J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

dimanche 29 novembre 2015

#168: Underworld "Second Toughest In The Infants"

On est un con.

Je dis ça parce qu' "on" regardait ça de loin, quand même. Nos amis Brittanniques semblaient n'en plus pouvoir de s'enfiler des pilules de toutes les couleurs et de s'aimer dans tous les sens à l'Hacienda. La Perfide Albion, qui plus est, se trémoussait au son d'un frenchie, Laurent Garnier, faisant pouet pouet avec ses boites à rythme...

Remarquez, on avait déjà pris Jean-Michel Jarre en pleine face, alors celui-là, s'ils voulaient bien se le garder c'était très bien comme ça. Pendant ce temps, on re-découvrait le punk-rock avec les Pixies et Nirvana, enfin un peu de guitare ! C'était pas maintenant qu'on allait se mettre à la techno ! Nous avaient déjà fait le coup des synthés, les British, merci.

Ceci dit, quand même, Joy Division, puis New Order, ça n'avait pas laissé tout le monde indifférent... Alors on écoutait timidement les Happy Mondays, parce qu'un peu pop quand même, mais sans franchir le pas. Avec le sentiment étrange de passer à côté d'un truc, quand même. Finalement, Brian Eno avait réussi la transition entre la musique planante du grand frère et la branchouille arty, via les Talking Heads, par exemple. Mais bon, voilà.

Et parfois, il suffit d'un truc. Le coup de la pédale fuzz sur Satisfaction, encore et toujours elle. Des Pixies qui, quoiqu'on en dise, ne décollent pas, et un Kurt Cobain qui rafle la mise derrière parce que, je sais pas, un meilleur batteur ? Une belle gueule ? Un truc sur lequel rêver. Et franchement, des boites à rythme ça te fait pas rêver. Pouet Pouet.

Et puis sort ce film de fou, Trainspotting, immense, drôle et macabre à la fois, sentant autant la pisse que la bière (ce qui est proche du pléonasme, non ?), dans lequel la musique déglinguée de l'Iguane en période Berlinoise, Lust For Life, quel programme, cotoie ces improbables, Underworld, avec leur Born Slippy. La belle évidence ! Ô le beau cas ! Pas la même soupe, mais le même poison.

Et puis après, l'album. Le deuxième album, Second Toughest In The Infants, Le premier, on l'a tous oublié, Paraît même qu'avant, Underworld était un groupe pop de seconde zone, le cul entre deux chaises, mais là, ils enlèvent carrément les chaises. Bouge, asshole !

Tout ça commence sur les chapeaux de roue, et ces gens-là savaient te faire groover une boite à rythme sans ressembler à des VRP informatiques façn Daft Punk. Quelques voix monochordes là-dessus, c'est pas que ça t'en fait une chanson, mais il se passe quelque chose, on est pas chez les Derrick de la french touch. Ca sent bon le bricolage, ça bouge, c'est neuf, et ça n'est pas du rock'n'roll.

Et la suite à l'avenant, ma bonne dame. On sent dans tout ça l'influence du Floyd, la douce mélancolie des faubourgs chatoyants de Manchester, c'est l'Angleterre de Dickens, celle des petites gens du peuple qui en chient toute la journée, Enfin, après, Joy Division, encore eux, en voilà qui passent le pas, ont le courage de définitivement larguer le schéma rock complètement éculé, et qui laissait trop souvent le goût amer de rester au milieu du gué. Non, ici on danse, mais on a l'ecstasy triste, on sait que le chômage, le SIDA et l'alcoolisme rythment la piste. On achève même les chevaux, comme disait l'autre.

Malheureusement, dès l'album suivant, la messe sera dite, la soupe froide et le réveil brutal. Le boum-boum n'aura plus la même saveur. Et ils seront légion, à tout donner le temps d'un disque, de Leftfield à Propellerheads, ces derniers ayant l'intelligence de jeter l'éponge avant de se planter dans le virage. Un peu comme si, ces nouveaux joujous, moins on savait s'en servir, mieux c'était.

Voilà, des albums techno, j'en poste tous les cinq ans, vous êtes tranquilles pour la suite. Mais celui-ci vaut largement le détour. Les Prodigy et autres Chemical Brothers en feront leurs choux gras, trouvant ici une raison de survivre à la fin morose du vingtième siècle. Pour une fois, ce sont les anglais qui ont entendu des voix...

Confusing The Waitress...

lundi 16 novembre 2015

#167: Dexy's Midnight Runners "Searching For The Young Soul Rebels"

Il est des nuits, quand je ne dors pas, durant lesquelles je m'interroge. Comment se fait-il que depuis le fier Guillaume, nous, français, n'ayons jamais réussi à mettre à mal l'Angleterre. De Jeanne d'Arc à Napoléon, notre fière nation s'est montrée pleutre et incapable de destituer ce royaume de mécrants.

Pourtant, les anglais mangent salement, des choses grasses et nauséabondes, et font preuve de peu de goût dès qu'on en vient à parler d'architecture, de peinture ou même de littérature. A part Shakespeare, dont certains viennent à douter de l'existence (et je pencherais à en être), ce n'est que misère et désolation. Tout juste parviennent-ils à innonder le monde de mauvais romans de gare, et pourtant, ce peuple résiste.

Ne parlons même pas de leur langue, dont la syntaxe est d'une pauvreté sans nom, comparée au français ou même à l'allemand. Et pourtant, les Américains, une fois dégagés du joug de leurs piteux ancêtres, conservèrent ces borborygmes comme moyen de communication, alors même que nous leur tendions une main amicale.

Je sais qu'actuellement, nous avons d'autres chats à fouetter que de régler ce détail historique, mais il ne prendrait pourtant que quelques mois, et remettrait du baume au coeur de notre belle nation.

Car depuis que nous avons perdu cette légitime habitude que de guerroyer avec la Perfide Albion, les choses ont changé. Les anglais son toujours aussi stupides, davantage même oserais-je dire. Tout le monde ou presque a compris l'enjeu des Big Datas, ces données que l'on distille au travers des réseaux sociaux et autres applications en ligne, et qui font aujourd'hui d'un Google ou d'un Facebook les maîtres du monde : comment donc savaient-ils que je manquais de shampooing à l'Aloe Vera ?

Face à cet enjeu géopolitique majeur, la bêtise des anglais, qui, fiers de leur tradition, semblent l'entretenir avec force et dévouement, demeure à la hauteur de leur basse réputation. Nous pouvons lire aujourd'hui dans l'étroit esprit des anglais comme dans un livre ouvert. Et reconstituer, maillon par maillon, pièce par pièce, leur modèle sociologique. Partant de là, nous pourrions être prompts, en nous attaquant à leur talon d'Achille, malgré son odeur nécessairement repoussante, pour les asservir une bonne fois pour toute. Je pense qu'un embargo sur l'huile de friture les mettrait déjà bienà plat, mais personne ne semble vouloir m'écouter.

Prenons un exemple simple, la musique rythmée. Avec laquelle, au passage, en pleine guerre froide, ils réussirent à pervertir le bon goût de notre jeunesse avec des groupuscules aux sobriquets aussi puérils que grotesques comme Yes, Genesis ou encore Emerson, Lake & Palmer (ce dernier détenant la palme de l'outrecuidance : à trois soldats, ils nous mirent à genou ! ô les vils !). Et bien grâce à l'ouverture des frontières couplée à leur piètre ouverture d'esprit, nous pouvons aujourd'hui, comme hier déjà, mais allons de l'avant, nous faire une belle idée de ce dont ils sont le plus fiers.

Tenez, ce premier album de Dexy's Midnight Runners. Un bijou de Northern Soul, qu'ils semblent avoir voulu garder pour eux, pendant qu'ils nous bombardaient de Duran Duran, Visage et autres Orchestral Manoeuvres In The Dark (dont le nom des plus belliqueux aurait dû nous alerter). Nous fîmes à l'époque pouet pouet avec leurs synthétiseurs, pendant que dans leurs tavernes les Dexy's envoyaient - comme on dit - une purée des plus efficaces. Bien sûr largement orientés vers leur glorieux passé, le disque n'en demeure pas moins d'une beauté terrifiante, et d'une efficacité extrême. Rien de poisseux ici, uniquement des cuivres d'une rutilance sans pareil, une guitare qui sait se tenir rythmique, une rythmique qui sait ce que rigueur et souplesse peuvent apporter à l'artillerie, et la voix de Kevin Rowland, pour couronner le tout. On n'avait pas entendu cela depuis Traffalgar,, une telle mise en pièce de la concurrence en quelques trnte_huit minutes et des secondes qui appartiennent aujourd'hui à l'Histoire.

