En 2085 (car le temps s'accélère, tout va plus vite) sortira sous le manteau une sorte de nouvelle Anthology Of American Folk Music. En 78 tours. Parce que le microsillon est trop compliqué à fabriquer sans électricité, alors qu'avec quelques vieux pneus ici et là encore disponibles, de même que quelques vieux vélos chargés de produire le minimum d'électricité disponible, on pourra repiquer quelques morceaux sur de rares ipods qu'on aura encore su faire fonctionner, et sur lesquels on aura encore pu trouver quelques "mp3".
D'ici là, nous, blogueurs, n'existerons plus. Non pas qu'on nous aura mis en prison, la répression étant devenue alors inutile puisque la notion même de propriété artistique aura disparue. On nous aura simplement interdit de média, nous serons morts de faim, incapables d'accéder aux Leclerc Drives. Quelques uns auront simplement compris à temps, téléchargé le brevet du phonographe d'Edison, et tenté de continuer, malgré tout, à proposer de la musique.
Oh, ne vous inquiétez pas : Blonde On Blonde ou The Freewheelin' Bob Dylan seront toujours disponibles. On aura même réussi à éviter une censure inutile. Les gens riront de cette vélléité de contestation, de cette poésie surréaliste, liée sans doute à une jeunesse insouciante, car ils n'auront pas le temps de réfléchir ou de se révolter. Quelques cinquante années de pesticides et d'OGM auront permis au génome des pauvres de s'adapter à une espérance de vie de 35 ans, après laquelle ils s'avéreront inutiles pour la société. Mais ils auront été bien nourris durant ce temps, et se considéreront momentanément comme des nantis. Ceux qui auront eu la conscience, les moyens ou le loisir d'échapper à cette sélection naturelle pourront continuer à écouter tout cela, tout en sachant que le nombre d'écoutes du dernier tube sur Brotherbook conditionnera leur droit à accéder à de la nourriture saine. Bravo, vous avez accumulé 400 points ! Cliquez ici pour recevoir :
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Dans le livret ronéotypé de cette nouvelle anthologie, on lira nos propres commentaires désabusés sur Scarlet Town de Bob Dylan : "à l'époque, il était déjà vieux et bien que considéré comme une légende, ses chansons ne signifiaient plus rien".
Ces quelques révoltés nous trouveront bien résignés et bien inconscients. Eh, quoi, c'est pourtant énorme, ce qui se raconte dans cette chanson ! D'abord, c'est quoi une ville ? Il y a des gens différents, des valeurs différentes qui cohabitent ? Ils se fréquentaient ??? ...where I was born... Ca veut dire quoi ? Nous naissons tous au Grand Hôpital, non ? Les noms ont des rues qu'on ne peut pas prononcer ? Tout le monde demande si l'on va dans son sens ? Mais c'était le début, le début de tout ce qu'on vit, là, maintenant, et personne ne s'en est rendu compte ? Pourtant presque cent ans avant, Barbara Allen s'y faisait assassiner, et là, déjà, malgré les Murder Ballads, personne ne s'est affolé ? La crainte du futur ne dépassait donc même pas le stade de l'enfance ?
Personne n'a compris que le naufrage du Titanic préfigurait tout ça ? L'atome, les Twin Towers, tout ça...
Un prophète ne juge pas, il raconte, tout simplement. Le ciel est clair à Scarlet Town, plaise à Dieu que je puisse y rester. Continuer à fermer les yeux. L'affaire Barbara Allen aura fait trois lignes dans les journaux. Le Titanic aura engendré bon nombre de ballades traditionnelles, jusque dans notre Barzaz Breizh, fond de commerce avoué d'Alan Stivell.
Un prophète, ça fatigue, au bout d'un moment. Moïse mourra sans voir la terre promise. Se verra dicter les Tables de la Loi. Transmets ça à ton peuple, et basta... pas vrai, mec ?
Alors, basta le coup de l'électricité à Newport en 1965, basta déjà l'accident de moto bidon, basta ce que vous pensez de moi si j'essaie les cantiques, parce que prier, c'est un truc qui se tente. A l'heure de décrocher, et Dieu (oups !) sait que ça fait bien longtemps que je tourne autour du Never Ending Réverbère, j'en reviens à la petite voix de ma radio. Des Mississippi Sheiks, de Charley Patton, du Western Swing. Good As I Been To You, vous l'aviez pas compris ? Faut que je vous le chante moi-même, inventer de nouveaux Sugar Baby, Highwater, Rollin' And Tumblin' ?
Peut-être que Bob Dylan s'est mis à croire lui-même à la République Invisible que Greil Marcus avait cru discerner dans l'Anthology Of American Music et reconnaître à nouveau dans les Basement Tapes. Scarlet Town...
The watchman he laid dreaming... he dreamed the Titanic was sinking into the underworld.
Il n'y a plus personne de vaillant dans la Tour de Guet. Il vous l'avait déjà dit, à l'époque, quand vous attendiez qu'il soit encore le porte-parole d'une génération, à Woodstock. All along the watchtower... the wind began to howl.
Aujourd'hui, sous fond de ballade irlandaise, il semble en rire. Décidément, vous ne comprendrez jamais rien, riez donc du Titanic, cette vieillerie, sur fond de violons irlandais, prenez une pinte de Guinness, je suis bien trop vieux pour même évoquer le temps présent. Inquiétez-vous, sans trop comprendre, de telle disparition d'enfant à Nogent-le-Rotrou, Barbara Allen a été assassinée il y a plus d'un siècle. Non seulement on vous l'a dit, mais on vous l'a chanté.
