J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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jeudi 3 mars 2016

#174 Manset "The Classic 2015 Alternatif Best-Of"

Déjà le titre... Même Indochine n'aurait pas osé. Manset est-il devenu sénile ou au contraire - ce qui me semble plus probable - encore plus cynique ?

Grouik grouik entend-t-on dans la porcherie qu'il vient ponctuellement alimenter de confiture. Les inéffables Télérama, France-Inter et autres Inrockuptibles s'arrachent ce qui leur reste de cheveux - la calvitie journalistique les ayant depuis des lustres décimés - pour tenter de glorifier cette chose - que même en tant que porcinet docile face au Maître je n'ose qualifier d'autre terme que de marmelade. On les comprend (ou pas) : l'homme est plus qu'avare d'interviews et de déclarations publiques, aussi échanger quelques mots avec le créateur de la Mort d'Orion doit-il constituer pour tout gratte-papier une sorte de Graal journalistique lui garantissant, bon an mal an, un créneau horaire sur France-Culture de 2h à 3h du matin en cas de pépins.

Je commence ce post en déversant la bile que mon foie a consenti à préserver à ce dessein, mais je ne vaux pas mieux qu'eux. J'ai acheté l'album, avec des vrais sous, chez un vrai disquaire (si tant est qu'il en existe encore, mais bon) et je ne m'en séparerais pour rien au monde. Même si je ne l'écouterai sans doute jamais plus.

D'entrée de jeu, un conseil à celles et ceux qui souffrent de la même pathologie que moi : ruez-vous sur Un Oiseau S'Est Posé, le double-CD de relecture de ses anciens morceaux paru il y a deux ans. Non pas qu'il s'agisse d'un chef d'oeuvre, loin s'en faut. Mais ce double CD se trouve ici réduit à une portion congrue, quelques morceaux repris sur le deuxième CD de cette compilation : autant dire que Manset semble avoir décidé de ne garder que ça, fichant déjà son album précédent au pilon. Lire sur la pochette que ces chansons ont été remasterisées me paraît aussi drôle et incongru que le titre de cette compilation : remasteriser des chansons sorties il y a deux ans, je veux bien que la technologie avance, bla bla bla, mais faut pas pousser quand même. N'y voyons donc, à nouveau, qu'une preuve de cynisme exangue.

Pour le reste, le premier CD compile ce que Môssieur juge "encore pertinent en 2015" de ses quatre derniers albums (le plus ancien, Le Langage Oublié, datant de 2004...). Dis-donc Gérard, si je te renvoyais la balle, je serais prompt à te faire remarquer que cela revient à dire que tu considères toi-même les trois-quart de ta production comme de la merde, juste bonne à tirer la chasse une fois le consommateur ferré (pardon, Léo...).

La pochette (pardon, le livret, on est entre gens du monde...) est évidemment superbe, et bon nombre des chansons présentes d'une beauté sans nom, ça n'est pas le problème. Le béotien, le néophyte auraient bien raison de s'attaquer à ces galettes pour découvrir Manset autrement qu'avec les vieilles scies dont on peut comprendre qu'à force, elles l'embarassent (Il Voyage En Solitaire, gnan gnan gnan, même Annie Cordy en a marre de chanter Tata Yoyo dans les supermarchés, on peut vous comprendre, les artistes). Ceci étant dit, les cochons que nous sommes ne se voient ici caressés dans le sens de nos maigres poils qu'avec un "inédit" (qui n'est pas inédit puisque présent ici, encore un peu de cynisme, ça ne gâche rien) nommé Rimbaud Plus Ne Sera (Oui bande de porcs, le grognon maîtrise la langue française mieux encore que Jean d'Ormesson - Mal est-on, animal, non ?).

Mais l'événement qui a fait se faire pipi dessus toute la rédaction de France-Culture, la moquette ayant depuis été changée aux frais du contribuable, c'est cette reprise d'Animal On Est Mal, titre emblématique des années 68 quand le Maître s'apprêtait à naître au monde ou vivent les hommes. Avec, s'il vous plaît, un couplet supplémentaire où l'on lira l'amère déception d'une vie vraiment à chier (entendez par là, un talent indéniable pour ne pas parler de génie, un public conquis, du fric, des voyages, bref, tant de tracas qui nous ennuieraient effectivement affreusement si nous devions affronter un tel destin et porter un tel fardeau) ou - c'est au choix - quelques mots jetés sur un morceau de papier-cul pendant que le guitariste s'accordait. Môssieur n'a pas besoin de papier-cul de toute façon, c'est sur son public qu'il chie allègrement.

Ou alors non. L'homme, disait Nietzsche, est fait pour se surpasser. Manset taille ainsi une pierre, un mausolée, qu'il tente de parfaire d'années en années en séparant le bon grain de ce qui lui paraît être de l'ivraie une fois la graine germée et les années passées. C'est son droit le plus strict. Peut-être notre fanatisme (le mot est lâché) est-il ici mis en exergue, et peut-être a-t-il même raison de nous traiter ainsi ? Serions-nous à ce point stupides de nous en tenir à des moments de nostalgie, fussent-ils de toute beauté, de vouloir tout entendre, tout garder, d'en vouloir toujours plus et d'avantage ?