Alors que nous allions tous nous vautrer dans une décennie des plus déprimantes, les anglais, eux, eurent la bonne idée de partir en guerre avec de belles munitions, De quoi vivre en autarcie pendant que le monde musical s'engouffrait dans une débacle infecte dont certains esprits chagrins aiment à penser qu'il n'en est jamais vraiment sorti. Ce fichu premier album des Dexy's, aujourd'hui encore, brille de mille feux, s'écoute comme s'il était apparu la semaine dernière ou il y a mille ans. Et pourtant, rien de bien audacieux dans tout cela si ce n'est l'évidence des mélodies, l'urgence d'en découdre et la simplicité même de la recette : Do it yourself, chantera Ian Dury, c'est bien cela dont il s'agit ici.

Trois ans après l'éclat d'obus punk, jailli miraculeusement de cette île hostile, les anglais comprirent aussitôt le message le plus important : inutile de se cramponner aux crêtes iroquoises des ladres des premiers jours, une fois la claque balancée, ce qui est important, c'est de se réveiller et d'avancer. Ici, sans honte et sans vergogne on osera témoigner de son amour pour la soul, ailleurs Dire Straits osera vénérer JJ Cale, Nous resterons sur le quai, continuant à essayer d'apprendre à mal jouer de la guitare comme si c'était là la principale chose à retenir des Sex Pistols.

Bien évidemment, fière et jalose de ce trésor, l'Angleterre pressera Kevin Rowland de donner dans le youkaïdi celto-discoïde pour la deuxième salve, celle destinée au monde. Nous n'en pourrons plus de cette Eileen dans sa jolie robe, toora-loora-laye ! La faisande mixture s'abattra sur le monde comme la vérole sur le bas-clergé breton.

Pendant que, dans quelque hameau des faubourgs de Londres, on continuera d'écouter en boucle ce chef-d'oeuvre inespéré.

Je vous le dis, face à tant d'égoïsme, et dans l'espoir de découvrir d'autres de ces pépites, il est urgent d'asservir l'Angleterre. Sans quoi M et Pascal Obispo s'imagineront pouvoir rivaliser avec le Général De Gaulle.. Aux armes !

Keep it.

samedi 7 novembre 2015

#166 : La Souris Déglinguée "Banzaï"


Le rock français.

Atchoum !

Quand j'y pense, je ne peux pas m'empêcher de revoir cette image de José Bové brandissant ses Roquefort AOC frondement pour dénoncer l'impérialisme américain. Se vouloir défenseur d'un rock français, c'est quelque part, avec la même fougue, faire semblant d'affirmer crânement que les "ze" à la place des "the" pour nos fringants gladiateurs anglophiles fôte d'être anglophones, ça t'a autant de panache que la moutarde à la place du ketchup dans les hot-dog. Il en faut, de la témérité et de la bravoure, je vous le dis.

Non, ce qui nous manque, c'est le drame shakespearien, c'est la noirceur de Faulkner. Quand un Jim Morrison nous refait le mythe d'Oedipe, chez nous un Christian Descamps nous refait le coup du "vite chéri, cache-toi dans l'armoire" de Feydeau ou Labiche (j'en perds mes références) et, désolé, ça n'a pas le même panache.

Quand un Kurt Cobain plie les gaules en s'enfournant une bastos dans la cervelle, qui plus est à l'âge mythique de 27 ans, ou quand un Jeff Buckley finit englouti dans le Mississippi, chez nous un Kent, ex-sale méchant petit trou-du-cul punk, finit par vanter les mérites de la campaaaaagne chez Drucker.

J'ai vu l'autre jour un docu sur Renaud (j'adore les documentaires animaliers, ça me repose après une semaine de boulot), dans lequel Jean-Louis Aubert, la grenouille à grande bouche, la larme à l'oeil, chantait Mistral Gagnant avec Coeur de Pirate. Et malgré ça, la vente de couches pour adultes à triplé cet été d'après l'INSEE suite à l'annonce d'une reformation de Téléphone. A l'heure de l'internet, avouez que c'est troublant. Comme quoi l'incontenance de nos vieilles biques semble forcer l'incontinence de leur public.

Vous me rétorquerez qu'un Sting, après avoir presque réussi le temps de deux albums à fusionner magistralement l'insolence du punk avec les infra_basses du dub de Lee Perry finit par nous chanter des niaiseries moyen-âgeuses sur Deutsche Gramophon, le constat n'est guère plus reluisant outre-manche.

Je vous répondrai sournoisement que c'est bien là le problème. A pert Dave et Jeane Manson, que je n'ai retrouvé dans aucune compile estampillée rock français parue chez Jimmy, personne ici n'a tenté le grand saut vers la musique lyrique. Et que, de fait, on ne comprendra jamais les anglais. Ni les américains d'ailleurs, parce que lorsqu'on brandit un roquefort pour alerter la planète sur les enjeux du lait cru face à un peuple qui, au même moment, s'amuse à torturer des bougnoules à Guantanamo ou à faire griller des nègres à coup de 380 volts au Texas, il me semble y percevoir un petit décalage, oh certes léger, mais quand même.

Et pourtant, face à un tel constat qui me pousserait aisément à demander l'asile politique au Groënland, il y a quelques exceptions - qui bien sûr, pour nos esprits cartésiens - ne font que confirmer la règle (dictée par Pascal Nègre ?). Tenez, en attendant que Kent et Jean-Louis Aubert nous sortent un album Tribute To Ringo, après quoi je resterai muet jusqu'à la fin des temps, je regarde avec nostalgie la pochette de cet album de La Souris Déglinguée : Taï-Luc nouant son bandeau de kamikaze pour illustrer ce Banzaï qui mérite largement son nom. Nous sommes en 1991, et les carottes du punk français sont en train de cuire à la mode de Vichy (une vieille habitude de chez nous). Dix ans très exactement sont passés depuis que Clash s'est atomisé dans un Combat Rock perdu d'avance, cédant aux sirènes du rock FM (choudaille steillore choudaille gaux, comme on chante chez nous). La France a peur, pour reprendre Roger Guicquel. La nouvelle garde reniflant les fesses putrides d'un Rage Against The Machine naissant (No One Is Innocent, Mass Hysteria) n'a pas encore réussi à pomper toute la merde nécessaire à carburer dans les charts, et Pigalle prend le relais des Garçons Bouchers, gardant précieusement le côté chiant de ces derniers et se débarassant du côté fun. Le rap français (autre sujet de dissertation) fait son entrée timide, mais côté comique (Je danse le Mia), un peu comme Fernandel à l'époque (qui ne reprendra d'ailleurs jamais Les Chaussettes Noires).

Et là, banzaï.

Un flot ininterrompu de groove, de guitares saignantes, de flow (comme on dit maintenant) sort des amplis de la Souris, qui accouche ici d'un éléphant de décibels, qui a tout compris et qui ne s'en remettra pas.

Le peuple de France a, un instant, failli tenir l'équivalent du Clash à sa grande époque, disons entre London Calling et Sandinista. De passer les titres en revue ne servirait à rien. On assiste tout simplement à l'explosion sublime d'un kamikaze sur le vieux paquebot du rock français. Ne m'appelez plus jamais France, comme disait l'autre. On tenait là un mètre-étalon pour la décennie à venir, mais le vieux navire déjà moribond ne fit qu'un flop en coulant, un prout à peine audible et inodore face à la sulfureuse concurrence qui l'ésgourdit au gaz moutarde.

Incroyable mais vrai, comme disait Jacques Martin, en 2015, ce disque est encore écoutable, la tête haute, les couilles en avant et les watts de la chaîne poussés au maximum. Qu'il sonne éventuellement comme un canard diabétique sur votre iTruc n'étonnera personne, à commencer par moi. Ce n'est pas la musique qu'il faut changer, c'est l'appareil bon dieu ! Enfin passons. A peine distingue-t-on quelques notes d'un sampler préhistorique un peu dépassées par les événements, mais sinon... Quelle riche idée, cette vraie batterie ! Qui a dit que les batteurs ne sauraient pas jouer du funk ou du hip-hop ? Qui a dit qu'il serait malveillant de balancer un riff bien senti quand un groove chaloupe vers les sirènes de Jamaïque ? Personne à ma connaissance, ni à celle de La Souris Déglinguée qui ici, au-delà de toute prouesse technique et de tout ambition commerciale commet la plus belle des choses qu'un groupe de rock, qu'il vienne de Millau ou de Detroit, USA, ait pu nous apporter : OSER.

Oui, oser.

Et là, les frontières disparaissent, et l'on se met à se rappeler de ceux qui ont osé : Keith Richards avec sa pédale fuzz sur Satisfaction, le MC5 ou Steppenwolf dans leurs élans militants submergés par le bruit, un Bowie flinguant son pantin glam pour mieux revenir, le nez dans la poudre berlinoise des années art-déco murales, un Dylan électrique devant des péquenots rétrogrades, les versets sataniques d'un Rimbaud face à l'académisme sclérosé d'un Victor Hugo, j'en passe, pas tant de meilleures parce qu'elles sont finalement assez rares, les meilleures, de nos jours évidemment comme déjà, en 1991, qui plus est en France.

Bien sûr, pour reprendre les termes de Marcel Proust, ce fut tout.

