J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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jeudi 9 novembre 2017

#214 : Planxty "Between The Jigs And The Reels : A Retrospective"

Il existe entre la harpe celtique et la cornemuse irlandaise des différences fondamentales, mais pourtant les deux instruments se complètent à merveille. D'ou, finalement, ce post de Planxty en guise de bon complément à celui de Clannad.

En effet, contrairement à la harpe celtique (grâce à ses cordes, mais vous aviez compris), la cornemuse irlandaise est très peu adaptée à la fabrication de collets pour lapins de garenne, ce qui peut constituer un élément d'explication de la Grande Famine. Par contre, comme soufflet le soir auprès du feu, il n'y a pas mieux. D'autant qu'assez bavard, les irlandais ont inventé une cornemuse leur permettant de discuter tout en jouant, ce qui leur assure d'avoir généralement le dernier mot sur les écossais. Pour cela, il faut savoir jouer du coude, et les irlandais sont assez forts pour cela. Ainsi dans le genre "pousse-toi là que je m'y mette", nos joyeux drilles de Planxty se poseront comme tels. Vous allez dire que j'exagère, peut-être un peu mais au fond non, pas tant que ça, mais Planxty peut être considéré comme le groupe fondateur du folk irlandais moderne. Entendez par là que même si les reels, jigs et hornpipes dont ils abusent allègrement sont de source traditionnelle, leur musique ne l'est en rien. On la qualifiera de folk parce qu'on a beau chercher, on ne trouve aucun instrument électrique dans tout ça (mis à part les claviers usés par Christy Moore sur la fin, ok...) mais c'est finalement plus des délires progressifs qu'il faudrait l'enfermer.

Car quoi ! Andy Irvine, déjà, est anglais (by Jove !) et s'est amusé à traverser les Carpathes pour en ramener plein de morceaux en 7/4 et demi, mais surtout des instruments qu'on aurait plutôt tendance à trouver dans le sud de l'Europe, à commencer par la mandoline. Ca vous paraîtra peut-être bête mais Dalida n'a jamais songé à faire camper le personnage de Bambino dans la banlieue de Belfast, et, outre des raisons politiques évidentes, il y a des explications rationnelles à cela.

Alors quand l'autre cordeux, Donàl Luny s'entiche d'un bouzouki datant du temps ou les grecs se tapaient des colonels (et cela commençait à la saoûler) comme les irlandais l'oppression anglaise, nous voilà aux prises avec un groupe qui largue gentiment les amarres du folk irlandais classique.

Evidemment, le duo bouzouki/mandoline fait mouche. Ca pétille dans tous les sens, à chaque secondes c'est cinquante idées de morceaux qui fusent. On ne s'étonnera pas entendu cet éclair de génie qu'aujourd'hui on parle du bouzouki irlandais comme de la dette grecque, ça fait partie du paysage.

Rajoutez à ce duo un cornemuse-killer, Liam O'Flaherty, et ma foi l'Irish Stew est cuit. Manque plus que la cerise sur le gâteau, carrément Christy Moore au chant (partagé, il faut être juste, avec Andy Irvine, pour la plus grande joie de nos O'Reilles). C'est même lui qui a réuni, à l'origine, tout ce petit monde, pour enregistrer son deuxième album solo, Propserous dont on ne s'inquiétera guère ici sauf si, après l'écoute de la compilation ici proposée, et après avoir reniflé tout le web pour trouver tout le reste, on reste encore sur sa faim. Ce qui est très très probable.

Or doncques, l'objet du jour, Between The Jigs And The Reels : A Retrospective, est une compilation sortie l'an passé (et on ne m'avait rien dit !), arrivée ce matin même dans ma boite aux lettres et qui tombe à pic puisque voilà peu on parlait ici de Christy Moore et de Clannad. La chose est composée d'un CD et d'un DVD, pourquoi pas.

D'emblée, et finalement tant mieux, le CD n'a rien d'un best-of, puisqu'on pourra hurler comme un damné en constatant l'absence de Raggle Taggle Gypsy, Only Our Rivers, Little Musgrave et beaucoup d'autres. Alors on relira le titre : eh oui, l'accent est mis davantage sur le versant instrumental du groupe. Et lorsqu'il est question de chanter, Andy Irvine a même davantage d'espace que Christy Moore. Passé le moment d'étonnement, on lance la galette (même si les bretons me diront qu'une galette ne se lance pas) et... et ça fontionne plutôt très bien. Si vous cherchiez une introduction à Planxty qui ne fasse pas une part trop belle à Christy Moore, cachant ainsi la forêt que constitue tout le reste, ce disque est pour vous.

