J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

mardi 24 mai 2016

#187 : The Fall "Creative Distortion"

Le 22 septembre 2002, pour la majorité de l'humanité, il ne s'est rien passé. Enfin je n'ai pas vérifié mais en tout cas je n'en ai aucun souvenir. J'ai peut-être même dû me faire chier comme un rat mort ce soir-là. Vu les dates, ça colle. Sans doute pinté à la bière, et, sans m'en douter, je n'étais pas le seul.

Du moins si j'en crois ce double CD Live de The Fall, enregistré précisément ce soir-là, au King George's Hall de Blackburn (ces anglais ! ça ne s'invente pas). Enregistré et filmé, mais le film ne vaut rien. Regarder The Fall à la télé, ça revient à lire tout Proust via le Reader's Digest : tout ce qu'on imaginait meurt sous les pixels. Le guitariste n'a aucune classe, la salle est moche et la scène mal éclairée. Well well.

Donc, dans ce moment de grand oubli, quelque part au fond d'un patelin qu'on imagine pourri par la pluie, l'huile qui carbonise les oeufs qui dégoulinent sur les haricots dont la sauce tomate vient liquéifier le pain de mie qui frit dans la même huile, The Fall, joue. Comme d'habitude, dans une indifférence crasse (on entend bien dans le mixage qu'on a relevé le son pour entendre les trois applaudissements). La musique ? Basse, guitare, batterie, et grognements habituels de Mark E. Smith. Barissements aussi parfois, dans un micro qu'on imagine directement jeté à la poubelle à la fin du concert - qui donc voudrait ne serait-ce que s'en approcher après ça - musique souvent pataude (ce ridicule essai funky sur Telephone Thing, au hasard).

Et pourtant, ça pourrait presque ressembler au disque de l'île déserte mais avec une prise de courant pour la platine. Essayez d'expliquer à quelqu'un ce qui a pu vous arriver, là, un jour, un soir, dans un bistrot glauque ou une salle miteuse, et qui pourtant a changé votre vie. Sans réciter les inévitables London Calling, Beggar's Banquet, etc (rajoutez ici qui vous voulez, mettez-y aussi les Sex Pistols et Joy Division si ça vous chante, m'en fiche). Parce que cette poésie, vous l'avez - mis à part quelques rares privilégiés - rêvée. Vous avez bavé sur des pochettes en carton, collé votre nez devant une télé en noir et blanc, et basta. Mais The Fall, si j'en crois ce disque, on les a tous entendus un soir. D'une oreille distraite par la téquila paf peut-être, préoccupé par un fessier agité pourquoi pas, too much de ce que vous voulez, mais on l'a vécu : la soirée ou - va-t-en savoir pourquoi, le monde t'appartient et, tout en tapant piteusement du pied pas tout à fait dans le rythme, c'est toi, oui toi, qui donne la pulsation. Tu es le centre de la Création. Création de merde, de chômage, de racisme, de deuil, de cul et d'alcool mêlés dans une gueule de bois façon boomerang, mais une création quand même.

Alors pourquoi ce disque plutôt qu'un autre ? Et pourquoi pas. Tous ceux ayant tenté d'approcher un instrument avec autant de persévérance qu'une groupie (ou un groupie, un groupon ? comment on dit ?) se reconnaîtront dans ces lignes de basse pas dansantes pour un sou (Hey ! Luciani) à peine masquées par un guitariste qui n'a même pas deux cent francs pour s'acheter une fuzz et un batteur qui... ben un batteur quoi. Et le gars au micro qui se la pète, raconte ses histoires de tous les jours, s'arrête pendant de trop longs moments (merde, se dit-il, comment reprendre la main, j'y crois plus, j'ai soif, vivement demain). Mais on est tous dans la salle et un 22 septembre 2002, et ouf, Free Range ramène son cul et balance la purée et c'est reparti et c'est trop bon et toi, tu le sais, tu l'as voulu, c'est toi qui dirige cette petite entreprise.

Car c'est souvent en fin de soirée, tout le monde ou pas tombe le masque, les choses sont dites, ça finit en pleurs, au plumard ou en baston, mais non de dieu on lui a secoué les puces au Destin. On a enoyé chier toutes les emmerdes de la semaine avec ces quatre crétins qui font du rock'n'roll, là, devant toi, plutôt moins bien que qui vous voulez, mais foutrement plus vivant. Même s'il en faut de l'érudition et de l'imagination pour reconnaître, en fin de soirée, Victoria, c'est une reprise du morceau des Kinks. Shane McGowan n'est qu'un poseur à côté.

Voilà, en fait, ce qui s'est passé, et ce n'est pas vous qui allez me contredire, ce 22 septembre 2002 nous étions vivants. Nous avions quinze ans de moins, et c'est aujourd'hui qu'on en chialerait, et c'est aujourd'hui qu'il est doux d'écouter ce disque, qui nous ramène nulle part parce qu'on était ailleurs, mais qui nous emmène vachement plus loin que les vertes contrées de Blackburn ravagées par la dope. Et vous savez quoi ? Ben je vais me faire le deuxième CD dans la foulée, là, le volume à fond, en ce 23 mai 2016 durant lequel il ne s'est rien passé. Parce qu'avec un disque comme ça, ben n'importe quand il se passe quelque chose.

Et ne venez pas me parler de la Magie des Grands, j'en vois déjà qui stoogent leur doors attitude ou je-ne-sais quoi. Non, on parle de The Fall, groupe de merde cabotinant dans l'indifférence presque crasse si ce n'était Secret Records qui a eu le culot d'emballer ce set pour l'offrir au monde. J'imagine que l'objet n'existe déjà plus dans le marché commun, Surtout que là, alors que la moitié de la salle a déjà vomi les haricots dont je parlais tout-à-l'heure, Mark E. Smith récite un poème. Enfin, un texte. Savoir si c'est de la prose, on n'y comprend rien. On n'est pas au Grand Théâtre de Morrison, on est juste dans une salle pourrie et voilà, je voulais vous le dire, je l'ai dit.

N'empêche, je ne sais pas si le terme live a déjà mieux mérité son titre. Je me demande - est-ce l'effet Dolby Stéréo - si je n'ai pas un jeune britannique désabusé ivre de bière tiède prêt à me casser ma sale gueule de français là, dans mon salon, à deux pas. Dear, un effet saisissant. Et voilà que je trouve le batteur fantastique, à présent. En à peine 45 minutes, The Fall (re)devient le plus grand groupe du monde, dans l'anonymat cher au Roi Georges de ce patelin ou je n'enverrais même pas ma belle-soeur en séjour linguistique. Et vous balancera dans la tronche ce qu'aucun pavé de Dickens ne vous fera jamais autant sentir du doigt qui pue : vous êtes vivant, bordel, VIVANT.

Ce coup-ci ça mérite un lien, même deux.

vendredi 20 mai 2016

#186 : Gentle Giant "Octopuss"

Bon, bref, passons.

La vie est compliquée. Il n'y a pas deux jours, je récurais tranquillement mon four suite à un gratin qui avait coulé au fond avec la pochette d'un import japonais de Close To The Edge de Yes, quand parut le live de King Crimson, suite à quoi, une retombée dans Van Der Graaf Generator, et je me suis dit que cela ne pouvait pas durer. Il est très délicat de ranger dans un meuble religieusement un album sur lequel s'engluent des restes de gratin dauphinois et d'avantage de choses putrides encore sur les pochettes des premiers Genesis (je ne me torche qu'avec les albums de la période Peter Gabriel, je sais pas, je trouve le carton plus doux). Bref, disai-je, j'en arrivai à discuter de Hatfield And The North, pour me souvenir plus tard que j'en avais déjà parlé ici, du temps bien sûr ou j'étais poli. C'est très bien, Hatfield And The North, et quand bien même, il est très difficile de trouver un usage ménager à un fichier mp3 ou FLAC. La crise du disque, ma pauv" dame.

Donc, un lecteur de passage me vantait dans les commentaires les péripéties d'un groupuscule nommé Gentle Giant que je m'étais promis poliment d'écouter. Chose qu'à ce jour, je n'ai toujours pas fait. Mais voyez-vous que ce jour est un jour particulier, car j'ai discuté avec une connaissance (je ne discute jamais avec les inconnus, surtout pas de prog rock, ne connaissant pas la tronche du Zornophage, j'aurais trop peur qu'il me colle une baffe) et nous sommes tombés d'accord - ô misérable hasard, quand tu nous tiens - sur les grandes qualités des pré-cités (non pas pour les usages externes des pochettes de Genesis, mais sur la qualité musicale de Van Der Graaf Generator). Curieux, non ? Et vous savez quoi ? Non, bien sûr, vous ne savez pas. Il eut ce regard qu'ont tous les chiens blessés, plongé vers le néant de ses pieds, au demeurant très peu à même de contribuer à la jouissance musicale de l'être tout entier, donc, il dit, comme ça : "Et Gentle Giant..."

Bon dieu mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec Gentle Giant ! Ca fait deux personnes dans ma vie (j'ai très peu d'amis, le saviez-vous ?) qui m'en parlent comme du Saint-Graal. Ainsi donc, je suis en train de me procurer un album de Gentle Giant, ainsi donc je vous en parle.

Et j'en entends déjà qui hurlent : "bon dieu mais ce con va nous descendre Gentle Giant sans même avoir écouté !"

Et alors ? Là au moins vous avez la preuve que j'ai fait des efforts pour Radiohead ! Mais enfin, il y a des fois on n'est pas obligé d'écouter pour avoir un avis ! Tenez, le machin, il a été remixé par Steven Wilson, le roi de la prog actuelle, le leader de Porcupine Tree ! Un gars qui passe son temps à remixer des albums de Jethro Tull et à les fourguer en version deluxe, vous croyez franchement qu'on peut lui faire confiance ? Et puis je suis en train d'écouter Van Der Graaf Generator, je peux pas tout faire en même temps quand même !

D'ailleurs, à propos, le disque vient d'arriver. Le facteur ne sonne même plus, à l'heure qu'il est, et le disque est là. On vit une époque formidable. Tu as envie de tripes à la mode de Caen à dix heures du soir à Brie-Comte-Robert, t'es mort. Tu es pris d'une envie irrépressible d'écouter Gentle Giant, y'a qu'à demander, version remasterisée 2015 en FLAC (j'ai arrêté le mp3 - c'était pas sérieux à mon âge) en un petit quart d'heure. Il y a dans le monde suffisamment de gens qui ont ça, là, comme ça, sur leur disque dur, prêt à te l'envoyer en pâture ! Gentle Giant ? Mais oui mon pote, tiens, vas-y ! Avec plaisir ! On vit dans un monde de fous, moi je dis. Merci, aussi.

Bon, bien sûr, même sans l'avoir écouté, je peux vous le dire, Octopuss n'est pas le meilleur album de Gentle Giant. Je le sais parce que toujours, toujours, vous causez avec quelqu'un, vous lui dites aah ouais, comment déjà, les Beatles, waah j'adore le double-blanc.

- Ouais, mais c'est pas leur meilleur album.

Toujours, toujours toujours les mecs ils te tapent la frime comme ça. T'es qu'une buse, tu l'avais sous le nez, le meilleur disque, et il a fallu que t'en achètes un autre. On est con, et vous aussi, je suis sûr, je vous jure ça fait peur. Tiens merde, un deuxième Gentle Giant vient d'arriver. Même mon ordi il s'y met : Quoi, tu chroniques Octopuss ? Mais t'es naze ou quoi. Vos gueules, les éléments.

Donc non, ce n'est pas leur meilleur album, mais ceci dit la pochette est quand même bien moche, non ? Enfin, je me dis, s'il y a du garage rock dans ce truc-là, c'est comme l'eau dans le Banga, y'en a peut-être, mais pas trop. Donc, continuons, découvrons ensemble. Ne déflorons pas l'oeuvre trop vite, car il y a quand même beaucoup de choses à en dire. Le troisième morceau, par exemple, l'intro elle m'a toujours scotché. Ca, c'est le vaniteux. Celui qui se rappelle même pas des chansons, ni des titres, il te bluffe sur l'intro. T'y as jamais fait gaffe, à l'intro, donc tu te méfies pas. Des fois, même, tu la re-écoutes. Un riff de guitare. Ah ouais ? Ben, normal pour un disque des Stones, que tu te dis. Alors tu tapes riff+guitare+Stones sur Google et là... Tu te dis que bon sang, c'est vrai, quand même, les riffs de guitare chez les Stones ! Ceci dit, je viens de regarder, le troisième morceau il s'appelle A Cry For Everyone. Je la sens pas trop Anarchy in the UK, celle-là. Je verrais bien une intro au piano. De toute façon, elle aurait été mieux avec une autre intro au piano (précaution précaution), vous me l'enlèverez pas de l'esprit.

Pas leur meilleur album, donc. Trop d'efforts sur la pochette. On sent le budget communication derrière, donc quand on chiade l'emballage comme si c'était un disque de Yes, c'est qu'on n'a pas grand chose à mettre dedans, je me trompe ? Ceci étant dit, ça n'est pas pour ça que c'est un mauvais album, loin de là. Il doit y avoir plein d'autres bonnes raisons.