Dites-moi, est-ce que ça a vraiment existé, comme dirait Johnny ?

Cliquez sur lr lien, vous entendrez.


lundi 26 octobre 2015

#165 : The Carter Family "From 1936 Radio Transcripts" & "The Carter Family On Border Radio JEMF 01"

D'aucuns disent que la vie serait apparue par le plus pur fortuit des hasard il y a quelques milliards d'année. Dans un gloubiboulga originel (une sorte de soupe aux vermicelles sans pâtes), suite à un orage, se seraient synthétisé comme ça, spash ! des acides aminés qui n'auraient rien trouvé de mieux à faire (sur ce point, je suis assez d'accord sur la monotonie de l'époque) que de combiner en protéines et hop, comme ça, le jour de Carnaval, se transformer en double hélice d'ADN. Tout ça . pendant que la tectonique des plaques fabriquait les futures stations de ski.

Quand j'entends ça et que j'écoute la Carter Family, notamment ces show radio fraichement dénichés sur la toile je saisis ma bible et mon fusil et je dis NON ! Le Bon Dieu a bien pu être capable de créer l'univers en six jours !  La preuve, petits cons, c'est qu'en une seule journée de l'an de grâce 1926, alors qu'il n'inventerait le mp3 que quatre-vingt ans plus tard, Dieu a mis dans les mains de Ralph Peers, modeste employé de chez Victor, un rouleau de cire avec lequel il a enregistré A LA FOIS la Carter Family et Jimmy Rogers.

Et vous vous étonnez que les ricains soient cul-bénis ?

En plus, Dieu, toujours prêt à jouer à la kabale, a créé le mythe rock'n'roll avec ce fameux trio. Fondé par A.P. Carter (dont on taira le prénom tellement on a honte de lui), qui chantait à peu près aussi bien que Valéry Giscard d'Estaing jouait de l'accordéon et sa femme Sara, ils dévergonderont Maybelle, la cousine, qui elle chantait comme un Dieu et jouait de la guitare bien mieux qu'Eric Clapton qui n'était alors qu'un fatras d'acides aminés improbable.

A.P. se contentait de driver les gonzesses, et avait bien compris les enjeux du copyright, se gardant sous le coude le privilège d'avoir écrit ces chansons de folies vieilles comme Hérode. Le ver était dans le fruit comme le ying dans le yang, ce qui est en haut est en bas et tout le toutim ésotérique. On revivrait l'histoire avec Kim Fowley et les Runaways, Ike & Tina Turner, bref, moi je dis les gonzesses faut les mater, de toute façon elles ont aucun sens de la vraie valeur des choses. Et là-bas, en 1926, dans les Appalaches, ça serait quand même con de laisser dans le domaine public des diamants comme Wildwood Flower, Keep On The Sunnyside, Will The Circle Be Unbroken et tout le reste. On a vu ce que donnait la révolution russe de 1917. Aucun sens de la mélodie, les cocos. Même mort, Raspoutine nous gonflerait encore soixante ans plus tard avec Boney M, c'est vous dire la capacité de nuisance !

Non, je frime, je blague, je déconne. Parce que pour dire vrai, je sais pas quoi dire de la Carter Family. Quand j'entends Mother Maybelle Carter me chantonner Keep On The Sunny Side dans l'oreille (maman ! c'est toi !), je suis capable de même pas avoir peur d'une porte d'armoire restée ouverte, de Lénine ou de la crise de 1929.

Et Bon Dieu le premier qui me parle de musique de plouc ou qui traite Mother de vieille chèvre, je lui fais bouffer l'intégrale de Fernandel.

Parce que c'est pas la peine d'aller chercher le pourquoi de la Création dans les séphirots, tout est là. Disons le côté blanc de l'affaire. Vous me rajoutez bien évidemment une dose de Son House si vous n'avez plus de Robert Johnson en rayon et je vous fabrique un Keith Richard en cadeau Bonux. Ou un Gram Parsons. Quoique, à l'époque on était moins couillon et le blues n"était pas encore une marque déposée chez Chess, comme la country n'appartenait pas qu'à Nashville. Prenez les Mississippi Sheiks, ou Clarence Ashley, c'était pas la même couleur mais la même chanson. Tiens, Sittin' On Top Of The World ils la chantaient tous. Ca veut pas dire qu'on aimait forcément les négros dans les montagnes, mais je suis sûr qu'il y a des gens qui votent FN et qui écoutent Michel Sardou (quoi ? c'est pas un bon exemple ? Désolé mais j'en connais pas personnellement des gens qui votent FN !).

Non, je m'emballe encore. Vous allez peut-être rire, mais vous n'allez que rire. Vous allez passer votre chemin chercher ailleurs désespérément le dernier Dead Weathers, et j'aurai perdu ma soirée pour rien.

Et pourtant, je reste muet. L'angoisse de la page HTML blanche. Sais pas pourquoi c'est tellement difficile de dire tout le bien que je pense de ces trois lascars. Maman. Ca doit être ça. Maman. Ce drôle de sentiment, que de se sentir bien, dans un cocon d'amour, avec maman qui me chante de si jolies chansons. Des choses affreuses aussi, ces murder ballads qui font bien plus peur que le vilain Père Fouétard caché dans l'armoire. Mais tout ça, c'est la vie said the old folks, whch means that you never can tell, comme disait Chuck. Et qui viendrait me dire qu'on a pas besoin d'être un peu soudés, surtout ces derniers temps ? La folie Daech, Charlie, merde. T'es où mon pote ? Toi qui crache pas sur Led Zeppelin parce que c'est ringard et banane et tout ça ? Merde, j'en deviendrais rétrograde. Maman. Encore une chanson. S'il te plaît.

Alors oui, amateurs de grand frissons, adeptes de la drum'n'bass parce que ça fait style, des expérimentations de Brian Eno qui est allé vachement loin dans le concept minimaliste tu vois, et toi, oui toi qui a réussi à écouter Kurzweilen de Stockhausen jusqu'au bout ! Je te lance le grand défi : aller au fond des choses, en prendre plein la tronche, tout ça en écoutant ce vieux machin avec la chèvre qui bêle en grattant une guitare en bois. Ah c'est sûr c'est pas funky comme expérience, ça parle du Bon Dieu, c'est pas de la poésie façon Dylan sous amphétamines, c'est américain on-ne-peut-mieux-ni-plus, et c'est limite dangereux. Tu risques de pleurer ta mère. Et deux fois : y'a même pas Wildwood Flower ni Will The Circle Be Unbroken, sur la galette. Ta mère !

Maman.

Mother Maybelle.

C'est pas de l'acide à minets, ce truc. Merci mon Dieu.

Et merci Keith poir ta compile country qui m'a fait replonger...

Just Another Broken Heart

There'll Be Joy Joy Joy

samedi 24 octobre 2015

#164 : Dr John "Locked Down"

Ce bon vieux Docteur. Personne ici, ni ailleurs, pour le descendre en flèche. Il impose le respect, le vieux roublard. Il sent le gumbo par tous les pores, et vas-t-en pas lui chercher des noises, les pattes de poulet devant ta porte c'est jamais bon. Et puis on sait jamais.

Pour autant; je n'ai jamais rencontré personne se vantant de posséder sa discographie intégrale. Même pas sûr que le toubib ait été piraté. Non pas qu'il ait commis de mauvais album mais... comment dire... si j'étais mauvais, le Mac Rebennac je l'appellerait bien le Mac Rabachenac. Oui oui c'est sûr, je me crois sur parole, y'a rien de mauvais, jamais, toujours ce groove caractéristique de Bourbon Street, ces cuivres qui balancent, et puis qui oserait se plaindre d'une reprise de Jelly Roll Morton par ici, de Professor Longhair par là ? Oh personne, encore une fois, on sait jamais. Mais bon...

Identifiable au moindre coup de glotte, le Docteur fait partie des meubles. Seriez-vous du style à passer dans votre salon et rester scotché ? Waaah ! la putain de belle chaise que j'ai ! Top classe, je vais la prendre en photo ! Euh...

Bon, c'est sûr, le premier album était visqueux comme un okra trop cuit et redoutable car dangereux. Grooves salaces marécageux, cantiques vaudous qu'on ose pas écouter trop fort, parce que le Baron Samedi, à ce qu'il paraît, y'a pas intérêt à l'inviter à manger le jambalaya... Et puis In The Right Place, comme son titre l'indique... Et j'ai un faible aussi pour Duke Elegant, ses reprises funky de Duke Ellington (originaire d'où vous savez, il allait quand même pas reprendre Charlie Parker, hein !). Et puis un truc par ci-par là (j'ai même oublié le titre, mince...).