Mais il n'empêche qu'à titre tout à fait personnel, je trouve mesquin qu'il ait à l'époque repris Comme Un Lego, offert quelques mois plus tôt à un Bashung en fin de course. L'interprétation de Bashung était magistrale, et jouée en introduction de ses derniers concerts, la chanson prenait une ampleur démesurée. Là, le sale gosse, Gégé, reprend son jouet. C'est moi qui l'ai fait, semble-t-il nous geindre à nouveau, de peur que nous ne l'ayions pas remarqué à l'époque de sa sortie. Connard. Sale type.

Autre argument qui prête à rire, et vient contredire mes vaillants efforts à défendre l'existence même de cet objet et la démarche crasse de son auteur, c'est qu'au même moment, il laisse Raphaël (oui, le Jean-Louis Aubert du pauvre, tout juste bon à massacrer La Bombe Humaine avec l'Ecole de Musique locale au bal du 15 août à Guéret) publier un album entier de reprises de Son Oeuvre. Chercherait-il à se rendre indéfendable par tous les moyens (et les moyens sont bons, mon con) ?

Cet objet est, paraît-il, un prélude à un nouvel album à sortir cette année (et à disparaître des rayons six mois plus tard, sans doute). Rien qu'à l'idée que je vais bien entendu me ruer dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton ou Jimmy sur un pirate des Small Faces (ce qui n'a rien à voir, Jimmy, fais pas ta mauvaise tête) me comble de désespoir. Le Maître me susurre au groin "tu n'as toujours rien compris, pauvre andouille" et je ne peux que le regarder avec mes petits yeux inexpressifs de verrat face à son boucher.

- Non, Maître, je n'ai toujours pas compris. Est-ce vous que j'engraisse ou vous qui m'engraissez ? 

Mais déjà la lame affutée du couteau apparaît et sans doute n'aurai-je pas le temps de saisir la leçon...

Ce cauchemar se répète, à chaque fois que je passe à la caisse, ce sentiment bizarre de passer à la casserole.

Grouik N°1
Grouik N°2

Pour les petits porcinets sudoripares qui ont bien mieux à faire que d'engloutir une bouillie déjà servie par le (proche) passé, je rajoute un petit zip avec les deux pets de lapin "inédits" sensés vous faire cracher au bassinet. Ca ne pèse que 17 Mo et ça vous laisse de la bande passante pour autre chose...

PS : merci pour les messages me demandant de remettre sur le tapis les vinyles de la Tête de Lard. Je veux bien tenter de le faire un de ces quatre, la dernière fois sans doute, mais probablement de manière discrète et privée. Desolé pour les anonymes. Sur ce, je vais ranger cet objet qui m'énerve et le laisser prendre la poussière loin de mon lecteur CD.

17 commentaires:

  1. C'est long comme texte, mais on ne songerait pas une seconde à en décrocher... indépendamment du sujet dont je me contrefous à peu près. C'est ça, la littérature !

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    1. Il faudra que tu m'expliques comment tu t'es débrouillés pour en arriver à te contrefoutre du sujet Manset, j'éprouve les pires difficultés à comprendre.

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  2. Après la lecture de ce texte superbe, une seule question me hante: pourquoi t'acharnes-tu à acheter ce genre de connerie (quand tu pourrais dépenser ton petit pognon en pirate des merveilleux Small Faces)?
    P.S. : non, un artiste n'a pas le droit de faire le tri dans son oeuvre, il se doit de l'assumer.

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  3. Grooik! Groooooik! Eh bien, moi, ça me va tout à fait qu'il fasse le tri dans ses derniers opus. D'une part, je n'ai pas écouté les derniers efforts de Maître depuis... La Vallée de la Paix, je crois... Et que j'avais honte d'être passé à côté de choses indispensables. Je faisais des détours dans les rayons disque Français pour ne pas passer devant la lettre M, ce qui dans la foulée me privait des derniers Murat et d la dernière anthologie de Nougaro. Gràce à toi (et donc in fine au Grand Maître), je pourrais peut-+être tenter l’anthologie Nougaro, alors je te dis merci! Groooik Grooooik

    PS: Et si Manset, au-delà du cynisme, avait tout simplement de l'humour? Moi je trouve ce titre très drôle. Et peut-être se fend-il la poire de se voir pris à ce point au sérieux?

    En tout cas , tes textes sont décidément toujours aussi jubilatoire à lire.

    PS à Jimmy: mais non qu'il ne doit pas l'assumer! Heureusement, un artiste est un humain, il a le droit de se planter comme les autres. Et heureusement, cela ne rend que plus grand quand il ne se plante pas!