La meilleure, statistiquement parlant, c'est que cela fait bien un mois et demi deux mois que je n'ai rien découvert de bien. Je vois pas pourquoi ça commencerait ce soir. Surtout pas avec une pochette qui me rappelle que je vais sans doute faire des lasagnes ce week-end et que j'ai tendance à mettre beaucoup de sauce béchamel dans les lasagnes, et quand ça grille un peu, vas-t'en essayer de récurer le plat, c'est pas évident. Ca fait vraiment des traces dégoutantes, la sauce béchamel cramée sur les bords du plat. Alors c'est pas avec une réédition CD que tu vas l'avoir, je te le dis. Et à ma connaissance, il est pas ressorti en vinyle, si ?

Ceci étant, il ne faudrait surtout pas passer à côté de cet album, même si ça n'est pas leur meilleur et que la taille des livrets des CD est trop petite pour y trouver une réelle utilité. Octopuss me paraît être l'album d'un groupe qui, malgré un certain épuisement consécutif à des tournées zarassantes et des albums majeurs accouchés dans la douleur comme... mince... oui ! celui-là, justement, c'est celui-là dont je voulais parler !

Vous ne m'en voudrez pas de ne pas mettre de lien vers le disque. En effet, j'ai compris, mais trop tard, que j'en ai agacés plus d'un à dire du mal d'un certain groupe en proposant une alternative au commerce classique alors que certains d'entre-vous, si tôt l'objet acheté, se sont rués sur internet pour savourer des critiques positives des 15 euros qu'ils avaient balancé à Thom et ses petits copains. C'est aussi pour cela que je n'ai pas écouté le disque, enfin, pas encore. Pauvre con, direz-vous, heureux possesseurs de la version triple-CD avec DVD et mixage en 5.1, tu ne sais pas ce que tu perds.

Alors si, un peu, quand même. J'ai pas pu m'empêcher d'écouter trois notes de A Cry For Everyone, juste histoire de voir, enfin d'entendre, me prenez pas pour ce que je ne suis pas, s'il y avait une intro au piano.

A votre avis ?


Black star épisode 11

Il n'était visiblement pas seul à se demander ce que Léo foutait ici, de même qu'Alain et d'autres (putain, Jerry... presque insultant). Cela confirmait son intuition, de même ces morceaux de Caravan qui avaient trotté dans sa tête un moment. Il n'avait pas revu Jerry depuis que ce dernier lui avait proposé de se marrer en parlant de Radiohead comme d'un groupe de merde, mais cela n'avait rien de drôle, rien ne s'était passé. Un fantôme dans la Machine ?

En tous cas, une chose était sûre. Cet endroit n'avait de paradis que la promesse de quelque chose après la mort, et avait de l'enfer bien des côtés : à commencer sans doute par cette sensation de ne plus rien maîtriser. Revenir publiquement sur ses déclarations fâcheuses des années 1976, se trouver loser, introverti et largué (mais l'était-il vraiment ? en tout cas c'est l'impression qu'il donnait, mais à qui ?), et puis cette réflexion : trop brouillon. Il était trop brouillon, lui ? David Bow... Non, ça n'était pas lui. Il était mort.

Et cette silhouette qu'il lui avait semblé croisé, l'autre jour, qui lui avait collé le film de 1973 sous le nez ? Il l'avait donc vu. Le taulier. Un des tauliers, comme lui avait répondu il ne savait plus qui. Et les paroles de Dylan qui revenaient. Il doit y avoir un moyen de sortir d'ici. Il faut que je sache où je suis, dès lors j'en serai sorti. Léo l'avait fait : je me casse, et hop, disparu. Mais Léo avait semblé avoir bien plus d'autorité. Il fallait qu'il soit sûr d'une chose. Il se mit à hurler.

JE SUIS DAVID BOWIE !
JE SUIS DAVID BOWIE !
je suis David Bowie ?
c'est moi ?
c'est... ?

D'abord, tu te calmes. Personne n'a jamais dit ça, même si tout le monde l'a cru. Figure-toi que tu n'es que l'un de mes personnages, et maintenant plus qu'hier, mais bien plus que demain, car je vais te rendre ta liberté, je vais t'expédier directement en enfer.

Mais avant cela, je te dois quelques explications. Je n'irais pas jusqu'à te donner quelques conseils, cela me rendrait fou. Cela voudrait dire que moi aussi j'imagine que c'est à toi que je parle. Tu existe déjà dans beaucoup d'autres têtes, regarde ce commentaire d'Audrey (elle s'appelle Audrey, tu n'as pas voulu dire son nom, l'autre jour, peut-être cela s'est-il passé comme je l'imaginais, elle en train de lire ce blog et regarder la vidéo, en t'imaginant l'imaginer ? Ca faisait partie du Plan...).

Figure-toi qu'en fait, tout est parti d'un article de Radiohead, ou je me suis fait démonter la tronche parce que j'avais raconté des conneries et que ça m'avait fait plaisir. Figure-toi qu'en même temps je re-lisais Le Pendule De Foucault (ça aussi je l'ai dit mais tu ne m'as pas écouté, sinon tu aurais compris la construction du Plan), figure-toi tout simplement que j'avais envie de m'amuser. Tu seras flatté d'apprendre que c'est très très agréable de s'amuser aux dépens (mais je t'ai pas fait mal, si ?) de quelqu'un comme David Bowie, qui plus est aussi longuement, sans se prendre de vilains commentaires sur le respect des défunts et tout ça : tu l'as cherché la célébrité, tu l'as. J'ai hésité à te faire dire que je n'aimais pas Black Star, je me suis contenté de dire que six mois après tout le monde l'avait oublié. En toute impunité. Sans même un anonyme venant me taxer de mauvaise foi ou de crime de lèse-majesté.

Certains m'ont laissé des commentaires plutôt sympathiques et constructifs sur le côté littéraire de cette affaire. Je n'ai jamais essayé de faire de la littérature, mais plutôt, tu le comprends maintenant, de la non littérature sur un support inadapté.

A l'heure où j'écris ça, vois-tu, je me demande parfois si je vais continuer ce blog encore longtemps. J'y écris de plus en plus, mais ça devient aussi stupide qu'un journal d'adolescente. Dans mes propos, au vu des réactions parfois engendrées, mais aussi dans la finalité du truc : tu peux comprendre ça, toi. C'est ce putain de disque de Radiohead qui m'a fait tourner la tête. Je n'ai pas compris que l'on puisse en arriver à tant de haine suite à de premières impressions complètement subjectives, venant d'un gratte-papier anonyme du fin fond de nul part. Merde, j'avais mis un lien, tout le monde pouvait charger le disque et aller voir ailleurs ! Lire les Inrocks ou mille autres blogs bien plus polis que celui-ci et basta (pas vrai, mec ?). Mais surtout j'avais promis une réponse au long commentaire d'Audrey, et je me suis dit qu'une hyperbole (parabole ? chais pas...) s'y prêterait finalement mieux, n'ayant aucune volonté de justifier, d'admetttre, de m'opposer... Comprenne qui voudra, dans tout ça.

Alors, à m'accorder tant d'importance, j'ai voulu voir si je pouvais carrément enfermer David Bowie chez moi, et le titiller quelques jours, comme ça, sous couvert d'un essai littéraire (wouarf !). Comme les vilains démons dans Alice Ou La Dernière Fugue (vous remarquerez que je cite mes sources, je n'ai rien inventé, ou pas grand chose).

Et ça a marché. Je t'avoue que je me suis bien amusé, au risque de me répéter. Surtout que j'avais une idée de fin, et ça c'est plutôt rare. Souvent je ne sais pas comment finir mes articles. Mais bon, je ne voudrais pas te retenir plus longtemps, je t'avais promis de t'envoyer en enfer, et surtout de trouver une fin originale, non ?

- Tu sais que tu ne me parle pas, là, moi, David, enfin lui, Bowie, je est mort et il m'en fout de ton truc !

- Je vois que tu continues à faire le malin, hein ! A mon tour : Tu aimes Caravan ?

mercredi 18 mai 2016

Black Star épisode 10

There must be some way out of here
Said the joker to the thief
There's too much confusion
I can't get no relief

C'est exactement ça, se dit-il. David s'efforçait à fredonner des trucs, pour éviter cette musique, toujours la même. Et ces paroles de Dylan, relayées par Jimi avec toute la force électrique qui lui manquait lui semblaient - horreur - particulièrement adaptées. Dialogue intérieur : bouffon et voleur, il avait joué ces rôles, comme tant d'autres. A moins qu'il ait été l'acteur et le personnage en même temps, ce que lui suggérait Alain ? Et qu'est-ce que cette histoire de logiciel ? Il y a trop de confusion, je ne trouve pas d'apaisement. Ca, sans aucun doute. N'était-il pas sensé trouver ici de l'apaisement, si tel était l'endroit qu'il avait imaginé au début ? Mais était-ce bien cet endroit ? Que venait faire Aleister ici, à toujours cause ésotérisme, alors qu'en toute logique, cela n'aurait plus lieu d'être ? A moins qu'après le 7ème ciel, il y en ait un 8ème, puis un autre encore ? Certes, Aleister avait joué au même jeu que lui, quelque part : à force de persuasion, et qu'importe qu'on se serve des diables ou que l'on endosse soi-même un costume, il avait réussi à fonder une assemblée. A fondre une assemblée, si j'en crois le langage des oiseaux. Masse informe, Golem de fans ébahis, il promenait sa Bête comme on promène un chien.

Je dois me concentrer. Je dois trouver la solution. Mais se peut-il que la solution se trouve dans ces quelques lignes ? Autant imaginer qu'en 1968 Dylan les aurait chantées pour lui, maintenant ? N'importe quoi. Je deviens comme ce Weberman qui fouillait ses poubelles pour touver le Mot d'Ordre, une fois les hippies balayés par Woodstock. Dylan les a chantées parce que ça sonnait bien, c'est tout. Ground Control to Major Tom. Ca lui était venu comme ça, tout pareil, quelques mots, on les met en forme et le truc vous dépasse. Sauf que, ces quinze secondes en 1967 renfermaient - à y repenser - toute sa carrière à venir : Ziggy, Aladin Sane, le Thin White Duke... En aurait-il eu l'idée s'il n'y avait pas eu ce Major Tom ? Sans doute. Il avait un plan. Major Tom était comme cet acteur arrivé par hasard, pour un rôle qui n'avait finalement pas tant d'importance. Ca ne pouvait être autrement. Il doit y avoir une issue. Concentrons-nous. Dylan ne chante pas il se pourrait, il devrait, ça serait bien si... mais utilise bien l'impératif. Alors, cette issue, même si elle n'existe pas et que je suis coincé ici, je dois la trouver, je dois la créer, je peux l'inventer.

Muss es sein ? Ess muss sein, hein ! lui répondit Léo.

- Qu'est-ce que tu viens faire là toi ? Ca devient n'importe quoi, ici !

- Il n'y a plus rien, mon ami. Tu vois, moi aussi je peux faire corps avec mon verbe, m'approprier des mots de tous les jours et les enluminer comme dans vos bibles ! Conneries tout ça ! Tu me rappelles Richard, en fait. C'est sans doute pour ça que je suis là. Quelqu'un a dû demander de mes nouvelles ?

David trouva que ce chanteur français avait toujours eu une tronche de cocker battu, jusqu'alors. On lui avait suggéré C'est Extra, à l'époque où il s'était approprié Brel. Mais rien que de citer cet affreux groupe de prog, les Moody Blues, ça l'avait fait gerber. Il avait congédié le traducteur, ce Bergman, lui disant d'aller se faire foutre.

- Je sais ce que tu penses, mais toi, sais-tu combien je m'en fous ? IL-N'Y-A-PLUS-RIEN, martela-t-il ! Regarde, ou plutôt écoute, je tape contre les murs, là, avec ma canne, tu entends quelque chose ? Rien ! Le silence... même plus la mer. La mer, c'est à la fin, en général, sans doute l'effet de la morphine. Tu l'as pas entendue la mer ? Bon, allez, j'ai rien à faire ici moi. Je n'existe plus, je suis mort, bouffé par les vers, jusqu'à la dernière chair, comme les pendus de Villon. Peinard... comme la charogne à Baudelaire ! Je m'en vais, hop, comme ça, en claquant des doigts ! Ciao, bambino !

David ne put s'empêcher de penser que la démonstration était exemplaire. Léo avait en effet disparu. Il avait trouvé le moyen de sortir d'ici. 

