Parce qu'on oublie trop souvent qu'il fut un temps où David Bowie décida de renoncer aux triomphes égocentrés de sa carrière solitaire pour se fondre dans un collectif et n'y être "rien de plus" que le chanteur...
On ne vantera jamais assez les mérites résurrectionnels qu'eurent les deux album de Tin Machine sur la carrière alors déliquescente d'un Bowie en fin de course, à bout de souffle... Un Bowie pas forcément si adapté à l'ère MTV qu'on aurait pu le penser, un Bowie en mal d'ailleurs et d'une certaine liberté créative aussi, un Bowie qui a envie d'en découdre après des albums "fortement tièdes", enfin.
Voici TIN MACHINE !
(idéalement, vous lirez les deux chroniques en une fois, c'est prévu pour !)
Parce qu'il faut bien le dire, les ondes du"choc-médiocre" d'un Tonight et d'un Never Let Me Down ont laissé des traces, et pas que de jolies jolies... On ne reviendra pas plus avant sur les maigres qualités des deux successeurs d'un Let's Dance à la relance, tout a déjà été dit et écrit sur le sujet par de nombreux rock-critics dont même les plus flagorneurs ne purent sauver l'ex-Ziggy du naufrage via quelques remarques bien senties voire assassines (et hélas souvent méritées).
Croyez-vous que Bowie est alors dans sa tour d'ivoire à planifier sa prochaine extravagance ? Que nenni ! Sans doute lui-même conscient de l'impasse dans laquelle il se trouve, il décide de changer radicalement le ton, de faire du passé table rase... A commencer par effacer son nom de la pochette, ce n'est pas rien !, et d'y figurer à égalité avec ses nouveaux copains de chambrée, c'est encore plus ! Et puis la dégaine costumière, le noir et le blanc, la barbe du discret, une sobriété qu'on ne lui connaissait plus... Profil bas, attendre la fin de l'orage et en profiter pour s'amuser, tant qu'à faire ! Parce que, fondamentalement, c'est ce qu'on entend sur ce premier Tin Machine, un Bowie décontracté qui se fait plaisir et, ce faisant, nous fait plaisir avec ce qu'il est convenu de considérer comme un simple album de (hard) rock'n'roll, un bon album de (hard) rock'n'roll.
Simple ? Parce que c'est, tout bêtement, à une collection de chansons basée sur les riffs tranchants et revivalistes de Reeves Gabrels qui se présente à nous. Pour l'originalité, vous repasserez, mais le sel est ailleurs et les atouts d'énergie, de l'audible plaisir que prend la formation (n'oublions pas les frères Sales, rythmique impeccablement complémentaire de sa paire de solistes) à jouer comme, peu ou prou, une bande d'ados découvrant l'originel plaisir d'une musique électrisée et électrisante. On ne dira pas que Bowie y est méconnaissable, ce serait mentir, juste totalement fondu dans un collectif cohérent et fonctionnel.. Un groupe de rock, quoi !
Bon ? Parce qu'il y a ici, tout de même, quelques chansons qui font leur beau petit effet à commencer par l'introductif Heaven's in Here, un solide blues mid-tempo où Gabrels nous régale de ses belles dispositions guitaristiques, ici dans un registre classique et efficace où, de licks fins en soli inspirés, il meuble une composition un peu commune avec, pour le coup, le beau David bien effacé. C'est aussi une bonne façon d'établir la crédibilité groupe. Plus loin, Prisoner of Love, après un pas extraordinaire Tin Machine, rappelle un peu Absolute Beginners avec son petit côté rétro et China Girl par son refrain orientalisant, on ne se refait pas mais, présentement, on ne regrette pas non plus parce que ça fonctionne et donne une composition habitée, un rock stratosphérique et trippant de fort belle qualité, et du Bowie pur sucre, vous l'aurez compris. Passé un pas désagréable mais trop dérivatif pour être vraiment marquant ("Troggsien") Crack City, s'avance une belle quadruplette avec, en tête de liste, le rock revivaliste d'I Can't Read et sa guitare ivre by Gabrels (qu'on se croirait en 1976 !), l'hard-rockant Under the God (puissant, efficace et sans artifice), le faussement planant et un poil soul Amazing (un single qui s'ignore) et, finalement, la cover du Working Class Hero de Lennon revitalisé par un quatuor pas prêt à rendre ses armes électriques ni sa classe naturelle. Le reste est moins enthousiasmant, plus inégal surtout avec de bonnes choses (Bus Stop, Video Crime, Baby Can Dance) et d'autres plus anecdotiques qui viennent un peu tempérer l'admirable tenue d'une grosse première moitié pleine d'assurance.
