J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


- - - Disapproved by the Central Scrutinizer - - -

vendredi 31 mars 2017

# 201 : Bob Dylan "Triplicate"

Qu'est-ce que c'est que cette merde ?!!!

L'expression n'est pas de moi, mais de Greil Marcus, et date de la sortie (dans tous les sens du terme : de route, par exemple) de Self Portrait quand le Bob avait à peine trente ans et jouait déjà avec nos nerfs. Sauf que le renard s'en était tiré par une demi-pirouette (New Morning), une tournée des grands ducs (Before The Flood) et un chef-d'oeuvre (Blood On The Tracks) pour réconcilier tout le monde.

Là, ça fait la troisième coup qu'il reprend du Sinatra et consorts. La première fois, on pouvait trouver ça drôle. On avait déjà bien rigolé avec ses reprises de chants de Noël, alors pourquoi pas ? La deuxième fois, on pouvait penser qu'il restait de la place sur le disque dur et que tant qu'à faire rentrer le sombre héros en studio, autant rentabiliser. Quelques chutes de studio avant Noël, ça ne fait jamais de mal, et autant les sortir tout de suite : le monde s'en contre-foutra dans 25 ans, pas question d'envisager des Bootleg Series Volume 89 pour ça.

Mais là, c'est (je cite Columbia) le premier triple album de Bob Dylan, trente étrons gentiment enfilés comme des lombrics pour une vermée, sertis d'une pochette à se torcher (ça tombe bien) et - peut-être parce que c'est le printemps, j'aurais tendance à dire que trop, c'est trop.

Non pas que sa diarrhée soit insupportable pour les oreilles. C'est très bien produit, très bien joué, et presque trop bien chanté. Madeleine Peyroux aurait sorti pareil projet, j'aurais sans doute apprécié, voire applaudi. Mais Dylan, non, non et non, et pour plein de raisons.

La première, c'est que voilà un disque que Donald Trump pourrait apprécier. L'idée même que ce cochon-là prenne une jeune démocrate par la chatte et s'amuse avec elle sur son yacht sur fond de Bob Dylan m'exaspère et m'est insupportable. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, et pour la première fois de sa carrière : Voilà de la musique hautement consensuelle, volontairement consensuelle et ça, le vieux singe ne nous l'avait jamais fait : il avait exaspéré son monde en nous chantant le petit Jésus, pourri certains albums d'une production infecte, mais jamais il n'avait semblé vouloir à ce point lécher le cul d'une Amérique détestable. Je suis presque plus choqué que cette vieille folle de Pete Seeger hurlant à la trahison en entendant Like A Rolling Stone. Alors oui, si c'est perfide, c'est gagné, je plonge, je m'énerve. Sauf qu'ici, c'est carrément toute sa démarche conceptuelle - si tant est qu'il en ait eu une - qu'il semble renier. Me fait penser au chanteur de Balavoine. C'est vrai, il est vieux. C'est vrai, il peut crever. Le gars qui a toujours craché sur Tin Pan Alley et toute sa clique, qui a quand même contribué à la transmutation du rock'n'roll en rock (ou en pop, choisissez) semble vouloir aujourd'hui nous la mettre bien profond. Je vous ai bien eus, bande de cons. Putain, Bobby Zim, tu bossais pour la CIA ?

Dylan est vieux donc, et ferait mieux de jouer aux dominos avec ses potes atteints de Parkinson, c'est bien triste mais... on vieillit aussi. Et moi, en tous cas, je continue (sans doute bêtement) à écouter de la musique qui déménage, et fort en plus. Je continue à croire à mes rêves d'adolescent, même si je les vois s'évanouir chaque jour d'avantage. Je n'attends plus un nouveau Lou Reed, youtube en vomit 50 par jours, mais j'écoute encore Berlin. J'ai besoin de continuer à croire à tout ce qui m'a bercé. Même avec cette atroce lucidité, cadeau de la cinquantaine. Que les Sex Pistols nous aient niqué bien profond, c'est évident. Mais c'était si boooooon... Alors être obligé d'entendre Dylan ânoner ces jazzeries de croisière pour retraité, j'ai vraiment envie de me jeter par la fenêtre. Je n'ai rien contre le jazz vocal, la variété de Sinatra. Mais je ne peux pas supporter qu'un Dylan m'en gratifie. On peut adorer Mozart et les Beatles, et trouver insupportable les oratorios de Mc Cartney, non ? On peut aimer Metallica et trouver grotesque leur Lulu avec Lou Reed ! Je n'aimerais pas que mon boucher m'opère de l'appendicite, quel mal à cela ?