Et puis, savez-vous, on trouve ici la plus belle chanson du monde, oeuvre d'Andy Irvine, et qui aurait tendance à reléguer Nick Drake au rayon Shane Mc Gowan un peu timide. J'ai nommé The West Coast Of Clare. Je n'en dirai pas plus. Mais elle est là, prête à être écoutée, re-sortie de son écrin initial comme on balade des Picasso autour du monde, la re-voilà, ne la ratez pas. Moquez-vous du reste si cela vous agrée, mais accordez-vous les cinq minutes qu'elle dure. La plus belle chanson du monde.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, reste le DVD, qui lui aussi est un véritable enchantement. Pour le coup, ici, tout y est ou presque (Lakes Of Pontchartrain, comme tu nous manque), et donc plus encore.

Mais vous êtes comme moi, vous détestez les DVD. Et rester devant la télé pendant deux heures et demi à regarder ces quatre loustics jouer du pipeau ne représente pas... comment dire... votre vision de la soirée parfaite ? Devant ne revendra pas son baril de westerns pour cinq minutes de Blacksmith au Late Late Show ? Eh ben vous savez quoi, les trente-six chandelles évidemment inédites que compte la galette, je les ai rippées en splendide mp3 @320 rien que pour vos oreilles.

A partir de là, vous êtes heureux(ses) et vous ne le savez pas encore. Cela ne saurait tarder.

Le CD
Le bout du DVD qui couvre la période 1972-73
Le bout du DVD qui couvre l'année 1980
Le Live au Natiional Stadium de 1982

Slàinte Mhaith !

mardi 7 novembre 2017

#213 : Hüsker Dü "New Day Rising"

Il paraît qu'en ce moment, la blogosphère s'est mise en tête de glorifier le Zen Arcade de Hüsker Dü (glorifier ou démonter peu importe, d'en parler quoi !). Etant donné qu'il serait navrant que j'en sois, pour d'évidentes raisons de redites, voici donc un autre album de Hüsker Dü qui me paraît pouvoir retenir votre attention quelques instants :

- Ce n'est pas un double-album : les arguments en faveur de cette particularité de Zen Arcade ne tiennent pas. C'est un disque de punk rock tout bête, initialement avec deux faces, aujourd'hui je ne sais plus, 15 fichiers ?

- Les morceaux sont très courts, balancés en 2'30 sur des thématiques intéressantes (les livres sur les OVNI, les façons de dépecer un chat, enfin ce genre de choses, somme toute rien que de très banal)

- Contrairement à Zen Arcade, il est inutile/difficile/idiot d'évoquer l'éternel "sens de la mélodie qui se cache sous le déluge de décibels montrant quel songwriter se cache derrière patati patata". Les cinq premiers morceaux ne sont qu'un tir en ligne, en avant toutes, avec le plaisir simple et essentiel de faire du bruit, simplement du bruit comprenez-vous. On aimerait que ça continue mais malheureusement on trouve par la suite quelques éléments un peu pop - oh rassurez-vous guère plus que de Ferrero sous le canapé un lendemain de murge. Et ça ne commence qu'à la septième chanson, et ça c'est bien aussi, surtout que ça ne se calme pas sur la fin. Et non, il n'est pas plus mélodique et plus lent que Zen Arcade, il est tout aussi jouissif. Juste un peu moins brutal que Land Speed Record, qui s'en plaindrait ?

- Et puis la pochette est si chouette. Ce paysage idyllique avec deux clébards devant qui viennent affectueusement nous rappeler qu'en bon chiens errants ils nous boufferaientt les couilles si l'on s'amusait à venir contempler le soleil levant, conneries tout ça. Et puis en regardant de plus près, le soleil est noir, le ciel couleur de merde, et les clébards sont peut-être tout aussi bien des chiens-chiens à sa mémère qui en pissant dans l'eau vont vous coller une maladie parasitaire à la con et que bordel si j'avais un flingue je dégommerais ces saletés. Journée de merde.

Et surtout, ce disque s'appelle New Day Rising, et je me faisais la réflexion justement, en l'écoutant à fond la caisse dans les embouteillages après avoir passé une journée pourrie à un point ou j'avais l'impression vu toute la merde qui me tombait dessus que le reste du monde devait être constipé, pas moins. Demain sera bien ? J'y crois plus.

