J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

jeudi 9 novembre 2017

#214 : Planxty "Between The Jigs And The Reels : A Retrospective"

Il existe entre la harpe celtique et la cornemuse irlandaise des différences fondamentales, mais pourtant les deux instruments se complètent à merveille. D'ou, finalement, ce post de Planxty en guise de bon complément à celui de Clannad.

En effet, contrairement à la harpe celtique (grâce à ses cordes, mais vous aviez compris), la cornemuse irlandaise est très peu adaptée à la fabrication de collets pour lapins de garenne, ce qui peut constituer un élément d'explication de la Grande Famine. Par contre, comme soufflet le soir auprès du feu, il n'y a pas mieux. D'autant qu'assez bavard, les irlandais ont inventé une cornemuse leur permettant de discuter tout en jouant, ce qui leur assure d'avoir généralement le dernier mot sur les écossais. Pour cela, il faut savoir jouer du coude, et les irlandais sont assez forts pour cela. Ainsi dans le genre "pousse-toi là que je m'y mette", nos joyeux drilles de Planxty se poseront comme tels. Vous allez dire que j'exagère, peut-être un peu mais au fond non, pas tant que ça, mais Planxty peut être considéré comme le groupe fondateur du folk irlandais moderne. Entendez par là que même si les reels, jigs et hornpipes dont ils abusent allègrement sont de source traditionnelle, leur musique ne l'est en rien. On la qualifiera de folk parce qu'on a beau chercher, on ne trouve aucun instrument électrique dans tout ça (mis à part les claviers usés par Christy Moore sur la fin, ok...) mais c'est finalement plus des délires progressifs qu'il faudrait l'enfermer.

Car quoi ! Andy Irvine, déjà, est anglais (by Jove !) et s'est amusé à traverser les Carpathes pour en ramener plein de morceaux en 7/4 et demi, mais surtout des instruments qu'on aurait plutôt tendance à trouver dans le sud de l'Europe, à commencer par la mandoline. Ca vous paraîtra peut-être bête mais Dalida n'a jamais songé à faire camper le personnage de Bambino dans la banlieue de Belfast, et, outre des raisons politiques évidentes, il y a des explications rationnelles à cela.

Alors quand l'autre cordeux, Donàl Luny s'entiche d'un bouzouki datant du temps ou les grecs se tapaient des colonels (et cela commençait à la saoûler) comme les irlandais l'oppression anglaise, nous voilà aux prises avec un groupe qui largue gentiment les amarres du folk irlandais classique.

Evidemment, le duo bouzouki/mandoline fait mouche. Ca pétille dans tous les sens, à chaque secondes c'est cinquante idées de morceaux qui fusent. On ne s'étonnera pas entendu cet éclair de génie qu'aujourd'hui on parle du bouzouki irlandais comme de la dette grecque, ça fait partie du paysage.

Rajoutez à ce duo un cornemuse-killer, Liam O'Flaherty, et ma foi l'Irish Stew est cuit. Manque plus que la cerise sur le gâteau, carrément Christy Moore au chant (partagé, il faut être juste, avec Andy Irvine, pour la plus grande joie de nos O'Reilles). C'est même lui qui a réuni, à l'origine, tout ce petit monde, pour enregistrer son deuxième album solo, Propserous dont on ne s'inquiétera guère ici sauf si, après l'écoute de la compilation ici proposée, et après avoir reniflé tout le web pour trouver tout le reste, on reste encore sur sa faim. Ce qui est très très probable.

Or doncques, l'objet du jour, Between The Jigs And The Reels : A Retrospective, est une compilation sortie l'an passé (et on ne m'avait rien dit !), arrivée ce matin même dans ma boite aux lettres et qui tombe à pic puisque voilà peu on parlait ici de Christy Moore et de Clannad. La chose est composée d'un CD et d'un DVD, pourquoi pas.

D'emblée, et finalement tant mieux, le CD n'a rien d'un best-of, puisqu'on pourra hurler comme un damné en constatant l'absence de Raggle Taggle Gypsy, Only Our Rivers, Little Musgrave et beaucoup d'autres. Alors on relira le titre : eh oui, l'accent est mis davantage sur le versant instrumental du groupe. Et lorsqu'il est question de chanter, Andy Irvine a même davantage d'espace que Christy Moore. Passé le moment d'étonnement, on lance la galette (même si les bretons me diront qu'une galette ne se lance pas) et... et ça fontionne plutôt très bien. Si vous cherchiez une introduction à Planxty qui ne fasse pas une part trop belle à Christy Moore, cachant ainsi la forêt que constitue tout le reste, ce disque est pour vous.

Et puis, savez-vous, on trouve ici la plus belle chanson du monde, oeuvre d'Andy Irvine, et qui aurait tendance à reléguer Nick Drake au rayon Shane Mc Gowan un peu timide. J'ai nommé The West Coast Of Clare. Je n'en dirai pas plus. Mais elle est là, prête à être écoutée, re-sortie de son écrin initial comme on balade des Picasso autour du monde, la re-voilà, ne la ratez pas. Moquez-vous du reste si cela vous agrée, mais accordez-vous les cinq minutes qu'elle dure. La plus belle chanson du monde.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, reste le DVD, qui lui aussi est un véritable enchantement. Pour le coup, ici, tout y est ou presque (Lakes Of Pontchartrain, comme tu nous manque), et donc plus encore.

Mais vous êtes comme moi, vous détestez les DVD. Et rester devant la télé pendant deux heures et demi à regarder ces quatre loustics jouer du pipeau ne représente pas... comment dire... votre vision de la soirée parfaite ? Devant ne revendra pas son baril de westerns pour cinq minutes de Blacksmith au Late Late Show ? Eh ben vous savez quoi, les trente-six chandelles évidemment inédites que compte la galette, je les ai rippées en splendide mp3 @320 rien que pour vos oreilles.

A partir de là, vous êtes heureux(ses) et vous ne le savez pas encore. Cela ne saurait tarder.

Le CD
Le bout du DVD qui couvre la période 1972-73
Le bout du DVD qui couvre l'année 1980
Le Live au Natiional Stadium de 1982

Slàinte Mhaith !

mardi 7 novembre 2017

#213 : Hüsker Dü "New Day Rising"

Il paraît qu'en ce moment, la blogosphère s'est mise en tête de glorifier le Zen Arcade de Hüsker Dü (glorifier ou démonter peu importe, d'en parler quoi !). Etant donné qu'il serait navrant que j'en sois, pour d'évidentes raisons de redites, voici donc un autre album de Hüsker Dü qui me paraît pouvoir retenir votre attention quelques instants :

- Ce n'est pas un double-album : les arguments en faveur de cette particularité de Zen Arcade ne tiennent pas. C'est un disque de punk rock tout bête, initialement avec deux faces, aujourd'hui je ne sais plus, 15 fichiers ?

- Les morceaux sont très courts, balancés en 2'30 sur des thématiques intéressantes (les livres sur les OVNI, les façons de dépecer un chat, enfin ce genre de choses, somme toute rien que de très banal)

- Contrairement à Zen Arcade, il est inutile/difficile/idiot d'évoquer l'éternel "sens de la mélodie qui se cache sous le déluge de décibels montrant quel songwriter se cache derrière patati patata". Les cinq premiers morceaux ne sont qu'un tir en ligne, en avant toutes, avec le plaisir simple et essentiel de faire du bruit, simplement du bruit comprenez-vous. On aimerait que ça continue mais malheureusement on trouve par la suite quelques éléments un peu pop - oh rassurez-vous guère plus que de Ferrero sous le canapé un lendemain de murge. Et ça ne commence qu'à la septième chanson, et ça c'est bien aussi, surtout que ça ne se calme pas sur la fin. Et non, il n'est pas plus mélodique et plus lent que Zen Arcade, il est tout aussi jouissif. Juste un peu moins brutal que Land Speed Record, qui s'en plaindrait ?

- Et puis la pochette est si chouette. Ce paysage idyllique avec deux clébards devant qui viennent affectueusement nous rappeler qu'en bon chiens errants ils nous boufferaientt les couilles si l'on s'amusait à venir contempler le soleil levant, conneries tout ça. Et puis en regardant de plus près, le soleil est noir, le ciel couleur de merde, et les clébards sont peut-être tout aussi bien des chiens-chiens à sa mémère qui en pissant dans l'eau vont vous coller une maladie parasitaire à la con et que bordel si j'avais un flingue je dégommerais ces saletés. Journée de merde.

Et surtout, ce disque s'appelle New Day Rising, et je me faisais la réflexion justement, en l'écoutant à fond la caisse dans les embouteillages après avoir passé une journée pourrie à un point ou j'avais l'impression vu toute la merde qui me tombait dessus que le reste du monde devait être constipé, pas moins. Demain sera bien ? J'y crois plus.

Prenez trois paysans, acculés par les dettes des fournisseurs. Ces trois paysans se regroupent en coopérative, tiennent la dragée haute au vilain commercial, du coup améliorent leur revenu. De fait les adhérents à la coopérative augmentent. Celle-ci prend du poids et embauche des salariés. A tel point qu'arrive un moment ou elle a pour objectif de grossir pour continuer à vivre, ceci bien entendu aux dépens des paysans qui l'ont créée, augmentant les prix des fournitures qu'elle leur revend.

C'est l'éternel serpent qui se mord la queue.

