J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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jeudi 8 septembre 2022

Numéro zéro de chez zéro : Gérard Manvusa "Le Crabe Aux Pinces D'Homme"

Pirate, schizophrène du clic-magique-download, passe ton chemin. Il n'y a pas de musique à télécharger illégalement dans ce billet, cherche ailleurs pour les frissons habituels du dernier truc de machin. Gégé, Mansetlandia ou je ne sais plus comment l'appeler, sort sa nouvelle oeuvre demain. Jusqu'al, ors, j'étais inquiet autant qu'ému, un peu comme la veille de la fête des pères quand tu sais que ton enfant va te ramener un cendrier en coquillage ou un collier en pâte. Le geste sera touchant, mais malheureusement maladroit et sans intérêt aucun (sauf, peut-être, pour Alfred Van Gogh et Ernest Picasso qui auraient étés bien inspirés de garder les gribouillages de leurs gamins). Mais là, un ami très cher m'envoie cet article paru dans Paris-Match : une interview du vieux gâteux à la veille de la sortie de son nouvel effort (je parle ici comme un cardiologue) : Le Crabe Aux Pinces D'Homme. L'allusion facile à Tintin n'aura échappé à personne. Mais Gégé s'en défend : Tintin bof, Asterix c'est nul, c'est moi tout seul qui ai trouvé le jeu de mot. Même pas sûr qu'un tel argumentaire lui assure une place aux Grosses Têtes si d'aventure on est sensé trouver ça drôle. En 1981, Rock & Folk s'inquiétait : peut-on faire du rock après 40 ans ? En couverture, les Stones déguisés toutouyoutou dans leurs premiers stades. Quarante ans plus tard, ils sont toujours là, à tourner sans Charlie Watts. Alors oui, certes, on peut faire du rock après 40 ans, c'est sûr. Mais cela me semble découler d'un postulat bien plus vaste : on peut faire n'importe quoi à tout âge, et tu me le prouve mon Gégé. Une interview dans Paris Match, ça vaut presque une pleine page de Patrick Sébastien dissertant sur Baudelaire dans les Inrockuptibles. Bon, j'avoue ma méprise : une recherche sur Google me renvoie plein d'articles de Gérard Manfaiunchèquepourdelapubmaispourquoipas dans Paris Match. OK, OK... toujours vérifier ses sources. Mais le plus drôle, c'est quand Paris-Match nous explique d'entrée que Gégé Perdumesclésmerdejelesaimisesou a sorti coup sur coup deux albums fabuleux il y a quatre ans, A Bord Du Blossom et Opération Aphrodite, que tout le monde (à part visiblement Paris-Match et Michel Drucker) a boudé. En conséquence de quoi nous, les fans, sommes des cons qu'il méprise. Flashback, rewind. En 1996, quand il était très pertinent de tout réediter en CD pour nous les cons qui en achetions à la pelle, Gégé Pasdethunesencemoment avait consenti à ressortir La Mort D'Orion sur ce vilain support numérique, mais bon, hein, postérité et chef d'oeuvre oblige, c'était là encore confiture aux cochons mais qu'importe. Dans une interview fleuve aux Inrocks, Gérard Manracontédeconneries expliquait que nous ne le méritions pas, persuadé qu'il était que Lumières allait changer le monde, mais que dalle. Enfin, nous les fans qui avions aimé l'album, nous n'étions que dalle. Les fans de Gérard Lenorman n'ont jamais accroché, bande de cons. Et quatre ans plus tard (ce qui est assez court quand on jure-crache qu'on claque la porte et que jamais jamais on ne sortira un autre disque), voici Matrice, et tout le monde de la presse branchée, tous ses fans (et trois adeptes de Gérard Lenorman) crient au génie. Cette stratégie, cher Gérard Manséduibeaucoudemonde, tu nous la ressors avec ton dernier truc. En guise de presse spécialisée, Paris Match. Où l'on apprend que tu te balades de façon anonyme dans des cafés discrets du XVIème. A 8,50 € la tasse, tu risques pas d'être emmerdé par grand monde, je te l'accorde. Surtout pas par tes fans que tu abhorres tant, gauchistes, baba cool et pauvres merdes qui n'ont pas su traverser la route pour s'en mettre plein les fouilles et accessoirement s'asseoir à la table d'à côté. Serai-je assez con pour acheter le CD par habitude, voire le double-vinyle parce que quand même, ça sonne grave mieux (et même Sony et Philips qui nous vendaient Dire Straits en numérique sont d'accord aujourd'hui) ? Autant me flageller avec des orties ! Mais le problème vois-tu c'est qu'il n'y a guère plus d'orties avec tous ces pesticides. Et que le plastique c'est plus fantastique. Un modeste streaming ? Dangereux de vomir en voiture sur l'autoradio Bluetooth ! Et énergivore ! En cette fin d'abondance et cette nécessité de sobriété énergétique, la sortie de ton disque, demain, m'a convaincu. C'est le moment ou jamais de me faire une journée sans wifi.

