J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

dimanche 16 octobre 2011

#57: The Gil Evans Orchestra "Plays The Music Of Jimi Hendrix"

Ca commence, on dirait le générique d'un film de Jacques Demy. Tout en poésie naïve... Et puis on reconnaît très vite Angel, de Jimi Hendrix.

Après tout, ça n'est pas très étonnant. Malgré tout le respect que j'ai pour Michel Legrand, pour la poésie qu'il a largement contribué à apporter dans les films du Grand Jacques, dans le genre arrangements luxurieux et délicieux, Gil Evans reste le maître. Du moins, du peu que j'en connaisse, c'est à dire les albums avec Miles Davis. Du grand art. Et puis Miles Davis est parti dans des contrées que les contrepoints de Gils Evans ne pouvaient plus suivre. Quand on défriche, à la machette, des territoires inexplorés, il n'est pas pratique de trimballer un big band derrière soi.

Ce qui ne veut pas dire que Gil Evans ait été largué. Simplement, Miles cherchait autre chose, dans la folie de ces années 1968-70. Et les deux portèrent un regard éberlué sur Jimi Hendrix, qui avait sû ramener le blues à la maison, en revendiquant à juste titre l'influence black de cette rock music qui enflammait les petits blancs. Gil Evans avait bien capté, comme Miles Davis, que derrière les décibels et la pose stoner se cachaient des choses bien plus incroyables. Et Jimi Hendrix avait aussi admis que ces petits blancs avaient su insuffler quelque chose de grand en déstructurant le blues avec violence. Un blanc fou de musique noire, un noir fou de musique blanche, Gil Evans devait enregistrer avec Jimi Hendrix. C'était prévu.

La suite, tout le monde la connaît, le club des 27, etc.

Alors Gil Evans lui rendit hommage, tentant de montrer au public jazz coincé que l'hurluberlu qui jouait avec ses dents et brûlait sa guitare avait bien autre chose à faire que le singe dans les grands festivals de l'époque. Il le disait lui-même, Jimi. C'est l'époque qui voulait cette violence. S'il avait eu le temps, si... on peut imaginer tout ce qu'on veut. Y compris un Jimi Hendrix vieillissant jouant avec Clapton sur des albums chiantissimes et biens polis. La seule chose palpable qui reste, c'est cet album de Gil Evans, mettant en lumière les bas-reliefs qui se cachaient entre deux riffs... qui auraient pu se développer (Angel, Little Wing, Castles Made Of Sand, 1983 en sont d'ailleurs des exemples frappants). On peut imaginer ce que ça aurait donné si Jimi avait posé sa Stratocaster sur tout ça...

J'ignore ce que les fans de Jimi Hendrix pensent de cet album. Pour ma part, je trouve même certaines parties de guitare déplacées, risquées. N'est pas Jimi qui veut.

J'ignore ce que les fans de Gil Evans pensent de cet album. La reprise presque trop fidèle de Crosstown Traffic déçoit même un peu, les parties vocales inutiles. Quitte à taper dans le jazz, allons-y à fond. Tout ça a parfois un côté lounge/blaxpoitation façon Starsky & Hutch, presque rigolo. Un Martini, baby ? Aïe, fallait pas oser penser ça ?

Toujours est-il que je l'aime bien, moi, ce disque. J'aime bien quand les extrêmes se retrouvent. Oser, pour un jazzman, aller aussi loin dans le domaine maudit du binaire, je trouve ça chouette. Ca a dû en coincer plus d'uns, y compris l'oncle d'Amérique de JD Beauvallet. Et réciproquement, ouvrir les écoutilles des hippies en balançant des arrangements complexes sur un Voodoo Chile (avec, en plus, un début rigolo au possible, qui n'a pas dû déplaire à Zappa, et puis j'ai jamais entendu des cuivres balancer autant !!!), c'est un bel effort. Anticipant, rêvant, l'orientation funk qu'aurait pu prendre l'oeuvre du voodoo child...