Alors vous pensez, ce Locked Down butiné au hasard, fallait vraiment que j'aie déjà téléchargé l'album en espagnol d'Abba pour que, lassé par le sommeil qui tarde, je clique sur le lien. Etant par ailleurs pas très au fait du truc, ce n'est que plus tard que j'ai appris que le skeud était produit par le gars des Black Keys, Dan Auerbach, c'est ça non ? Hype, donc.Et là je me suis senti doublement berné : et d'une, le disque était excellent, et de deux, j'avais cédé aux sirènes commerciales, les pires, celles que je déteste. Quand un jeune on à la mode fasse l'aumône à un Ancient pour le remettre sur le devant de la scène. Prenez l'autre perdreau du jour, Jack White, OK il avait fait un miracle avec Loretta Lynn, mais il n'a pas empêché la vieille Wanda Jackson de sonner comme un potiron plasmolysé au milieu d'un champ de blettes. Et puis, par chez nous en Phrance, la bernique hurlante, M, qui s'est cru, non mais oh, capable (et pire, a pensé qu'il lui était indispensable) de redorer l'image de notre Johnny national ! Et rappelez-vous de Lenny Kravitz, le Canada Dry recycleur de clichés Lennoniens, il a tenu combien, deux albums avant qu'on découvre la filouterie ?

Mais là, niqué le Jeepee. Tout cela est évidemment vintage à souhait, mais bon sang que c'est bon. On a presque l'impression parfois que le vieux Docteur aurait poussé jusqu'à Memphis faire chauffer la marmitte chez Stax. Je sais, vous allez me dire que tout cela n'est qu'un feu de paille. Mais non, ça fait plus d'un an que ça dure. J'ai même acheté l'album ! Si j'étais parano, enfin, si j'étais à la place du Docteur et parano, je me dirais que c'est peut-être volontairement que personne ne lui a dit, pendant toutes ces années, que ça serait peut-être bien qu'il change un peu de style, pour éviter de fâcher la concurrence, voyez-vous.

Et puis je me souviens maintenant que le Dan avait même réussi à me bluffer avec Lana Del Rey (et je revendique toujours, malgré les rires caustiques d'une bonne moitié de la blogosphère). Non, ce mec a du talent. Et j'aimais bien les Black Keys, même si le dernier album... bof bof. Il a eu du bol, le Docteur. Le Dan a dû choper le melon depuis, comme le Jack Stripe - pardon - White, qui produit tellement bien ses disques qu'il oublie d'en écrire de bonnes chansons.

Bien sûr, le livret du CD est pompeux (mais vous vous en fichez, je l'ai pas scanné) et raconte cette merveilleuse renaissance grâce à Dan Auerbach, qu'ils ont jammé à l'arrière d'un honky-tonk à cinq heures du mat' et que non non vraiment ça n'a rien d'un revival. C'est la magie les mecs, le mojo, tout ça. Ca fait un peu pub de la Mère Denis pour Ariel, et ça gâche un peu le truc, mais fallait bien expliquer un peu aux djeuns pourquoi un mec branché trainait avec un grabataire, sans doute.

Bref, un truc de fou. On sent l'arnaque à plein nez, un peu comme chez Fernand Raynaud, allo Tonton ? Pourquoi tu tousses ? C'est pas de la farine, c'est du sucre en poudre !!!

Peut-être, mais ça ressemble drôlement à du Brown Sugar, cette affaire. Alors, si pour vous  Dr John ça fait un bail, prenez un rail ! Big Shot !

You Lie ?

mardi 13 octobre 2015

#163 : Léo Ferré "Alors, Léo... (enregistrement public 1990)"

Je garde cet accord à la fin...
Alors, faites-moi plaisir, comme ça vous serez tout à fait avec moi...
Je m'en vais, je vous souhaite bonne nuit.
N'applaudissez pas à cette chanson mais... merci d'avance...

Ce sont là les derniers mots, concluant la dernière version d'Avec Le Temps du dernier concert enregistré par Léo Ferré au TLP Dejazet en 1990. Juste avant le silence définitif de l'Amer, le silence radio ayant été largement anticipé par des médias qui n'avaient que foutre des derniers balbutiements d'un anarchiste emmerdeur à l'aube de ces années 1990 dominées par les Boys Band.

Je m'en vais, je vous souhaite bonne nuit.

Et quelle nuit, puisque jamais le soleil ne s'en est remis, sans doute par respect pour l'artiste. Il n'y a plus rien. Ces choses n'ont plus cours. Un Pascal Nègre fanfaronnait déjà en ces années putrides, affirmant haut et fort, sans complexe, que Universal ne signerait pas un Jacques Brel de nos jours. Alors, Léo... pensez donc.

Un jusqu'au boutiste qui reviendra de tout, qui n'hésitera pas à s'accompagner sur scène de ses propres arrangements pour orchestre, sur bande magnétique sans doute faute de fric pour se payer le-dit orchestre, et qui sans concession sortira sa musique telle qu'il l'entendait, alors que, ma pauvre dame, on ne fait plus dans le symphonique, ça ne se vend pas. Sauf bien sûr, s'il s'agit de Jeane Manson reprenant les plus beaux arias avec l'orchestre de Moscou, mais c'est autre chose.

Que dire sur cet album ? Rien. Certains savent. Les autres, qu'ils passent leur chemin.

Ou plutôt si, et c'est là le but de ce billet : cet album est aujourd'hui introuvable, jamais réédité. Sans doute pour des raisons bassement vénales, liées à la joute judiciaire que se livrent Barclay et le fils de Léo ? Un manque flagrant d'intérêt commercial et de retour sur investissement ?  alors en attendant des jours meilleurs, le voici. Et j'en ai d'autres dans ma besace qui ont vécu le même sort : les concerts de 1988 au Dejazet, le live aux Francofolies, l'Opéra du Pauvre... Une honte.

Comme deux heure et demi de bonheur vous attendent, je ferai court. Je n'applaudirai pas, à sa demande. Je me tais. Je vous laisse la musique...


CD1

CD2


dimanche 11 octobre 2015

#162 : The Rolling Stones "I Gave You Diamonds You Gave Me Disease (The Exile Outtakes)"

Aujourd'hui tout est là. Comme si Big Brother avait changé de stratégie, face à ces petits humains qui tentaient de briser le barrage à grand coups de cuiller à pot. Le flot s'est déversé d'un seul coup sur une humanité aussi surprise que désorientée. Des grimoires alchimiques aux révélations de wikileaks, en passant par Candy Crush Saga, le deep web, Facebook, les réseaux terroristes et ce-dit blog, et tant d'autres bien sûr. Rechercher la clé du monde est possible, elle se trouve sans doute sur internet, telle une aiguille dans une botte de foin numérique.

Et il faut avouer que la stratégie de Big Brother est diablement efficace. Le rocker moyen en avait déjà largement fait les frais à grands coups de bonus tracks à l'heure du CD, puis des remasterisations quand tout fut édité, j'en passe et des meilleures. Pourtant, sommes-nous nombreux à les réécouter, ces bonus tracks ? Nettoyées à grands coups de Pro-Tools, ma pauv' dame, c'est fou ce qu'on peut faire avec l'informatique. Voyez (évitez d'écouter) l'album Love des Beatles, sur lequel le fils de George Martin s'est amusé à tout mélanger, ha ha, hi hi, que c'est drôle. Prout, répondit le coussin péteur, faut arrêter les conneries. Rééditer Sticky Fingers en double CD et ne même pas inclure la version live de Let It Rock réservée aux espagnols qui sous Franco ne devaient pas entendre parler de morphine, c'est quand même un comble, une idiotie, une gaffe, une honte, un gros doigt, quoi. Le problème n'étant pas de pouvoir se procurer le-dit morceau, mais le fait d'effacer d'un revers de manche un pan de l'histoire, alors même que c'est ce qu'on cherche à nous vendre.

L'histoire avait salement débuté avec la réédition d'Exile On Main Street fourguée avec un CD entier de morceaux inédits, craché/juré d'époque. Universal semblait donc pouvoir réécrire l'histoire, et, pourquoi pas, nous sortir un jour l'album inédit enregistré par les Stones au Maroc en 1969. Au hasard. Sauf que, dans les crédits de la pochette, en tout petit, on peut lire que Liza Fischer fait des choeurs sur plusieurs morceaux. Liza Fischer ! Elle n'avait jamais dû tailler une pipe en 1972, peut-être n'était-elle même pas née ? Elle a commencé à se faire mettre la main au cul par Jagger en 1995, à ma connaissance, et le lippu n'aime pas la chair flasque. Alors aux chiottes, le CD.

Car Exile On Main Street, bordel, c'est un disque capital. Un fourre-tout démentiel de se qui se passa sur la Côte d'Azur, à Nellcote, en 1972. Je le sais j'y étais. Enfin, pas loin, au camping Miramar à la Londe-les-Maures, mais quand même, je sais de quoi je parle. Deux disques bricolés à la va comme je te pousse, des bandes retravaillées à LA après l'épisode frenchy, desquelles on a tenté de récupérer des choses par ci par là. Mais il reste ces images mythiques de ce groupe de dingues sur la riviera, les défilés des dealers, les jams de minuit à six heures du matin, les histoires de cul, orchestrées par un Keith Richards maître des lieux mais pas du tout maître de soi. Et tout au long des deux galettes, ce bordel, ce paradis artificiel que devait être la Cave de la villa, transparaît à grosses gouttes, malgré les efforts désespérés de Glyn Johns et l'angoisse de Jagger d'en sortir quelque chose de présentable.