Prenez trois paysans, acculés par les dettes des fournisseurs. Ces trois paysans se regroupent en coopérative, tiennent la dragée haute au vilain commercial, du coup améliorent leur revenu. De fait les adhérents à la coopérative augmentent. Celle-ci prend du poids et embauche des salariés. A tel point qu'arrive un moment ou elle a pour objectif de grossir pour continuer à vivre, ceci bien entendu aux dépens des paysans qui l'ont créée, augmentant les prix des fournitures qu'elle leur revend.

C'est l'éternel serpent qui se mord la queue.

Alors New Day Rising, après une journée à affronter la mauvaise foi, les petits intérêts personnels, les postérieurs postiches et j'en passe, c'est parfait dans ma petite voiture coincée dans ces putains d'embouteillage. Nouveau jour, nouvel ordre mondial, je me dis que les êtres humains sont tellement cons que tout ça est peut-être vrai. Comme ces coopératives qui bouffent sur le dos des paysans. Je veux dire, sans même avoir besoin d'un complot, sans même en appeler aux Illuminati, sans même le faire exprès. Et c'est là qu'il n'y a plus guère d'espoir. Comme ces cellules cancéreuses qui prolifèrent comme un vieux réflexe consistant chez les paramécies et les hydres aquatiques à se multiplier par division lorsqu'un danger, un stress les y poussent. Sauf que le crabe nous tue, RIP Mr Grant Hart, comme le nouvel ordre mondial, comme les coopératives, le glyphosate et mes collègues de boulot.

Et contre tout ça, je ne vois guère que Hüsker Dü, très fort dans l'auto.

Et justement, pour en revenir à Zen Arcade, je crois que je le re-écouterai dans les embouteillages demain, New Day Rising n'est pas assez long. A moins de l'enchaîner à Candy Apple Grey ? Et si vous en voulez d'autres, avec plaisir.

Demain, journée de merde.



dimanche 5 novembre 2017

#211-212 Clannad "Dulaman" - "The Magical Ring"

Raconter l'Irlande autrement que par Van Morrison, Rory Gallagher, Shane Mc Gowan et les autres ? L'idée vient d'Audrey. Elle est plutôt bonne, et m'a suffisamment tourneboulé les méninges pour que je me retrouve à raconter cette première histoire, plutôt triste d'ailleurs. Celle d'un groupe - Clannad - immensément doué, d'une subtilité rare, qui s'est évanoui dans les brumes éthérées de la New Age au beau milieu des années 1980.

Pile, en fait, au moment où il furent adoubés par Bono. Pas le clown, l'autre. Qui aurait "failli avoir un accident de voiture" en entendant Theme From Harry's Game - sous-entendu tellement c'est beau. A l'époque, Bono était encore en recherche de crédibilité, et ma foi il était plutôt de bon ton de s'afficher avec Clannad (ce qui se soldera par un duo sur un album à suivre, Macalla, mais inutile de parler des carottes lorsqu'elles sont déjà cuites). 

Avant ces pénibles affaires, au milieu des années 1970, Clannad était un groupe incroyable. Rien à voir avec les Dubliners et autre Wolfe Tones dont on ne saura jamais si c'est de hurler qui donne soif ou l'inverse (rapport à leur consommation de bière et à la corrélation sans faille avec le manque d'intérêt de leur musique pour quiconque s'y essaie à jeun). On pourrait rapprocher ces jeunes gens de Planxty, dans la mesure où l'instrumentation traditionnelle est au service de subtilités qui vont bien plus loin que la musique dite "folk" - consistant comme chez nos Tri Yann à beugler des tralala sous fond de cornemuse ou de biniou pour espérer finir en pin's au syndicat d'initiative de Plougastel. Les arrangements sont ici à tomber. On hésitera pas à parler d'orfèvrerie pour des choses comme Cumha Eoghain Rua Ui Neeil (ce qui en Gaélique signifie "Chéri t'as été à Super U et t'as encore oublié de racheter du café"). Et la voix... celle de Màire Brennan (en fait, il s'agit de la famille Brennan, d'où le clan - clannad - vous voyez c'est facile le gaélique), par ailleurs harpiste du groupe... On se damnerait pour moins que ça.