Alors New Day Rising, après une journée à affronter la mauvaise foi, les petits intérêts personnels, les postérieurs postiches et j'en passe, c'est parfait dans ma petite voiture coincée dans ces putains d'embouteillage. Nouveau jour, nouvel ordre mondial, je me dis que les êtres humains sont tellement cons que tout ça est peut-être vrai. Comme ces coopératives qui bouffent sur le dos des paysans. Je veux dire, sans même avoir besoin d'un complot, sans même en appeler aux Illuminati, sans même le faire exprès. Et c'est là qu'il n'y a plus guère d'espoir. Comme ces cellules cancéreuses qui prolifèrent comme un vieux réflexe consistant chez les paramécies et les hydres aquatiques à se multiplier par division lorsqu'un danger, un stress les y poussent. Sauf que le crabe nous tue, RIP Mr Grant Hart, comme le nouvel ordre mondial, comme les coopératives, le glyphosate et mes collègues de boulot.

Et contre tout ça, je ne vois guère que Hüsker Dü, très fort dans l'auto.

Et justement, pour en revenir à Zen Arcade, je crois que je le re-écouterai dans les embouteillages demain, New Day Rising n'est pas assez long. A moins de l'enchaîner à Candy Apple Grey ? Et si vous en voulez d'autres, avec plaisir.

Demain, journée de merde.



dimanche 5 novembre 2017

#211-212 Clannad "Dulaman" - "The Magical Ring"

Raconter l'Irlande autrement que par Van Morrison, Rory Gallagher, Shane Mc Gowan et les autres ? L'idée vient d'Audrey. Elle est plutôt bonne, et m'a suffisamment tourneboulé les méninges pour que je me retrouve à raconter cette première histoire, plutôt triste d'ailleurs. Celle d'un groupe - Clannad - immensément doué, d'une subtilité rare, qui s'est évanoui dans les brumes éthérées de la New Age au beau milieu des années 1980.

Pile, en fait, au moment où il furent adoubés par Bono. Pas le clown, l'autre. Qui aurait "failli avoir un accident de voiture" en entendant Theme From Harry's Game - sous-entendu tellement c'est beau. A l'époque, Bono était encore en recherche de crédibilité, et ma foi il était plutôt de bon ton de s'afficher avec Clannad (ce qui se soldera par un duo sur un album à suivre, Macalla, mais inutile de parler des carottes lorsqu'elles sont déjà cuites). 

Avant ces pénibles affaires, au milieu des années 1970, Clannad était un groupe incroyable. Rien à voir avec les Dubliners et autre Wolfe Tones dont on ne saura jamais si c'est de hurler qui donne soif ou l'inverse (rapport à leur consommation de bière et à la corrélation sans faille avec le manque d'intérêt de leur musique pour quiconque s'y essaie à jeun). On pourrait rapprocher ces jeunes gens de Planxty, dans la mesure où l'instrumentation traditionnelle est au service de subtilités qui vont bien plus loin que la musique dite "folk" - consistant comme chez nos Tri Yann à beugler des tralala sous fond de cornemuse ou de biniou pour espérer finir en pin's au syndicat d'initiative de Plougastel. Les arrangements sont ici à tomber. On hésitera pas à parler d'orfèvrerie pour des choses comme Cumha Eoghain Rua Ui Neeil (ce qui en Gaélique signifie "Chéri t'as été à Super U et t'as encore oublié de racheter du café"). Et la voix... celle de Màire Brennan (en fait, il s'agit de la famille Brennan, d'où le clan - clannad - vous voyez c'est facile le gaélique), par ailleurs harpiste du groupe... On se damnerait pour moins que ça.

Dont acte : Dulaman, enregistré en 1976, est une de leur plus belles réalisations. Encore marqué par le folk des débuts (mais sentant nettement moins la marée), l'auditeur averti y décéléra ça et là quelques empreintes de jazz et partout une intelligence sans faille dans les arrangements. Un disque formidable, de la belle ouvrage. Tout cela aurait pu, aurait dû continuer longtemps mais...

Mais l'Irlande a beau être une île, la gale des années 80 la vérolera malgré tout, Clannad en premier lieu : Ma foi, le succès d'estime c'est bien gentil mais j'ai les falaises de Mohair à ravaler, alors un peu de cash ne ferait pas de mal. Ouh mais regardez-moi quoi que c'est que ce joli synthétiseur à sa mémère hein ?

Gagné. Tomberont dans le panneau comme Obélix dans la potion. Le plus courageux pourront s'en convaincre à l'écoute de The Magical Ring, l'album grâce auquel Bono aurait pu mourir dans un accident de voiture avant de nous pourrir la vie avec Achtung Baby, et qu'on partagera en deux lots : en gros, la moitié où le folk prime encore - pour la dernière fois - et où la beauté semble atteindre un point de non-retour (Coinleach Ghlas An Fhomair - "Faut absolument que je change de lunettes j'y vois plus rien avec celles-là" - une reprise d'ailleurs du deuxième album, on sent que les vieilles marmites, les meilleurs plats, etc.) et l'autre moitié ou le groupe semble vouloir refaire le coup du Supertramp de Breakfast In America avec des bouzoukis (Thios Fa'n Chosta - "Jolie Poupée" - au hasard). Rien qu'à la pochette mystico-promotionnelle digne d'une marque de lessive sans phosphates, on ne pouvait que s'en douter.

A jouer à ces jeux dangereux, on tombe évidemment sur le truc qui va décoller (et augmenter le chiffre d'affaire des concessionnaires automobiles en même temps) : laissez les fifres au pub, gardez le synthé, poussez-moi la réverbe et l'écho sur la voix de la chanteuse et hop !

Les Irlandais se jetteront là-dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton, et si le reste de l'Europe restera quelque peu indifférent à cette affaire, elle craquera quelques années plus tard grâce (?) à Enya, la frangine de Màire, qui vaporisera encore plus de Tahiti Douche dans la console de mixage - au-delà des bornes y'a plus de limites, c'est bien connu.

Mais ceux qui ont lu Corto Maltese le savent déjà, il se passe souvent de tristes histoires en Irlande, et celle de Clannad en fait partie. Alors oui, il vaut mieux en rire (et je ne vous ai même pas raconté la meilleure, ces gens-là ont quand même composé la BO d'un feuilleton sur Robin des Bois, mais oui !). Même si j'ai vu que sur un live récent (faut bien manger), les Clannad reprennent encore ces frasques passées en fin de concert.

Pendant que Bono voyage en jet privé.

jeudi 2 novembre 2017

Bob Dylan - en attendant le verset 13

Soyons honnêtes, mes frères, Columbia fit parfois de la bonne ouvrage avec le catalogue de celui que dans le métier on appelle aujourd'hui Tino Rosshillbilly  et dont le fameux Never Ending Tour se serait transformé en Hit The Road Jack Lantier. Malheureusement ils sont actuellement trop occupés à essayer de dissuader le prix Nobel 2016 de reprendre Le Petit Bonhomme En Mousse à la fin de ses concerts pour se concentrer sur les Bootleg Series, c'est sans doute pour cela que celui à venir, le volume 13, sera - en vérité je vous le dis - totalement à côté de la plaque.

D'abord, ça devient agaçant de vouloir fourguer minimum huit CD par coffret, histoire de justifier - en cette fin des temps discographique - un prix minimum de 100 euros par pélerin (dans l'ancien testament on pouvait faire raquer 100 euros pour 3 CD, il en faut 8 aujourd'hui, les temps changent que voulez-vous). Il paraît que même Hugues Aufray fait écouter les Bootlegs Series par sa secrétaire tellement ça commence à l'ennuyer. Voyez par exemple les 36 chandelles de sa tournée de 1966 (qui ne sont pas des Bootleg Series mais quand même), de quoi épuiser jusqu'au dernier des Mohicans, surtout qu'il s'agissait de la tournée durant laquelle le Zim a le moins souvent modifié la set-list...

Plus avant encore, le coffret sensé vanter les mérites (bien) cachés de Self Portrait, et par là-même évoquer les tendres années 1969-71) fait une impasse sur les sessions avec Johnny Cash, pourtant lui aussi artiste Columbia alors quoi ?

Et puis a contrario, les bandes magiques de 1965-66, dans leur intégralité, ont été reservées à une élite, prête à payer 500 boules pour ne jamais partager les 18 CD avec le reste du monde. On est mal, je vous le dis.

Bref, après les Basement Tapes, il semblerait qu'on ait définitivement confié la gestion du grabataire de Greenwhich à un stagiaire en deuxième année de secrétariat. C'est un choix.

Ainsi donc notre stagiaire se vit confier la divine mission de crédibiliser la période Born Again (et je souhaite déjà bonne chance à celui qui n'est pas encore né et qui, dans les Bootleg Series Volume 124, sera chargé de dire du bien de sa période actuelle - fais-moi mal Charlie O'Leg), en multipliant les galettes comme jadis on avait tradition de le faire quand on se voulait prophète. Sans aucun discernement, bien entendu. Avec humour toutefois, puisque Dylan bêlera derechef l'évangile juste après la Toussaint. Amen.

Car Columbia m'aurait appelé, je leur aurais expliqué la Sainte Trinité. 1979 - 1980 - 1981, c'est aussi simple que cela : trois ans, trois concerts. Et l'auditeur esbaudi entendra rugir le Bob de belle manière, l'imaginera s'engouffrer dans ce gospel rauque (en bonne compagnie quand même : Fred Tackett, Jim Keltner, Tim Drummond, c'est pas le même line-up qui swingue aux thés dansants du temple des Témoins de Jehovah au-desssus de chez moi), jouer au beau milieu des putes et des zombies en 1979 au Warfield Theatre de San Francisco, tenter d'annexer le Canada en 1980 (c'est une tradition yankee, ne cherchez pas) à Toronto pour enfin sceller sa croisade dans la cité des Papes en 1981 (j'ai déjà vanté cet épisode épique dans ce même blog, je ne vais pas insister). Et voilà, trois concerts, six CD, faites-moi le tout à trente balles et on en parle plus.