J'ai passé un été entier à maîtriser mes premières décharges hormonales, tenter de juguler les pustules adolescentes qui me voilaient la face, et surtout à écouter, allongé sur mon lit, Exile. Disque 1, Face A puis B puis Disque 2 dans le même ordre. Interdit de zapper pour arriver plus vite à tel ou tel morceau. C'était un excellent exercice pour tromper l'ennui profond d'un mois d'août en Alsace. Et de lire les crédits, là encore : se rendre compte qu'il y avait peut-être, à tout casser, trois ou quatre morceaux sur lesquels les Stones jouaient tous ensemble. Que Richards tenait la basse sur Happy, mais bordel, qu'est-ce qu'il foutait Bill Wyman ? En plus, le petit ami de ma soeur, qui habitait Nice, m'avait montré la fameuse villa. Vue de mes yeux vue, de loin, certes, mais avec mes sens exacerbés d'adolescent turgescent, il n'en fallait pas moins pour tout imaginer. Se retrouver avec les Stones dans la cave. Je peux vous dire que Let It Loose a été enregistré un dimanche en fin d'après-midi, par exemple. J'en suis sûr, je m'étais fabriqué l'histoire de A à Z.

Et je peux aussi vous dire que Jagger a flippé grave. Môssieur trainant dans les hauts lieux a vite redressé la barre avec un Goat's Head Soup bien léché. Exile On Main Street est l'adieu des Stones bordéliques et sincères, welcome to the Rolling Stones (c) Company, toutes ces histoires d'Altamont, de Brian Jones, de Gram Parsons, de coke party sur la Côte d'Azur, ça allait bien comme ça. Goat's Head Soup sortirait en 1973, l'année du choc pétrolier et du début de la crise. Celle qui nous amène aujourd'hui même là où nous sommes, Daech et compagnie, le fascisme prêt à mordre et j'en passe et des meilleures. En 1972, à Nellcote, les Stones sont partis en vrille dans une cave qui sentait le salpêtre, comme certains morceaux de l'album, d'ailleurs (Rip This Joint, Ventilator Blues...).

Est-ce que tout ça a vraiment existé, comme le bramerait Johnny sur la 7ème de Beethoven ? Ce putain de CD Bonus sur la réédition d'Exile m'a fait douter. Liberty Valence semblait me rire au nez du haut de son pur-sang.

Et bien oui. Et ce jour est le plus beau jour depuis bien longtemps, à vrai dire. Grâce à ce pauvre bootleg déniché en 30 secondes sur le net, disponible un quart d'heure plus tard sur la bécane, gravé sur un CD cinq minutes après et crachant son son pourri sur ma chaîne dans la minute qui suivit. Tout ça depuis le fond de la Martinique, messieurs dames. Sans même fouiner chez des disquaires obscurs de la capitale.

Avec le fier sentiment d'avoir niqué Big Brother, son aiguille, sa meule de foin et le FBI en passant.

Et de l'écouter, allongé dans la torpeur tropicale, de vibrer à chaque morceau, inédits, versions alternatives, instrumentales, parce que ce putain de jus de bonheur et de passion, il en reste encore. Une note folle de Bobby Keys sur un Sweet Virginia plus péchu que l'original, quelques notes d'un futur Tumbling Dice, sur un Good Time Women qui de facto passera à la trappe, un Let It Loose instrumental, dont on sent que Keith vient de trouver le riff et que les copains rajoutent le piment (aah cette section de cuivres, putaaaaain !), une version d'All Down The Line qu'on jurerait avoir été écrite dans les cinq minutes précédentes, jouée en pilotage automatique façon Brown Sugar, genre, ça on sait faire, alors on voit ce que donne la chanson et quoi, plein d'autres choses encore.

Et surtout ce son : correct, mais sans plus. sentant malgré iTunes la bande magnétique à plein nez, mixage déplorable au casque, bref, le genre de chose que Pro-Tools ne saura jamais faire, et qui m'assure que tout cela n'est pas un hoax. Tout cela a vraiment existé.

Le CD vient de se terminer sur un I'm Going Down d'anthologie. Je me lève, j'éteins l'ordi, je remets le disque.

Putain d'époque de merde.

Je retourne à Nellcote.

Let It Loose.

mercredi 6 mai 2015

Eloges : Bonnes Nouvelles des Etoiles

Dans les Départements Français d'Amérique, en Région Ultra-Périphérique, la recherche de bande-passante, ça fait des soucis. Parti walaï, laissant femme et enfante jusqu'au mois de juillet gamberger dans la Métropole asphyxiée par le FN, désolé les gars les filles, j'ai pas pu poster de musique. Embêtant pour un blog musical. Une timide connexion entre mon macbook et mon Samsung Galaxy De Merde me permet quand même de saliver sur les posts Jimmy, et les autres, mais c'est à peu près tout ce que je suis en capacité de faire. Après, autant vous dire que j'arrive à survivre. C'est un doux euphémisme, mais tout ici est doux, dis-donc doudou.

Sans plus paraphraser Carlos, c'est une chose bien incroyable qui m'arrive. Revenir ici, en Martinique, 25 ans après. Il y a 25 ans, c'était le début du monde pour moi. La fin de l'apprentissage, stage de fin d'études sensé définitivement valider mon riche parcours estudiantin, faire de moi l'élite de la Nation après y avoir mesuré la croissance de poissons dont - si je n'ai pas oublié leur nom latin, je ferai comme si, des fois qu'on me reconnaisse - je n'avais à vrai dire pas grand chose à faire.

A cette époque, j'aurais volontiers revendu tout l'or de Rennes-le-Château pour m'assurer d'une vie celtique ad vitam Stivellam. Mais des chagrins d'amour, que l'on prend quand on est jeune pour des peaux de bananes sur un trottoir trop rugueux, alors qu'elles ne sont qu'un encouragement à aller voir ailleurs - va voir ta mère ce qu'elle a préparé ta mère - une omelette avec les yeux de ton père - remember les Négresses ?

J'avais raccourci mon opportunité d'ailleurs. Rentré plus tôt. Mon exploit de Don Quichotte n'avait pas fonctionné. Mon héroïsme s'était gâté fissa. La belle, partie au Canada n'était pas revenue, et il se passait quand même des trucs incroyables en métropole. Stock Phrases de Kat Onoma, par exemple, que j'avais réussi à mettre dans mon walkman sous les tropiques, alors merdeuses à souhait d'un strict point de vue musical(remember Kassav ?). Alors j'écrivais des chansons tristes, comme Leonard Cohen sur ses îles grecques.



En même temps, sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus, je m'étais fait des potes, en toute innocence de se qu'ils se cramaient dans la gueule (du crack, of course), une fois nos petits apéros blindés achevés. Ah, ces parties de domino, de belote, on prenait un feu à chaque pli, à chaque victoire. On achetait la bouteille de rhum à la petite boutique, on remplissait la bouteille d'eau pour éteindre le feu (j'aurais imaginé l'inverse, je serais peut-être riche), et bon dieu que les étoiles étaient belles !


Et puis il y avait ces fins de soirée - oh non pas avec la population représentative de l'essor culturel et économique de l'île, qui s'en foutait de ta tronche de petit blanc de passage ! Non, je vous parle ici toujours des mêmes, craqués, accompagnés de pêcheurs de langouste à la petite semaine, de rastas rêvant de gloire métropolitaine raggamuffinisée comme c'était la mode à l'époque... tout ce petit monde s'offrant à des confidences de fin de soirée qui vous foutaient des frissons dans le dos. Si le rock'n'roll était vaudou, ici c'était quimbois, et ça vous foutait autant les patoches. J'ai entendu des soukounians atterrir sur mon toit, moi !


Mais à 25 ans à peine, passé quelques mois là-bas, sans histoire d'amour retentissante, on rentre. Rappelez-vous qu'il n'y avait pas d'internet, que c'était la chienlit pour trouver une cassette vous permettant de survivre (Nathalie - oui, Nathalie je crois - m'avait quand même filé Nebraska de Bruce Springsteen - quelle éclate !). Je suis donc rentré, j'ai tout cassé en partant, humiliant mes potes locaux en ne les invitant pas à mon pot officiel (tu avais honte de nous parce qu'on est noir ! hein ! - putain quel con, quel manque de discernement !).

Et puis j'ai passé 25 autres années à vivre ailleurs, tranquillement installé devant ma chaîne stéréo et mes milliers de CD. Sans avoir pu dire pardon. Jusqu'à l'envie de vomir quand la ville, par le fleuve, coule à la mer comme un abcès.