Il se sentit quelque peu désabusé, vexé et honteux : il devenait évident que pour arriver à s'en sortir, il devait écouter ce que les autres lui disaient. Encore heureux, se dit-il, que je n'aie pas retrouvé ici de fan suicidé par amour pour Ziggy, seigneur, ce serait d'un pénible ! Mais quand même, toutes ces divagations approximatives sur la kabale, même Lou qui semblait une caricature de lui-même, était-ce possible que le Paradis (le mot était lâché) fut aussi imparfait ? Etait-il possible que ce Heaven des Talking Heads, simple boutade à l'époque, ait pris une telle importance ? Ca ne colle pas. Donc, reprenons :

1) Je suis mort. Donc, soit je suis au paradis ou en enfer, et cela a un sens
2) Je ne suis pas au paradis, ni même en enfer, même si cela peut paraître mieux ou pire. Donc, cela n'a pas de sens.
3) Si je ne suis pas au paradis, ou peu importe comment on nomme ça, ça n'est pas moi.
4) Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère (qu'est-ce que cette remarque idiote venait faire ici ?)
5) Je suis quelqu'un qui parle de moi (ça, je l'ai toujours fait, je n'avance pas... Je est un autre, toutes ces conneries)
6) En tous cas, ça ne m'amuse plus. Quelque chose m'a échappé à un moment. Je cherche un moyen de sortir d'ici.
7) There must be someway out of here. Suis-je le bouffon ou le voleur ? Et si j'étais les deux, en même temps ?






mardi 17 mai 2016

Black Star épisode 9

Je vous souhaite la force et la tendresse.

C'était finalement tout ce que j'avais pu leur dire de vrai, avant le déballage des chansons. Mais eux, elles, ils, la foule, gueulaient trop et me regardaient me préparer, prendre la guitare. Et je leur balançais Comme Un Lego, et là enfin, ils s'apaisaient.

En même temps, moi aussi ça m'apaisait. Ces couplets convenus - j'en savais le début et la fin. Je connaissais déjà le rappel. Après, je ne voulais même pas y penser. Le retour dans la loge. Les autres qui iraient boire une bière, fumer un joint. Moi je me retrouverai avec Chloé. On parlerait. De la maladie bien sûr, de la suite du traitement. Mais il n'y avait que le lendemain qui m'intéressait. Dormir dans la voiture, arriver à Clermont-Ferrand. Sentir les lieux.

Je vous souhaite la force et la tendresse.

Et le reste n'est que roupie de sansonnet, mais c'est pour le reste qu'ils étaient là. J'aurais pu leur dire bon jour tout simplement, ou encore Bonsoir Clermont ! C'était pareil. Et puis il y eut les Victoires de la Musique. Que dire, que dire... Bientôt plus rien, alors là ? Chanter, sans doute pour la dernière fois. Tenir les cinq minutes, résident de cette république de carton. J'sais pas... J'sais pas...

Mais toute cette émotion, ces corps qui se lèvent. La foule. Elle vire, comment lui en vouloir ? Comme elle avait - à nouveau - applaudi après Osez Joséphine. La juste dose de mots joueurs, de musique acceptable, retour en terrain connu et labour en profondeur. Mais savait-elle ce que j'éprouvais à séjourner au sein d'un logiciel ?

C'est bien ça ton problème, David. Séjourner au sein d'un logiciel. Je ne m'y plais guère et je ne m'en suis jamais caché. C'est sans doute pour ça qu'il me fout la paix. Et il aura fallu qu'il(s) lise(nt) les notes de pochette des rééditions (les vautours ! on m'a jamais remasterisé de mon vivant, au moins, on m'a juste compilé - putain de logiciel), les articles, les livres, pour deviner que j'étais aussi pénible avec les auteurs. Je n'écrivais pas, car je me donnais trop. J'étais tellement moi-même, qu'il fallait bien que quelqu'un écrive mes histoires, mon histoire. Dans la langue des oiseaux. Ne pas sombrer, quand même dans la facilité, je n'étais pas le simple algorithme fonctionnel, productif et rentable qu'ils voulaient que je sois.

Là, je vois ce pauvre Manset critiquer mes interprétations de Vénus et de Comme Un Lego. Mais c'était mon boulot que d'interpréter, chante-les toi-même si ça ne te plait pas, et voyons si tu fais un disque d'or ! Evidemment, il avait claqué la porte et sorti Lego sur... quel album déjà ? Obok ? Peu importe, il en avait vendu 50 000 à tout casser. Manquaient, donc, le personnage et l'interprète.

Je te souhaite la force et la tendresse, David.

Pour te sortir d'ici. Tu me fais dire ce que je n'ai pas dit, mais au fond, c'est ce que j'ai toujours fait, alors, une fois de plus une fois de moins... Alors que toi tu as toujours été seul. Tu as été ce Major Tom dont on savait tous - poussière tu redeviendras poussière - qu'il était un junkie.

Bien à toi,

Alain.

lundi 16 mai 2016

Black Star épisode 8

Lone Jone avait fini par s'habituer à la situation. Là n'était pas le problème, ou plutôt si. Voilà quelque chose qu'il n'avait jamais accepté : s'habituer, s'adapter. Disons qu'il naviguait maintenant entre les personnages de ce théâtre avec suffisamment d'aisance pour qu'il puisse juger la situation acceptable.

Il avait rencontré pas mal d'ectoplasmes maintenant : John, John, George, John (ils étaient nombreux !), Janis, Ian, Jim... cela lui semblait même banal, du moins il n'y prêtait plus attention. Parfois il tombait nez-à-nez avec quelqu'un qu'il avait sinon suivi (quelle horreur, ce terme), du moins apprécié et qu'il avait, comme tant d'autres, vampirisés. Sa discussion avec Kurt et Bertold lui avait par contre laissé un goût amer : les deux compères semblaient plus intéressés de savoir à quoi servait une pédale wah-wah (le terme, entendu de la bouche de Jimi, les faisait énormément rire) plutôt que de raconter la genèse de l'Opéra des Quat' Sous.

Ce qui lui posait question, c'était plutôt le fait que chaque visage rencontré était celui d'une célébrité. Aucune nouvelle de sa tante, du postier en Suisse mort accidentellement en faisant de l'alpinisme et de tant d'autres anonymes qui, avant, avaient fait dont (du moins c'est ainsi qu'il l'entendait) de leur âme pour nourrir son Personnage Conceptuel du moment.

Et pourtant, j'aurais sans doute plus de choses à leur dire qu'à ce Carlos ou même ce Kurt qui avait selon lui toujours beaucoup trop manqué de discernement.

Autre source d'interrogation : Otis, Sandy, Nico et tou(te)s les autres, disparus par accident, ne semblaient pas en souffrir désespérément, alors pourtant qu'il s'était, lui, de son temps, plusieurs fois réveillé en sueur, suite à ce même rêve : il traversait la rue pour mettre la touche finale au mixage de son dernier album, une voiture le renversait et il mourrait sur le coup. Bêtement, sans même souftir, sans même s'en rendre compte.

Il se rappelait du coup de sa discussion de la veille avec Jeff. Cela faisait une éternité (normal, se disait-il) qu'il était là, et c'était la première fois qu'il le croisait. Comment se faisait-il qu'il croise essentiellement des musiciens ? Très peu de cinéastes, par exemple. Qui ? Impossible, là, dans l'instant, d'en citer un seul. Des écrivains ? Oui, à y penser, pas mal. Victor, Arthur, Emile, Cyrille, même des vieux, des philosophes grecs. Toujours ensemble, toujours à applaudir de manière convenue à chaque événement, impossibles à approcher. D'une indifférence crasse.

- Ah si, avait-il dit. J'ai rencontré Umberto, tu sais, celui qui a écrit Il Pendolo Di Foucault. Une vieille manie que de citer le titre du bouquin dans sa langue originelle. Il avait bien sûr lu la traduction anglaise, mais il n'avait que mépris pour les traducteurs. Au mieux ils étaient transparents, au pire ils dénaturaient l'Oeuvre. Et puis il y a ceux qui veulent se l'approprier. Regarde ce que Charles a fait d'Edgar en France ! Ceux-là, c'étaient les pires. Des concurrents directs à son propre Plan.

Jeff lui avait répondu gentiment, comme d'habitude. Qu'il était content qu'on sorte Sketches For My Sweetheart The Drunk, même si, bon, c'est sûr, il l'aurait fait différemment. Qu'il ne souffrait pas de tout ce qu'on a pu raconter sur lui, ni même d'être parti si vite. Les rives du Mississippi l'avaient emporté doucement, comme une mère berce son enfant. Et puis tout cela a-t-il de l'importance ?

Lone Jone n'était pas d'accord. Ne pas comprendre, être impuissant face à cette situation (même si les évoations dont avait parlé Jerry fonctionnaient bien, il faisait du ski plusieurs fois par jour et faisait faire à Mick des choses aussi peu communes qu'agréables).

- Mais tu sais, tu peux partir d'ici. J'ai failli y arriver, personnellement. Je me demande même pourquoi je suis là, enfin, non, je sais, c'est de ta faute, mais je t'en veux pas.

Evidemment, Lone Jone lui avait demandé comment faire. Evidemment, Jeff ne put que lui opposer un sourire bienveillant.

- Tu n'es pas malheureux ici. D'autres, oui. Toi non. Tu sais très bien que tu fais plutôt des efforts pour rester, en fait.

Lone Jone resta muet. Jeff le toisa bizarrement, et puis il dit :

- Au fait, t'as des nouvelles de Sid ?

Il eut envie de répondre que non, mais que Gainsbarre lui devait toujours 500 balles. Il garda sa réflexion pour lui. Il allait s'en sortir. Il voulait s'en sortir.

Black Star épisode 7

- Dis ça à de vrais alcooliques. Oui il ne suffit pas d'un verre pour être accro... mais c'est en vente libre. Et les personnes autour morflent pareilles sans jamais pouvoir empécher la personne de boire. Sans parler des tentations qui se présentent toutes seules sans qu'on les cherche... Je ne souhaite à personne de vivre avec un alcoolique, ni avec un junkie. Mais au final, le résultat est le même ou presque. L'alcool ronge juste un peu plus lentement. Mais c'est aussi moche à voir...

La conversation allait bon train. Comme En Bas. Ou Avant. Allez savoir... David écoutait la discussion, étonné lui-même, sinon de prendre part, tout du moins de supporter de telles considérations. On ne parlait pas de lui, et il en était presque reposé. Il faisait comme tout le monde ici. Hop, une image, un songe, et voilà mon petit fantasme satisfait. Ca ne l'étonnait pas trop que Lhassa tienne cette discussion. Cette fille avait une belle voix, mais trop concernée par ce genre de futilités. Le bien, le mal, la douleur, l'injustice... Non pas qu'elle avait tort, mais, se disait-il, comment pouvait-elle tant s'intéresser aux autres alors que lui avait un Plan. Jusqu'au bout. Il avait apporté la touche finale au concept David Bowie de manière, trouvait-il, éclatante, puis était arrivé ici. S'était passé ce qui s'était passé. Le film. L'homme, puis la femme.

Le gars qui s'entretenait avec Lhassa lui était aussi inconnu, mais pas de la même manière que l'homme qui lui avait montré le film. C'était sans doute un musicien, ou un peintre, de seconde zone, un gars sans trop de talent mais qui, pour des raisons qu'il ignorait, se trouvait dans le même endroit que lui. Il compatit, se dit que Lhassa était bien sympathique de répondre à ces dissertations sur l'alcool, la vie, tout ça.

- Je pense que ce qu'il manque à l'Angleterre c'est un leader fort, charismatique, qui sache galvaniser les foules. Hitler avait ce talent, parmi tant d'autres. Après tout, élever un peuple au rang d'Elus, cela ne peut se faire qu'en jetant aux orties les faibles, les impurs. Quand je serai roi, vous serez les premiers que je passerai par les armes !

Il s'entendit pronconcer ces mots, et, fut-ils encore vivant, il aurait senti le poing s'abattre sur sa face. C'était le gars. Daniel, il s'appelait.

- Non mais il se croit où ce con ? s'indigna Lhassa ?

- Je suis désolé... je n'ai pas voulu dire ça... ce n'est pas moi qui...

Tous les regards se tournaient vers lui. Il lui revint en mémoire les années 1976. Cette fichue photo. Et puis il se révolta.

- Qu'est-ce que ça peut faire, après tout ?!! Toute cette violence, tous ces crimes, vos histoires d'alcooliques ! J'arrive ici, on me dit de tout oublier et vous vous offusquez, comme des vierges effarouchées, de ce que je peux invoquer un vieux tyran, un vieux fou - un criminel, bien sûr, une ordure - mais qu'est-ce que ça peut faire ICI ?

Mais la conversation avait déjà repris.

- Pas facile, hein ?

C'était Jerry.

- Quand j'étais en bas, je croyais à la réincarnation de l'âme, ce genre de conneries. Enfin, à vrai dire, je jouais surtout de la guitare, longtemps parfois. Et les gens disaient que je croyais à la réincarnation de l'âme, que j'étais bouddhiste et que sais-je encore. Mais moi je jouais juste de la guitare et je laissais dire. Aujourd'hui, à part une bande de tarés, on ne raconte plus grand chose sur ce que j'étais. Même pas une biographie. Je suis peinard, en fait. Et ici aussi, du coup. Mais j'ai comme l'impression que tu vas te payer quelques autres tremblements...

- Quelques quoi ?

- Tu t'es pas demandé pourquoi Lou se tenait à carreaux ? Il était bien emmerdé l'autre jour, avoir à te parler. Il aime pas les tremblements. Mais toi, tu peux pas t'empêcher. Même le film, je serais toi, je ferais gaffe.

- A quoi ?