Là, mon stagiaire blêmit, relit sa convention et me dit timidement : il paraît qu'il faudrait quelques studios outtakes, c'est marqué dans le référentiel pédagogique, et là y'a que du live...

Ne pleure pas mon garçon, car Tonton Jeepee a tout prévu, tu l'auras ton CAP : le père Dylan ayant visiblement abusé du vin de messe des Corbières à l'époque, il existe dans le monde parallèle un témoignage de l'urgence dont il témoignait pour écrire chaque jour davantage de chansons qui lui venaient comme ça, oserai-je dire par la grâce du Saint-Esprit, et figure-toi que nombre d'entre elles sont à ce jour inconnues des cadres de Columbia (le reste du monde les fredonne depuis vingt ans déjà, mais bon). Et il est bon de rappeler à la terre entière combien les chansons écrites à cette époque-là, quand le Bon Dieu a commencé à se lasser du folk, étaient incroyables (Caribean Wind, Lenny Bruce, Every Grain Of Sand...) Par un divin copier/coller, rajoute donc Between Saved And Shot et non seulement tu remplis ta mission, mais avec brio : ce sont maintenant SEPT galettes hautement symboliques que tu vas pouvoir proposer à la plèbe suante et puante en échange du denier du culte.

- Mais ou vais-je trouver cela mon père ?

Ne m'appelle pas mon père, je te fais bouffer ton harmonica sinon ! Tu trouveras ça sur le web, en moins de vingt minutes (véridique, NDLR). Pour trouver il faut savoir chercher, petit scarabée, rien n'est caché. Médite-moi un peu cette sentence, télécharge toi ça à droite et à gauche, et avec les 140 euros que tu auras économisé, goûte donc aux plaisirs de la vie et de la chair. Car malheureusement Dylan n'est pas près de ressusciter d'entre les morts - je me suis laissé dire qu'il comptait enregistrer un tribute album dédié à Julio Iglesias.

Ainsi fut donc fait, voici the Jeepeedee's Bootleg Series volume 13, moins chères que celles de Columbia, qui lavent plus blanc, et que j'échangerais pas contre un baril d'eau bénite.

A ce moment très précis, Dieu m'apparut, et en ces termes s'adressa à moi :

Non mais c'est pas vrai ce bordel quand même ! Je t'ai pas demandé de tuer ton fils, c'est pas la mer à boire ! Pourrais-tu expliquer a minima pourquoi cette trinité est essentielle ? A quoi le lecteur estomaqué par ton charabia peut s'attendre ? Nom de Moi c'est pas vrai !!!

(Dieu parle toujours fort, désolé)

OK, donc, par le menu. Ceci expliquant peut-être cela.

Au Warfield Theatre, le 8 novembre 1979, comme les autres jours d'ailleurs et contrairement à ce qui a été écrit, le public est plutôt content de son sort, et accueille le fils prodigue avec ma foi grand bonheur, semble heureux que le groupe entame Gotta Serve Somebody. On trouve ici des versions encore proches de l'album des chansons de Slow Train Coming et, comme dix chansons ne suffisent pas à précher l'évangile, Saint-Zim en sort une dizaine de son chapeau, écrites dans l'urgence, qui finiront sur Saved, l'album maudit (?), invendable car même pas béni par Mark Knopfler. Pour les plus vieux d'entre vous/nous, c'est ici qu'on entend le Solid Rock qui avait à l'époque tourneboulé Garnier dans Rock & Folk. Chose incroyable, le Zim chante comme sur le disque, presque timide par rapport à ces hymnes bibliques et à la personne à qui il s'adresse (Bobby s'adressant, dans ces chansons, plus souvent à Dieu qu'à ses fans, faut pas déconner non pkus)

A Toronto quelques mois plus tard, le vieux briscard est - déjà - aguerri, et si le répertoire ne change pas, notre nouveau prophète interprète son gospel comme si ces chansons avaient été écrites depuis la nuit des temps, comme si - déjà - Moïse les chantait à son peuple le soir auprès du feu.

Rajouteré-je que vous avez ici droit à la première partie, à savoir les choristes à Dylan reprenant quelques gospel même pas écrits par leur employeur, mais de première facture, et vous savez ce qui vous reste à faire. Mais de grâce, chassez ces pensées impures.



A Avignon enfin, Dylan met du vin dans son eau bénite, et les vieux refrains réapparaissent sous la tiédeur de l'été 1981. En une construction mystique ceci dit, les vieux brûlots semblant ici davantage illustrer les divins commandements et les affres des pécheurs que servir une improbable contre-culture déjà faisandée. Voyez - misérables pécheurs - les malheurs qui s'abattent sur la pauvre gourde de Like A Rolling Stone, qui n'a point suivi les préceptes du Saint-Père. Quel effet ça faaaaaait ? Dans ce théatre Antique, le diable et le bon dieu se partagent l’Idole, laissant deux morts sur le carreau. Un des instants les plus intenses du canard à l'harmonica.



Cerise sur l'hostie, Between Saved And Shot rassemble pas mal de chansons en devenir qui ne deviendront jamais rien - et en écoutant Magic, Wind Blows On The Water et les autres, on peut le regretter. On peut aussi tomber raide, les genoux à terre, en entendant la reprise serpentueuse de Mystery Train, et ceci même pour les plus agnostiques d'entre vous. Ca tape, four on the floor comme on dit à Jérusalem. Ha ha ! ce vieux train qui déboule lentement, serait-il celui-ci même qui par l'entrejambe d'Elvis Presley porta Satan en Amérique ? Mazette, sucettes et tortillas, l'argument est de taille, et le Zim jamais meilleur que quand il endosse les habits du Diable pour mieux le vilipender. Nom de Dieu, on aurait aimé être petite souris à ces sessions ! Car, en plus, les versions alternatives des titres à venir sur Shot Of Love (dont Shot Of Love, tiens), sont du même acabit. Adrenaline (et j'ai crié !) garantie.

Ainsi soit-il, tout est là, prenez, ceci a du corps :

Warfield
Toronto - part 1
Toronto - part 2
Avignon - part 1
Avignon  - part 2
Between Saved And Shot

Bon, vous savez quoi faire ce week-end. Ca vous évitera une sortie à la FNAC en ces temps pluvieux (quoique les sous du coffret économisés peuvent vous permettre d'acheter un grille-pain, et que la FNAC regorge de grilles-pain, car quand il fait pluvieux comme ça, rien de tel qu'un grille-pain*).

*et il paraîtrait même qu'on ait trouvé Dylan faisant du porte-à-porte à Minneapolis ce jeudi, essayant de vendre des grille-pain tout en chantant l'air du Toréro de Carmen, justement, c'est pour ça que j'y pense.


mardi 31 octobre 2017

#210 Hüsker Dü "Zen Arcade"

NOTO BENETS : Je jure, crache, promets que ce post, rédigé avant-hier et gardé au chaud le temps de laisser chanter Christy n'a rien à voir avec une éventuelle tentative de piraterie du blog de Jimmy, ou je retrouve ce disque posté hier (enfin, aujourd'hui , quand je lis ça quoi, mais demain quand vous lirez ça...). Du coup je le sors du four avant l'heure... Les grands esprits... Dingue quand même cette affaire

Parce que vu le pavé envoyé il y a quelques jours, il ne faudrait quand même pas imaginer que je noie mon chagrin dans le spleen gaélique à toute la journée. Et puis mes amis russes sont pleins de resssources :

- Dimitri il aime bocou Houskair Dou quand il attaque la deuziome bouteille de vodka, pour discouter avec ses amis tchétchènes, alors pouisque tou aimes le soung braiting (mes amis russes lisent très peu les Inrockuptibles, NDLR), ça debré te plaire. La guitare est joulie sur troisième chanson.

 Avec des arguments pareils, impossible de refuser l'intégrale du , si ? J'ai donc téléchargé avec un sourire poli (les russkofs ont quand même mon adresse IP, merde), peu certain qu'après toutes ces années, du punk rock du beau milieu de terribles années 1980 puisse encore m'émouvoir. Et puis la crainte de revenir sur de beaux souvenirs, aussi. Avant Nirvana, bien avant, ces gars-là tenaient la dragée haute à pas mal de monde, et semblaient même intouchables. Quid, aujourd'hui, alors qu'on a tous oublié Sugar (ouf, plus besoin d'être polis) et que bientôt on osera dire que Sonic Youth c'est casse-pied la moitié du temps (Que c'est d'ailleurs pour ça, au passage, que l'album culte de Sonic Yourh, Daydream Nation, est un double-album) ?

Ben disons que, Dimitri, tu vois, t'aurais même pas besoin de vodka avec ça. Enfin si, je sais, ça te calme, la vodka. Mais mazette, quoi, plus de trente ans après, le truc n'a pas pris une ride ni une once de gras. N'a pas ralenti dans les virages. Pride est toujours aussi jouissive. Et c'est pourtant un double-album - les petits gars tiennent la cadence sur 70 minutes.

Alors il est où le miracle ? La recette ? Le pourquoi du comment ?

Du pourquoi de comment y'a pas. Ce truc est construit comme un OVNI, donc de ce côté-là l'affaire est réglée. Quand bien même le jeune Bob (pas l'incontinent qui dans son Alzheimer se prend pour Jacques Martin, Bob le Mould) se fend d'un concept album (ha ! la tronche des gars de Yes ! matez le concept album les endives ! Ca gratte hein !) qui consiste en gros à faire passer le message ô combien voltairien quoique vous en pensiez, y'a toujours pire ailleurs, chouette époque on vous dit.

La recette ? Non mais David Geffen sors de ce corps ! T'amenais une calculatrice au studio, Grant Hart il faisait une crise d'épilepsie. What's going on inside my head ? On se pose toujours la question, en tapant du pied. Ce que bien d'autres auraient caché/censuré/évité, les le mettaient en avant. Pains, jams, premières prises, dans ta face connard. Paf.