Alors je suis revenu. Les couilles en avant, comme on dit vulgairement après avoir sifflé les deux apéros de la Class Economy d'Air France. Pour l'instant je suis planqué dans le sud de l'île. Fort-de-France n'a pas changé. Les mecs se défoncent toujours au crack. Ca me laisse peu d'espoir de revoir ces gens, mes amis d'il y a 25 ans, et de leur dire pardon, je vous aime, les copains. Va pourtant falloir que j'y arrive, car m'est avis qu'ils m'ont balancé quelques patte de poulet virtuelles à travers l'océan, pendant toutes ces années.

Aujourd'hui, on ne sert plus le Ti Punch comme avant. Fini, dans les spots à touriste, de laisser la bouteille, les verres et les rondelles de citron. Le Café du Commerce est ici aussi. Pour autant, tant pis, j'ai un truc à régler. Et j'ai vraiment envie d'y arriver.


PS : toutes ces chansons sont d'époque, mal foutues, prétentieuses, sans doute puériles. Désolé. On fait ce qu'on eut, on a ce qu'on a.

Bises les amis blogueurs. Demain je prends la navette pour Fort-de-France, comme chaque matin, je me réveille en buvant mon café face à un arbre du voyageur. Je pense à vous, d'ici.

Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?

lundi 30 mars 2015

#161 : "Frémaux & Associés : Voodoo In America"

Bon, pour ceux qui ne le savaient pas, Jeepeedee, mézigue, a déménagé aux Antilles et se la coule douce sous le soleil, le rhum et la plage, coquillages et crustacés à tous les étages.

Donc, de retur (rapide) en métropole (comme on dit là-bas), un petit cadeau avant un postultérieur qui risque de tarder. Les acras de morue, les baignades avec les tortues grèvent ma motivation à bloguer, d'autant plus que ma collection de disques part dans des cartons incertains chez des amis cette scrupuleux, mais envers lesquels j'aurai du mal à demander tel ou tel rip.

Il faudra(it) donc que je me mette à leecher, et, si je l'ai déjà fait par flemme, j'abhorre l'idée d'en faire mon quotidien.

Soit, donc, gavez-vous de ce double CD de Frémaux & Associés, c'est-à-dire bien conçu, bien masterisé, tout bien, quoi : Voodoo In America.

Chez moi, les cocotiers dansent de façon syncopée, Bo Diddley Style. Et les tambours balancent pareil dans les rues de Saint-Esprit, Ducos et Fort-de-France... Manama... Oui, je me rapproche du vaudou, Port-aux-Princes est à une encablure de chez moi. Vas pas trainer la nuit dehors et va pas parler mal à qui te connais pas. Pattes de poulet devant la porte assurés. Et qui sait, après...

Bon, maintenant, la Martinique fait officiellement partie des Départements Français d'Amérique, donc, je m'autorise à penser que cette formidable compilation sera mon compagnon de voyage...

Et je vous la livre, au menu, Bo Diddley, Chuck Berry, John Coltrane, Howlin' Wolf, Memphis Minnie, Muddy Waters, J.B. Lenoir, (je continue ?), Robert Johnson, Screamin' Jay Howkins, Jelly Roll Morton, et bien d'autres encore revus sous l'angle du terrible vaudou carribéen. Mazette, sucette et moulte autres diattribes appropriées, y'a de quoi faire, d'autant que le calypso n'est pas de reste dans l'affaire ! Et le reste à l'envi...

Envoyez les percus, lâchez votre whisky pour un rhum, éteignez les lumières et profitez de ce voyage vaudou, perdu corps et âmes dans un trip immémorial, et pensez à moi, sous mes bananiers, dans la torpeur tropicale, avec cette Histoire qui baigne toujours dans la mangrove. Il y a des crossroads partout, ici...

Love Potion No. 9

dimanche 15 février 2015

#180 : John Scofield "Uberjam Deux"

Que diable vient foutre un album d'un vieux jazzman, guitariste de surcroît, et donc forcément sur le retour ? Soyons clairs d'emblée, la guitare dans le jazz, et les exploits en mode mixolydien altéré me foutent à peu près autant la trique qu'un hachis parmentier de Leader Price. John Scofield, donc, je connaissais de nom. C'est important, que de connaître de nom, ça évite des achats compulsifs déprimants pour cause de quatre étoiles Télérama, ou, on le sait bien, ils sont payés pour écrire des articles et non pour écouter de la musique ouencore regarder la télé, qu'ils détestent d'ailleurs. On peut dès lors s'interroger sur leur passion pour la musique. Ces gens-là sont dangereux.

Et puis, honnêtement, comment peut-on devenir guitariste de jazz ? Cela doit demander huit heures de travail quotidien pour astiquer son manche. Je ne vois guère cette passion naissante que dans l'esprit d'adolescents pré-pubères peinant à l'érection. Parce que leur maman leur mettait des jupes, ou que la vision de leur visage bourgeonnant devant le miroir les décourage à jamais de croire, ne serait-ce qu'un instant, que ces pustules turgescentes pourraient évoquer le moindre sentiment chez la voisine d'en face. Ils ont sans doute raison de se mettre au jazz, il n'y a pas de sot métier, et comme en général ils sont chétifs et bègues, ils ne peuvent envisager un CAP de tourneur-fraiseur.

Nul besoin donc de wikipedia pour me retracer le parcours de John Scofield. Je ne peux pas m'attendrir sur tous les malheurs du monde, et c'est très bien comme ça.

A l'inverse, moi, qui en suis resté à la pentatonique mineure durant mon adolescence (ce n'est pas une maladie, c'est juste la première gamme que vous travaillez si vous croyez, à cet âge-là, que pour devenir une rock-star et boire des bières à foison, il vous faut suivre des cours, comme pour votre CAP de tourneur-fraiseur). Je jammais donc avec effervescence (débouté par ma voisine d'en face) sur de longs morceaux du Grateful Dead, qui ne jouait pas speed, et qui donc permettait à ma piètre vélocité de s'exprimer avec grâce et (certes quelques) aléas. Aléas que je mettais sur le compte de mon penchant inné pour le jazz que je n'avais jamais écouté. Comprenez donc que j'étais un génie, incompris certes, mais un génie quand même. Miles Davis, dont j'avais dû lire une interview, vantait le less is more. Juste les bonnes notes, le silence faisant le reste. Aussi, même lorsqu'après avoir rétamé la gamme pentatonique en trois allers et retours de manche, mon silence relevait encore de ce génie inné chez moi. Je sais, c'est parfois dur à avouer à toute la blogosphère un talent que l'on sait intact mais pourtant si peu reconnu. Si je le fais, c'est pour la gloire de la musique. Uniquement. Pas parce que ma mère me mettait des jupes quand j'étais petit, ça n'a rien à voir et cela n'a aucune importance.

Ainsi donc, ma vie a constitué à écouter plein de disques de rock, que je méprisai aussitôt, en jazzman génial et inné que j'étais. Je me les commentais intérieurement, du style - tiens, moi j'aurais pas collé un solo à la fin de Stairway To Heaven, ça n'apporte rien aux arpèges du début - arpèges que je répétais minutieusement pour bien en saisir le thème, vous voyez ? Pascale m'avait même dit que je jouais super bien de la guitare. J'abandonnais ma reprise au bout d'une minute trente, justifiant qu'après cela devenait vulgaire et inintéressant, tu comprends, la guitare électrique, tout ça. Pascale m'avait de fait abandonné pour les mêmes raisons me concernant. Je devenais vulgaire et inintéressant au bout d'une minute trente.

C'est donc il n'y a pas très longtemps que je me suis acheté un magasine - Guitar Player je crois- pour essayer de voir ce que les amateurs non inspirés pourraient trouver comme riffs et licks à développer. J'ai eu beaucoup de mal à les reproduire. Je suis un créateur, pas un simple imitateur, et je méprise autant que je me protège des influences externes pouvant altérer mon potentiel créatif. Aussi ai-je intégré dans mes créations (dont Slow Blues For One Note), des boucles de boîte à rythme, des samples, voire même des licks de guitare issues de collections de boucles diverses et variées. J'appose mon génie minimaliste sur ces artefacts bien trop érudits pour être honnêtes. Ha ! si vous entendiez mon Fa # sur Still the Same Pitch, vous n'en reviendriez pas, c'est cette note qui colore tout le morceau !

Enfin bon, je ne peux pas me permettre de ne parler que de mon génie. Aussi quand j'ai eu connaissance de cet album de John Scofield, jouant avec - certes des musiciens - mais aussi des samples - cela m'a convaincu qu'il était temps pour moi enfin d'oser écouter ce guitariste merdeux, qui semblait enfin avoir compris la simplicité et la modernité des productions musicales actuelles. Un morceau - ou plutôt son titre - tel Boogie Stupid - ne pouvait que me confirmer que j'étais sur la bonne voie.

(...)

J'ai fait écouter ce disque à Pascale, qui depuis qu'elle souffre d'une infection de l'épiderme assez répugnante il est vrai consent à revenir me voir de temps en temps. Je pense qu'il se passe quelque chose d'émotionnellement très fort entre nous.