- Tu peux pas redescendre. Tu peux juste essayer d'être peinard ici. Regarde ce pauvre Bob, il a pas envie de monter. Il a raison, Lou, il ferait tout pour passer pour une petite souris. Je comprends pourquoi tu l'as ramené tout à l'heure, à propos d'Hitler. C'est peut-être la pire connerie que tu ais pu faire, ce geste, et t'as l'impression qu'en racontant ces salades tu vas pouvoir démêler l'écheveau, changer les choses, pas finir enfermé dans le film. En fait, mon pote, je crois que ce qui te manque le plus, ce qui commence à te manquer, c'est de plus aller chier ni pisser, c'est de plus roter à table. Alors tu voudrais te faire oublier en passant pour une ordure, pour n'importe quoi du moment que ça n'aurait pas été gravé dans le film, en bas. Enfin, toi, ou le taulier.

- C'est vrai... j'ai... enfin, c'est comme si j'avais pas dit ça. Je me rappelais même pas de cette histoire de salut nazi. La coke, sans doute....

- T'avais quand même une sacrée putain de caboche, avoue-le. Mais cherche pas. Méfie-toi que le taulier t'ait pas pris en grippe, va savoir. Fais comme les autres, tiens-toi à carreau.

- Mais toi, comment tu fais ? T'as l'air d'avoir compris plein de choses, t'es peinard, comme tu dis...

- Ouais, je pense que le taulier m'aime bien. Toi, c'est pas sûr. Tu sais, y'en a qui disent que le taulier aime bien la musique. Même s'il est lourdingue et qu'il nous passe toujours le même morceau. Il devait bien m'aimer. Il me fout la paix. Toi, tu l'intrigues, il te teste. Des fois, quand ça s'arrête, tu les entends les bruits ?

- Maintenant que tu le dis... Mais c'est quoi ? C'est qui ?

- Ben, les autres tauliers !

- Hein ?

- Sûr. La preuve : Radiohead c'est un putain de groupe de merde et Thom Yorke est un nain qui n'a jamais eu le moindre talent ! Tout repompé le brigand !

- Ca, je suis bien d'accord !

- C'est pas moi qui l'ai dit ! Abracadabra !

dimanche 15 mai 2016

Black Star épisode 6

- C'est ça que tu veux, hein...

- Quoi ?

- Ca...

L'homme n'avait l'air de rien de particulier. Un inconnu total. Petite barbe, cheveux courts, des lunette un peu intello sur le nez. Depuis combien de temps était-il là ? David - Jonesy - peu importe son nom d'ailleurs avait-il dormi ? Sans savoir pourquoi, l'inconnu lui faisait peur.

- Je vais le faire pour toi. Regarde :


L'émotion l'étreint. C'était un bel au revoir. D'autant plus beau que c'était une blague, que lui le savait. Que c'était un nouveau départ. Black Star, par contre... Non, pas Black Star. Ce départ, il l'avait géré comme les autres, même plié de douleur sur son lit, dans cette clinique de luxe.

- Quand souhaitez-vous que la rumeur du nouvel album soit lancée, monsieur J... Bowie ? Il n'est pas raisonable que vous veniez sur le tournage, demain. Les médecins pensent qu'il vaut mieux que...

- Ce ne sont pas les médecins qui déicdent ! C'est moi qui pars ! C'est mon départ ! Je gère ces putains de métastase pour qu'elles m'emportent quand j'aurai DE-CI-DE ! Je serai là demain !

Le tournage avait été un enfer. Du moins le pensait-il. Car l'enfer, c'était là, maintenant. Qui était cet homme, et par quel miracle ces images se déroulaient-elles devant ses yeux, ici ? Il lui semblait même qu'à quelques heures d'intervalle, c'était maintenant une femme, il connaissait même son prénom, qui lui repassait ce film. Oui, il connaissait son prénom. Il ne la connaissait pas. Et les images déroulaient quand, soudain, ce fut comme si, au moment ou il pensa à elle, elle arrêta le film, demeura là, sans rien dire, interloquée. Elle ou lui ?

D'autres bruits lui venaient de quelque part, un brouhaha étrange. Quelqu'un s'interrogeait sur la vanité et la prétention de Dieu, qui après avoir créé l'univers, trouvait ça bien. Ou pas.

- Dis mon prénom !

David sursauta. Hein ? Quoi ?

- Dis mon prénom, je veux savoir si j'ai compris !

Il lui semblait que la femme l'empressait de parler. D'un seul nom d'un seul, il lui semblait qu'il tenait les rouages, à nouveau. Je peux me taire, se dit-il. Il regarda le film, quelques instants. Il douta. Peut-être que cela n'est pas. Cette femme n'est pas en train de regarder ce film. Ce n'est plus moi. Je suis mort. Je suis mort, et pourtant on me tourmente. Je pourrais m'en assurer. Ce prénom, je le connais. Je pourrais le nommer. Deirdre ? Courtney ? Sanne ? Non, ce n'est pas l'une d'elles, c'est... Tu t'appelles... Il lui sembla que le taulier se fendit d'un rire bête et gras.

Et il se tut. Mais maintenant il savait comment se sortir de là.

#185 : King Crimson "Live In Toronto"

On prépare un album live, avec les vidéos et tout. Mais ce concert était tellement bon, pour vous faire patienter, on sort un bootleg officiel.

Voilà ce que vous lirez, en gros, sur le site de Robert Fripp. Vous pourrez vous dire, en voilà encore un que l'humilité ne va pas assommer. Il doit avoir des mollets, Robert Fripp, c'est pas possible, il est cycliste, pour de vrai !

Alors voilà donc le concert, nous précise-t-on, brut de coffre, juste on a coupé un blanc au début entre l'impro de Tony Levin et le premier morceau. Effectivement, dès le début, on comprend qu'on va tout avoir. Y compris le speech habituel : "ne fumez pas, ne prenez pas de photo sauf à la fin...", ce genre de conneries, "...et puis essayez de profiter du spectacle avec vos oreilles et vos yeux", et ça c'est pas si con à une époque ou, même si on avait été à la Havane au bon moment, on aurait cherché sur Youtube s'il y avait pas le concert des Stones en ligne pour commenter en direct. Donc, ok, Robert, on y va, on met le disque dans un lecteur de CD, on éteint l'ordi et on écoute.

Putain la vache.

Même le solo de batterie, il est trop fort. En 2016. J'ai écouté, en 2016, un solo de batterie d'un groupe de prog-rock sur le retour (avec TROIS batteurs ??!!!) et je l'ai trouvé bien. C'est sûr, ça peut pas être du prog, me disai-je il y a quelques instants en me torchant avec la pochette de Nursery Cryme de Genesis. T'es con, me dis-je l'instant d'après. Non pas parce que j'aurais pu revendre le disque de Genesis plutôt que de m'en servir ainsi, mais parce que King Crimson ça n'a jamais été du prog. On a qualifié leurs suiveurs de groupes de prog, parce qu'on n'avait pas le droit de dire merde dans la presse à l'époque, mais eux c'était différent.

Déjà, ils avaient joué à Hyde Park. Ensuite, ils avaient espanté Pete Townshend. Après, même les punks avaient peur du grand méchant loup en écoutant Red. Ensuite, quand ils ont fait de la merde on avait le droit de le dire donc c'était pas de la prog. C'était même plutôt funky. Et funky, d'après Google, ça veut dire froussard (d'après le Larousse Anglais-Français en ligne, super; dans le vent. Pareil donc.) . Qui se fait dessus. De la merde donc. De la prog. CQFD. Et pour être tout à fait honnête, le 5ème morceau du deuxième disque, Sailor's Tale, sent un peu des pieds, quand même. Mais sinon, par tous les dieux de l'enfer, saperlipopette et tabernacle, qu'est-ce que ça joue !

Je vous parlais l'autre jour de l'esprit du Grateful Dead d'antan qui vibrait encore dans ces concerts de l'été dernier, ben ici aussi. Un certain esprit. Comme d'habitude, il ne reste de King Crimson que ce que Robert Fripp veut bien garder, exit donc Bill Bruford, Reste Tony Levin et revient Mel Collins, lassé d'avoir payé sa piscine grâce à Dire Straits et tant d'autres. Bon sang voilà que je parle comme un mec qui chroniquerait un disque ! On s'en fout, en fait. C'est King Crimson, en 2016, tout cela est grotesque en soit. Quarante ans après avoir juré que grand dieu, un groupe comme ça ne devrait plus exister, les voilà encore. Et c'est tout juste si je fumerais pas un joint en regardant ma poussée d'acné dans le miroir. Car ils jouent Epitaph, vous vous rendez compte ?!! Le truc que, tout le monde va s'acheter un pull en chèvre, des yaourts bio, l'intégrale de Castaneda et une paire de clochettes rien qu'en entendant l'intro !

Et c'est beau. Bêtement beau, aussi connement qu'un coucher de soleil aux Antilles, car il y en a tout le temps des couchers de soleil aux Antilles, aussi techniquement qu'un iPad Pro avec un écran rétina que vous en croirez pas votre mère, aussi habituellement qu'un salaire à la fin du mois. Mais on le savait déjà, sauf qu'on n'aurait jamais pensé à perdre encore cinq minutes à reécouter ça. Faut pas déconner, y'a le dernier Radiohead !

Donc, revenons en 1974, sur le disque, là, vient de se terminer Starless. Et je suis déçu, ils sont pas montés aussi haut que sur l'original. Mêmes notes pourtant, rien à dire sur le jeu de guitare, mais plop. Plop. Dommage. Sauf que la magie fonctionne à nouveau, en rappel. Comme si, deux minutes pour aller pisser, prendre une douche et boire une limonade et hop, y sont repartis les gars.

Car oui, ça t'a une tronche de best-of, ce concert. A ma connaissance, à part Red et Lark's Tongues in Aspic, pendant très longtemps le Bob n'a rien voulu savoir du reste. Et on commençait à en être peinés, un peu. Un peu comme quand on éteint la lumière pour pas qu'on voie qui prend la dernière part de tarte, on avait envie de lui dire, à Bob : écoutes, on s'en fout si ça te fait mal aux rotules, si ça fout en l'air ta continuité conceptuelle et tout ça, mais c'était quand même bien aussi ce que tu as sorti avant la phase finale avec Wetton et Bruford. On dirait rien, on pardonnerait cet écart, mais on aimerait bien que tu les joue, quand même. Tu comprends, au prix du ticket de concert, attendre le rappel, c'est raide quand même. Et c'est un mec sympa, Bob. Pas du genre rancunier. A peine quarante ans après, il dit bon, bon, d'accord... Hop et là tout le monde se tait et...

Et voilà.

On est là, bêtement, à aduler une tanche comme Mel Collins, en train de se débattre avec son sax sur 21st Century Schizoid Man qu'il en invoquerait presque le fantôme de Coltrane, c'est dire. Epoustouflant. Très sérieusement. Etonnant et Impressionnant. Je ne peux pas m'empêcher de penser que jusqu'alors, toute cette période entre le premier album et, disons, Starless And Bible Black, ça n'était pas raisonnable. Mais si vous entendiez comme il fait le job, Mel, car il fait le job que Fripp lui a demandé, et c'est tout, mais c'est énorme. Ecoutez cette version de Pictures Of A City. Le saxophone, chez King Crimson, c'est comme la trompette dans le jazz... Et même ça fonctionne encore en 2016.

Alors non, tout cela n'est pas funky. Tout cela est même regrettable, encore, que de s'étonner sur King Crimson en 2016. Et alors quoi ? Trouver autre chose, mais où ? Chez R... Ah non, eux, ça suffit. On parle pas d'un truc agréable. On parle d'un moment de défonce, d'un poison qu'on s'envoie dans les oreilles comme de l'héroine dans les veines ou de la bière dans le siphon, peu importe. Un truc qui t'emporte, quoi. Que tu écoutes d'abord en te disant, sourire en coin, voyons ce qu'ils nous pondent ces vieux cons, et qu'au final, t'es aussi étonné que ta grande soeur quand elle avait découvert le fameux disque avec sa pochette prog de merde il y a 30 ans c'est à dire à l'époque déjà 10-15 ans après le truc.

Voilà, ce que je trouve plus nul part, sauf dans de vieilles armoires : de l'étonnement. Prenez un groupe comme King Gizzard & The Lizard Wizard. Ca te fait un buzz que même toi tu écoutes. Leur dernier album est une bombe, du début à la fin. Ca n'ar-rête-pas. Sauf que, un moment tu as un haut-le-coeur, tu te dis, merde, la date limite de consommation, j'aurais dû regarder quand même. Mais non, t'inquiète, c'est du rock psychédélique cellophané et pasteurisé, aucune crainte. Déjà, rien que le nom, on dirait un album de King Crimson, c'est dire. Mais bon, le problème, la raison pour laquelle ce live paraît moins incongru, lyophilisé et jetable que les Gizzard machin (mais vous pouvez mettre les White Stripes à la place, on s'est fait avoir pareils), c'est que l'on sent sinon le vécu - on s'en fout du vécu, on attend la becquée, c'est tout - du moins la trajectoire du groupe. Et les King bidule (finalement on dirait un nom de croquettes pour chien) ne font que reproduire quelque chose qu'ils n'ont pas inventé, jamais, ils n'ont jamais rien inventé. Ils font semblant, avec l'album acoustique qu'on dirait Traffic - on dirait, en effet - donc c'est bien fait. La Beauté du Monde était déjà là quand ils sont arrivés, ils n'ont même pas eu à la détruire, les punks l'avaient déjà fait. So what can a poor boy do except sing in a rock'n'roll band ? Même ça, les Stones l'avaient déjà souligné en 1968. Et là, en 2016, je ne trouve un peu de poudre qu'avec un live de King Crimson. Non, plus exactement, avec CE live et avec KING CRIMSON. Ne remplacez pas un et King Crimson avec qui vous voudrez, ce n'est pas ça que je voulais dire. Et, surtout, malheueusement, ça ne fonctionne pas.