Et surtout bien moins idiot que les compiles qui fleuriront, comme celle que je possède et qui ne m'a fait rire qu'un instant, Pickin' On Hendrix, où des sous-Marcel Dadi nous la pètent à la guitare sèche et des banjoïstes au chômage (pléonasme) tentent de nous faire taper du pied...

Sans doute, mi-figue, mi-raisin, mi-fugue, mi-raison, comme disait l'autre. Mais comme c'est la fin du week-end et le début de la semaine, c'est un post de transition. C'est à vous de choisir : rock ou jazz, lundi ? Là, ça envoie grave et on s'y perd en conjectures. Rien que ça, ça vaut le coup. Et puis surtout, surtout, à aucun moment on ne peut qualifier ça de jazz-rock. Et ça, ça devrait en rassurer plus d'un.

Quitte à lancer un débat venimeux, ça rappelle parfois les débuts formidables de Chicago. Merde, qu'est-ce que j'ai pas dit là... Enfin bon, l'essentiel c'est qu'il y a mille bonnes et mauvaises raisons de tenter le coup.

A real Crosstown Traffic...

5 commentaires:

  1. Etant passionné par l'exercice de la reprise, j'ai tout un tas d'objets dans ce genre et si je suis content de les avoir, je les écoute rarement. Les deux mondes ayant bien du mal à se retrouver, même avec la meilleure volonté du monde. Evidemment, je ne vais pas snober celui-ci, c'est tout de même Gil Evans, mais j'ai un Count Basie jouant les Beatles et j'ai eu bien du mal à l'écouter jusqu'au bout... Pour demain, puisqu'il y a référendum, je vote... pour autre chose, un disque qui nous fasse voyager loin...
    Jimmy

    RépondreSupprimer
  2. @Jimmy : Euh... je trouve que celui-ci n'a rien d'anecdotique. Raté, obligatoirement, mais comme ces gâteaux au chocolat qui ne lèvent pas mais qu'on mange quand même avec délice, parce que de bon goût. Un truc qui fasse voyager loin ? Waouh !!! Je sais poster ça, moi ? Mmmh... j'ai bien une ou deux petites idées, finalement...

    RépondreSupprimer
  3. Ce n'est pas une obligation, c'était juste par esprit de contradiction pour ne pas choisir entre les propositions!
    J'ai commencé à écouter le Gil Evans, pas inintéressant et parfois surprenant comme l'intro de "Voodoo chile"!
    Jimmy

    RépondreSupprimer
  4. séance hélas bâclée (Gil Evans n'a jamais été gâté par les producteurs, même les séances avec Miles, de "Birth of the Cool" aux albums Columbia, ont été expédiées en 2 temps 3 mouvements), prise de son et mixages d'origine dignes de la pâtée pour chien (un peu atténués heureusement par le remastering il y a qq années)et 3 guitaristes qui ne servent à rien (il faudra attendre l'arrivée de Hiram Bullock au sein du GEO dans les années 80 pour que ça dépote sec de ce côté-là). Mais l'album est déjà riche de promesses :les 3 titres arrangés par GE lui-même, auquel il faudra ajouter peu de temps après "Stone Free", et le "Voodo chile" arrangé par le tubiste Howard Johnson ... promesses qui seront confirmées et au delà, puisque le répertoire hendrixien deviendra à partir de là la base principale du GEO, avec d'innombrables versions live, toutes plus intéressantes les unes que les autres, soit en près de 15 ans, la relecture la plus originale et la plus jouissive de l'univers hendrixien.

    www.youtube.com/watch?v=WEmxoCLMpjA
    www.youtube.com/watch?v=sobz2kmE6cs

    RépondreSupprimer
  5. Dommage, Gil avait un groupe qui tenait la route à l'époque. J'ai un Live 76 qui à défaut d'avoir un joli son, a tout ce qu'il faut pour être un classique du jazz. Je vous l'enverrai peut-être un jour.

    RépondreSupprimer