J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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dimanche 11 octobre 2015

#162 : The Rolling Stones "I Gave You Diamonds You Gave Me Disease (The Exile Outtakes)"

Aujourd'hui tout est là. Comme si Big Brother avait changé de stratégie, face à ces petits humains qui tentaient de briser le barrage à grand coups de cuiller à pot. Le flot s'est déversé d'un seul coup sur une humanité aussi surprise que désorientée. Des grimoires alchimiques aux révélations de wikileaks, en passant par Candy Crush Saga, le deep web, Facebook, les réseaux terroristes et ce-dit blog, et tant d'autres bien sûr. Rechercher la clé du monde est possible, elle se trouve sans doute sur internet, telle une aiguille dans une botte de foin numérique.

Et il faut avouer que la stratégie de Big Brother est diablement efficace. Le rocker moyen en avait déjà largement fait les frais à grands coups de bonus tracks à l'heure du CD, puis des remasterisations quand tout fut édité, j'en passe et des meilleures. Pourtant, sommes-nous nombreux à les réécouter, ces bonus tracks ? Nettoyées à grands coups de Pro-Tools, ma pauv' dame, c'est fou ce qu'on peut faire avec l'informatique. Voyez (évitez d'écouter) l'album Love des Beatles, sur lequel le fils de George Martin s'est amusé à tout mélanger, ha ha, hi hi, que c'est drôle. Prout, répondit le coussin péteur, faut arrêter les conneries. Rééditer Sticky Fingers en double CD et ne même pas inclure la version live de Let It Rock réservée aux espagnols qui sous Franco ne devaient pas entendre parler de morphine, c'est quand même un comble, une idiotie, une gaffe, une honte, un gros doigt, quoi. Le problème n'étant pas de pouvoir se procurer le-dit morceau, mais le fait d'effacer d'un revers de manche un pan de l'histoire, alors même que c'est ce qu'on cherche à nous vendre.

L'histoire avait salement débuté avec la réédition d'Exile On Main Street fourguée avec un CD entier de morceaux inédits, craché/juré d'époque. Universal semblait donc pouvoir réécrire l'histoire, et, pourquoi pas, nous sortir un jour l'album inédit enregistré par les Stones au Maroc en 1969. Au hasard. Sauf que, dans les crédits de la pochette, en tout petit, on peut lire que Liza Fischer fait des choeurs sur plusieurs morceaux. Liza Fischer ! Elle n'avait jamais dû tailler une pipe en 1972, peut-être n'était-elle même pas née ? Elle a commencé à se faire mettre la main au cul par Jagger en 1995, à ma connaissance, et le lippu n'aime pas la chair flasque. Alors aux chiottes, le CD.

Car Exile On Main Street, bordel, c'est un disque capital. Un fourre-tout démentiel de se qui se passa sur la Côte d'Azur, à Nellcote, en 1972. Je le sais j'y étais. Enfin, pas loin, au camping Miramar à la Londe-les-Maures, mais quand même, je sais de quoi je parle. Deux disques bricolés à la va comme je te pousse, des bandes retravaillées à LA après l'épisode frenchy, desquelles on a tenté de récupérer des choses par ci par là. Mais il reste ces images mythiques de ce groupe de dingues sur la riviera, les défilés des dealers, les jams de minuit à six heures du matin, les histoires de cul, orchestrées par un Keith Richards maître des lieux mais pas du tout maître de soi. Et tout au long des deux galettes, ce bordel, ce paradis artificiel que devait être la Cave de la villa, transparaît à grosses gouttes, malgré les efforts désespérés de Glyn Johns et l'angoisse de Jagger d'en sortir quelque chose de présentable.

J'ai passé un été entier à maîtriser mes premières décharges hormonales, tenter de juguler les pustules adolescentes qui me voilaient la face, et surtout à écouter, allongé sur mon lit, Exile. Disque 1, Face A puis B puis Disque 2 dans le même ordre. Interdit de zapper pour arriver plus vite à tel ou tel morceau. C'était un excellent exercice pour tromper l'ennui profond d'un mois d'août en Alsace. Et de lire les crédits, là encore : se rendre compte qu'il y avait peut-être, à tout casser, trois ou quatre morceaux sur lesquels les Stones jouaient tous ensemble. Que Richards tenait la basse sur Happy, mais bordel, qu'est-ce qu'il foutait Bill Wyman ? En plus, le petit ami de ma soeur, qui habitait Nice, m'avait montré la fameuse villa. Vue de mes yeux vue, de loin, certes, mais avec mes sens exacerbés d'adolescent turgescent, il n'en fallait pas moins pour tout imaginer. Se retrouver avec les Stones dans la cave. Je peux vous dire que Let It Loose a été enregistré un dimanche en fin d'après-midi, par exemple. J'en suis sûr, je m'étais fabriqué l'histoire de A à Z.