Enfin, de quoi nous parle-t-il le Bob ? Avec maintenant 50 bulles puantes sur le marché, vous avouerez que ça vire à l'insistance, voire à l'obsession, non ? Maintenant qu'il est trop croulant pour même faire semblant de tenir une guitare en concert, cherche-t-il à se persuader qu'il est un grand chanteur ? J'ai beau chercher, je ne vois qu'Alzheimer comme diagnostic possible pour CA. Car enfin, encore et toujours, sans s'en rendre compte, c'est toute une mythologie - et pas seulement la sienne - qu'il envoie à la mer en tirant cette chasse. Les Stones vieillissent aussi, on n'attend pas de nouveau Brown Sugar depuis belle lurette, mais leur album de blues a au moins le mérite de rendre mélancolique - ou même plus froidement critique (c'est plus ce que c'était) - mais jamais en colère comme ce truc. Non pas qu'il lui soit interdit de changer de voie. En saupoudrant d'electro balbutiante son First We Take Manhattan, Cohen avait troublé son assistance, mais la froideur de la musique collait diablement bien à son propos. Et quand même Dylan gratouillait les fesses du petit Jésus, sa soudaine conversion avait de quoi interpeler, dans le bon sens : tu vas devoir servir quelqu'un, le diable ou le bon dieu peu importe, alors fais ton choix. Diable ! (oups) bien visé camarade ! Mais là, non, non et encore non. Supporterait-on Chicago reprenant les Cure ? Radiohead se découvrant une passion pour Count Basie ? Imaginez Iggy Pop reprendre non pas un titre de Joe Dassin, mais cinquante ?!!!

Alors oui, tout fout le camp. Sauf Dylan, toujours là, et en l'occurence, je préférerais qu'il foute le camp. Qu'il nous laisse digérer ce que la vie ne nous a pas offert, qu'il nous laisse tranquille avec Blonde On Blonde à ruminer sur ce bon vieux temps qui est mort pour de bon. J'en pleure en écoutant - pardon, en entendant sa version de When The World Was Young. Chanté par Dalida, ça aurait pu être troublant. Ca me fait pitié. Ca me fait du mal. Ca me fout les boules, ça me fout tout ce que vous voudrez sauf le blues. Et toute la musique que j'aime, elle vient de là, elle vient du blues. J'en arrive à jalouser les fans de Johnny. Lui au moins, jusqu'au bout il leur donnera ce qu'ils veulent. On les enterrera tous heureux dans la même fosse commune avec lui. Veinards, les Raoul, les Jacky et les Maurice du Stade de France.

Tu fais chier, Robert Zimmerman. Mais peut-être as-tu raison finalement, la réponse est portée par le vent ? Bob Dylan, prix Nobel du pet.

Y'en a qui en veulent malgré tout ?

5 commentaires:

  1. Bon, bin, là on en a pour notre argent : une analyse au scalpel (de boucher) !!!!!
    Si on se demande pourquoi députés et sénateurs s'accrochent à leur fauteuil, il en est de même pour les vieilles "stars" !
    Certaines ont eu l'élégance de s'éteindre à 27 ans !

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  2. On dirait une critique d'un nouveau disque de Gérard Manset :-)
    Cette page m'a bien fait marrer
    Bonne suite
    musicyoucan

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    1. Ouais... et si je postais un truc bien pour changer...

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  3. Il arrive encore à te surprendre, c'est déjà beaucoup! Allez, je suis certain que le prochain sera extraordinaire!

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    1. J'en doute, mais au moins ça me pousse pas à l'attendre impatiemment...

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