Dont acte : Dulaman, enregistré en 1976, est une de leur plus belles réalisations. Encore marqué par le folk des débuts (mais sentant nettement moins la marée), l'auditeur averti y décéléra ça et là quelques empreintes de jazz et partout une intelligence sans faille dans les arrangements. Un disque formidable, de la belle ouvrage. Tout cela aurait pu, aurait dû continuer longtemps mais...

Mais l'Irlande a beau être une île, la gale des années 80 la vérolera malgré tout, Clannad en premier lieu : Ma foi, le succès d'estime c'est bien gentil mais j'ai les falaises de Mohair à ravaler, alors un peu de cash ne ferait pas de mal. Ouh mais regardez-moi quoi que c'est que ce joli synthétiseur à sa mémère hein ?

Gagné. Tomberont dans le panneau comme Obélix dans la potion. Le plus courageux pourront s'en convaincre à l'écoute de The Magical Ring, l'album grâce auquel Bono aurait pu mourir dans un accident de voiture avant de nous pourrir la vie avec Achtung Baby, et qu'on partagera en deux lots : en gros, la moitié où le folk prime encore - pour la dernière fois - et où la beauté semble atteindre un point de non-retour (Coinleach Ghlas An Fhomair - "Faut absolument que je change de lunettes j'y vois plus rien avec celles-là" - une reprise d'ailleurs du deuxième album, on sent que les vieilles marmites, les meilleurs plats, etc.) et l'autre moitié ou le groupe semble vouloir refaire le coup du Supertramp de Breakfast In America avec des bouzoukis (Thios Fa'n Chosta - "Jolie Poupée" - au hasard). Rien qu'à la pochette mystico-promotionnelle digne d'une marque de lessive sans phosphates, on ne pouvait que s'en douter.

A jouer à ces jeux dangereux, on tombe évidemment sur le truc qui va décoller (et augmenter le chiffre d'affaire des concessionnaires automobiles en même temps) : laissez les fifres au pub, gardez le synthé, poussez-moi la réverbe et l'écho sur la voix de la chanteuse et hop !

Les Irlandais se jetteront là-dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton, et si le reste de l'Europe restera quelque peu indifférent à cette affaire, elle craquera quelques années plus tard grâce (?) à Enya, la frangine de Màire, qui vaporisera encore plus de Tahiti Douche dans la console de mixage - au-delà des bornes y'a plus de limites, c'est bien connu.

Mais ceux qui ont lu Corto Maltese le savent déjà, il se passe souvent de tristes histoires en Irlande, et celle de Clannad en fait partie. Alors oui, il vaut mieux en rire (et je ne vous ai même pas raconté la meilleure, ces gens-là ont quand même composé la BO d'un feuilleton sur Robin des Bois, mais oui !). Même si j'ai vu que sur un live récent (faut bien manger), les Clannad reprennent encore ces frasques passées en fin de concert.

Pendant que Bono voyage en jet privé.

jeudi 2 novembre 2017

Bob Dylan - en attendant le verset 13

Soyons honnêtes, mes frères, Columbia fit parfois de la bonne ouvrage avec le catalogue de celui que dans le métier on appelle aujourd'hui Tino Rosshillbilly  et dont le fameux Never Ending Tour se serait transformé en Hit The Road Jack Lantier. Malheureusement ils sont actuellement trop occupés à essayer de dissuader le prix Nobel 2016 de reprendre Le Petit Bonhomme En Mousse à la fin de ses concerts pour se concentrer sur les Bootleg Series, c'est sans doute pour cela que celui à venir, le volume 13, sera - en vérité je vous le dis - totalement à côté de la plaque.

D'abord, ça devient agaçant de vouloir fourguer minimum huit CD par coffret, histoire de justifier - en cette fin des temps discographique - un prix minimum de 100 euros par pélerin (dans l'ancien testament on pouvait faire raquer 100 euros pour 3 CD, il en faut 8 aujourd'hui, les temps changent que voulez-vous). Il paraît que même Hugues Aufray fait écouter les Bootlegs Series par sa secrétaire tellement ça commence à l'ennuyer. Voyez par exemple les 36 chandelles de sa tournée de 1966 (qui ne sont pas des Bootleg Series mais quand même), de quoi épuiser jusqu'au dernier des Mohicans, surtout qu'il s'agissait de la tournée durant laquelle le Zim a le moins souvent modifié la set-list...

Plus avant encore, le coffret sensé vanter les mérites (bien) cachés de Self Portrait, et par là-même évoquer les tendres années 1969-71) fait une impasse sur les sessions avec Johnny Cash, pourtant lui aussi artiste Columbia alors quoi ?

