être les Beach Boys, mais c'est à Brian Wilson que l'oeuvre appartient, définitivement, dans les siècles des siècles. Laissez-lui au moins ça.

Amen

Remarque : il semblerait que Brian Wilson soit consentant, finalement...