Tin Machine 1er du nom n'est pas un grand album, Tin Machine 1er du nom n'est pas une révélation non plus, Tin Machine 1er du nom est, simplement, c'est déjà énorme !, la renaissance électrique, le premier jalon de la reconquête d'un des plus grands artistes pop/rock des septante... Et un foutu bon album de rock'n'roll, donc avec, qui plus est, la révélation d'un extraordinaire et ô combien polyvalent guitariste en la personne de Reeves Gabrels qui bonifie ici souvent le tout-venant... On n'en attendait pas tant.
1. Heaven's in Here 6:01
2. Tin Machine 3:34
3. Prisoner of Love 4:50
4. Crack City 4:36
5. I Can't Read 4:54
6. Under the God 4:06
7. Amazing 3:06
8. Working Class Hero 4:38
9. Bus Stop 1:41
10. Pretty Thing 4:39
11. Video Crime 3:52
12. Run 3:20
13. Sacrifice Yourself 2:08
14. Baby Can Dance 4:57
- David Bowie: chant, guitare
- Reeves Gabrels: lead guitare
- Hunt Sales: batterie, chœurs
- Tony Sales: basse, chœurs
&
- Kevin Armstrong: guitare rythmique, orgue Hammond
Libération rock I
Tin Machine II. En toute logique c'est la suite de Tin Machine I, album d'un Bowie (& Co) libéré de toutes contingences commerciales, un Bowie retrouvé parce que planqué, ça a du sens pour un caméléon. Mais Tin Machine II c'est aussi autre chose, une étape vers la reconquête artistique, une nouvelle ambition, un retour à quelques fondamentaux aussi.
En témoigne le line-up, peu ou prou le même que celui du premier album sauf que de nouvelles composantes sonores viennent s'ajouter avec un Bowie ressortant son saxophone, tâtant du piano ou un Reeves Gabrels encore plus impliqué et prospectif (presque tel qu'on le retrouvera sur Outside ou Earthling, en fait). Il y a aussi un nouveau partage des tâches avec un Hunt Sales, batteur de son état, invité à prendre le micro sur deux sympathiques chansons (Stateside et Sorry), ça reste anecdotique mais ça cimente tout de même l'identité "groupe" de l'entreprise, à défaut de plus. Parce que la moelle de ce "II" est ailleurs, dans des titres qui nous rappellent que Bowie a aussi fait Low ou "Heroes" et sait tisser des ambiances particulières et addictives (remember Warszawa...), que Bowie, a son meilleur, est aussi et surtout une magnifique tête chercheuse qui, comme on dit en management, sait générer les énergies. Pas que ce soit si difficile avec un Gabrels qui ne demande que ça et qui pousse au cul.