Alors peut-être qu'en 2085, grâce à Scarlet Town, on redécouvrira le reste de l'album, Long And Wasted Years, terrible, et toutes les autres. Et que ces morceaux qualifiés de blues vulgaires, parce que non parsemés de soli époustouflants, parce que pénibles dans leurs arrangements vieillots, on y trouvera - trop tard peut-être - ce fameux message qu'on reproche au vieux Bob de ne plus délivrer de façon triviale.
Que John Lennon, lui-même sera devenu un vague cousin de Barbara Allen. Roll On John, c'est pas grave. T'es mort d'un coup de flingue, quelle importance ? On meurt tous d'un arrêt du coeur. Bob Dylan est, à ma connaissance, toujours vivant.
Tiens, peut-être que le lien ne fonctionne déjà plus...
PS : Allez, je vous facilite la tâche, ça semble marcher encore chez DF mais tout va si vite...
PS2 : oui, je sais, Jimmy, j'ai changé d'avis, j'ai pris le temps de l'écouter sous toutes ses coutures, ce disque... mais je ne vais pas faire une deuxième chronique pour me justifier, si ?
c'est un supplice ce disque !
RépondreSupprimerJe prends et vais l'écouter sérieusement, je dis bien écouter et pas entendre vaguement quelques morceaux comme je l'ai fait pour les derniers albums du Zim; à dire vrai le dernier que j'ai écouté, aimé, acheté c'est "Blood on the tracks"......ça commence à faire un bail!
RépondreSupprimerBon là je suis un peu de mauvaise foi, bien sûr qu'il y a eu de superbes chansons dans des disques publiés depuis mais.....
Je ne sais pas si ce sera l'album de l'année 2012 ou 2085, par contre ton texte de présentation restera dans les annales.
Tout comme restera Dylan quand on aura oublié bien des autres.
Chapeau Jeepeedee
@Jimmy : je ne me suis pas justifié pendant des heures, si ? Je t'ai fait un petit clin d'oeil par rapport à nos MP, c'est tout... Et puis, les hautes ambitions, je crois que Dylan, ici, n'en a pas. N'en a plus depuis longtemps. Merci d'avoir pris le temps de donner tes impressions, je les respecte of course.
RépondreSupprimer@Le Cabinet des Rugosités : bienvenue ici. Ceci dit, si c'est pour cracher dans la soupe sans commenter, ça ne me paraît pas très intéressant. Désolé de ne pas t'avoir proposé le disque de la mort qui tue. Merci quand même pour ton commentaire.
@Echiré : Merci pour tes encouragements. Si je blogue, c'est plus pour le texte que pour le cadeau bonux.
Enfin bref, merci à vous trois pour vos commentaires, de tout coeur. Ce blog n'est pas un site de Peer to peer; il a vocation à discuter, s'engager, débattre et analyser. On prend des risques, Jimmy, Mister Moods, les autres et moi. Si c'est uniquement pour y faire des emplettes, je ferme la boutique qui n'en est pas une.
J'ai connu un blocage lors de la période "saved" e tutti quanti, ça y est, me suis-je dit, comme beaucoup le syndrome du vendeur d'aspirateur...la réussite les transforme en V.R.P. d'eux-mêmes, bof, on met la marche arrière et on profite du paysage. Là, tu m'as donné envie d'écouter, eh bien, j'aime.
RépondreSupprimerMerci.
Je crache pas dans la soupe, ce disque m'a ennuyé au plus haut point, c'est pas agressif, mais il est vrai que de nos jours il faut mettre des smileys partout au risque de vexer. Sinon si je me suis mis membre de ce blog, c'est que l'écriture des papiers me fait bien marrer et que j'analyse souvent les choses de la même façon, mais pour le disque, j'ai fait un rejet, et ça....
RépondreSupprimer...Ca, c'est ton droit ! Bienvenue au club !
SupprimerMaintenant que les présentations sont faites, je vais lire le papier sur Téléphone ;))
SupprimerSalut Jeepeedee,
RépondreSupprimerComme d'hab ta chronique fait plaisir à lire. Ne ferme pas boutique, ça manquerait dans le paysage.
Quant au dernier Dylan je suis un peu perdu. Entre le rejet de Jimmy, le "pas mal" de Toorsch et ce que tu en dis, je ne sais plus à quel saint (!) me vouer. J'étais parti pour l'ignorer, tellement d'autres sollicitations, place aux jeunes. Finalement, je crois que je vais m'y intéresser. Tant pis pour les heures de sommeil en moins.
Till
Ecoute juste Scarlet Town, si ça passe pas tu peux laisser tomber le reste, mais quand même cette chanson... enfin bon, rapport à Dylan faut pas espérer de ma part une objectivité sans failles, hein. Mais je dirais sans hésiter que c'est son meilleur album de la décennie, ça oui, et ça va pas plus loin.
SupprimerExact. Erreur d'aiguillage ! Oh c'était gentil de toute façon, y'a pas péril en la demeure. J'avais simplement peur que tu me prenne pour un provocateur, en encensant un disque que j'ai d'abord pas trop aimé. Mais de toute façon, ce qui est bien, et qui me pousse à continuer, c'est que ce genre de sujets crée un débat : résultat 50% de "non j'aime pas" mais aussi 50% de "j'aurais pas écouté, mais ça me plaît". Et ça, ça me plait aussi !
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