Et je peux aussi vous dire que Jagger a flippé grave. Môssieur trainant dans les hauts lieux a vite redressé la barre avec un Goat's Head Soup bien léché. Exile On Main Street est l'adieu des Stones bordéliques et sincères, welcome to the Rolling Stones (c) Company, toutes ces histoires d'Altamont, de Brian Jones, de Gram Parsons, de coke party sur la Côte d'Azur, ça allait bien comme ça. Goat's Head Soup sortirait en 1973, l'année du choc pétrolier et du début de la crise. Celle qui nous amène aujourd'hui même là où nous sommes, Daech et compagnie, le fascisme prêt à mordre et j'en passe et des meilleures. En 1972, à Nellcote, les Stones sont partis en vrille dans une cave qui sentait le salpêtre, comme certains morceaux de l'album, d'ailleurs (Rip This Joint, Ventilator Blues...).

Est-ce que tout ça a vraiment existé, comme le bramerait Johnny sur la 7ème de Beethoven ? Ce putain de CD Bonus sur la réédition d'Exile m'a fait douter. Liberty Valence semblait me rire au nez du haut de son pur-sang.

Et bien oui. Et ce jour est le plus beau jour depuis bien longtemps, à vrai dire. Grâce à ce pauvre bootleg déniché en 30 secondes sur le net, disponible un quart d'heure plus tard sur la bécane, gravé sur un CD cinq minutes après et crachant son son pourri sur ma chaîne dans la minute qui suivit. Tout ça depuis le fond de la Martinique, messieurs dames. Sans même fouiner chez des disquaires obscurs de la capitale.

Avec le fier sentiment d'avoir niqué Big Brother, son aiguille, sa meule de foin et le FBI en passant.

Et de l'écouter, allongé dans la torpeur tropicale, de vibrer à chaque morceau, inédits, versions alternatives, instrumentales, parce que ce putain de jus de bonheur et de passion, il en reste encore. Une note folle de Bobby Keys sur un Sweet Virginia plus péchu que l'original, quelques notes d'un futur Tumbling Dice, sur un Good Time Women qui de facto passera à la trappe, un Let It Loose instrumental, dont on sent que Keith vient de trouver le riff et que les copains rajoutent le piment (aah cette section de cuivres, putaaaaain !), une version d'All Down The Line qu'on jurerait avoir été écrite dans les cinq minutes précédentes, jouée en pilotage automatique façon Brown Sugar, genre, ça on sait faire, alors on voit ce que donne la chanson et quoi, plein d'autres choses encore.

Et surtout ce son : correct, mais sans plus. sentant malgré iTunes la bande magnétique à plein nez, mixage déplorable au casque, bref, le genre de chose que Pro-Tools ne saura jamais faire, et qui m'assure que tout cela n'est pas un hoax. Tout cela a vraiment existé.

Le CD vient de se terminer sur un I'm Going Down d'anthologie. Je me lève, j'éteins l'ordi, je remets le disque.

Putain d'époque de merde.

Je retourne à Nellcote.

Let It Loose.

10 commentaires:

  1. Je ne me lasse pas de ces chroniques mi-vitriol, mi-miel… mais surtout mi-vitriol !!!!!
    Un petit Stones qui crachotte… je prends !!!!!

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  2. Cela méritait un long commentaire, mais j'ai été tétanisé sur
    "Et de l'écouter, allongé dans la torpeur tropicale"
    Merde la chance... ou pas?

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  3. A part ça, c'est un retour web ou juste un passage telle la comète de Bill?

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  4. Hello Devant et Keith, content de vous revoir.... On va essayer de reprendre du poil de la bête...

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    1. Tel que je t'imagine, je me dis que cela doit être plus sympa un Stone sur Hamac qu'une chronique sur PC... si chaleur il y a. Mais je suis peut-être dans le fantasme?

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    2. L'avantage de la chronique sur PC, c'est le ventilo à côté mais oui, t'as pas tord !

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    3. Je sais qu'on aime bien taper sur Jagger, n'empêche, un bon rhum à porté de la main, frais (quoique les glaçons et la courante?) et un "Shine a Light" .. yes, c'est pas trop l'esprit de Exile, mais c'est mon titre que je l'adore, et mon premier Stone, en k7 fut "Goat's.." donc je défends volontiers de Jagger, sans qui bla bla bla... Allez, bonne soif!

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  5. ... et putain de sacré foutu bon billet !

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  6. Un billet tous les six mois, vous pensez s'il en avait sous la plume, notre Jeepeedee!
    Bon, j'espère que la sieste est finie et que tu vas te remettre au boulot pour nous offrir d'autres billets de cette trempe magnifique.
    Rien à foutre, si les Stones baissèrent ensuite, il nous restait les wonderful Faces, des Stones "décontractés du gland" !

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  7. Merci Jimmy et Arewenotmen. Mes disques sont encore dans les cartons, mais je vais essayer de tenir le rythme... A bientôt donc !

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