La short-list incluait également, et pour les mêmes raisons que ci-dessous, Electric Ladyland de Jimi Hendrix, que j'avais songé aussi à placer comme disque de cul magistral. J'avais songé égalment au Doggystyle de Snoop Doggy Dogg, là encore, du vécu, mais vu l'épisode disco, j'imaginais d'ici les salves de commentaires sur le gangsta rap, le fric, la dope et le reste. De toute façon, mon honnêteté m'impose de vous parler du LA Woman des Doors.
Ce qui n'est pas une chose facile, car tout a déjà été dit, car je ne me permettrai pas de relancer le débat sur la qualité de l'album (le meilleur des Doors ? A votre avis ? hi hi hi...). Inutile me semble-t-il de passer 3 heures à le ripper en mp3, vous l'avez déjà, non ? Et l'édition deluxe n'apporte rien, voire enlève de la magie à ce bijou, alors...
Disons que ce disque, acheté en version originale à un pote contre 5 malheureux francs de l'époque qui finirent en carambars, dont la moitié me fut rétrocédée, fut une découverte totale. La voix de Jim Morrison, d'abord, preque crooner, ce qui fut pour me déplaire car je préférais les brailleurs qui semblaient porter d'avantage de révolte que le mojo risin' Jim dans, au hasard, Hyacinth House, voire dans Love Her Madly. Bien sûr, j'adorais Riders On The Storm. Je n'ai jamais pu, depuis, me défaire de ces frissons qui me traversent l'échine dès qu'apparaît un petit filet de Fender Rhodes dans n'importe quelle chanson.
Mais tout cela importe peu.
Comme chaque année, avec mon papa et ma maman nous partions 15 jours en vacances au camping de la Pascalinette à la Londe-les-Maures. Je passai donc de mon enfermement alsatique déprimant à la beaufitude complète de la toile de tente sous les pins parasols. On allait manger 2-3 fois à la Trappa, une merveilleuse pizzeria à Hyères-les-Palmiers. Les autres jours, on allait se baigner à la plage, et mon cousin Patrice nous rejoignait le soir, dans sa R12. Mes parents buvaient du pastis et du rosé avec lui, ils avaient l'air de s'amuser de plus en plus au fil de la soirée, et mon ennui était inversement proportionnel à leur pochetronnerie, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit.
Heureusement, si ma vie naviguait entre ces deux points d'ennui magistral, la maison et le camping l'été, il y avait ces 900 km qui séparaient mes deux cachots, et il fallait bien compter 12 heures de Mehari pour joindre les deux bouts. 12 heures absolument magiques, durant lesquelles les paysages défilaient, durant lesquelles il pouvait, potentiellement, se passer quelque chose.
J'avais mon walkman vissé sur la tête, et j'embarquais mes maigres trésors de l'époque : Goat's Head Soup des Stones, le Led Zeppelin IV, Electric Ladyland de Jimi Hendrix et - justement, cette année-là - LA Woman des Doors. Stairway To Heaven gardera toujours l'odeur de la toile de tente et de la sueur lors de la sieste obligatoire après le pastis et le rosé, Dancing with Mr D. celui des Choco BN, de même que All Along The Watchtower.
LA Woman, le disque et la chanson en particulier, c'était autre chose. On avait voyagé de nuit, et mon père avait fait une petite sieste sur le coup des 3 heures du matin sur une aire d'autoroute. Je ne dormais pas, j'écoutais LA Woman en regardant les allez et venues incessantes des voitures sur le parking de la station-service, les phares qui déchiraient la nuit sur l'autoroute d'à côté. J'étais réveillé. En pleine nuit. J'entendais les voix des portugais, dans leur R16 surchargée, qui repartaient au pays. Parfois, des anglais discutaient (des anglais ! comme les Stones ! yeah !) et je m'imaginais un jour, moi aussi, rouler comme ça la nuit vers d'autres destinations. Ah oui, putain, d'autres destinations. J'étais en Amérique, je devais atteindre Los Angeles au petit matin, dans ma Cadillac. J'étais avec Isabelle, mon impossible amour de l'époque, et on avait plein de cassettes à passer dans l'auto-radio ! Le Some Girls des Stones que j'avais pas pu me payer, les disques de ce Bruce Springsteen dont on parlait tant mais que je ne connaissais pas, et on ferait cette même sieste en écoutant le Floyd...
The cars hiss by my window...
Même ce morceau chiant, là, abruti par la fatigue à 3 heures du mat', il m'allait très bien.
Mais c'est surtout LA Woman que j'ai découvert. J'ai eu l'illumination. Ce passage lent, là, quand Morrison se met à scander Mr Mojo Risin, toujours ce Rhodes derrière, et les bagnoles qui défilaient... Ridin' on the freeway, city at night... Jamais, pour moi, on a mieux écrit et chanté ces moments glauques mais tellement poétiques, symbolisés par cette aire d'autoroute. Oh, ce n'étaient pas les lumières de la ville, et le côté ride, avec mon papa dans sa Mehari, était quelque peu... limité ?
Alors oui, définitivement, imaginant que je roule dans la nuit, et peu importe vers où, mais avec quelqu'un que j'imagine forcément quelqu'une, c'est certain que LA Woman tournerait en boucle sur l'auto-radio.
Je n'ai, à ce jour, et comme la Lucy Jordan de Marianne Faithfull, jamais conduit de belle bagnole, qui plus est jamais sur une freeway aux States.
Sans doute est-ce un rêve qui ne se réalisera jamais. Alors, il me reste LA Woman et ces images définitivement imprégnées dans ma tête et dans mon âme pour arriver à vivre avec.