Ce qu'elle m'a dit m'a fait de la peine. En gros, je devrais moi aussi consentir à rajouter quelques notes à mes morceaux, même si, là, sur cet album, les thèmes sont plutôt orientés groove, que cela n'a rien de prétentieux, et que ma foi c'est un super album, qui dépote tranquillement (elle m'a même demandé de lui graver le CD, ce qu'elle n'a jamais fait pour mon quadruple album Still The Same But Life Goes On, sans doute par timidité).

Ce soir j'ai remis une jupe, je trouve que je joue beaucoup mieux déjà. Il n'y a pas que le sexe dans la vie.

Just Don't Want To Be Lonely

lundi 2 février 2015

#179 : Bob Dylan "Shadows In The Night"

Soyons clairs, ce "nouveau Dylan" est un non-événement. Le concept même de "nouveau Dylan" a perdu de sa superbe depuis... pff... 1978 ? Oui, c'est ça. Ce qui a suivi (les albums catho, les albums merdouillards, le silence...) a définitivement lassé les plus coriaces. Plus personne n'attend rien de Dylan, et c'est au moins tant mieux pour lui. Ca lui aura permis d'étonner par ses coups de génie (Time Out Of Mind), quelques bons morceaux dans des albums quoiqu'on en dise très inégaux (Love & Theft et - déjà - ses passages jazzouilleux grotesques), jusqu'au Tempest dernier qui franchement... franchement... était un peu mieux que son album de chansons de Noël. Vous m'excuserez de ne pas arriver à être totalement méchant, du moins pas autant qu'avec Genesis. Chacun ses faiblesses. Alors, qu'aujourd'hui, après le mini-raout justifié des Basement Tapes enfin compilées quasi-intégralement par CBS pour les trois lecteurs des Inrocks qui n'avaient pas encore les pirates (z'avaient qu'à lire ce blog, les cons), sorte un album de reprises de chansons reprises par Sinatra, en pleine torpeur hivernale, on ne va pas fouetter un chat.

Dylan, depuis bien longtemps, depuis, disons, 1997, surfe sur une vague qui doit lui paraître douce : celle de la gentille constance dans les propos et opinions des fans, des critiques et des indifférents qui ne prennent même plus le temps de lui reprocher de chanter faux. La paix, royale, sur la route, comme un papillon attiré par un lampadaire, qui sait qu'il va se griller les ailes dans une quête qui n'intéresse que lui, mais qui semble pressé d'en finir dans cette course au soleil absurde.

OK, Dylan fut le symbole du renouveau folk, le symbole de la révolte et de la liberté, le symbole du retour à la campagne et du country-rock, le symbole de l'artiste poète et bohémien, le symbole du salaud vendu, le symbole du couillon ayant vu la lumière divine, le symbole de l'artiste toujours capable de pas faire de la merde, le symbole de... j'en passe et des meilleures.

Comme si personne ne semblait, ne voulait voir en lui le symbole de l'homme fatigué. Good As I Been To You, c'est ainsi que se nommait son recueil de vieilleries pré-folk de 1992, avec sa pochette hideuse et sa voix de canard, flinguant d'entrée tout espoir de grand retour. Comme s'il ressentait le besoin de payer son tribut à un diable quelconque rencontré à la croisée des chemins. Un diable en forme de foule bêlante lui réclamant depuis des lustres un tribut qu'il ne voulait pas payer pour ces quelques dollars et ces quelques amphétamines joyeusement gagnés au début de sa carrière.

Poussant le ridicule jusqu'à passer par la case Unplugged, il ne pourra s'empêcher de revenir la tête haute pour ce ténébreux Time Out Of Mind. Dans lequel, après avoir presque retrouvé Elvis, selon ses propres dires et suite à une infection pulmonaire carabinée, il chantait qu'il ne faisait pas encore noir, mais presque.

Ce coup-ci on y est. La nuit est tombée, il y croise des ombres. Des fantômes ? Lesquels ? Non plus les Blind Willie McTell, les Mississippi Sheiks d'antan, ni même les Hank Williams ou les Roscoe Holcomb du côté plus blanc que blanc. Non plus ceux-là même dont il s'est tant inspiré, dont il a su - s'il ne devait avoir qu'un seul talent - sucer jusqu'à la moelle les trois pauvres accords Mi-La-Si des gens rustres qui n'avaient jamais imaginé la couleur d'un do septième diminué. Au risque d'inspirer toute la folle épopée des Beatles, des Stones, mettant définitivement à l'écart Tin Pan Alley, le jazz et toutes ces musiques par trop savantes, complexes ou prétentieuses que la jeunesse des sixties comptait bien balayer à coup de mini-jupes, de Power To The People et autres conneries cool, aujourd'hui remplacées par l'ipad, l'iphone, l'itruc et autres tendances connectées.

Là, donc, ce qu'il nous chante, dans tous les sens du terme, c'est bien cette époque qu'il a mise à mal, volontairement ou non. Sans doute tout cela est-il très honnête (si l'on peut toujours considérer comme honnête un artiste ex-sulfureux qui chante le père Noël à 70 balais). Et pourquoi n'aurait-il pas le droit, lui aussi, d'ouvrir le Great American Songbook, comme un Rod Stewart ou un (aïe) Robbie Williams ?

Le vieux con que je suis ne peut pas s'empêcher d'essayer de comprendre. La musique n'aide en rien. Au chapitre des éloges, on pourra s'étonner de la qualité de son groupe, merveilles de pedal-steel onctueuse là où des violons auraient été indigestes, summum de délicatesse dans les guitares, bref, oui, tout amateur éclairé appréciera. Après, on a également le droit de rire en l'entendant nous chanter les Feuilles Mortes. Après tout, Iggy Pop nous l'a bien fait, et Dylan au moins évite Joe Dassin.

Indécrotable fan pressé que je suis, j'ai découvert l'album en téléchargement deux jours avant sa sortie. Et n'y ai rien compris.

Il m'a fallu l'acheter (certains donnent bien des sous pour le Téléthon) pour, en regardant la photo constituant le verso de la pochette, y voir plus clair. Terriblement plus clair :


Voyez-vous ce vieil homme bien habillé, comme s'il se préparait à un mariage, enlacer cette femme masquée, les deux regardant d'un air intrigué un vieux 45 tours de chez Sun ? La dame en noir a des airs de camarde ou je ne m'y connais pas en symbolisme. Le vieux grigou paie ses dettes avant d'aller voir ailleurs, et il semblerait qu'il ait un dû à payer : C'est ça que tu veux que je chante ? Oui, tu ferais bien de faire profil bas avant de t'en aller. Chanter, tel un bon chien-chien, tout cet establishment que tu as mis à mal. Vas-y, essaye de l'imiter, Frankie, avec ta voix en forme de balai de chiotte et ton indécrottable aura de folksinger qui t'a collé aux basques. Rien, tu n'as rien changé, tu le sais, tu dois payer.

Vous me direz que je délire. Le Bob reprenait déjà Lucky Old Sun avec Tom Petty en 1986. Il a même ânonné son Restless Farewell au concert en hommage à Sinatra. Il a osé reprendre Charles Aznavour sur scène. Il parle même, au sujet de cet album, de ces chansons qu'il a toujours aimées. Et alors ? Je ne dis pas que le vieux Dylan serait victime de Belzébuth. Je pense même qu'il est conscient de toutes les mascarades qu'il a jouées, ceci dit cantonnées aux trois canoniques accords du rock'n'roll ou du folk, n'osant le jazz merdeux que dans les années 2000 (malgré une approche timide avec If Dogs Run Free dès 1970). Simplement, là, il explique les choses très clairement. A ceux dont les yeux se sont habitués à l'obscurité. Ou plutôt, à ceux qui n'ont pas voulu comprendre ce qu'il disait - même trop rarement - dans ses interviews : tout cela n'aura été qu'une mascarade, qu'une mauvaise farce. La nuit est tombée. Il y croise des ombres, celles qui avant lui sans doute pensaient avoir touché la grâce divine, ou plutôt qui avaient touché des coeurs aujourd'hui réduits en poussière, et qui errent dans un oubli qu'on espère reposant. Et qu'il sait devoir retrouver bientôt.

Etrange, que de se promener dans le brouillard. Tout le monde est seul (Hermann Hesse)

Why Try To Change Me Now ?

jeudi 22 janvier 2015

R.I.P Letha Rodman Melchior

... Je vous avoue que je ne la connaissais pas il n'y a pas plus tard qu'il y a cinq minutes. Le temps d'être happé par ce disque posthume et posté  sur exystence.net.

Va savoir pourquoi cette mort me touche, va savoir pourquoi ce disque me touche. Va savoir pourquoi cette histoire me touche. Des bidouillages incongrus comme je les aime et comme je rêverais d'oser en fabriquer. Glauques, hermétiques, certes et à souhait. Mais pas pédants, pas vautrés dans la hype d'un nouveau son susceptible de faire bander les fans d'Aphex Twin et/ou de la scène electro de je-ne-sais-pas-ou. Loin des tribulations masturbatoires d'une scène prog passée présente et à venir bien trop grand-guignol pour être honnête.