jeudi 13 janvier 2022

Joe Dassin : la totale (pas l'intégrale)

Inutile de tourner autour du pot. J'ai par le passé déjà posté un peu de Joe, et finalement, quitte à réactiver un peu ce blog, autant me lancer dans une oeuvre de salubrité publique : réhabiliter Joe Dassin, ou du moins essayer. Un projet en plusieurs épisodes, chronologiques essentiellement, des débuts à la fin (voire plus). Me pencher avec amour et respect sur son oeuvre, comme j'ai pu le faire en numérisant les vinyles de Gégé l'Andouille - également connu sous le nom de Manset par le passé. Tout semble les séparer : variétoche verdâtre d'un côté, branchouille casse-couille déprimé de l'autre, et pourtant, en cherchant bien, ce ne sont pas les points communs qui manquent : têtes de con tous les deux, exigents au niveau du son (hats off to Bernard Estardy), icônes des sixties (en mai 68, c'était un peu Animal On Est Mal vs Siffler Sur La Colline, et en 1975, on pouvait dans un même slow se mouvoir sur l'Eté Indien et Il Voyage En Solitaire). Fin de la délicate et dangereuse comparaison.

Joe Dassin, c'est la triste histoire du talent broyé par le show-business, pression à peine supportée par les excès du protagoniste qui le mèneront à un arrêt du coeur en milieu paradisiaque. C'est l'histoire du mauvais goût des programmateurs de RTL qui anéantissent un interprète hors-pair de choses délicieuses issues autant du folk que du rythm'n'blues sans jamais passer par le rock et le yéyé (une sorte de Van Morrison meets Guy Lux, quelque part). Vous avez dit country soul ? C'est ça. Merci JD Beauvallet et Nicolas Ungemuth de me passer l'expression.

C'est l'histoire d'une France trop nombriliste pour regarder ailleurs et qui prenait, à la grande joie des producteurs, pour argent comptant des reprises de standards anglais et américains comme s'ils sortaient de la cuisse d'Eddy Barclay. Mais aussi, à l'inverse, de belles trouvailles mélodiques sitôt phagocytées par des auteurs bien plus musicalement corrects (re-écoutez A Toi, pour entendre comment Gainsbourg va repiquer l'intro au Rhodes pour son Ex-Fan Des Sixties de muse). Johnny piochait dans le vivier rock'n'roll - de Chuck Berry à Bob Seger, Claude François ne jurait que par la Motown. Il fallait quelqu'un pour l'americana. Enters Joe Dassin. Jim Croce, Tony Joe White, Elizabeth Cotten, Lee Hazelwood, Pete Seeger, Tom Paxton, la liste est longue, j'abrège.