Et puis a contrario, les bandes magiques de 1965-66, dans leur intégralité, ont été reservées à une élite, prête à payer 500 boules pour ne jamais partager les 18 CD avec le reste du monde. On est mal, je vous le dis.

Bref, après les Basement Tapes, il semblerait qu'on ait définitivement confié la gestion du grabataire de Greenwhich à un stagiaire en deuxième année de secrétariat. C'est un choix.

Ainsi donc notre stagiaire se vit confier la divine mission de crédibiliser la période Born Again (et je souhaite déjà bonne chance à celui qui n'est pas encore né et qui, dans les Bootleg Series Volume 124, sera chargé de dire du bien de sa période actuelle - fais-moi mal Charlie O'Leg), en multipliant les galettes comme jadis on avait tradition de le faire quand on se voulait prophète. Sans aucun discernement, bien entendu. Avec humour toutefois, puisque Dylan bêlera derechef l'évangile juste après la Toussaint. Amen.

Car Columbia m'aurait appelé, je leur aurais expliqué la Sainte Trinité. 1979 - 1980 - 1981, c'est aussi simple que cela : trois ans, trois concerts. Et l'auditeur esbaudi entendra rugir le Bob de belle manière, l'imaginera s'engouffrer dans ce gospel rauque (en bonne compagnie quand même : Fred Tackett, Jim Keltner, Tim Drummond, c'est pas le même line-up qui swingue aux thés dansants du temple des Témoins de Jehovah au-desssus de chez moi), jouer au beau milieu des putes et des zombies en 1979 au Warfield Theatre de San Francisco, tenter d'annexer le Canada en 1980 (c'est une tradition yankee, ne cherchez pas) à Toronto pour enfin sceller sa croisade dans la cité des Papes en 1981 (j'ai déjà vanté cet épisode épique dans ce même blog, je ne vais pas insister). Et voilà, trois concerts, six CD, faites-moi le tout à trente balles et on en parle plus.

Là, mon stagiaire blêmit, relit sa convention et me dit timidement : il paraît qu'il faudrait quelques studios outtakes, c'est marqué dans le référentiel pédagogique, et là y'a que du live...

Ne pleure pas mon garçon, car Tonton Jeepee a tout prévu, tu l'auras ton CAP : le père Dylan ayant visiblement abusé du vin de messe des Corbières à l'époque, il existe dans le monde parallèle un témoignage de l'urgence dont il témoignait pour écrire chaque jour davantage de chansons qui lui venaient comme ça, oserai-je dire par la grâce du Saint-Esprit, et figure-toi que nombre d'entre elles sont à ce jour inconnues des cadres de Columbia (le reste du monde les fredonne depuis vingt ans déjà, mais bon). Et il est bon de rappeler à la terre entière combien les chansons écrites à cette époque-là, quand le Bon Dieu a commencé à se lasser du folk, étaient incroyables (Caribean Wind, Lenny Bruce, Every Grain Of Sand...) Par un divin copier/coller, rajoute donc Between Saved And Shot et non seulement tu remplis ta mission, mais avec brio : ce sont maintenant SEPT galettes hautement symboliques que tu vas pouvoir proposer à la plèbe suante et puante en échange du denier du culte.

- Mais ou vais-je trouver cela mon père ?

Ne m'appelle pas mon père, je te fais bouffer ton harmonica sinon ! Tu trouveras ça sur le web, en moins de vingt minutes (véridique, NDLR). Pour trouver il faut savoir chercher, petit scarabée, rien n'est caché. Médite-moi un peu cette sentence, télécharge toi ça à droite et à gauche, et avec les 140 euros que tu auras économisé, goûte donc aux plaisirs de la vie et de la chair. Car malheureusement Dylan n'est pas près de ressusciter d'entre les morts - je me suis laissé dire qu'il comptait enregistrer un tribute album dédié à Julio Iglesias.

Ainsi fut donc fait, voici the Jeepeedee's Bootleg Series volume 13, moins chères que celles de Columbia, qui lavent plus blanc, et que j'échangerais pas contre un baril d'eau bénite.

A ce moment très précis, Dieu m'apparut, et en ces termes s'adressa à moi :

Non mais c'est pas vrai ce bordel quand même ! Je t'ai pas demandé de tuer ton fils, c'est pas la mer à boire ! Pourrais-tu expliquer a minima pourquoi cette trinité est essentielle ? A quoi le lecteur estomaqué par ton charabia peut s'attendre ? Nom de Moi c'est pas vrai !!!