Il n'y a plus grand chose qui fonctionne, d'ailleurs. Je pourrais vivre avec seulement A Love Supreme de Coltrane, et oublier tout le reste.

Voilà, c'est sans doute un coup de déprime et ça va passer. Je me remettrais bien Sympathy For The Devil par Mötörhead, d'ailleurs. La classe, ce Lemmy. Dernière chanson du dernier album, le classique des Stones. Et tout ça, au feeling. Sans préméditation. Qui aurait cru que ce balourd réussirait mieux sa sortie que, au hasard, David Bowie ? Mais on s'en fout, au fond, de Bowie. On s'en fout de toutes ces considérations qui ne tournent au final qu'autour de ce qui jusqu'à il y a peu tournait aussi - à savoir un disque. Enlevez tout ce qu'il y a autour, qui ne sert à rien, écoutez juste la musique, ça vous plaît ? OK C'est cool. Sinon, tant pis. Et là ça me plait, alors je le dis. Je reécoute ce Starless et je m'en veux déjà de l'avoir trouvé piteux  (juste les samplers d'aujourd'hui qui imitent mieux les cordes que les Mellotron d'hier et c'est dommage ?). Et d'avoir traité Mel Collins de tâcheron. Ca se joue pas sur commande, ce qu'il fait là-dessus - les quelques notes sur Starless, je parle même pas du reste. Le reste... Je regrette qu'ils aient pas joué Catfood, aussi, tant qu'à faire.

Voilà le problème, plus, toujours plus. Il y a deux heures ce disque me suffisait largement pour passer le week-end, et là j'en veux à tous ces jeunes cons de ne plus m'étonner, et je pleure comme un sot parce qu'il y a pas Catfood sur le disque de ces vieux cons.

Vérifiez vous-même, ici et , elle y est pas. Mais prenez le temps, juste avec les oreilles, de vérifier.




samedi 14 mai 2016

Black Star épisode 5

- Le taulier voulait que je te voie...

- Oh Lou, c'est pas le taulier qui voulait, c'est moi qui...

- Ta gueule ma salope. C'est plus toi qui décide ici.

- Mais Lou...

- T'as pas changé ma grande. Comme quand on s'enfilait à Berlin, ha, tu croyais me chevaucher hein ? Enfin, ça a dû te faire bander toutes les conneries qu'on racontait, Bowie qui sauve Lou Reed, Bowie qui réhabilite le Velvet, toute cette merde. Tu me l'as mis profond, je dois l'admettre. Enfin, sur un plan conceptuel. Dans la vraie vie c'est moi qui t'ai fourré ma grosse queue dans ton petit cul d'anglais dégénéré.

- J'ai fait tellement pour toi, comment tu peux dire ça...

- Tu l'as fait pour toi, connasse. T'es qu'une merde. Alors, ça fait quel effet d'être ici ? Like a complete unknown, like a rolling stone... Putain ce mec au moins il en avait. Tout compris, lui. D'ailleurs, tu lui as même écrit une chanson, tellement tu faisais dans ton froc. S'il vous plaît Monsieur Dylan, je suis geeeentil avec vous, cassez pas mon personnage, laissez-moi aussi devenir un mythe. Quelle pauvre merde tu fais ! Et tu crois que ça a servi à quelque chose tout ton cinéma, tu crois que les gens l'écoutent encore, ton Black Star, même pas six mois plus tard ? C'est peut-être ce vieux Bob qui a raison, au final. Il ânone des vieux trucs de Sinatra, comme s'il voulait qu'on l'oublie, pas qu'on le retrouve, pas venir ici...

- Tu l'as écouté toi ? T'en penses quoi, Lou ?

- T'es con ou quoi ? J'étais mort avant, grande folle. Et quand bien même, rien à carrer de ton truc. De ce que j'ai ressenti, le premier morceau, les gens aiment bien mais après ça les gonfle. T'aurais pu faire un effort pour ta sortie.

- T'es toujours aussi méchant, Lou...

- Je suis pas méchant. Je suis plus, je suis mort. Tu comprends rien ou quoi ? Hé ho y'a quelqu'un ? Ho, taulier, je peux me casser ? Il va pas encore m'emmerder ici, non ? Putain fait chier, il fait ce qu'il veut le taulier...

- C'est qui, ce taulier ?

- Comment veux-tu que je le sache, pauvre tanche. Bon allez, je te laisse, j'ai fait mon boulot, voilà, je t'ai parlé, on s'est rappelé nos bons vieux souvenirs, je passe à autre chose. J'en ai rien à foutre de ce taulier, moi, je suis même pas sûr qu'il s"intéresse à moi, et c'est peut-être tant mieux. Sûr que ce mec a un problème, grave, et ça va pas en s'améliorant.

- Tu veux dire quoi, là ?

- Comprend qui voudra. Veni vedi vici, non, c'est pas comme ça qu'il disait, Jules César ? D'ailleurs il est où Jules César, jamais vu au Club ! Comme quoi, tu vois, t'as beau gouvernet les Gaules et le Saint-Empire Romain Germanique de mes couilles, c'est pas pour autant qu'il reste grand chose de toi. Prends-en de la graine petit mort. Et pourtant il y a du monde ici.

- Ben moi, j'y suis... toi aussi, non ?

- Ben moi ben moi !???!!! Tu crois que t'as gagné quoi ? Tu crois que ça va durer longtemps cette blague ? Heureusement, encore, la musique, ça va.

- Les Talking Heads ?

- Ben évidemment, dugland ! Tu pensais quand même pas qu'on allait te coller du Fauré ?!!! T'as toujours rien compris, on dirait. Et c'est pas moi qui vais t'expliquer. Tu veux que je te chante les paroles ?

- Non mais... je sais pas... j'ai peur....

- Peur de qui, de quoi ? De ce qui se passe ? De ce que tu t'imagines se passer ? De ce que tu ne sais même pas qu'il pourrait se passer ? De ce qu'il ne se passe rien ? Rien d'important ? Tu as peur d'être coincé dans un truc débile ? Tu veux retourner causer à l'autre con de Jerry, je crois qu'il est en plein trip, ça va pas être possible. Mais Joe Dassin, ce mec est assez intéressant. On s'est pris le bec sur Pete Seeger tous les deux. Le pauvre vieux, il rigolait en nous écoutant. Mais bon, le taulier a dit que ça suffisait, que ça l'avait bien fait rire mais qu'il fallait passer à autre chose.

- Le taulier nous parle ?

- J'ai dit ça ? Ah ouais... ben, en fait... j'en sais rien, pourquoi j'ai dit ça. Tu sais, j'ai pas trop changé. Toujours le sens du Verbe. Raconter des conneries avec un applomb pas possible, tu peux même faire un disque avec Metallica, les bourricots ils écoutent ! Ha ! Et t'as cru m'avoir, ma salope ! Je vais te le dire, mais tu le sais déjà : on fera jamais rien de mieux que le Velvet parce que le Velvet a laissé tout à faire, toutes les portes ouvertes. Toi t'as fermé avant de partir, la clé sous le paillasson, prévenu les voisins, et voilà. Alors ils resteront tous bêtement à écouter tes vieux disques, mais y'en a pas un qui osera faire quelque chose de ton merdier. Moi, je leur ai dit, faites-le, bande de ploucs ! Et ils l'ont fait. Et toi le premier. C'est moi qui t'ai enculé, en fait. Et j'en vois plein ici qui l'ont fait, et qui me tapent dans le dos, Johnny, par exemple. Quelqu'un t'as dit merci en arrivant ici ? Personne :! Ce vieux Ronnie t'a gentiment suggéré de la fermer. Alors moi je te le dis plus clairement : ta gueule. Alors écoute le pauvre juif New-Yorkais, malgré la poudre, il se pourrait bien que j'aie pigé deux trois trucs sans étudier la Kabale en mettant ma main au cul de Madonna.

vendredi 13 mai 2016

Black Star épisode 4

- Je ne sais pas quoi en penser dit Jerry. On a tous des trucs bizarres qu'on ressent ici. Il y a tellement de monde, et en même temps si peu. Je me demande même pourquoi je suis encore en train de causer avec toi, j'ai fait mon taff me semble-t-il.

- Tu veux dire qu'il y a une sorte de Plan, qu'on t'a assigné un rôle ici ? Enfin, je veux dire, pour moi, pour mon arrivée, pour...

- Ecoute mec, il y a des trucs je préfère pas m'en mêler. Ce qui s'est passé s'est passé, c'est sûr, mais je ne vais pas essayer de comprendre quelque chose à tout ça. Je t'ai proposé qu'on se marre ensemble, j'étais prêt à te montrer un truc, et... c'est comme si t'avais flippé. Du coup je suis parti me coucher. Enfin, un truc comme ça, genre t'es plus là, comme avant quand on dormait.

- C'est bizarre, l'autre fois justement, je pensais à Robert Wyatt, et là tu me parles de dormir...

- Ce qui est sûr c'est qu'ici il n'y a pas de hasard. Tu penses que c'était toi qui pensais ?

- Hein ?

- Bon, t'as toujours pas pigé je crois. T'as pigé que t'es mort, quand même ?

- Oui mais...

- Ben y'a pas de mais. T'as déjà vu des morts qui pensent ? Des morts reconnaissants, ça ouais ! Ha ha ha !

- T'es con, tu me fais rire

- Ben tant mieux. Elle est facile pourtant. Elle m'a fait rire tout seul, aussi. Tiens, si je devais rempiler, je crois que j'appellerais le groupe The Laughing Dead.

- Ouais, et je serais bassiste et je me casserais après le premier album, je ferais une carrière solo dans la musique tibétaine et...

- Non mais t'arrête ?!!! Hey je déconne là, fini tout ça, plus de plan de carrière, stop. Profite. T'imagine pas que tu vas redescendre. Ou remonter, je sais pas.T'es mort.

- Non mais... enfin, j'aimerais tant...

- T'as qu'à demander, ou prier. Ca revient au même ici, mais ici ça marche, paraît-il. Il se passe des trucs. Enfin, moi, je demande rien à personne. Peinard, mec. C'est pour ça que t'as pas pu discuter encore avec Lou. C'est pas toi qui décide. Enfin, si, d'une certaine façon, ce que tu as fait quand tu étais vivant, ça a son rôle, un peu sans doute.

- Le Calvinisme, tout ça ? Tout est prémédité ? Je suis en enfer ? Au paradis ?

- Tout de suite les grands mots. Toujours les grands mots, en fait, hein ? Tiens, tu veux te marrer ? Tu veux jouer ?

- A quoi ?

- Pense à ces connards, comment ils s'appellent, ah ouais, Radiohead. De la musique de merde.

jeudi 12 mai 2016

Black Star épisode 3

Je pense.

Du moins il me semble que je pense.

J'ai même l'impression qu'on ressent mes pensées. Plein de gens. Je sens de l'interrogation. Je sens, mais je me trompe peut-être, qu'il y a des gens qui rient. D'autres qui s'ennuient. Certains ont peut-être même déjà compris. Compris quoi ?

Je me pose des questions. Je ne maîtrise pas tout ça. Je ne maîtrise plus. Jusqu'à Black Star j'ai tout maîtrisé. Il m'a même semblé Le tenir par le bout du nez, façon de parler. Des gens pensent même que j'ai joué là mon plus beau coup. Risqué ? Sûrement pas. Le moins risqué de ma carrière, en fait. Le plus difficile, aussi. Celui où j'ai eu vraiment; vraiment la trouille. Jusqu'au bout, à ce bout que je ne voulais pas atteindre, mais que - ma foi - s'il le fallait - je devais prendre par les cornes, comme le Minotaure. Comme tout ce que j'ai pu faire dans ma vie. C'était la seule solution. Etait-ce la bonne solution, puisque c'était la seule ?

Qu'est-ce qui m'arrive ? Je me vois pourrir dans une tombe, l'Oeuvre au Noir, en même temps qu'errer ici. Avec toujouts cette putain de musique. Avec ces gens dont je n'ai que faire. Avec ces gens qui lisent ce qu'il me semble je suis en train d'écrire. Mais je n'écris pas. Bien sûr que je n'écris pas.

Il y a eu ce vide, l'autre soir, après mon arrivée. D'un seul coup, plus rien. Mourir, quand on est mort, est-ce possible ? Je n'aimerais pas qu'on me voie qu'on m'imagine comme ça. Mais je ne peux rien y faire. J'aimerais bien que Jerry revienne, je ne vois personne.