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    1. Mais c'est justement parce que l'artiste est humain qu'il doit assumer ses erreurs au lieu de faire croire qu'il est un surhomme qui n'en commenterait pas. Que deviendrait-on si tous agissaient de même? Tu t'imagines avec un "Rock Bottom" ou un "Transformer" amputé d'une poignée de chansons...

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    2. Par contre, moi, sans problème dans le premier VU, Harvest, Village Green, Fire of Love, Remain in Light etc. Et cela n'ôte en rien à la beauté de ces albums.
      Et cela montre surtout le miracle que constitue l'écriture d'une grande chanson.
      Et prend des albums un tout petit cran en dessous. Coney Island Baby, Some Girls, Help!, Surf'sUp. Quand tu les écoutes sans leurs moments faibles , ils tutoies encore plus les sommets.

      Enfin l'intéret des albums carrément moyens, pour ma part, c'est bien de dénicher quelle(s) grande(s) chansons a pu s'y dénicher. Et là, prends l'oeuvre de Lou Reed, Dylan McCartney, Van Morrisson, Who ou je ne sais qui, et ne me dis pas que tu ne zappes jamais une chanson... Et c'est bien en me focalisant sur les 3 ou 4 sommets des albums que j'ai envie de m'y plonger. On a déjà échangé sur la question, mais c'est pourqoi je mets en avant le miracle des grandes chansons bien avant celui des albums. Un grand artiste se suit plus sur ça sur la durée que sur sa capacité de nous pondre un enième album qu'on écoutera sans doute pas 10 fois dans sa totalité.
      Ce qui fait que je trouve la démarche de Manset assez honnête au bout du compte. Le rock, faut pas non plus vouloir le mettre dans un musée où on se prosternerait au moindre "prout" ou "grouik grouik" d'un auteur. Qu'un auteur admette les faiblesses de son travail me parait logique. La démarche de Manset a d'ailleurs toujours été claire sur son travail. Aprés que cela devienne obsessionnel jusqu'au ridicule est un autre probleme. Et c'est bien le propos de JPD (je suppose).

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    3. Non, jamais je ne zappe une chanson car si l'une est plus faible, elle sera relevée par la suivante. Je respecte l'équilibre voulu par les artistes. Si j'ai envie d'une compile, je me fais une compile, mais jamais je n'oserais toucher à un album.

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    4. Assez d'accord avec Jimmy : je suis de ceux qui ont écouté la 6ème face de Sandinista... Ce qui me gonfle chez Manset, c'est qu'il s'amuse - en plus - à considérer ses chansons "phare", c'est-à-dire les plus adulées, comme de la merde (ex : Marin' Bar, ce genre de choses), peut-être parce que la plèbe les aime, ça ne peut donc pas être d'un niveau suffisant... bon, j'arrête, mon coeur...

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  4. Excellent billet !
    Tu m'as vraiment donné envie de racheter quelques vieux vinyles, et par la même occasion, d'essayer de comprendre comment dans la même chronique on peut croiser Nietzsche, Annie Cordy, un porcinet et .... Jimmy !
    Merci Merci

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  5. je me suis mis sur ton feuilleton: l'écriture me paraît un peu vieillotte et ampoulée

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    1. Ah, ces éternels anonymes énervés de tout et de rien, même pas capables de reconnaître un pseudo!

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  6. Je me trompe peut-être, mais j'ai comme l'impression que notre JeePeeDee national est un poil furax ! C'est un peu le "Stéphane Hessel du rock" !!! Il souffle sur ce site un mistral qui fait du bien aux neurones.
    Merci, mon cowboy !!!

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    1. De rien mon métalleux d'amour. Bientôt, ici même, le retour du rock'n'roll. Gov't Mule était particulièrement en forme le 31/12/2015... stay tuned.

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  7. Merci à tous pour vos commentaires ! Bon, y'a plus qu'à attendre le 18 mars pour la nouvelle chiure de mouche du Gégé...

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  8. De loin ton meilleur post, pas pour le disque, mais pour le style, l'humour et l'efficacité littéraire. Celui là je l'imprime et le garde pour le relire quand la météo se gâte :-). Bravo en tout cas et on te reconnait cette frustration pleine de déception concernant le gâchis organisé de Gérard qui n'est pas parmentier.

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  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  10. Commentaire tardif, mais bon, pour les archives de Google.
    Vous savez quoi... Manset, je ne connais vraiment bien que "La mort d'Orion" jamais trouvé le temps d'entrer dans le reste. Et puis après tout, si ici j'en trouvais l'occasion.
    Sinon? Toujours aussi jouissif de te lire, surtout en colère, mais même quand tu aimes, voilà pour le compliment mérité.
    Les échanges sur les droits des artistes avec leurs oeuvres? Me fait penser aux droits du lecteur. Bon, réfugions nous derrière la propriété. Et comme une oeuvre enregistrée se duplique, le droit du créateur se complique.
    Question: Manset investirait dans la tournée mondiale... pour récupérer les vinyles qu'il regrette d'avoir enregistrés? Avec obligation de cession! Prix à des battes dans la gu... Stop. Je vais me l'écouter ce disque. À suivre, mais où?

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