Ca donne un album plus éclaté, moins "focus" que son prédécesseur, plus éloigné des fondamentaux rock'n'rollesques auparavant déployés par la formation du coup, et globalement un album plus inégal qui rattrape en éclairs de talent ce qu'il perd en cohérence. D'un côté, vous avez ce qui aurait pu être sur le premier album et constitue donc la liaison parfaite, la pérennisation sonique de Tin Machine le groupe. La doublette d'intro, Baby Universal bien speedé et One Shot plus U2ien, en est le parfait résumé : du rock classieux, moderne, presque hard mais jamais tout à fait (la finesse de Gabrels fait, une fois de plus la différence), où la voix d'un Bowie habité se glisse aisément, félinement. C'est d'ailleurs ce qu'on trouve de plu réussi de l'exercice en la matière... Le plus réussi mais pas le plus intéressant d'une galette qui renoue avec le Bowie expérimental comme sur l'aérien Amlapura, du pur sucre référencé 70s autant que les prémices de ce qu'Outside développera. Il y a, comme sur chaque album de David diront certains, quelques faux pas, quelques sorties de piste qui écornent légèrement la belle impression d'ensemble que rattrapent quelques bons rockers (les deux d'intro, donc, mais aussi You Can't Talk ou le punkifié A Big Hurt), des moments plus pop satisfaisants aussi (Shopping for Girls, le Sorry de Hunt Sales, Goodbye Mr. Ed) ou une salutaire inclinaison expérimentale (You Belong in Rock'n'roll, le précité Amlapura), un petit tiers de "déchet", en gros... Un ratio acceptable avec, répétons-le, un festival Reeves Gabrels - que, décidément, Tom Morello de Rage Against the Machine a dû beaucoup écouter - brillant dans tous les instants, valorisant souvent de son propre fait même les morceaux plus accessoires du répertoire, confirmant ainsi l'impressionnant instrumentiste entrevu sur le premier chapitre. Une attraction à lui seul, promis, juré, craché.
Tin Machine s'arrêtera là (pas aidé par les problèmes de drogue de son batteur, Hunt Sales, il faut dire), aura, au passage, requinqué un Bowie fatigué par trop d'exposition et plus assez d'art, aura aussi produit deux albums tout sauf honteux, imparfaits mais attachants qui figurent aujourd'hui dignement dans la discographie de leur leader. Les deux (albums) se valent avec, vous l'aurez compris, des mérites musicaux différents, la cohérence rock pour le I, la relance artistique pour le II, les deux méritent grandement qu'on s'y penche et s'y repenche encore d'autant qu'ils sont loin d'avoir eu le retentissement qu'ils méritaient en leur temps. Il fallait que cela soit dit.
1. Baby Universal 3:18
2. One Shot 5:11
3. You Belong in Rock n' Roll 4:07
4. If There Is Something 4:45
5. Amlapura 3:46
6. Betty Wrong 3:48
7. You Can't Talk 3:09
8. Stateside 5:38
9. Shopping for Girls 3:44
10. A Big Hurt 3:40
11. Sorry 3:29
12. Goodbye Mr. Ed 3:24
13. Hammerhead 0:57
- David Bowie: chant, guitare, piano, saxophone, chœurs
- Reeves Gabrels: lead guitare, chœurs, vibrators, orgue
- Hunt Sales: batterie, percussions, chœurs, chant sur "Stateside" & "Sorry"
- Tony Sales: basse, chœurs
&
- Kevin Armstrong: guitare sur "If There Is Something", piano sur "Shopping for Girls"
- Tim Palmer: percussions, piano additionnel
et II
Je fais sobre et sincère: Très bonne chronique, qui sera associée à mes deux albums sur le disque dur. Cela donne envie. Je pourrai oublier mais j'aurai au moins copié la chronique pour le cas où je m'y remettrai. En fait en écoute peu attentionné je n'avais retenu que 'You belong.." poussé par MAGIC lors du billet sur son dernier
RépondreSupprimerJe ne lis plus Magic, c'est dommage, c'est le seul mag qui trouvait encore grâce à mes yeux. Et donc ils parlent de Tin Machine dans leur article sur le dernier Bowier... Tiens, tiens...
Supprimerun tout petit peu... Justement ils m'ont poussé à écouter "You Belong..."
Supprimerhttp://www.magicrpm.com/artistes/david-bowie/a-lire/chroniques/the-next-day