Ca y est, ça me reprend. Je sens que ça va s'arrêter à nouveau. Pour combien de temps ? Peut-être faut-il que je m'habitue. Jonesy, il m'appelle. C'est cruel, je trouve. Lui non. Je ne suis même plus David Jones, mais comment pourrais-je encore l'être, je ne suis plus tout court ?

Je ne sais pas quoi penser de Caravan. Je ne comprends pas très bien de quoi parle réellement Golf Girl. Je n'ai jamais réussi à écrire un truc pareil, je les ai d'ailleurs toujours ignoré ces mecs. Ca ne me viendrait pas à l'idée d'écouter ça aujourd'hui. Ce sont les claviers qui ont le plus mal vieilli. La batterie, souple, racée, est toujours aussi impressionnante. Et on imagine bien ces vieux messieurs dodus se promenant sur le cours, quand les cuivres déboulent. Et puis ce mec qui ne trouve rien d'autre à faire que d'acheter trois tasses de thé à cette Golf Girl. Voilà qu'il pleut des balles de golf, maintenant, et c'est une bonne idée, ces flûtes, juste à ce moment-là.

Mais pourquoi je pense à ça ? Je n'arrive pas à me mettre mes propres albums dans la tête ! Même pas Heroes, Ziggy Stardust, rien !

Ca y est. On dirait que tout s'éloigne à nouveau, je le sens venir. L'album de Caravan continue à tourner, même si ce n'est pas ça que j'entends, c'est toujours ces fichus Talking Heads. En fait non, je ne les entendais plus, mais c'est reparti. Comment elle s'appelle déjà la seconde chanson de cet album de Caravan ? Je la trouve un peu moins forte que les autres, plus datée aussi. Des souvenirs qui ne sont pas les miens me viennent en tête. C'est bizarre, je n'ai jamais approché cette scène de Canterbury. Même Robert Wyatt, un mec intéressant pourtant. Trop perché ? Pas assez concerné par les choses terrestres ? Putain il s'est pourtant pris trois étages dans le cul, cul de pierre, après ça. A-t-il compris quelque chose qui m'avait échappé ? Il a un sacré regard, lui aussi. Comme le mien, sans me vanter. Difficile à tenir. Il vallait peut-être mieux que je l'approche pas.

Bon sang, pourquoi je pense à tout ça ?

Non, pas maintenant, pas tout de suite. Pas le vide, là. S'il vous plaît. J'ai besoin qu'on me raconte une histoire, qu'on me tienne la main. J'ai l'impression d'être un gamin qu'on punit. De quoi ? En même temps, je suis rassuré, je sais qu'il y a plein de gens qui pensent à moi, qui écoutent mes disques, qui savent que j'ai été un génie. Mais pourquoi je les sens pas, là, près de moi. Je sais que ça va s'arrêter, encore. Quelqu'un joue avec moi, ça n'est pas Dieu quand même ? On dirait que "ça" veut me parler. "C'est" bienveillant, en même temps. C'est insupportable. Je ne comprends pas.

Ca s'arrête. Il faut que je tienne le coup. Ne m'oublie pas.

mercredi 11 mai 2016

Black Star épisode 2

- J'hallucine !

- Plutôt cool, non ?

- Non, c'est pas ce que je veux dire ! Qu'est-ce que je fous là avec toi ?

- Ben rien, pourquoi, qu'est-ce que tu pensais faire ?

- Non mais je veux dire, qu'est-ce que je fous avec Jerry Garcia, guitariste du Grateful Dead, un groupe de hippies complètement à la ramasse qui s'est jamais remis du Summer Of Love ! Non franchement, t'es gentil comme gars, mais j'ai rien à faire avec toi, tu comprends ?

- Ben moi non plus, c'est ça qui est bien ! Relax, mec. Pfouh le Grateful Dead, attends, je pense à eux...

Jerry ferma les yeux, se concentra un instant puis éclata de rire.

- Ha ! bonne rigolade, je les ai fait jouer à Chicago ! Mon dernier concert ! Je m'y étais fait chier à mourir mais fallait payer les traites, alors... Bien fait, regarde-les, ah non je suis con, tu sais pas encore, ça viendra ! T'aurais vu comment ils avaient l'air cons ! Ce petit prétentieux de Bob Weir, tout vieillard, ridé et frippé, avec sa moustache de Père Noël, jouant toujours aussi faux ! Ha ! Bonne poilade ! On va bien s'entendre, mec ! Wah t'es un drôle, Jones, en fait, je pensais pas !

David eut l'air triste. Ténébreux. Des larmes perlèrent sur ses joues.

- Arrête de m'appeler Jones, tu veux ?

- Chut ! Encore un truc. Ici on utilise pas l'impératif. On commande pas. On peut demander, éventuellement, et souvent ça marche, bon je me calme sinon je vais repenser à un gros spliff, mais on commande pas. Eh quoi, Jones c'est pas plus con qu'autre chose, si ? Je veux bien t'appeler David, mais je sais pas si c'est te rendre service...

- Ta gueule putain ! Merde, mais où ils sont, Bertold, par exemple ? Et Debussy, enfin, pardon, Claude ? Ils sont où ? J'aurais tellement plus de choses à leur dire ! J'aurais.... Enfin, par rapport à...

- Bordel mais t'es plus con qu'un Hells Angel sous acide, toi ! Tu crois - merde, pardon - enfin tu penses que y'a une raison à tout ça ? T'as jamais lu les Séfiroth et tout le bordel ? Tu te crois où ? Profite du truc, pour l'instant, cherche pas. Viens je t'ai dit on va se marrer.

- Oh un nouveau ! Hey je le reconnais, c'est toi qui a fait cette chanson, Un Homme A Disparu Dans Le Ciel, un truc comme ça. Gérard Palaprat la chantait, quand il faisait la première partie de mon spectacle ! C'est lui qui m'a refilé l'idée de me fringuer tout en blanc. Comme aujourd'hui, tu vois ? Il est pas beau mon costume ? Yahou ! Et hop, un lasso !

- Hey Joe, du calme. Il est nouveau ici, il découvre. Putain mais ça fait combien de temps que t'es là, toi, t'as pas encore décroché ! T'as de la chance que le taulier m'ai collé une bouffe quand je t'ai appelé Joseph, parce que t'en a encore, toi, des trucs à ranger au placard !

David s'énerva.

- Mais c'est qui ce type ? Bon sang mais qu'est-ce que je fais là ?!!!

- Cool, Jonesy. Je vais t'appeler Jonesy je crois, ça t'embête pas ? Parce qu'il va falloir que tu lâches, mec. Très vite. Ce type, c'est, enfin, il se faisait appeler, Joe Dassin. Mais il a du mal à décrocher. Si tu savais le nombre de fois qu'il m'a tenu la grappe, en me répétant qu'on avait trahi l'âme d'Early Mornin' Rain avec les Warlocks, que c'était pas une chanson de pop-music et que lui l'avait portée bien plus loin. Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre, ici, je te le demande !

- Mais pourquoi il est là, je le connais même pas ce type ! Lou Reed, il est où lui ?

- Fais pas l'andouille, le mec dont tu parles, tu l'as croisé tout à l'heure, mais il en a plus rien à foutre de ta gueule, si je peux parler ainsi. Me demande pas pourquoi, c'est comme ça.

- Mais qu'est-ce que je lui ai fait ?

- Toi ? Hé mais j'en sais rien mec ! Qu'est-ce que je lui ai fait à Joe Dassin moi ? Rien ! Il est là, c'est tout !

D'un seul coup, Jerry se raidit, et plia vaguement l'échine.

- Bon t'arrête tes conneries maintenant, ok ? Je connais encore du monde en bas, je sens des trucs, c'est pas bon. Je sais pas pourquoi t'es là, j'essaie juste d'être cool, enfin, je sais même pas pourquoi j'essaie, je pourrais tout aussi bien te coller une bouffe, m'en veux pas mec, je comprends rien, moi non plus, je... putain non pas Dylan, pas encore ! Tu vois j'ai pas lâché, pas tant que ça au fond. Mais... fais gaffe, le taulier, on sait jamais quoi.

Il y eut comme un vide. Comme si tout s'arrêtait. C'est du moins ce que ressentirent Jerry et Jonesy. Plus rien.




mardi 10 mai 2016

Black Star, épisode 1

David fut étonné au départ. Etonné, et un peu déçu. Dans le fond, on entendait les Talking Heads sur la sono, les gens alentour blablataient autour d'un verre, on lui avait gentiment pris son manteau et demandé ce qu'il voulait boire, s'il avait faim.

- Ah ! Salut !

Ronnie ne semblait pas plus surpris que ça. Ronnie n'avait d'ailleurs même pas eu l'élan de lui taper sur l'épaule, lui demander des nouvelles, lui dire qu'il était content de le voir, tout ça. Et pourtant ça faisait une paye qu'ils s'étaient quittés. Et rien, sinon ce vague geste de la main : ah, salut.

Du coup, il se sentit un peu gêné. Sensation presque nouvelle se dit-il, ça ne m'était pas arrivé depuis... 1967 ? La gêne se transforma sournoisement en vexation. Autre sensation nouvelle que la vexation, se dit-il à nouveau. La vexation devint angoisse, ce qui quelque part lui parut rassurant. En 1975, en pleine emprise de la coke, l'angoisse, il l'avait connue. Du moins il s'en rappelait. Il l'avait muée en création. Il s'était réinventé grâce à l'angoisse.

Du coup, il reprit de l'assurance, et l'assurance, il connaissait bien.

- Hé les gars ! Je suis là ! Comment ça va ?

Quelques têtes vaguement connues (mais qui n'avait-il pas connu que vaguement, une fois la quintescence du personnage aspirée à son profit ?) se détournèrent de leur conversation, et puis le brouhaha reprit le dessus. Il lui sembla que c'était toujours les Talking Heads, la musique de fond. La vexation, à nouveau. Un débordement, en fait. Un étrange sentiment de ne plus rien maîtriser. Même lorsqu'on lui avait annoncé son cancer, puis les déboires à venir de la chimio, il était resté de marbre, et son seul souvenit était le désemparement du médecin face à son regard glacial.

- Combien de temps ?

- Combien de temps quoi ? Ah ! Non ! Je me refuse à tout pronostic. Vous savez, nous sommes ici pour entamer une lutte ensemble. Nous devons penser uniquement à cette tumeur qu'il faut extraire de votre...

- Est-ce que j'ai au moins six mois ?

- Encore une fois, non, je ne peux pas... six mois, oui, sans doute. Peut-être plus, et puis vous avez les moyens pour le traitement alors six mois oui, enfin, je pense, mais encore...

Il s'était levé, avait salué cordialement la secrétaire dans l'entrée, et en quelques secondes avait mis son projet en route.

Il pensait à ça en regardant tous ces gens sans comprendre. Ce morceau des Talking Heads commençait singulièrement à l'agacer. Dire que j'avais laissé entendre qu'ils me plaisaient bien ces petits jeunes. L'agacement, aussi, il connaissait. Seulement l'agacement, il l'avait ressenti envers lui-même, quand on lui avait montré les vidéos de la dernière tournée. Pitoyable, rétrograde, boursouflé, prétentieux, déjà vu, c'est à peu près tout ce qu'il avait trouvé à dire, à hurler plutôt, aux oreilles alentour. Seul Robert avait eu cette remarque : "tu comprends maintenant pourquoi j'ai hésité à jouer sur l'album ?". La remarque l'avait étonné, c'est sans doute pour cela qu'il n'avait pas réagi. Qui était-il pour hésiter ? A jouer avec Lui ? L'autre venait de saborder un groupe ridiculement boursouflé, et il se permettait de la ramener ?

Un tapotement sur l'épaule le ramena à la réalité.

- Tu sais, ça me fait plaisir de te voir, après tout ce temps. Bon, même si on s'est jamais dit grand chose, mais enfin... Je sais que c'est pas toujours facile, en arrivant. Tu veux boire un truc ?

- J'aimerais surtout qu'on arrête cette musique, c'est insupportable !

- La musique ? Ah oui... On s'y fait. Ca n'a plus beaucoup d'importance, tu sais. Mais c'est vrai qu'on a tous la même réaction en arrivant. Enfin, certains. Moi j'ai découvert en arrivant, ça va, c'est supportable quand même. Je sais même pas qui c'est, d'ailleurs. Enfin, c'est pas le problème.

- Pas le problème ? Mais enfin, sans vouloir entamer le débat, c'est quand même vieillot ce truc, 1979, non ?

- Tu veux pas plutôt boire un truc, manger quelque chose ? Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

- Non mais, franchement, les Talking Heads ok mais...

- OK mais rien du tout. Ecoute, je vais te dire un truc : considère que je suis plutôt bienveillant, là. Je te parle, je te caresse dans le sens du poil, en fait, c'est sans doute pas une bonne idée. Démerde-toi, mon vieux. Comme tout le monde.

Et Ronnie haussa les épaules, tourna les talons et s'assit à une table, reprit sa conversation avec quelques convives qui semblaient ne même pas s'être rendus compte de son absence.

