J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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dimanche 11 décembre 2011

#99: Nitty Gritty Dirt Band "Will The Circle Be Unbroken"

En 1992, j'étais pas bien. Loose et glande toute la journée, aucune moindre idée vers où aller. Je venais de rencontrer l'âme soeur, mais j'étais en dehors de tout. C'est elle qui, voyant mon vieux banjo traîner chez mes parents, m'avait dit que "ça m'irait bien" d'en jouer. J'étais jamais arrivé à en sortir quoi que ce soit. Alors, rue de Rennes, à Paris, lorsque je suis tombé sur cette méthode Bluegrass Banjo de Peter Wernick, j'ai crevé ma bourse et lâché les soixante douze francs pou tenter le coup.

J'ai passé six mois à jouer du banjo six heures par jour. Une sorte d'hygiène de vie : un café, une camel, trois heures de banjo, une boîte de saucisses-lentilles William Saurin, trois heures de banjo et hop, le bus, le bistrot et les copains.

L'année suivante, je savais jouer Jesse James, bon pas trop vite, mais quand même. On a pris une location à la campagne avec Bob et Sophie et ma copine. Bob était un gratteux terriblement talentueux, Sophie préparait son CAPES de lettres, et ma copine trimant comme animatrice à Quiberon pour tenter de financer mes achats discographiques compulsifs (déjà...). Et moi je jouais du banjo. Six heures par jour de forward-backward roll. Sophie en a raté son CAPES, notre petite communauté s'est dissolue, mais fin 1993, je vous jouais Nashville Blues comme sur le disque. Comme sur cet album du Nitty Gritty Dirt Band, que j'avais réussi à piquer à Bob.

Le Nitty Gritty Dirt Band avait fait carton plein avec son album mi-pop, mi-country, Uncle Charlie And His Dog Terry, sans inventer l'eau chaude, mais avec émotion, en mêlant rock mou et bluegrass dans ce qui allait devenir le country rock. Alors que le blues avait eu droit de cité depuis bien longtemps, les anglais ayant invité un Howlin' Wolf à jouer avec eux depuis des lustres, la country restait maudite. Image de rednecks racistes, rien à faire dans cette belle communauté émancipée du début des seventies. Ringarde, aussi. Johnny Cash passait pour un couillon réactionnaire. Le disquaire d'occase avait un sourire en coin lorsque je lui en prenais un. Andouille.

Mais les choses allaient changer très vite, un peu de basse/batterie derrière tout ça, et l'Amérique allait redécouvrir ses Enfants. Jusqu'à remettre des disques de platine à des Eagles dans un hôtel californien fort éloigné de l'idée de départ. Jusqu'à prétendre que des hippies défroqués tels les Byrds avaient ré-inventé l'eau chaude, à tel point qu'un Gram Parsons permettrait à Keith Richards d'obtenir un visa pour les States.

N'empêche, les seuls à rendre hommage, les seuls à se rappeler des choses, à l'époque, ce fut le Nitty Gritty Dirt Band. Osant ce triple album de jam sessions avec les plus grands, les plus has-been, les fondateurs. Laissant le batteur préparer à manger, ils louèrent un studio pendant un week-end et se firent humbles et discrets derrière la brochette d'incontournables qu'ils invitèrent à pousser la chansonnette : Merle Travis, Doc Watson, Mother Maybelle Carter, Earl Scruggs, Roy Acuff, ressortis du placard et rappelés aux bons souvenirs d'une belle jeunesse trop oublieuse d'un passé pourtant si proche.

Et ça à joué, pendant ce week-end-là. Et l''on doit aux Nitty ces versions merveilleuses de Keep On The Sunny Side, Wildwood Flower par Mother Maybelle Carter,  et bon dieu quel beau travail, quelle belle abnégation, quel effort. Doc Watson rules, entre autres. Rappelez-vous, compatriotes, notre musique n'est rien sans eux. Chapeau bas, les Nitty.

Trente ans plus tard, par la magie des frères Coen, tout le monde trouvera ça génial, la musique des petits blancs des Etats-Unis. O Brother Where Art Thou et tout ça.

On s'est perdus de vue avec Bob (qui n'est plus avec) et Sophie, qui a eu son CAPES l'année d'après je crois. Mon banjo a fait gagner un an de salaire à l'Education Nationale... j'ai donc joué un rôle économique sur ce coup-là... Aujourd'hui je joue du banjo cinq minutes tous les six mois, et je ne maîtrise plus Nashville Blues. Le temps est passé par là, qui n'attend personne. Ma maman est décédée, Mother Maybelle Carter aussi, mais quand elle chante ça calme mes insomnies. Il me reste, comme un cadeau, ce si beau message. Keep On The Sunny Side Of Life. Et cette musique incroyable.

I Saw The Light...

11 commentaires:

  1. Je l'avais, mais mal accompagné, maintenant j'ai un commentaire à ajouter dans le dossier des MP3, hé oui, j'jaoute des chroniques parfois pour les relire afin de retrouver le gout .... des autres!!

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  2. @devant : me voilà flatté... et surtout heureux de constater que ces sessions continuent d'exister dans les oreilles des gens... C'est grandiose, quand même, non ?

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  3. Je suis en pleine écoute, alterné avec Hampton (et le Bowylood de Jimmy davantage incongru) sur mon polar de Ellory, cela me sert de Bande son, un peu de jazz nocturne et un peu de ce son qui évoque les terres sèches des années 30, avec tout ces Américains, e fait venu du monde entier ... Alors quand les rythme de Nabjo & co s’accélèrent je m'y crois.
    Pas association d'idée, souviens toi de la scène de bal de danse country dans "Heaven Gates" quel pied... A+

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  4. ... et tant pis pour les fautes de frappe...

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  5. Parti lire l'index alpha du dico assayas pour retrouver ce très bon groupe de country "Asleep At The Wheel" Tu connais, (ce que c'est chiant d'oublier les noms, heureusement ça commence par la lettre A)
    Tiens si tu connais pas, pour le plaisir si tu en as le temps .."01. Asleep At The Wheel - 23 Country Classics + 15 - Take Me Back To Tulsa.mp3
    http://www15.zippyshare.com/v/45922287/file.html
    "

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  6. Ton texte est magnifique. Faudrait penser à écrire trois heures par jour... Merci. Je pique.

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  7. Cool, Take me Back To Tulsa, Western Swing à tous les étages ! si Joe Dassin n'était pas mort, sûr qu'il aurait fini par la reprendre, celle-là, merci Antoine !!!

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  8. @La Rouge: tout ému.. quoi dire, merci ? Alors merci.

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  9. @Jimmy : c'est du lourd, du bon... ça laisse un peu de graisse sur l'estomac, mais ça envoie. Enjoy !

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  10. Youhou

    Yes, very good triple vinyl!

    Good idea des Nitty Gritty Dirty Band (qui tenait un rôle plutôt modeste à l'époque sur la scène country-rock californienne, alors en pleine effervescence) que de favoriser l'évasion de leur maison de retraite des old countrymen & Mamy Carter herself pour leur permettre de montrer tout leur talent.

    J'ai la version vinyle originale, certes un peu beaucoup craquante aujourd'hui, tellement je l'ai écoutée, mais ça fait plaisir de voir que cet album a toujours ses adeptes.
    Je l'ai, of course, aussi en CD et si il y a des amateurs (trices) je peux aussi vous proposer le Volume 2, paru en 1989 avec les rescapés du vol 1 plus qqs stars de la country et du rock de l'époque, mais c'est nettement moins bon.

    Lyc

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