Le miracle ? Sans effets. Ecoutez l'intro à la batterie de Something I Learned Today qui ouvre le disque et vous aurez tout compris. Pas un pet de reverb, pas un reflet kitsch sur la caisse claire. Non, direct le truc. Et pareil pour la basse. Et la guitare, à fond la guitare, évidemment qu'il y a de la disto, y'a même que ça  mais c'est tout. P-U-N-K. Alors évidemment, quand on supprime tout ce qui - une fois la mode passée - sera démodé, on travaille pour l'avenir mes amis. Même si dans cette bouse de vie, l'avenir ça fait peur. Alors on planque tout. Les mélodies imparables (Standing By The Sea, Somewhere, oh et puis Pink Turns To Blue, incroyable, et puis... toutes les chansons, en fait) quelqu'un finira peut-être par les trouver ? En tout cas on risquera pas de marcher dessus par hasard même si elles deviennent un peu plus faciles sur la fin, comme si le masque brutal de la timidité tombait petit à petit, comme si... on était entre nous, ayant découragé les curieux une fois les premiers brûlots expédiés.

Alors évidemment, ils en vendront 400, des albums, dont un à Kurt Cobain. Enfin, au moins un. Je serais pas étonné qu'il l'ait usé jusqu'à la corde. Et on comprend mieux son problème quand on a grandi avec ça, qu'on veut faire le même à son tour sauf qu'on devient la coqueluche de millions d'abrutis pour qui Zen Arcade ça doit être sorti chez Nintendo à l'époque, non ?

23 chansons. Qui, ralenties, travaillées, auraient pu lancer 23 carrrières, en plus de celle de Nirvana. Cachées sous une pochette moche, grimées par la vitesse, salies par une production boueuse qui - ne riez pas - rend aujourd'hui la remasterisation du catalogue problématique (je n'invente rien, je l'ai lu). Un peu comme ce dessin que le gosse planque du revers de son bras. Regarde pas, l'adulte, tu comprendrais pas, tu sais même pas rêver. The Toothfairy And The Princess, tu peux même pas l'imaginer.

- Vladimir a dit moi Krouchtchev lui aimait bocou Housker Dou, il disait ça être bon pour tracasser Reagan me confie Dimitri pendant que déjà mes autres amis russes pogotent sur Turn On The News. Ca sent la fin, déjà, avant les 14 minutes (!) du kasatchok final complètement schizophrène de Reoccuring Dreams. Ce qui, au passage, nous rappelle que cela ne laisse que 56 minutes pour les 22 autres morceaux (quand je vous disais qu'il n'y avait pas de graisse)... Merci donc les copains, j'avais été tenté par celui-là, initialement par simple curiosité nostalgique, mais je vais de ce pas me remettre Candy Apple Grey et tous les autres dans les mirettes.

Ah et puis cette chronique est dédiée à l'ami Keith Michards. Premier à avoir commenté le post sur Christy Moore, je ne pouvais que chercher quelque chose d'assez délicat à ses papilles.

A bon entendeur...

Edith, encore merci d'avoir lu malgré la redite. Tiens, c'est pour toi - je sais que tu aimes les surprises. Les bonbons, les pommes, tout ça...

dimanche 29 octobre 2017

Christy Moore (five down, five to go...)

Dans la série "les 10 bonhommes qui ont le plus tourneboulé votre serviteur", nous voilà déjà au 5ème. Monsieur Christy Moore. Je dis Monsieur et ça n'est pas souvent, remarquez-le bien. Depuis 1969 que le bibendum irlandais se sort de tous les faux pas, au point, en 2016, de sortir un Lily des plus honorables. A part Dylan jusqu'à ses pertes de mémoire (pour ne pas user de métaphore physiologique) qui commencent déjà à dater (Shadows In The Night et autres jazz d'eau) je ne vois guère de monde à le concurrencer, si ce n'est peut-être son compatriote Van the Man, qui semble vouloir se remettre à faire des disques écoutables ? Parce que bon, si les Stones ont rattrapé le coup des Satanic Majesties en 1967, il faut bien dire que Emotional Rescue (1979... purée) leur fut fatal ou presque.

Christy Moore lui, s'est amusé à tutoyer des sommets - et pas de simples collines irlandaises - avec Planxty ou tout seul comme un grand et à nous faire sentir le mauvais goût de ses gueules de bois en direct (fin des années 80, comme tout le monde ou presque) mais s'est à ce jour toujours sorti de ses faux pas, et dieu sait s'il y 'en a eu, et puis si les irlandais avaient toujours goût, ça se saurait et c'est eux qui auraient inventé le camembert, ce qui n'est pas le cas, CQFD.

Plus sérieusement, avec son physique presque caricatural, s'il fallait quelqu'un pour incarner la ballade irlandaise, bien mieux que Bourvil, le Christy est votre homme. Capable de tirer des larmes à des crocodiles bourrés à la Guinness, y'en a pas deux comme lui. Alors bien sûr, il est parfois un tantinet pénible quand il veut sauver l'Irlande, la veuve, l'argent de la veuve et l'orphelin, à un point que même Victor Jara aurait préféré qu'on lui coupe les oreilles plutôt que d'entendre tout ça, mais heureusement pour vous, le Jeepee a tout compilé. Tout retrouvé (avec l'aide de quelques amis russes que je remercie au passage), tout pesé, tout ré-estimé. Et parce que le bonhomme le mérite, ce sont là 70 chansons plus une en bonus, pour quelque 730 Mo quand même, qui vont vous fendre votre petit cœur d'artichaut (la celte Bretagne n'étant jamais loin, si l'on en croit le Trip To Roscoff ici présent) faute de vous faire taper du pied. Au moins un titre par album (pas toujours facile quand certains sont vraiment TRES mauvais - genre Voyage), parfois quatre ou cinq ou plus (The Time Has Come) parce que ça n'était pas possible de trancher dans le lard, le Christy ayant la couenne trop épaisse, escapades Moving Hearts et Planxty incluses (enfin, uniquement celles chantées par notre ladre, on s'occupera d'Andy Irvine un autre jour voulez-vous ?), tout ça classé par ordre chronologique, du skiffle rigolo de Paddy On The Road de 1969 à l'émouvante Lily de 2016.

Alors bien sûr cela reste une compilation, même s'il vous faudrait bien fallu quatre ou cinq CD pour caler tout ça dans une autre vie, mais je pense que tout ou presque y est. Certaines choses apparaissent tardivement, dans des versions live (Metropolitan Avenue, par exemple, qui gagne en sobriété - ce qui suffisamment est rare chez les irlandais pour être cité ici), d'autre y sont carrément deux fois (Only Our Rivers, par exemple, dans sa version planxtiesque et en solo en 1983, car symboliquement à cette époque notre homme voulait montrer à tout le monde qui c'était le chef), l'homme ayant en commun avec Manset d'aimer revenir sur ses faits (qui a dit par manque d'inspiration ou par intérêt commercial ?), et oui il manque peut-être quelques facéties, cette compilation étant plus tournée vers la ballade qui vous tire des pintes de larmes que vers la gigue.

Il y a même des choses très mauvaises : un Dark End Of The Street histoire de justifier l'arrêt immédiat de Moving Hearts ainsi qu'un featuring de U2, vite rattrapé par la même chanson sans les andouilles de Dublin (le but pervers de votre serviteur étant évidemment de... enfin vous m'avez compris quoi, Vire vaut bien Dublin, surtout question andouilles). Et ceux qui croient connaître, à ceux-là je dirai : sais-tu que tu y trouveras la version 45 tours de On The Blanket avec - justement - Moving Hearts ? Ainsi que They Never Came Home, censuré par WEA à l'époque de Ordinary Man ? Et le 1er 45 tours de Planxty ? Tout ça tagué par année, ça va de soi. Bon, alors, camembert.

Et pour les curieux, non, Shine On You Crazy Diamond en version folkeuse n'a rien de ridicule même si faut avoir les épaules larges pour s'attaquer à celle-là, et le bougre est peut-être même le seul à s'y être osé. Pour les esthètes, Christy Moore a toujours été pote avec Shane Mc Gowan, contrairement à Van Morrisson, et l'a fait savoir très vite (A Pair Of Brown Eyes), à la même époque ou l'autre a fait son caca nerveux (Irish Heartbeat, enregistré au musée avec les Chieftains). Enfin, non content de rendre hommage à Syd Barrett, Christy s'est aussi fendu d'une ballade pour le pote Rory Gallagher. Un bon gars, je vous dis.

Alors pour finir, les fans branchouilles sur le retour qui font semblant de se faire pipi dessus en écoutant Nick Drake, John Martyn et les autres, qu'ils reviennent me voir après s'être enfilés January Man (la plus belle chanson du monde, tout simplement), The Boys Of Barr Na Sraide, Little Musgrave, Tyrone Boys et Folk Tale. On en discutera devant un lexomil.

Vous savez donc quoi écouter pendant les cinq prochaines heures. Elles devraient être bien douces. Je vous envie, ceux, là, vous, qui allez découvrir tout ça.

Vite, ça dure que huit jours ce truc.

