Alors il a hésité quand Robbie Robbertson l'a invité à revenir, en 1967, pour faire de la musique dans la cave d'un Dylan officiellement mourant suite à son pseudo-accident de moto. Loin, à l'époque, de tout le buzz qui a pu entourer Woodstock quelques mois/années plus tard. Et puis il est venu.
- Il est où, Bob, là ?
- T'inquiète Levon, il est remonté chez lui, il écrit une chanson. 'devrait revenir dans un quart d'heure. Bon, les gars, en attendant, on se fait un petit Johnny B. Goode ? Un peu marre de ses reprises de Ian & Sylvia. Oh, t'aurais été là hier, qu'est-ce qu'on a déconné, on s'est bien marrés ! Ca fait plaisir de te voir, en tous cas, tu vas voir, c'est délire ici !
On ne compte pas le nombre de groupes ayant répété dans une cave, mais on en compte peu à avoir ratissé autant de matériel. Reprises incongrues de traditionnels (Banks Of The Royal Canal, au hasard), chansons absurdes (Yeah ! Heavy And A Bottle Of Bread), reprises (Four Strong Winds, au hasard, là encore) et chefs d'oeuvre (I'm Not There, Tears Of Rage, This Wheel's On Fire, etc.). La question, c'est de savoir dans quel but (?) et pourquoi tout cela a été enregistré grossièrement sur un magnéto à bandes 2 pistes.
Les réponses sont sans doute multiples.
D'abord, ça devait être cool. Emotionnellement intense. Garder un souvenir de ces journées débridées et joyeuses, tout simplement.
Ensuite, l'idée de Dylan me paraît aujourd'hui claire, pour moi. Après avoir digéré tout le répertoire traditionnel américain, puis tout Woody Guthrie, pour se faire un nom et - faute d'être Elvis à la place d'Elvis - de devenir le chantre du folk, ce qui convenait mieux à sa tronche d'apoplectique et sa voix, euh... particulière, après avoir utilisé sa renommée pour s'autoproclamer poète rock, et dépasser Elvis, l'étape suivante consistait à s'effacer purement et simplement, et se sublimer au travers de ses chansons reprises avidement par tant de prétendants. Genre, je ne suis plus un homme, je suis tout simplement la musique américaine. Ces sessions avaient donc pour unique but de sortir une démo potable de 10-15 chansons sur laquelle se jetteraient tous les groupes à la mode (ce qui, bien entendu, dépassa son espérance, on ne les compte plus, les reprises de ces sessions, citons simplement le Mighty Quinn de Manfred Mann). Pendant ce temps, le nouveau Voltaire cultiverait son jardin, ferait des gosses et toucherait les chèques en même temps que l'immortalité artistique.
Mais pour cela, il devait comprendre, et donc jouer. digérer. re-écouter. Se re-créer cette République Invisible dont parle si bien Greil Marcus, pour proposer ces chansons définitives. D'où ce mélange de reprises, préalables à leur sublimation dans ses nouvelles chansons. On l'imagine re-écouter tout ça, voir quels accords, quelles phrases font le truc. Et hop, à la machine à écrire.
Son entreprise fut quelque peu galvaudée par la naissance, du coup, des bootlegs. Le premier à paraître fut Little White Wonder, certifié disque d'or sous le manteau. Eh ouais, malgré tout, du Dylan sans Dylan, ça n'a pas satisfait tout le monde. Il y avait un marché à prendre, ou une liberté à revendiquer (selon la police ou les manifestants), de quel droit tout cela resterait-il à la seule disposition des maisons d'édition ? Amis bloggeurs, il me semble cette question reste d'actualité.
Par ailleurs, les premiers à retenir la leçon et à profiter (et faire profiter) largement du concept, ce fut The Band. On a loué à juste titre leur capacité à synthétiser multiples influences pour créer cette musique si géniale sur leurs premiers albums. Tout est là, la genèse du concept, je veux dire.
Les réguliers de ce blog de plus en plus vagabond me diront que je me répète, j'ai déjà dit tout ça à propos de l'édition officielle (et en mieux, je rouille, les gars, je rouille) de ce qui est connu comme les Basement Tapes, qu'ils m'en excusent. Dans ces périodes de trouble, je me recentre sur les bootlegs et celui-là, c'est mon quadruple disque de chevet. Dans lequel il est expliqué par le menu que la virtuosité n'est rien face au sens de la mélodie et du texte. Dans lequel on tient un moment clé de Dylan. Peut-être son plus bel effort. Son plus sincère effort. Son "foutez-moi la paix" le plus audible et le plus compréhensible.
Et c'est la plus belle édition de ces bandes que je vous propose. 4CD, 630 Mo, on peut faire plus exhaustif mais il faut savoir raison garder. A Tree With Roots mérite largement un petit bout de disque dur. Sûr que cela paraîtra un de ces quatre dans le cadre des très officielles Bootleg Series (et je m'engage à virer le lien si Columbia sort une édition décente de tout ça, mais de TOUT ça). Mais en attendant, jetez-vous sur ces sessions. Vous y découvrirez des artistes de génie, complètement loose, dans un work in progress émouvant au possible, bien plus que n'importe quel album officiel, léché, calibré, frustrant autant qu'artificiel.
C'est ici.