David aurait voulu lui dire plein de choses sur les Talking Heads. Qu'on ne mélange pas comme ça le funk et puis la musique africaine et même la country. Qu'il y a une différence entre faire n'importe quoi et chercher plus loin, au risque de créer de nouveaux univers, de s'y enfermer dans la solitude de l'Artiste sans nom, tristement lâché par son public. Et ici, David se sentait lâché par un bassiste de seconde zone, de ce groupe sans grande envergure, comment déjà ? Il se rappela vaguement avoir refusé de participer au concert de soutien, il avait même refusé de faire un don pour lutter contre la sclérose en plaques. La sclérose, c'est pas ça qui me guette, avait-il lancé au pauvre sbire venu, comme tant d'autres, quérir sa charité.

En attendant, c'était le silence et l'immobilité qui l'enveloppaient - avec toujours cette putain de musique de merde. Et le sentiment d'être con, là, au milieu de ce bar de seconde zone. Ce sentiment, il l'avait déjà effleuré, et c'était le pire de tous : l'indifférence.

- Hé mec, tu veux te marrer avec nous ?

Un barbu hirsute, l'air goguenard, le sortit de ses réflexions. Il l'avait déjà vu quelque part, mais où ? Il avait vu tellement de monde, tant d'insignifiants...

- Moi c'est Jerry. Enfin, c'était, ça n'a plus d'importance, mais bon, je m'y suis fait, alors appelle-moi Jerry. Et toi, c'est comment ?

- Comment ça ? Non mais tu te fous de moi ? Mais je suis...

- Tu étais, mec, tu étais. Et tu te calmes. Tu prends le truc peinard, cool, y'a pas d'autre moyen de toute façon, c'est ça qui est bien. Tu veux fumer un truc ?

- Non merci. Je crois que j'ai rien à faire là.

- Ouh... fais gaffe quand même. Ici, il n'est plus question de Croire ou pas, fallait y penser avant. T'es là t'es là, point barre. Tu l'as cherché, sans doute. Même sans le savoir. Ici, c'est cool, y'a juste deux-trois trucs qu'il faut éviter. Par exemple, dire "je crois", "je veux", des trucs comme ça. Bon, tu viens ou pas ? Ah au fait, si tu veux fumer, c'est cool. Tu imagines le joint et t'es parti. Je te jure - oh merde, pardon - je te promets. Essaie. Trop, trop cool.

David pensa à un rail de coke. L'effet fut immédiat. Le contre-coup aussi. Déjà le lendemain, la descente, le mauvais trip. Qui étaient ces gens ? ARRETEZ CETTE PUTAIN DE SALOPERIE DE MUSIQUE OU JE CASSE TOUT !

There's a band in heaven
They play my favorite song...

La chanson avait re-démarrée. Ou ne s'était pas arrêtée. Ou n'avait jamais cessé. Il l'avait toujours entendu, en fait. Avant même que ce petit juif de mes deux commence à se taper la frime avec ce groupe. Avant même que Brian ne lui en parle. Qu'il ne lui explique qu'il produisait le prochain album et qu'il n'était pas dispo pour son projet de mêler le blues noir au disco blanc.

Il pensa à un chalet suisse. Aussitôt, il sentit l'air sec des montagnes, l'herbe grasse sur laquelle il aimait bien se coucher. Ce contact avec la terre. Il avait adoré s'y rouler, pendant son absence de la Scène. I Wish I Was A Mole In The Ground. Il avait même songé à la reprendre, cette vieille chanson. Rentrer dans les entrailles de la terre quand plus rien ne va à la surface. Bien sûr, dans le stupre d'un chalet suisse avec poupée de luxe, mais l'idée y était. Il y avait toujours eu l'Idée. Mais jamais, comme maintenant, une idée ne s'était révélée aussi organiquement présente. Il pensa à la planète Mars. Il s'y vit. Délire. Il lâcha prise.

- OK, on fait quoi ?... Jerry ? c'est ça ?

- Jerry ou comme tu veux, en fait. Moi je m'en fous, mais je peux comprendre qu'il te faille encore des repères.

- Alors tu me connais, toi ! Tu sais que je suis...

- Ta gueule mec ! Ecoute, je t'ai dit, il y a des trucs à pas dire ici. "je crois", "je suis", c'est réservé au taulier. Pense à de l'afghane et suis-moi. Ou alors, pense à une Budd. Oh putain une Budd, attends, je bois un coup... A la tienne !

David ne put rien faire d'autre que penser à un jus de fraise. Pourquoi ? Va savoir. Enfin si. Il avait ennuyé tout le monde pendant sa tournée de 1978 en réclamant du jus de fraise dans sa loge, en plein hiver, en Angleterre. Le goût dans sa bouche se dissipa assez vite. Il va falloir que je ne pense à rien, se dit-il. Et de fait il suivit Jerry.

- C'est cool, ça va bien se passer...

Il lui sembla reconnaître cet accent New-Yorkais.

...Dans le temps je lui foutais ma pine au cul et ça le calmait. On dirait que cette vieille guenon de Jerry est arrivé à nous l'attendrir, le beau gosse.

- Hey Lou, tu peux pas t'empêcher d'être grossier, sans déconner...

Serge eut un sourire en coin et écrasa une cigarette. C'est du moins la vision qu'eut David, en passant à côté d'eux, avant de monter à l'étage.

Radiohead par Audrey

Très longue critique/chronique d'Audrey, qui mérite mieux que la taille limitée par Google des commentaires, je me permets donc de la reproduire ici dans son intégralité, et je prends le temps d'y répondre. Avec tous mes remerciements à elle pour ce morceau de bravoure.

Bon, j’ai lu ton truc. Tu sais effectivement emballer le quidam avec un ton léger, toujours très vivant, avec ses pointes de moqueries irrésistiblement drôles. Je dirais que tu as en partie raison sur le fond en ce qui concerne le groupe mais je trouve ton exercice très léger sur le fond concernant le disque. Comme visiblement, tu as un peu envie de lancer la polémique sur le groupe, je relève le défi ! ^-^ Par contre, je n’ai pas ton panache, je te préviens ! Et prends ton souffle parce que c'est long! Presque aussi long que ton article! Tellement que je suis censuré et que je dois le mettre en deux fois...

Je tiens à préciser que je n’ai pas d’affinités fortes avec Radiohead et que j’ai moi aussi trouver le groupe surestimé et un peu chiant après Kid A. Et même pas écouté le précédent… D’ailleurs, je ne connais pas la plupart des noms des chansons quand je les écoute. Pour moi, Radiohead, ce ne sont pour la plupart du temps que des albums alors que généralement la seule chose qui compte pour moi est justement de créer une vraie proximité avec les chansons que j’aime, et donc a minima connaître leur nom. Bref, j’ai toujours pas l’impression d’avoir fait le tour de leur disque et, en même temps, j’ai pas trop envie de le faire, ce qui est aussi un signe. Pourtant, le groupe continue à m’intriguer. Visiblement toi aussi, et tu l’as a priori apprécié par le passé.

Dans une première écoute, on ne parle pas vraiment du disque mais de soi ou tout du moins on met en scène son égo à pouvoir décrypter, ressentir comprendre une musique dès la première écoute. Or rien ne m’insupporte plus que ces internautes qui se précipitent pour nous donner leur réaction sur le disque de leur groupe favori ou honni. Comme s’ils avaient un jugement supérieur qui leur permet de comprendre immédiatement un disque. C’est souvent d’une superficialité affligeante, il n’y a aucune approche de fond (attention, je parle ici en général). Moi en tout cas, j’en suis rarement capable. Certes, avec une première écoute, on peut cerner les sonorités d’un morceau qui nous enchantent, une mélodie qui sort du lot. Mais on peut passer à côté de tellement de trucs ou se planter royalement (y compris s’émerveiller une forme de beauté après coup très superficielle). Bref, sur la forme, rien à dire, tu t’es bien lâché (même si c’est pour une fois trop long et que cela devient prévisible). Sur le fond, même si je ne connais pas encore le disque, je suis assez dérangée par ton approche.

Dans ce que tu dis ici, on retrouve ici quasiment tous les arguments que les détracteurs du groupe donnent : pas de mélodie, la voix de Thom York, musique chiante etc. Si Radiohead était devenu une sorte d’icone intouchable à la démarche exploratoire et expérimentale admirable, émettre des réserves à son égard (du fait aussi que beaucoup s’étaient trompé à leur sujet sur leurs deux premiers albums (sans doute du fait du syndrome « première écoute ») devant leur cérébralité revenait clairement à passer pour un con qui ne l’avait pas compris. Résultat, quelques albums certainement très survalorisés (selon Amnesiac et Hail to thief). Et d’autres sont très sous-évaluer (In Rainbow). Pour tout te dire, j’ai peu d’affinités avec OK Computer. Je comprends la musique, je la respecte mais elle ne me touche pas trop. Je préfère The Bends mais surtout Kid A qui a su me bousculer et me remettre en cause. Et ta critique me l’a fait réécouter ce matin et c’est résolument un disque très fort et très beau, mais pas dans le sens « coucher de soleil rose sur la mer », mais plutôt dans le sens d’une beauté nouvelle, un peu difforme et surtout non académique. Un disque que j’ai acheté longtemps après parce que je me suis dit qu’il méritait sa place dans ma discothèque plutôt que dans mon disque dur (et c’est rare sur les disques récents). Et si tu devais (re)écouter un disque d’eux pour réviser tout opinion, je pense que In Rainbow est très intéressant pour ça. Je l’avais acheté justement parce que j’avais senti qu’on commençait à les juger avec ce retour de flammes un peu injuste. Et c’est aussi un grand disque.

Depuis, il y a une sorte d’effet boomerang sur eux que je trouve nauséabond (encore une fois rien contre toi mais plutôt contre, par exemple, rock & folk). Radiohead est devenu le symbole d’une musique chiante et qu’il est devenu intelligent de critiquer. C’est même terriblement tendance de casser du sucre sur leur dos. A dire vrai, à ce jeu, ils ont remplacé Coldplay. Ok, ils ne sont pas parfaits, ils sont terriblement cérébraux, mettent en scène lourdement le mal-être de leur chanteur. Et alors ? Quel autre groupe a été capable de créer pareille œuvre qui soit tourner vers l’avant plutôt que rétrograde ? Qui aient été capable d’aller à l’encontre de ce qu’on attendait d’eux (et notamment de leurs fans) ? On les critique pour mettre qui à la place ? Si je reviens sur Rock & Folk, autant vous dire qu’on est mal barré, ils vont nous mettre tous les revival mods, garage ou psychédélique & co qui sévissent aujourd’hui et qui prouvent que, eux, ont raison d’avoir aimé cette musique quand ils étaient plus jeunes… Je ne dis pas que ces groupes sont mauvais, qu’ils ne font pas du neuf avec du vieux, mais ils le font avec des influences beaucoup plus visibles et prévisibles… 

Parmi ces ayatollahs du rocks (avec en face les intégristes qui défendent coute que coute Radiohead), bizarrement, on n’entend jamais que les Cramps, les Ramones ou le Dr Feelgood, ça peut être chiant. Ils voient ces groupes comme des modèles d’intégrité parce qu’ils sont restés fidèles à eux-mêmes. Mon cul ! Ils n’ont simplement jamais été capables de créer autre chose que ce qui les a fait connaitre et ils étaient incapables d’avancer, d’innover. Et de toi à moi, combien de fois écoute-t-on les derniers Cramps, Ramones ou Dr Feelgood ? Ce sont des groupes pour lesquels j’ai plus envie d’écouter des super compils que de me taper leur intégrale (parce que je finirais soit par m’endormir ou pire, par trouver leur meilleurs chansons insupportables à force d’avoir entendu les mêmes gimmicks ou ficelles).

Tu parles de Pink Floyd. Je n’ai pas écouté cet album, donc peut-être est-ce pertinent. Mais connaissant un peu la boulimie des membres de Radiohead, je doute qu’ils en soient restés là, il y a certainement plein d’influences, mais peut-être ne sont-elles mêmes pas dans nos discothèques ? Et que ce sont nous qui cherchons à leur coller des trucs que nous connaissons par paresse et aussi parce que nous n’avons plus la même curiosité et la même confiance dans les musiques nouvelles d’aujourd’hui (notamment électro, car, si tu es comme moi, j’en écoute, mais je chope plus les sommets des vagues que je plonge totalement dedans et me rassure en entendant ci ou là l’influence de New Order comme si New Order était forcément d’actualité pour un musicien de 20 ans, c’est comme si on évoquait le Velvet aujourd’hui alors que les groupes influencés par lui sont depuis longtemps devenus des références à part entière, seulement ça reste du rock, donc toi et moi, on est capable de faire la nuance, pas mon cas pour l’électro (pour laquelle on pourrait largement évoqué Brian Eno également dans le même genre d’idées)). 

Mais je sais qu’il n’y a souvent pas de « vraies » mélodies dans Radiohead . Le groupe écrit d’ailleurs plus des « morceaux » que des « chansons ». Est-ce pour autant critiquable ? Je ne le pense pas. Et c’est justement là où il faut laisser le temps à ce qui est proposé. Certes, c’est chiant au début et, ce qui est effectivement terrible, cela peut le rester après auquel cas ils nous ont fait perdre du temps et ils méritent d’être lyncher, les salauds !, mais parfois on obtient justement des émotions nouvelles qu’on n’avait jamais ressenti avant. Et là, ils méritent d’être vraiment salués et acclamés parce que ça devient très rare quand on a écouté des milliers de disques avant celui-ci. Et pour ma part, c’est l’une des principales raisons qui me donnent envie encore de perdre mon temps avec le rock. L’autre étant de tomber sur une chanson éternelle qui m’accompagnera toute ma vie (et là, j’ai besoin d’une mélodie).