Et pour ceux qui hésiteraient ou qui ne croiraient pas au père Noël, la set-list est ici (Planxty est vert et Moving Hearts est orange) :

Paddy On The Road (1969 – The Box Set 1964-2004)
The Curraghs Of Kildare (1969 – Paddy On The Road)
Spancill Hill (1972 – Prosperous)
The Cliffs Of Dooneen (1972 – Prosperous)
Three Drunken Maidens (1972 – single A-Side)
The Raggle Taggle Gypsy (1973 – Planxty)
Only Our Rivers (1973 – Planxty)
As I Roved Out (1973 – The Well Below The Valley)
The Well Below The Valley (1973 – The Well Below The Valley)
The Lakes Of Pontchartrain (1974 – Cold Blow And Rainy Nights)
One Last Cold Kiss ( 1975 – Whatever Tickles Your Fancy)
The Moving On Song (Go ! Move ! Shift !) (1975 – Whatever Tickles Your Fancy)
January Man (1975 – Whatever Tickles Your Fancy)
Johnny Jump Up (1976 – The Box Set 1964-2004)
Nancy Spain (1976 – Black Album)
Ninety Mile From Dublin Town (1978 – H-Blocks)
Black Is The Color (1978 – Live In Dublin)
The Boys Of Barr Nà Stràide (1978 – Live In Dublin)
Bogey’s Bonnie Banks (1978 – Live In Dublin)
Trip To Jerusalem (1978 – The Iron Behind The Velvet)
Dunlavin Green (1978 – The Iron Behind The Velvet)
The Good Ship Kangaroo (1979 – After The Break)
True Love Knows No Season (1980 – The Woman I Loved So Well)
Hiroshima Nagasaki Russian Roulette (1981 – Moving Hearts)
Irish Ways & Irish Laws (1981 – Moving Hearts)
No Time For Love (1981 – Moving Hearts)
Dark End Of The Street (1982 – Moving Hearts)
All I Remember (1983 – The Time Has Come)
Faithfull Departed (1983 – The Time Has Come)
Nancy Spain (1983 – The Time Has Come)
The Time Has Come (1983 – The Time Has Come)
The Wicklow Boy (1983 – The Time Has Come)
Only Our Rivers Run Free (1983 – The Time Has Come)
Lord Baker (1983 – Words & Music)
I Pity The Poor Immigrant (1983 – Words & Music)
Ride On (1984 – Ride On)
Back Home In Derry (1984 – Ride On)
On The Blanket (1984 – single A-Side)
Ordinary Man (1985 – Ordinary Man)
Sweet Music Roll On (1985 – Ordinary Man)
St Brendan’s Voyage (1985 – Ordinary Man)
Quiet Desperation (1985 – Ordinary Man)
They Never Came Home (1985 – Ordinary Man outtake)
Deportee (1986 – Spirit Of Freedom)
The Other Side (1987 – Unfinished Revolution)
Natives (1987 – Unfinished Revolution)
A Pair Of Brown Eyes (1987 – Unfinished Revolution)
The First Time Ever I Saw Your Face (1989 – Voyage)
Smoke & Strong Whiskey (1991 – Smoke & Strong Whiskey)
Easter Snow (The Collection 81-91)
Before The Deluge (1993 - King Puck)
Welcome To The Cabaret (1994 - Live At The Point)
The Knock Song (1994 - Live At The Point)
North & South Of The River (1995 - w/ U2)
North & South Of The River (1996 – Graffitti Tongue)
Rory Is Gone (1996 – Graffitti Tongue)
Tell It Unto Me (1999 – Traveller)
So Do I (2001 – This Is The Day)
Wandering Aongus (2002 – Live At Vicar Street)
Metropolitan Avenue (2002 – Live At Vicar Street)
Little Musgrave (2004 – Planxty Live 2004)
Changes (2005 – Burning Times)
Sacco & Vanzetti (2006 – Live At The Point)
Sonny’s Dream (2006 – Live At The Point)
Barrowland (2009 – Listen)
Shine On You Crazy Diamond (2009 – Listen)
Listen (2009 – Listen)
Tyrone Boys (2011 – Folk Tale)
Farmer Michael Hayes (2011 – Folk Tale)
Folk Tale (2011 – Folk Tale)
Lily (2016 – Lily)
BONUS : Where I Come From (live - Late Late Show 2014)

Enfin, pour ceux qui lisent jusqu'au bout, un lien alternatif au kazoo :

zip, zip, re-zip et encore zip !

vendredi 20 octobre 2017

#209 : Castelhémis "Armes Inégales"

Imaginez. Enfin si vous y arrivez. Si Léo Ferré, en lieu et place de sa légendaire crinière de fauve anarchiste avait eu le physique de - au hasard - Fernandel ou Bourvil. Imaginez-le maintenant déclamer Le Chien avec ce nouveau minois. Avouez que ça manque cruellement de superbe. A la place du regard fuyant et torve de Lou Reed, calez la tronche de Patrick Sébatien et imaginez l'hydre ainsi créée interpréter Heroin. Vous me direz que si Marianne Faithfull avait eu le physique de Maité, elle ne serait jamais sortie avec Mick Jagger et qu'il serait vain de l'imaginer fredonner la ballade de Lucy Jordan. OK sans doute.

Castelhémis lui, avait le physique de Roland Magdane. La vie est parfois cruelle. Surtout que Castelroland s'était mis en tête de cracher les textes les plus violemment anti-militaristes que l'année 1977 ait comptés.  Ce qui n'était pas bien difficile, en pleine période punk il n'y avait plus grand monde - surtout dans les Landes, honorable bastion accueillant avec bienveillance Police, Damned, Clash et les autres - à brandir les valeurs baba cool avec - en plus, ce gars-là cumulait ! - une guitare 12 cordes acoustique en guise d'étendard.

C'est donc tout à fait normal si vous n'avez jamais entendu parler de Casteltruc (non, ça n'est pas une marque de pinard 5 étoiles des différents pays de la Communauté Européenne). C'est tout aussi normal si la musique de ce gars dont j'ai déjà oublié le nom vous apparaît risible voire carrément insupportable. En fait, vous pouvez tout à fait passer votre chemin, on ressort plein de gâteries pour Noël, un coffret de Zappa, La Reine Morte des Smiths en version deluxe (évidemment), et plein d'autres à venir sans doute.

Inutile donc de perdre votre temps avec ce rip vinyle (le truc de Castelvin n'est jamais sorti en  CD) sur lequel j'ai passé ma soirée. Avec émotion, nostalgie, tristesse, amour. Parce que comme tous ceux qui ont croisé la route de Castelhémis pendant leurs tendres années, comme tous ceux qui ont chanté Les Soldats devant un feu de camp à la Saint-Jean, comme tous les disciples qui l'ont vu en concert dans les années 80-85, je ne m'en suis pas remis. Génie des mélodies ? Sens du verbe ? N'exagérons rien, il faut malheureusement raison garder quand on a mon âge. Juste ce pincement au coeur, ce sentiment que ces vertes et juteuses années n'auraient pas pu être plus tendres, et cela grâce à lui.

Amusez-vous (?) à traîner sur Youtube - seul endroit du web où l'on peut écouter Castelhémis - et lisez les commentaires. Nous sommes une petite tripotée à se remémorer des instants partagés avec cet homme-là. D'Aurillac en Bretagne, d'Alsace en Occitanie. Tous pareils. J'avais 15 ans... etc. Sous-entendu, le reste ne vous regarde pas. Tellement beau que ça ne se partage pas.

Castelhémis est mort à 64 ans, le 8 avril 2013, dans une indifférence crasse (j'apprends ça moi-même aujourd'hui, d'où ce post en urgence) qu'il avait bien cherchée. Sa discographie n'est qu'une longue descente aux enfers en six albums, trop triste pour évoquer cela ici. Je suis preneur de l'intégrale, ceci dit, si quelqu'un a ça, mais encore une fois, ça n'a rien de rationnel. Faut dire que quand on commence avec un album tordu et direct comme celui-ci, pas facile de virer bossa-variétoche. Pas facile d'arrêter de dire que la guerre c'est pas bien. Pas simple de perdre la folie qui infuse ici à chaque sillon. C'est nous le rock dégénéré, non mais qu'est-ce que vous croyez !

En fait de rock, c'est certes rythmé, mais plutôt acoustique, limite Cat Stevens quand même - s'il n'était cette voix haut perchée, qui disait quand même joliment ce que la jeunesse giscardienne n'osait rêver - ces paillettes de lumière dont on manque cruellement aujourd'hui.

Adieu donc le Petit Landais...où est donc passé mon béret, il paraît qu'avant ça m'allait ?

EDIT : Pour ceusses qui ne liraient pas les commentaires, l'album suivant, tout aussi (voire plus ? non, allez, autant - quoique - il faut avoir entendu Grenoble une fois dans sa vie) recommandable est disponible chez Tonton. Merci Tonton.

EDIT2 : Malheureusement pour ceusses qui découvriraient l'artiste, la suite se gâte dangereusement, je préfère vous prévenir. Ecouter sans transition Coucou ou Castelhémis 88 après ça peut nuire gravement à la santé. J'ai même connu des prêtres qui en ont perdu la foi.

mardi 10 octobre 2017

# 208 : The Rolling Stones "Their Satanic Majesties Request"

- Disque de l'année ! du siècle ! Carrément !

- Hein ? Quoi ? Cette merde ?

Ben oui. Et les deux commentaires se valent, d'ailleurs. Avec quelques précisions, tout de même.

Tout d'abord, je parle de disque et pas d'album. Ce deuxième terme sous-entend la possibilité d'une existence conceptuelle numérique (mon dieu, on se dirait dans Télérama) qui me paraît impossible. Je meurs de rire en imaginant quelqu'un écouter Gomper avec son casque Beats et son iPhone. Non ? Vous ne trouvez pas cela suffisamment drôle pour côtoyer l'absurdité directement ?