Paul Simon a été le premier à déposer la marque du son du silence. Letha a été la deuxième à le mettre en musique puis, crabe oblige, à le mettre en pratique.

Voilà, l'émotion m'étreint, faites un tour sur le lien ci-dessus. Osez. Je suis enflammé, peut-être trop, peut-être que moi-même, demain, considérerai que cela ne vaut pas tripette. Mais qui serais-je pour considérer qu'aucune musique ne vaut rien. Peut-être son génie, sa réputation, m'ont-elles échappé (je ne lis plus les Inrocks depuis bien longtemps), aussi ce post pourra-t-il vous paraître fat, benêt et incongru. Je m'en fous. Ca me touche. Elle est morte. C'était beau.


lundi 5 janvier 2015

#178 : The Orb (featuring David Gilmour) "Metallic Spheres"


Il faut toujours se méfier des fausses bonnes idées. En voici un exemple frappant, l'histoire de jeunes vieux cons trop vieux pour être jeunes mais trop jeunes pour paraître cons, rencontrant un con trop vieux pour être jeune mais trop con pour se rencontre compte que ces jeunes étaient déjà vieux. Vous me suivez ? Non ?

Allez, je détaille. Au début des années 1990, va-t-en savoir pourquoi, le mouvement techno commence à gagner une certaine crédibilité dans le milieu rock. Chose logique, il fallait bien que ça arrive, et puisque le-dit rock s'était déjà fourvoyé dans le prof-rock et le jazz-rock, il n'y avait aucune raison pour que l'inévitable soit évité. Arrivèrent les Chemical Brothers, Leftfield, Propellerheads, Prodigy et les autres. Underworld, un très mauvais groupe de pop, réussit même à décrocher la timbale en virant carrément techno. Remember Born Slippy et Trainspotting ? Voilà.

Alors que les disques de Tangerine Dream repassèrent la barre des trois francs six sous chez les disquaires d'occase, que le has-been Steve Hillage redevenait hype et que les Happy Mondays arrivaient à vendre plus de disques que de pilules d'Ecstasy dans tout Manchester, un groupe, The Orb, sortit un double album au nom improbable mais très psychédélique, pas mal fichu, suffisamment pour tester les chaines stéréo aussi bien que Dark Side Of The Moon. La pochette reprenait même les célèbres usines de la pochette d'Animals. Sans le cochon, certes, mais quand même.

Carrément gonflés ! Alors que l'époque était aux Maxis, ces jeunes-là osèrent l'improbable : le double-CD (soit l'équivalent du quadruple album) forcément conceptuel. Pendant ce temps, Pink Floyd ramait dans des eaux troubles et peinait à rendre crédible son Division Bell.

Evidemment, dans le milieu techno plus encore que dans le rock, les héros d'hier sont les has-been du lendemain, ne serait-ce que pour un pour tchack de travers, un son de synthé pas assez vintage, ou peut-être tout simplement parce que voyez-vous le monde n'est plus ce qu'il était ma pauvre dame. The Orb est donc considéré aujourd'hui par les milieux concernés comme une vieille savate dont plus personne n'oserait se chausser : on est bien dedans, mais on ne sort pas avec.

Le même adage semblant coller au défunt Floyd, qui ma foi s'était fait à cette idée, puisque son public préférait désormais le 5.1 aux virées dans les clubs enfumés, la rencontre se fit, sous la houlette tout aussi improbable du fondateur de Killing Joke (je vous assure).

Ne me demandez pas comment je suis tombé sur cet objet, toujours est-il que la rencontre du vieux con recherchant la crédibilité auprès de jeunes cons déjà vieux recherchant un regain de popularité fonctionne. Même plutôt bien, dès lors qu'on ne s'attend pas à grand chose, et qu'une ambience à la Wish You Were Here (l'album) réactualisée a de quoi faire verser une larme au crocodile qu'il vous faudra camper pour apprécier cette rencontre.

Je ne m'aventurerai pas dans les qualificatifs extrêmes, je n'encenserai pas l'album, je ne le descendrai pas non plus. Dire qu'il s'agit du meilleur album du Floyd depuis Animals serait à peu près aussi crétin que de hurler à la trahison. Pourtant, les deux attitudes s'entendent. D'aucuns ont écrit que cela ressemblait aussi à Tangerine Dream (vous voilà prévenus), mais je ne me permettrais pas de confirmer ou d'infirmer cela : j'avoue que le rêve de la mandarine me laisse perplexe autant que le dubstep ou le drum'n'bass. Juste un truc, donc, qui si l'on s'amuse à peler (oups !) tout le poids de l'histoire et des passions qui l'entourent, me semble plutôt plaisant et cotonneux, pour les nostalgiques, les béotiens et les DJ en herbe. C'est déjà pas si mal.

Metallic Side or Spheres Side ?

jeudi 1 janvier 2015

#177: Beep "Too Physical"

Il y a des disques dont on ne se séparerait pas pour tout l'or du monde. Non pas qu'on les écoute tous les jours, peut-être même les a-t-on seulement écouté une ou deux fois dans sa vie, et encore, jamais d'un bout à l'autre. Et pourtant il s'y passe quelque chose d'incroyable. Une sorte d'aura subliminale qui s'en dégage, incompréhensible, on reste là le nez devant la pochette, à moitié perplexe, à moitié conquis, mais totalement fatigué par une écoute qui n'a laissé que des questions, de l'agacement peut-être, mais surtout une incompréhension avec un savant goût de reviens-y. Trouve donc l'énigme caché dans cet amas sonore. Tu sais qu'il est là, devant toi, cherche encore. Pour ce qui me concerne, je citerai volontiers A Wizard's A True Star de Todd Rundgren ou encore le Trout Mask Replica de Captain Beefheart. Trop raides pour mes écoutilles, mais je n'échangerai pas mon vinyle du Captain contre douze CD de Gorillaz...

Bien sûr, ces disques-là sont capables de briser des vies. Certains partent en jihad pour convertir leurs voisins, d'autres - voisins - en viendraient aux mains pour en finir avec ces trucs prétentieux et nuls à chier dont on n'a que foutre. Et, souvent, gagnent la partie avec une phrase terrible du type "tu vas pas me dire que tu l'écoute souvent ton truc ?!!!".

Euh... non... c'est vrai.

Car souvent, dans ces disques-là, on y décèle le sentiment le plus difficile à cautionner, et à supporter musicalement : l'humour, qu'il soit au premier ou au treizième degré. Et qui se moque souvent, défi suprême, de l'auditeur. Par exemple de ceux qui aiment bien les chansons de Zappa dans lesquelles il y a un riff plaisant de plus de deux mesures.

Voici qu'arrive Beep.

Et autant d'innombrables groupuscules dont la dénomination se termine par ...Blues Band vous garantissent une pure daube en lieu et place du blues annoncé, autant Beep tient ses promesses. Le joyeux trio nous gratifie de plein de beeps, dzong, wouuiitch, ceci pendant treize morceaux tous plus absurdes les uns que les autres. Aux titres délicieux (The Shit In The Sky Is Stars, au hasard). Non contents de ridiculiser l'intelligentsia vintage-électro pendant trois quart d'heures, les cruels auteurs de cette sottise s'en prennent également au jazz, un peu comme des cancres pugnaces vous jetteraient un accord de septème diminué accompagné d'un long pet humide, au rock lo-fi, ceci au hasard de courtes ritournelles pliées en 3 minutes maximum - et c'est tant mieux.

Et parfois c'est beau, comme ce To Us presque anachronique dans ce fatras de blagues potaches. Ou pas. On ne sait plus. Il suffit qu'un morceau se termine - de gré ou de force, le zapping n'est pas interdit - pour que le suivant vous tienne en haleine quelques secondes. Pour qu'on se souvienne avoir téléchargé ce truc de ouf, qu'on y revienne.

Tout ici bringuebale (Public Art), groove parfois penaudement (Shit Pony Rides Again), un peu comme si Soft Machine avait composé la musique de Chapi-Chapo.

Le machin n'est évidemment pas disponible chez Universal, mais sur un petit label, uniquement en téléchargement ou... sous forme d'une carte de téléchargement que l'on peut après usage planter dans son jardin pour voir pousser des fleurs (je ne rigole pas - enfin si - allez voir vous-même). Une sorte de manifestation de la continuité conceptuelle chère à l'oncle Frank Zappa.

Un disque génial à rendre dingue les puritains pour qui la vie s'est arrêté après le Kind Of Blue de Miles Davis, un coussin péteur à planquer sous la chaise de l'ingé-son des Daft Punk, un truc à passer aux enseignants qui vous parlent de musique sérielle et dodécaphonique pendant le repas de Noël, un disque à écouter faute de pouvoir raisonnablement mater un épisode de South Park en conduisant, bref, un truc essentiel finalement.

Classic Beep Melody