Donc Radiohead crée une musique de son temps et non d’un temps passé. A l’image de ce monde tel qu’il est aujourd’hui : ouvert et globalisé, fragmenté, angoissant, technologique, à la beauté parfois fulgurante, et avec, malgré tout, des raisons d’espérer en l’homme et en ce qu’il crée de nouveau. Bref, ce disque et ce groupe méritaient certainement un traitement plus adapté. Le résultat sur ton blog n’aurait peut-être pas trouvé cette jubilation d’écrire qu’on devine en toi, mais il aurait gagné en pertinence (et peut-être même en acerbité). Car, au final, de quel groupe d’aujourd’hui attendons-nous encore de ce que peut nous donner Radiohead de nouveau ? C’est encore le même débat que l’autre fois. Tristement de moins en moins de monde.

Bon, j’ai fait très long, c’est peut-être aussi cérébrale et chiant que du Radiohead ^-^ mais fallait que ça sorte ! . Il y a des tas de choses pour lesquelles ta critique n’y est pour rien, tu l’auras compris, elle n’a fait que ressortir un agacement plus générale. D’ailleurs, peut-être ai-je exploité ton blog faute d’avoir le mien pour exprimer ce que je ressens plus généralement sur ce groupe et sur une attitude que je trouve plus globalement insupportable, ce qui fait que mes propos sont très excessifs si tu les prends uniquement à ton compte. Aussi je te prie par avance de m’excuser. Mais si tu veux encore polémiquer, la balle est dans ton camp ^-^ (et j’espère avoir écouté moi aussi le disque entre temps !) 

Petite parenthèse : j’ai relu tes vieux papiers. Et j’ai particulièrement aimé ce que tu as écrit sur Joe Dassin. D’ailleurs, si tu pouvais reproposer (ou mettre à jour le lien) de son fameux second album… Moi aussi, je suis fan ! Et là, je trouve que tu as allié merveilleusement le fond et la forme et cette touche d’enthousiasme qui fait du bien. Et tu y gagnes d’un coup une remarquable pertinence. Bref, j’aurai bien aimé de ta part retrouver sur Radiohead cette même démarche... Ce qui est positif sur ta critique, c’est aussi qu’on sent une vraie déception, ce qui laisse aussi entendre que tu attends encore quelque chose du groupe, mais c’est là où tu aurais dû creuser, sur ce que tu espères de lui, sur le pourquoi tu as voulu te jeter si vte sur ce disque et en faire un retour. Cela m’aurait davantage intéressé car tu aurais dit davantage de choses sur toi que ce qu’on trouve d’habitude sur eux quand on ne les aime pas. Pour moi, ils méritent mieux. Et on a droit de ne pas les aimer, seulement il faudrait trouver autre chose que : musique chiante, chanteur insupportable, morceaux avec plein de prout prout dedans, parce qu’ils se donnent suffisamment de peine pour qu’on trouve autre chose y compris pour les critiquer ! ^-^ Et a priori, on ne pourra pas dire qu’ils n’aident pas leurs détracteurs ! Mais j’aime aussi qu’un groupe n’en rien à foutre parce qu’il fait après tout la musique qu’il a envie



Audrey Songeval

lundi 9 mai 2016

#184 : Radiohead "A Moon Shaped Pool"

Mon Dieu !

Radiohead a sorti un nouvel album !!!

...Mais pourquoi donc ?

Y a-t-il encore sur terre des gens qui ont envie d'entendre une suite à The King Of Limb ? Et/ou autres albums parus avant ?
Y a-t-il encore des gens qui espèrent un nouveau Paranoïd Androïd ? Thom Yorke n'a-t-il pas fait comprendre clairement que ces temps-là étaient révolus ?

Enfin bon, en ce dimanche soir, n'ayant rien d'autre à faire, j'écoute donc un disque qui commence vaguement progressif, donc déjà chiant, en espérant - bien qu'emprunt de grand sceptiscisme - retrouver ne serait-ce qu'un semblant de grand frisson, ce qui n'est pas évident à 27° à l'ombre à 19h04.

Voilà déjà la deuxième chanson, c'est plutôt une bonne nouvelle. La première aurait déjà pu passer à la trappe, servir de B-side voir d'inédit-collector pour une édition future. Et... ben... y'a bien un peu de piano, quelques vagues cordes, et la voix de Thom qui plane... pas bien haut néanmoins. Bon, les gars, à l'heure du zapping internet, faudrait peut-être vous réveiller, non ? Tiens, voilà qu'ils ronflent à la fin de la chanson. Non mais faut pas vous gêner, hein.

Ah, un semblant de motif rythmique, nous attaquons la troisième vignette. Et je me dis que, n'appréciant ni Coldplay, ni Muse, ni U2, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour continuer à discuter de ce truc. Quoique, ça t'a là un petit rien de King Crimson (il m'en faut pas beaucoup pour me réveiller, finalement), Ca vaut peut-être la peine de nommer la chose : Decks Dark. Bon, ça vous réveille pas la nuit, mais c'est bien fichu. Un peu comme une tour Eiffel en allumettes, on dit "aah oui, ça ressemble !". Bref, les Radiohead ont réussi à faire une chanson en allumettes. De là à construire une escalier en bois vers le paradis, y'a un pas quand même.

Oh, transition ! Les voilà butinant les vertes herbes britanniques à grands coups de guitare acoustique primesautière et trop folkeuse pour être honnête. Mon dieu, faites qu'ils ne chantent pas en gaélique. Ah non, enfin, a priori. Bon, si vous avez des chakras à ouvrir je cherche le décapsuleur, moi. Remarquez, j'ai le temps, car passé le motif introductif (voilà que je fais de la prose comme Gégé2000 moi) il ne se passe pas grand chose. Ah, si, tiens. Thom couine un peu plus fort. Un refrain ? Naaan j'déconne ! Ca se remet à droner. Je vérifie que c'est pas mon téléphone. Tiens, c'est fini. Une impasse, donc, encore.

Ouh la, rythmes de boîte à rythme (pléonasme, donc, mais visiblement ce disque en est rempli), tirlouits de synthétiseur façon Jean-Michel Jarre enculant des mouches avec Vangelis, filtres qui s'ouvrent, ça va péter !!! Tention les gars ! Ca rigole plus ! Tiens, on dirait un autobus qui passe. Ca pète pas. Et c'est reparti pour un mantra sans queue ni tête. A une note. Comme sur Tomorrow Never Knows. Enfin, vous attendez pas au génie des Beatles, hein, on peut aussi faire de la merde avec une seule note. Oups ! Non tiens, c'est parti. On se dirait d'un seul coup dans Mario Kart avec Robert Smith ! (Vingt dieux, pour que de telles images me viennent à l'esprit, je dois être à l'écoute d'un chef d'oeuvre sans le savoir). Ah et puis non, c'est déjà fini. Ca re-couine. C'est long. J'ai faim. J'ai la nostalgie du vinyle. Si c'en était un, ce serait l'heure de la pause avant de passer à la face B. Quoique j'ai comme l'impression d'avoir mis la face B pour commencer.

Allez, encore le piano sous la mer. C'était Saint-Preux ça, non ? Faut avouer qu'il y a un petit effort dans tout ça. On dirait une vraie chanson, mais avec des cordes pompeuses plutôt que délicates, et avec ma foi bien peu d'élan mélodique. Ca m'émeut pas. Ca me fait chier, mais ça m'émeut pas. Pourtant, on me l'aurait décrite celle-là, j'aurais pu en saliver. JD Beauvallet, c'est ça, on a dû lui décrire le disque pour qu'il parle du meilleur Radiohead depuis OK Computer.

Allez, re-intro, bien troussée ma foi, mais cette-fois c'est trop. Il ne se passe plus rien de surprenant, d'accrochant, de quoi-que-ce-soit passées les 16 (allez, 32) premières mesures. Quoique ça chantonne un peu ici. Ouh, on dirait vaguement la montée de Paranoïd Android, là. Pas possible. Si ? Attendez, j'écoute... Non, finalement non, ça part comme du Sinead O'Connors meets Asia. Bouh, comment ils vont s'ennuyer dans les stades pendant la prochaine tournée... Le gars qui pense à vendre des mots-croisés à l'entr'acte, il fait fortune, pour de vrai, je vous le dis.

Chanson N°8, déjà. Toujours beaucoup de piano, de bruitages, un peu de guitare. On dirait un peu une intro façon Animals de Pink Floyd. Avec une petite influence Double-Blanc pour la batterie. Et un grand vide sidéral dès que Yorke chante. Comme cet infini sur les prairies du Pays de Galle. Serait-il en train de nous expliquer que l'univers est vide de sens ? Quoique, elle passe un peu mieux, celle-là. Elle s'appelle The Numbers.  Et puis voilà que ça devient pompeux : les violons, c'est les mêmes que Les Villes de Solitude de Sardou. J'aime beaucoup cette chanson de Sardou. Je trouve qu'elle a un climat formidable, la partie de guitare sèche est géniale et, si c'était pas Sardou, je lui trouverais même un côté visionnaire. Désolé, je meuble un peu, la chanson est longue. On dirait qu'elle se termine, là, mais sait-on jamais. Ah si, uoi, d'un coup d'un seul.

Ouh la ! Alors là, l'intro, c'est Paranoïd Android au pays des Schtroumpfs ! Déluge de phéromones dans l'assistance, la maison de disques se frotte les mains. Les chats s'en foutent, y'a pas de quoi les fouetter. C'est joli; ceci dit. Déjà vu, mais joli. Des effets dans la voix comme chez Gégé2000 (c'est-à-dire comme en 1972), non vraiment, charmant. Ecoutez-la, elle est sympa comme tout. Present Tense. Très bien. C'était difficile d'en faire 5-6 autres comme ça ?

[...]

Excusez-moi, j'étais parti prendre un bout de pizza.

Donc, la suite. On touche à la fin, il serait donc bien vu d'aborder le Grand Oeuvre, le truc qui fera que l'album est inoubliable. Ben là, c'est pas tellement le cas. Toujours pas de mélodie, toujours beaucoup de piano, de batteries vintage, de Theremin et autres synthés vieux comme mes robes. Magnifiquement produit, ceci dit. Le jour où Eric Rohmer fera un remake de Star Wars, ça ferait une excellente BO.

Allez dernier morceau (on entend une vache ou c'est moi qui rêve ?) : Pff... encore une intro au piano, encore les vocalises à Yorke. C'est pas que c'est désagréable, et c'est peut-être ça le problème. C'est plutôt inaudible, dans le sens où ça s'entend pas.

Donc voilà que le disque est fini. Bilan, deux chansons qui auraient pu faire l'objet d'un single alléchant (étant sous-entendu qu'ils auraient gardé le reste, la bombe, pour l'album) et puis du vide très bien produit. Avec de très jolis instruments, ce qu'on pourrait donc qualifier d'un retour à la terre, après leurs expérimentations pseudo-electro diverses, variées et souvent oubliables. Ci-git Radiohead donc, groupe talentueux mais trop présomptueux, qui, vieillissant, tenta de revivre des gloires passées, sans succès si ce n'est celui probable des masses et de l'intelligentsia de la presse musicale ne pouvant se permettre de cracher dans le bouillon car quand même la maison de disque leur a acheté 4 pages de pub et payé huit jours de vacances à la campagne pour écouter l'album.

Tout ça, je vous le dis comme je le pense, ne contribue pas à calmer ma dépression. Je sais le prochain Dylan inutile et merdique, je crains qu'on ne retrouve encore un concert inédit du Velvet enregistré dans les chiottes de Moe Tucker, je n'attends plus rien des Stones et j'ai raté les 50 ans du Grateful Dead. Alors oui, là, sans l'avoir vu venir, il y a une heure j'ignorais encore son existence prochaine, j'aurais vraiment adoré me prendre une claque. L'écouter toute la nuit. Retrouver goût à tout ça. Au lieu de ça, je regarde l'heure, attendant d'aller me coucher après mon infusion.

Pour ceux que ça intéresse, je l'ai trouvé ici. Mais je serais vous, entre tondre ma pelouse, passer une coloscopie, s'abonner à Télé 7 Jours ou écouter ce disque, j'hésiterais pas, y'a tellement de choses chouettes à faire sur terre !

Edit (20h15) : J'ai remis le disque pendant que je corrige les fautes d'orthographe. La production est superbe. Voilà, j'ai dit un truc bien. On pourra pas dire que je suis gratuitement méchant et désabusé. La production est très bien. J'imagine, je rêve à ce qu'auraient pu devenir Tim Hardin ou Jeff Buckley produits de la sorte. Mais bon, hein, ça va pas nous ramener Dalida. Et je viens de me rappeler aussi qu'Eric Rohmer est mort, tant pis donc pour le remake de Star Wars. Bonne soirée à vous.