Ensuite, certes de la merde il y en a, mais on trouve sur ce disque des merveilles comme 2000 Light Years From Home - ce qui n'est pas rien et justifie d'ailleurs que ce disque ait été réédité régulièrement, contrairement - disons - au Two Virgins de John et Yoko - histoire de jouer dans la même cour des grands (enfin, je parle pour John, hein). On pourra s'émouvoir également à l'écoute de 2000 Man ou encore de l'OVNI de Wyman - In Another Land. Mais vous savez déjà tous cela, car ce disque, vous le connaissez. Et si vous êtes en train de lire cette chronique, à moins d'être né à Brie-Comte-Robert et/ou d'avoir accepté un CDI de plombier aux Kerguelen à l'âge de six ans, ce n'est ni pour espérer trouver un lien de téléchargement (car le disque, si vous ne l'avez pas c'est que vous ne l'aimez pas) ni pour essayer de vous faire une idée de l'éventuel potentiel de l'album car vous savez déjà tout ce qu'il y a à savoir. Nooon ! C'est par plaisir solitaire et malsain, car ce disque, si vous ne l'aimez pas comme moi, du moins le détestez-vous, mais alors avec une passion qui vous empêche de l'ignorer, contrairement au deuxième album des Gnarls Barkley, au hasard. Ha ! pris la main dans le sac, les gosses, arrêtez de reluquer ce disque qui pue le stupre et la luxure avec ces yeux ! Car oui, quand on est addict, comme moi, comme nous, il arrive même qu'on adore des disques qu'on déteste : Self Portrait, Metal Machine Music, Trout Mask Replica, au hasard et parmi tant d'autres. Il arrive également qu'on déteste des disques qu'on adore. Je sais pas moi, ABBA, Joe Dassin, au hasard. Même s'il est plus commun c'est vrai de détester les disques que l'on déteste, et d'adorer ceux qu'on adore, mais le rock est fait de vices, et donc si vous vous situez uniquement dans les deux derniers profils votre vulgaire cartésianisme et votre absence de démons fait que vous n'êtes pas un VRAI amateur de rock, vous n'êtes au mieux qu'un simple mélomane stupide pour qui la principale différence entre Supertramp et John Coltrane c'est qu'il y a du saxophone.

Donc, vous êtes forcément concerné(e) par ce disque des Stones, mes petits animaux.

Et figurez-vous que les Rolling Stones le savent. C'est d'ailleurs même pour cela (et parce que ce disque a pile 50 ans, aussi, et parce que les Beatles ont fait un tintouin avec Pépère Pepper) qu'il vous le proposent en quatre versions, voire six si je compte bien : mono ou stéréo, CD, SACD ou vinyle - trois fois deux, six. Et de fait à un vil prix. 80 euros le machin, les salauds. Et pas un bonux track, non non, rien de rien. Mais bon, six versions ça fait six album, à 80 euros ça fait 13 euros l'album, ça va non ? Bon, il manque quand même le code de téléchargement en mp3 et en qualité audiophile 24 bits 48 KHz, je trouve. Non pas que j'aurais cliqué sur le mulot, mais dans le genre humour anglais, ils auraient pu compléter le package avec ça, vous ne trouvez pas ? Et de fait, la chose aurait pu (dû) être vendue encore plus chère. Non c'est vrai, on se plait à rêver : rajoutez un 45 tours, un paquet de feuilles à rouler et je file 150 balles ! On aurait été deux fois moins nombreux à l'acheter, certes, mais deux fois plus heureux (l'édition limitée aurait pu être encore plus limitée et ça aurait été encore plus Eco Friendly pour la couche d'ozone dans les forêts d'Amazonie et les puits de pétrole de notre belle Russie). Quelle blague ! Ces maudits Rolling Stones sont arrivés à vous faire acheter Gomper en 4 versions différentes en 2017. Si après ça vous me contredisez quand je dis que le rock est mort, je comprends plus. Y aurait-il façon plus vaine encore de dépenser ses euros ?

Oui, peut-être en achetant le coffret super-deluxe de Sergent Pepper. Parce que là, des bonus tracks t'en veux t'en a. T'as rien demandé c'est pareil. Et t'as droit à la version remixée par le fils de. Paf ! Et pour la version mono, que dalle, sauf sur un vilain CD (pas en vinyle - repaf !). Bon, George et John sont déjà morts, donc ils n'ont plus peur du ridicule, les Beatles, si ? Tandis que là, quel pied de nez ! Les Beatles vous embaument leur soi-disant chef d'oeuvre en se prenant les pieds dans le tapis ? Les vilains Rolling Stones leur montrent - quitte à racketer le public - comment ils auraient pu (dû) s'y prendre : un remastering au lieu d'un remix (par Bob Clearmountain, on va pas prendre de risque non plus, hein) et pas de bonus tracks (ça fait loser des années 1990-2000). Et ça fonctionne. Même avec leur disque le plus raté ou presque de leurs vingt premières années (par la suite hein... Undercover, j'espère être mort avant la réédition Deluxe). Trop drôle.

Ensuite, quand même, fallait oser au niveau marketing. Le livret est à ce titre tordant. Le pauvre Rob Bowman - auteur me semble-t-il inconnu (tu m'étonnes) à qui on a confié (ou plutôt qui a accepté) l'écriture d'un texte de 15 pages sur cette crotte psychédélique - semble souffrir tout du long. L'argumentaire est d'une mauvaise foi que n'oserait pas Mme Le Pen, et je cite :

- "les percussions de la jam session de 8 minutes de Sing This All Together (See What Happens) préfigurent les percussions de Sympathy For The Devil" : ah ? alors c'est aussi bien, c'est ça ?
- "le riff brutal de Citadel préfigure (oui, là encore) Stray Cat Blues" : limite, c'est du thrash metal et t'étais même pas au courant...
- "cet album est une transition qui mène à Beggars' Banquet" : sans lui on aurait jamais eu droit au chef d'oeuvre ? Peut-être que si, on aurait juste évité une bouse, quoi...
- "on retrouve le génie du Zappa de Freak Out" : comprenez tout aussi inécoutable, donc.
etc. etc.

Sauf qu'on nous dit quand même qu'il existe au moins deux versions de plus d'un quart d'heure de Sing This Song All Together. Et pas un bonuxtrak ?!!! Ben moi je dis, merci les Stones. Un quart d'heure de Sing This Chose, j'aurais pas pu. Un Rough Mix de The Lantern non plus. Merci, les mecs. Merci pour ça.

Et ce que j'aime plus que tout, c'est le témoignage des membres du groupe : Bon, Brian Jones est excusé pour cause de décès et Bill Wyman aussi pour cause de jet d'éponge depuis maintenant 25 ans. De même que Ron Wood, d'ailleurs, et que Mick Taylor, pour d'évidentes raisons. Mais quand même, les trois autres : on vous taxe 80 euros pour cette blague, et eux n'ont même pas deux mots à vous dire. Non, il a fallu recopier un extrait de Life pour Keith et un bout d'interviex de 1968 pour Mick !!!! 1968 ! Ca fait 49 ans qu'il s'en tamponne tout ce qu'il peut se tamponner de ce disque. Quant à Charlie Watts - sooo deliciously British - en 2003, carrément il s'excuse de ne pas donner son avis sur le disque parce que - je cite - I can't remember what's on it. OK. Bon en même temps, on l'achète pas pour l'écouter, si ?

Quand j'étais petit, j'étais traumatisé, à l'époque, quand après l'école il nous fallait faire du porte-à-porte pour vendre des timbres qui ne servaient à rien pour une tuberculose qu'on n'attrapait plus. Cela explique sans doute qu'aujourd'hui je sois aussi incompétent et allergique au marketing. Et compatissant envers les VRP et autres commerciaux qui en vivent si difficilement. Alors faites comme moi, pour eux, pour l'enfant malheureux que j'étais, achetez ce coffret. Car une édition limitée en vivnyle, CD et SACD, mono et stéréo de Their Satanic Majesties Request, avouez que c'en est triste à mourir de rire. Les Stones ont BESOIN de vous pour qu'ils puissent eux aussi rigoler - ha ha ha - du succès de leur rigolo projet.

Non sans rire, à l'heure où il n'y aura plus jamais d'artiste unique (parce qu'on en trouve 50 000 pareils sur Youtube), où les musiciens crèvent la faim pour créer leur art (t'imagine, 10 balles l'app pour iPhone, et Gorillaz te sort un disque, oui mais l'iPhone X il coûte plus cher qu'une Stratocaster, ha !), ou le nouveau Carla Bruni n'est même pas sûr de se vendre à dix exemplaires puisque Macron aurait décidé de ne pas le refiler en Conseil des Ministres, les Stones font le pari de te fourguer leur album le plus moisi à 80 balles, et ça marche ! Ca maaarche !!!

Allez, je tente un argument commercial pour la fin, des fois que vous ne seriez pas convaincus ? Le coffret est numéroté à la main ! SIIII !!!!
Bon, la main de qui, me direz-vous, obnubilés que vous êtes par Game Of Thrones. Ben, la main d'un inconnu sans doute chinois et même pas adulte peut-être, et alors ? Le top, je vous dis !
Euh... votre voisin de bureau gribouillerait un numéro de téléphone sur votre édition limitée de l'album blanc des Beatles, c'est un coup à le défenestrer, et là, un pékin moyen vous dégueulasse votre disque des Stones et vous payez pour ça !

OK, raté, mon argument. Alors disons que vous avez la version mono, dans la boîte. Celle-la même que je vous propose dans ce lien. Comme ça, même ça vous l'aurez déjà. Une raison en moins, et un argument supplémentaire pour acheter cette fichue boite de disques !!! Objet de l'année, facile !


mercredi 4 octobre 2017

#207 : Flotation Toy Warning "The Machine That Made Us"

Les images n'engagent que ceux qui les voient. Quand on s'appelle Flotation Toy Warning plutôt que- disons - The Machin Blues Band - c'est déjà qu'on a pas trop envie d'expliquer par le menu ce qui va se passer pendant les quarante minutes qui vont (ou qui peuvent, dans cette époque pressée) suivre. Quand on sort un album avec un mammouth mécanique en guise de pochette, sauf à vanter les Machines de l'Ile de Nantes, c'est qu'on est sacrément barré quand même un peu. The Machine That Made Us est un album finalement pas si perché que ça. Simplement très beau. Vraiment très beau. Certains évoquent Mercury Rev; ça n'est pas idiot, sauf que c'est moins pénible et que la magie semble tenir la durée. Est-ce donc de la magie ? Serions-nous dans la réalité ?