C'est l'histoire aussi, fichtrement bien troussée, d'un chef d'orchestre des plus doués, Johnny Arthey, qui mettra tout ça en musique de manière étonnante, même quand le matériel, lorgnant vers la discoîde Italie, sera des plus discutables. On se prélasse dans la finesse de la pop anglaise, un jour peut-être il sera temps de se regarder le nombril et de constater que dans la Phrance pompidolienne et giscardienne, on savait aussi être inventifs. C'était une époque où l'on réinventait la roue à chaque 45 tours. Joe n'était pas seul dans ce cas (un jour, il faudra songer à introniser Eric Charden au Panthéon), mais revisiter sa discographie sous cet angle (et oublier les textes un peu gnan-gnan - mais pas pires qu'un she loves you yeah yeah yeah) me paraît un bon début pour re-goûter à ces sucreries un peu indigestes mais dont on finit le sachet une fois ouvert.

Enfin, contrairement à d'autres chanteurs de variété (Alain Chamfort par exemple), on constate très peu d'efforts de réhabilitation en ce qui concerne Joe Dassin. Et ses deux fistons, malheureusement, détenteurs de l'héritage, le confinent dans des projets écoeurants : duos virtuels avec Hélène Seguara, remix avec les choeurs de l'Armée Rouge, c'est à vomir. Citons l'intégrale de 1995, les tables de la loi joliment emballées, et cette compilation que je vous propose en hors d'oeuvre : intitulée maladroitement Folk and Jazzy (pour être jazzy, on aurait aimé voir inclus Sunday Times ou La Violette Africaine, mais c'est déjà ça), elle a sans doute été confiée à un stagiaire de chez CBS et malheureusement destinée à une de ces collections "économiques" destinées à achalander le Super U de Brie-Comte-Robert plutôt qu'à faire la une des Inrocks. Qui ont, eux, en ces temps déjà loins (1993 par là ?), sortis un hommage à Joe. Depuis, silence radio, Joe est enfermé définitivement dans la case "ménagère de plus de 70 ans". Il est temps de faire bouger les lignes, à mon modeste, très modeste niveau.

Oh, tout cela sera bien sûr plus une histoire rêvée que bien ancrée dans la chronologie, modestement un peu à l'image des biographies d'un François Bon sur les Stones, Dylan ou Led Zep. Faute, notamment, de sources fiables. Mais si la légende est plus belle que la vérité...

...bref, j'imprime. Vous me suivez ?

The guitar don't lie

Edit : j'ouvre le livret de la compilation et... je me rends compte que c'est Jacques Plait lui-même, le producteur (on disait Directeur Artistique à l'époque) de Joe Dassin qui en est l'auteur et non un sbire inconnu. Ca me rend encore plus triste parce que visiblement même lui n'était plus en odeur de sainteté chez CBS et n'a pas pu donner à ce projet -un peu mal fichu - toute son ampleur. Il signe ici quelques notes, que je re-transcris et qui me semblent bien camper la situation :

Souvent on me demande "si Joe Dassin vivait encore, pensez-vous qu'il serait toujours une vedette ?" Et je réponds "Oui, sans aucun doute, car ce que Joe aimait par dessus tout, et où il était particulièrement impressionnant, c'était le Folk et le Jazz. A l'époque, peu de gens y étaient sensibles. Mais, aujourd'hui, le sens musical a évolué, et une grande foule de jeunes adorent ces deux styles. J'ai donc réuni dans ce CD les titres que Joe aimait, et que nous faisions (comme nous le disions) "pour le plaisir". Ce qui ne veut pas dire que nous n'aimions pas les autres... Ecoutez "Les Joies De La Cuisine" (au 2ème degré bien sûr !) et admirez le swing torride et l'humour qui s'en dégagent; l'émotion de "Mon Village Au Bout Du Monde" et le dépouillement de "Katy Cruel". "Folk And Jazzy", c'est le Grand Joe, avec sa voix unique, son swing, son intelligence, son phrasé, sa musicalité et sa diction parfaite.