(Dieu parle toujours fort, désolé)

OK, donc, par le menu. Ceci expliquant peut-être cela.

Au Warfield Theatre, le 8 novembre 1979, comme les autres jours d'ailleurs et contrairement à ce qui a été écrit, le public est plutôt content de son sort, et accueille le fils prodigue avec ma foi grand bonheur, semble heureux que le groupe entame Gotta Serve Somebody. On trouve ici des versions encore proches de l'album des chansons de Slow Train Coming et, comme dix chansons ne suffisent pas à précher l'évangile, Saint-Zim en sort une dizaine de son chapeau, écrites dans l'urgence, qui finiront sur Saved, l'album maudit (?), invendable car même pas béni par Mark Knopfler. Pour les plus vieux d'entre vous/nous, c'est ici qu'on entend le Solid Rock qui avait à l'époque tourneboulé Garnier dans Rock & Folk. Chose incroyable, le Zim chante comme sur le disque, presque timide par rapport à ces hymnes bibliques et à la personne à qui il s'adresse (Bobby s'adressant, dans ces chansons, plus souvent à Dieu qu'à ses fans, faut pas déconner non pkus)

A Toronto quelques mois plus tard, le vieux briscard est - déjà - aguerri, et si le répertoire ne change pas, notre nouveau prophète interprète son gospel comme si ces chansons avaient été écrites depuis la nuit des temps, comme si - déjà - Moïse les chantait à son peuple le soir auprès du feu.

Rajouteré-je que vous avez ici droit à la première partie, à savoir les choristes à Dylan reprenant quelques gospel même pas écrits par leur employeur, mais de première facture, et vous savez ce qui vous reste à faire. Mais de grâce, chassez ces pensées impures.



A Avignon enfin, Dylan met du vin dans son eau bénite, et les vieux refrains réapparaissent sous la tiédeur de l'été 1981. En une construction mystique ceci dit, les vieux brûlots semblant ici davantage illustrer les divins commandements et les affres des pécheurs que servir une improbable contre-culture déjà faisandée. Voyez - misérables pécheurs - les malheurs qui s'abattent sur la pauvre gourde de Like A Rolling Stone, qui n'a point suivi les préceptes du Saint-Père. Quel effet ça faaaaaait ? Dans ce théatre Antique, le diable et le bon dieu se partagent l’Idole, laissant deux morts sur le carreau. Un des instants les plus intenses du canard à l'harmonica.



Cerise sur l'hostie, Between Saved And Shot rassemble pas mal de chansons en devenir qui ne deviendront jamais rien - et en écoutant Magic, Wind Blows On The Water et les autres, on peut le regretter. On peut aussi tomber raide, les genoux à terre, en entendant la reprise serpentueuse de Mystery Train, et ceci même pour les plus agnostiques d'entre vous. Ca tape, four on the floor comme on dit à Jérusalem. Ha ha ! ce vieux train qui déboule lentement, serait-il celui-ci même qui par l'entrejambe d'Elvis Presley porta Satan en Amérique ? Mazette, sucettes et tortillas, l'argument est de taille, et le Zim jamais meilleur que quand il endosse les habits du Diable pour mieux le vilipender. Nom de Dieu, on aurait aimé être petite souris à ces sessions ! Car, en plus, les versions alternatives des titres à venir sur Shot Of Love (dont Shot Of Love, tiens), sont du même acabit. Adrenaline (et j'ai crié !) garantie.

Ainsi soit-il, tout est là, prenez, ceci a du corps :

Warfield
Toronto - part 1
Toronto - part 2
Avignon - part 1
Avignon  - part 2
Between Saved And Shot

Bon, vous savez quoi faire ce week-end. Ca vous évitera une sortie à la FNAC en ces temps pluvieux (quoique les sous du coffret économisés peuvent vous permettre d'acheter un grille-pain, et que la FNAC regorge de grilles-pain, car quand il fait pluvieux comme ça, rien de tel qu'un grille-pain*).

*et il paraîtrait même qu'on ait trouvé Dylan faisant du porte-à-porte à Minneapolis ce jeudi, essayant de vendre des grille-pain tout en chantant l'air du Toréro de Carmen, justement, c'est pour ça que j'y pense.