Les images - disais-je - n'engagent que ceux qui les voient. Alors imaginez David Bowie retournant à Berlin avec The Band enregistrer des chansons de Noël et vous avez une vague idée de la chose. Même si, c'est vrai, ça a un peu le même goût que les chansons du déserteur du groupe pré-cité.

Un disque bourré de mélancolie, d'accords tellement simples que même joué à la guitare par le cousin d'Yves Duteil ces chansons arracheraient des larmes à un crocodile sourd. Ou à Roger Waters, ce qui revient à peu près au même, vous en conviendrez.

Bon, évidemment se pose la question de savoir ce qu'on en fera demain, d'autant qu'il est difficile de caler une table bancale avec un fichier numérique, ce qui constitue un des indices les plus frappants de la vanité de notre ère nouvelle. Surtout qu'on ne risque pas trop d'être nombreux à se poser la question. Et si on se le gardait chacun pour soi, hein ? Comme un Rock Bottom moins définitif, comme un Radiohead dans lequel Thom Yorke se sentirait plus concerné par son chant que par la hauteur de ses flatulences. Comme si, à Canterbury, il se passait encore des choses.

A vous de voir si vous y croyez ?



 

mercredi 30 août 2017

#206 : American Epic

Pour vivre en dehors de la loi, il faut être honnête nous chantait le vieux Bobby Zim, du temps où il avait encore le sens de la formule (il paraît qu'il a été vu chantant How Much Is That Doggie In The Window dans un supermarché à Phoenix, Arizona la semaine dernière). Le blogueur le sait bien, qui jamais ne met en avant les téléchargements pas très légaux qu'il offre - généralement - du fait de sa sensibilité de chou de Bruxelles adolescent afin de faire partager au monde sa passion pour ce fameux disque, là. Il est parfois inutile d'évoquer certaines choses entre gens de bonne tenue. Parfois et pour ma part, il y a inversement bon nombre de disques jamais postés par respect pour l'artiste en galère (Volo, les Loire Valley Callipso, et d'autres), l'éditeur passionné (la discographie de Ferré post-Barclay)...

Je ferai exception, et je vous encourage vivement à télécharger illégalement, gratuitement et sans scrupules les cinq volumes que compte le superbe coffret American Epic, complément (?) obèse aux documentaires de Jack White et Robert Redford. Allez-y, piochez, gavez-vous, faites des économies, volez les producteurs, n'achetez pas ces disques, piratez-les. Est-ce suffisant ?

Oui, je me pose ouvertement en vandale, sale petit con privant Columbia de quelques centaines de dollars, en incitant au péché véniel de ce siècle numérique.

En vandale peut-être, mais le salaud ça n'est pas moi, c'est cette vieille hyène putride de Jack White qui cherche ici à dorer sa crédibilité en prenant le consommateur (et l'amateur de musique, au passage) pour un con. Pour un gros con, même, car quoi ?!!! Je traduis l'argumentaire de vente :

"American Epic est un voyage à travers la naissance de l'enregistrement moderne, quand les voix d'une nation diversifiée transformaient la façon dont la musique sonnait et la manière dont elle impactait les gens."
Il faudrait être néophyte ou couillon du désert pour ne pas lire là-dedans, grosso modo, l'argumentaire de Harry Smith et de son Anthology Of American Folk Music. On retrouve d'ailleurs dans les cinq CD de cette farce les pierres angulaires de cette compilation fondatrice. Du Coo-Coo Bird de Clarence Ashley au Country Blues de Dock Boggs en passant par I Wish I Was A Mole In The Ground de Bascon Lamar Lunsford. Avec évidemment plein d'autres choses encore, dont des "incontournables" oubliés par Harry : Sitting On Top Of The World par les Mississippi Sheiks, au hasard, Dark Was The Night de Blind Willie Johnson pour ceux qui pensaient que Ry Cooder avait écrit lui-même la BO de Paris, Texas, et j'en passe. On explore même le côté chicano complètement occulté dans l'Anthology, ce qui plaira aux étudiants en espagnol.

La thématique n'a ici rien d'ésotérique : cinq disques, cinq régions des USA (enfin, à peu près : le sud-est, Atlanta, New York, le midwest et le reste de l'Amérique (dont la Californie et la Nouvelle Orléans sur un seul CD - il ne s'y passait donc rien ?). On va pas se trouver la cervelle à chercher plus loin. D'ailleurs, on s'en fout. En tout, 100 chansons. Comme dans les compiles merdiques de Super U, Les 100 plus belles chansons de Machin. Sauf que là c'est pas la compile à trois balles. C'est un superbe coffret avec couverture en faux cuir façon vegan et un livret luxueux avec les textes de toutes ces oeuvres. Vu le prix, 60 balles, faut quand même envoyer la rollex, non ?  Et faut se les enfiler, les cent perles. Des vieux trucs des années trente, on a beau plus avoir l'oreille de nos 20 ans, ça crachouille quand même un peu et le flow est quand même assez loin du rap west coast. Mais bon, l'argument de vente c'est qu'on s'en fout d'écouter le machin, il faut l'avoir chez soi. Coincé entre la Bible et l'intégrale de Faulkner. Bref, le genre de truc qu'on attaque pas par la face nord tous les jours, mais qu'on se promet d'étudier aux prochaines vacances. Qu'on se sent déjà moins con, rien qu'à l'acheter (c'est semble-t-il l'effet escompté de cette boîte de Perlinpinpin).

Mais, homme de peu de foi, pourquoi craches-tu ainsi sur ces joyaux de Willie Brown, Sleepy John Estes et les autres, alors que tu encensais pieusement l'Anthology au début de ta blogographie ? De la mauvaise foi pour amuser le chaland ?!! Tout cela est majestueusement restauré, c'est un diamant noir qu'il convient de chérir, bla bla la - vous entends-je déjà hurler. Comprenons-nous bien, enfilées sur une playlist, 90% de ces chansons ne sont que pur bonheur, rien à dire. Sauf que.

Ne citer à aucun instant l'Anthology, malgré les copieuses notes de pochette, justement, ça sent la malhonnêteté au-delà du raisonnable. Jack White aurait-il la prétention de faire table rase du passé en prétendant être le premier à le déterrer ? Oui, absolument. Ce mec est indigne. Il va nous faire croire tout à l'heure qu'Alan Lomax n'a jamais existé, non plus, et qu'il a découvert Dylan (ce qui est possible, mais on l'avait déniché avant lui, et c'est bien là le problème). On trouve bien sûr 90% de ces chansons sur mille autre compilations que je ne me permettrais pas de transformer en charpie. Ces coffrets 10 CD à 10 euros bourrés de trucs incroyables, il en existe (ou il en existait) des tonnes, et quand on cherche du charbon pour se chauffer, c'est au poêle. Mais là, on se gargarise sur une thématique justifiant l'emballage et le prix élevé du truc, on se s'invente musicologue quand on n'est qu'opportuniste. On marque au fer rouge Third Man Records le bien commun de l'humanité. Et on enfile les produits dérivés : des petits nouveaux chantant comme avant ces vieilles scies, enregistrés dans le studio du Jack façon vintage, des compilations estampillées American Epic de la Carter Family et d'autres vendues en vinyle hors de prix alors qu'il n'y a plus de droits d'auteurs depuis au moins un demi-siècle sur ces machins.

Comprenons-nous bien, quand on a des vélléités d'auteur sur une compilation, on se doit d'un certain respect et - si possible - d'un peu d'imagination justifiant le nouvel enrobage des produits. Ce n'est pas tant les chansons elles-mêmes que leur séquençage qui rendait l'Anthology unique. Et ce n'est pas le Lenny Kaye auteur (si, j'y tiens) de Nuggets qui viendra me contredire. Ni un Marc Robine enfilant quatre siècles de chansons françaises, pharaonique projet gloutonnement appuyé par Gabriel Yacoub et bien d'autres (jusqu'à Pierre Perret s'y collant). Et personne ne penserait, n'oserait y toucher. Ici, si quelqu'un enfreint le copyright, ce n'est pas le blogueur balançant les chansons sur le net, c'est cette saleté de Jack White volant bien plus que la musique : en subtilisant l'idée, c'est toute son âme qu'il s'approprie.

Avec maladresse, en plus. Parce que si le terme "folk" excluait chez Harry Smith toute digression vers le jazz - encore bien vivant à la fin des années cinquante, alors qu'il parlait d'une Amérique perdue - le-dit jazz est ici curieusement absent. Alors même que le concept à été légèrement dévié pour coller aux dadas de Jacky la fripouille (l'enregistrement, le son, tout ça...). Pourquoi donc ne voit-on dès lors pas poindre ici les organes de Bessie Smith ou les doigts de Jelly Roll Morton, par exemple ?

Autre cerise véreuse sur le gâteau frelaté : quand White ne se sert pas directement dans le travail de Harry Smith, on a la désagréable impression que les titres sont choisis pour leur analogie avec un quelconque hit susceptible d'avoir frappé le consommateur (et donc de le pousser à acheter l'objet, s'imaginant peut-être entendre Led Zeppelin façon clawhammer banjo au fin fond du Wyoming). Des exemples ? Ne me dites pas que Talahassie River ne vous évoque pas directement Ode To Bobbie Gentry ? Ghost Dance - Patti Smith ?

On rajoutera enfin quelques pierres de rosette (le Cross Road de Robert Johnson, par exemple) pour que le néophyte se sente moins con et presque initié, et je t'emballe tout ça, et ça finit sur l'étagère. 60 balles dans la poche à Jacquou (qui n'est sans doute pas le seul escroc de cette affaire, mais il prendra pour les autres, ça lui apprendra l'injustice). Chose curieuse mais distrayante (il faut bien rire un peu) : de Son House, ce n'est pas l'impérial Death Letter Blues qui a été retenu. J'ai d'abord innocemment songé à la faute de goût, avant de me souvenir que Jack White avait justement grillé la ligne blanche en massacrant le joyau avec une brutalité sans talent digne d'un orc jouant du violoncelle. Faudrait quand même pas porter atteinte à l'image du gosse !

Non mais sans blague, on franchit ici un pas supplémentaire dans le mercantilisme. Après avoir remixé les Beatles, on remasterise des concepts !!! Et si, après le grand retour du vinyle (deux fois plus cher à franc constant que dans nos jeunes années, en passant) on nous remasterisait les 78 tours de Robert Johnson ? Avec des gramophones hi-fi, spécialement étudiés (prise USB pour repiquer directement sur l'ordi, à condition de pédaler pour l'alimenter) ? Ose le faire, Jack, tu n'as plus rien à perdre.

Disc 1 : The Southeast
Disc 2 : Atlanta
Disc 3 : New York City - East Coast
Disc 4 : The Midwest
Disc 5 : The Deep South & The West

mardi 4 juillet 2017

#205 : Binker & Moses "Journey To The Mountain Of Forever"

Finalement l'épisode Sgt Pepper 2017 m'aura pas mal ébranlé. J'ai trouvé le remix super chouette - je le trouve toujours super chouette - et j'avoue avoir intérieurement considéré Jimmy comme un vieux râleur impénitent hostile à tout événement médiatisé par principe. Cette vieille pie de Jimmy s'offusquait qu'on applique des effets de studio à un album qui en était initialement bourré, où donc est le mal ? Je le laissai donc radoter en terminant le bouquin de Geoff Emerick sur - justement - l'enregistrement des albums des Beatles. Bof. Se prendre pour un génie pour avoir rapproché les micros de la batterie, compressé à mort la guitare et je-ne-sais quoi d'autre (ah si : avoir samplé un orchestre sur Yellow Submarine sans jamais leur verser de droits à l'époque, ça fait doucement rigoler aujourd'hui...). J'ai même re-écouté la version mono, rien n'y fit, je suis adepte de ce fichu remix.

Car finalement, rien de neuf n'en sort si ce n'est que l'album demeure fantastique, les trouvailles géniales, et les Beatles enfin affranchis du format basse/guitare/batterie du fait de l'arrêt des tournées avaient pondu là un fameux album, pour les siècles des siècles. En cette année 1967, les Beatles s'affranchissaient de la réalité, de ses contraintes temporelles, en ouvrant des horizons nouveaux empilés sur bande magnétique. La même année où Coltrane rendit son dernier souffle. Lui qui tentait d'approcher aussi des niveaux supérieurs de conscience, mais en gardant le tempo, en jouant réellement de son instrument, dans un format des plus classiques malgré ses aventures atonales, modales et tout ce que vous voudrez.

Sauf que ce fichu Sergent Poivre allait mener droit dans le mur : Bien sûr les bidouillages en studio nous permettraient encore d'entendre Stone chanter Made In Normandie sans fausse note, bien sûr le concept déshumanisé de Kraftwerk collerait poisseusement à la griserie des décennies à venir, etc.

Jusqu'à pouvoir re-fabriquer un Sergent Poivre re-lifté. Qui dans sa clarté nouvelle perd toutes les approximations initiales qui en faisaient un disque novateur. En gros, voilà le Sergent et sa troupe sonnant aussi faux que le prochain U2 ou le dernier Coldplay.

T'avais donc raison, Jimmy. Hmm... désolé.

Car finalement, il n'y a plus rien.

Le rock m'emmerde passionnément - je ne crois pas une seconde à la prochaine hype. Cette vieille trainée de Jack White nous pond un documentaire sur le folk des années 30 aux USA, en sort un coffret 5 CD sans faire une seule fois allusion à l'Anthology Of American Folk Music. Quand les vieux ferment leur gueule, c'est facile de prendre les jeunes pour des cons.

Alors j'écoute avec tristesse John Coltrane essayer. Sans jamais y arriver vraiment, même si... même si... le monde aurait pu s'arrêter de tourner après A Love Supreme. Mais il y aurait encore Ascension et tant d'autres choses parfois insupportables - ou plutôt incompréhensibles - notamment lorsque débarque sa Yoko Ono d'Alice. Et il y aura le culot et la ferveur dont on peut faire preuve en s'envoyant Sister Ray TRES fort dans les oreilles. Mais aujourd'hui peu de choses qui importent encore.

Je passe mes débuts de soirée à renifler les nouveautés sur exystence.net, jouant au petit jeu cynique de deviner le type de musique en regardant la pochette. Et de ne même pas m'attarder quand je gagne. C'est-à-dire très souvent. Tout est tellement marketé qu'on peut dans 90% des cas deviner ce dont il s'agit rien qu'en regardant le visuel de l'album. Et même, savoir que le disque sera à chier parce que la pochette est trop ceci, pas assez cela, etc. Donc, dans les rares cas où je me goure, je vais plus loin.

Ha ha ! Cette pochette ! Du prog-rock/post rock psychédélique ! Ben non Elton. Du jazz qu'ils disaient. Alors j'ai chargé - et j'ai adoré.

Autant le dire tout de suite, mon adoration et ce qui va suivre relève de la chronique martienne d'un extra-terrestre s'extasiant sur un disque de Supertramp en pensant découvrir les Beach Boys. Je suis hérmétique aux raffineries du jazz, inculte au possible, incapable de citer plus d'une dizaine de noms ou d'albums m'ayant marqué. Bitches Brew, Ah Hum, Escalator Over The Hill... mmh... rien de bien exotique ou du moins rien de bien élitiste, hein ? Je ne me suis donc pas étonné, en cherchant plus d'infos sur le web au sujet de ces Binker & Moses, de voir que les Inrocks et Télérama s'extasiaient dessus. Je me suis fait sans doute avoir comme une crêpe. Sauf que les journaux pré-cités aiment bien les Beatles aussi, alors peut-être pas, et surtout qu'importe. Qu'y a-t-il là dedans de si enthousiasmant ?

D'abord, tout pour sortir un disque chiant. Et comme ce disque est double, on craint la diarrhée d'emblée. Un duo saxophone-batterie gaiement agrémenté - sur le deuxième disque - de quelques instruments anecdotiques et grotesques : harpe, trompette... rien de bien consistant.

Eh ben il suffit d'écouter. Le batteur est époustouflant, réussissant la chose la plus simple du monde : mêler la finesse du jazz au groove funk. Et l'on entend clairement que son compère saxophoniste et lui jouent ensemble. Pour de vrai. En même temps. De la musique faite pas des êtres humains en temps réel. Un truc de fou, non ?

Et finalement, l'absence de basse rajoute à la chose quelque chose d'émouvant. Aucune trace d'harmonie. Juste la mélodie et le rythme. Libre à vos oreilles décontenancées d'imaginer une empreinte mineure, majeure ou septième. Que dalle. Less is more, un peu mon neveu. Une merveilleuse impression de ne pas se faire servir un machin forcément pré-mâché, pré-pensé et formaté de manière bien tempérée. Tout l'inverse de ce que ce fichu Sergent Poivre poussera tout le monde à faire : un produit.

Ici on tape du pied, on pousse des oh, des ah, on s'ennuie parfois, ou plutôt non, on ne s'ennuie pas. On s'ennuie souvent lorsque l'on attend quelque chose, ou qu'on l'espère. Ici, on ne s'attend à rien.

Alors bien sûr, bien sûr, et sans être un cador du genre, le son du sax rappelle Coltrane. Bien sûr, Coltrane nous avait déjà fait le coup du duo sax/batterie entre autres chemins de traverse. Et bien sûr, tout ici est un peu plus facile. Et cette audace est peut-être aussi marketée qu'un concert acoustique de Thurston Moore. Genre je t'en envoie façon vélo sans les mains.

Tout cela est bien possible, mais je m'en fous. C'est de cette musique dont on manque cruellement - si tant est que la musique réponde encore à la définition que je m'en fais : une ou plusieurs personnes jouant ensemble. Ici, le temps a son importance. En même temps qu'il n'en a pas, car tout ceci me semble suffisamment improvisé pour ne pas être préalablement calculé, partitionné. Tant pis donc si c'est à jeter au bout de trois écoutes. C'est peut-être mieux que de se voir vieillir à chaque anniversaire du Sergent Poivre.

Bien sûr le jazz, malgré son explosion free, s'est ramassé en même temps que la musique devenait mass media, étouffant de fait la révolte qui grondait dans les rues autant que dans la folie d'Albert Ayler  ou d'Ornette Coleman. Nous sommes aujourd'hui tétanisés par l'horreur, tout en votant pour un guignol dont on si fiche qu'il flingue les acquis sociaux. Alors peut-être qu'aujourd'hui, à l'inverse d'hier, est-il urgent et salvateur d'écouter cette musique non plus pour se libérer et clamer notre révolte sociétale, mais pour s'enfermer dans un espace infini loin de tout réseau social. Ecouter quelqu'un qui vit, pour en sortir grandi. C'est à ce prix qu'on grimpera cette fichue montagne éternelle ?

En Marche !