Soyons clairs, ce "nouveau Dylan" est un non-événement. Le concept même de "nouveau Dylan" a perdu de sa superbe depuis... pff... 1978 ? Oui, c'est ça. Ce qui a suivi (les albums catho, les albums merdouillards, le silence...) a définitivement lassé les plus coriaces. Plus personne n'attend rien de Dylan, et c'est au moins tant mieux pour lui. Ca lui aura permis d'étonner par ses coups de génie (Time Out Of Mind), quelques bons morceaux dans des albums quoiqu'on en dise très inégaux (Love & Theft et - déjà - ses passages jazzouilleux grotesques), jusqu'au Tempest dernier qui franchement... franchement... était un peu mieux que son album de chansons de Noël. Vous m'excuserez de ne pas arriver à être totalement méchant, du moins pas autant qu'avec Genesis. Chacun ses faiblesses. Alors, qu'aujourd'hui, après le mini-raout justifié des Basement Tapes enfin compilées quasi-intégralement par CBS pour les trois lecteurs des Inrocks qui n'avaient pas encore les pirates (z'avaient qu'à lire ce blog, les cons), sorte un album de reprises de chansons reprises par Sinatra, en pleine torpeur hivernale, on ne va pas fouetter un chat.
Dylan, depuis bien longtemps, depuis, disons, 1997, surfe sur une vague qui doit lui paraître douce : celle de la gentille constance dans les propos et opinions des fans, des critiques et des indifférents qui ne prennent même plus le temps de lui reprocher de chanter faux. La paix, royale, sur la route, comme un papillon attiré par un lampadaire, qui sait qu'il va se griller les ailes dans une quête qui n'intéresse que lui, mais qui semble pressé d'en finir dans cette course au soleil absurde.
OK, Dylan fut le symbole du renouveau folk, le symbole de la révolte et de la liberté, le symbole du retour à la campagne et du country-rock, le symbole de l'artiste poète et bohémien, le symbole du salaud vendu, le symbole du couillon ayant vu la lumière divine, le symbole de l'artiste toujours capable de pas faire de la merde, le symbole de... j'en passe et des meilleures.
Comme si personne ne semblait, ne voulait voir en lui le symbole de l'homme fatigué. Good As I Been To You, c'est ainsi que se nommait son recueil de vieilleries pré-folk de 1992, avec sa pochette hideuse et sa voix de canard, flinguant d'entrée tout espoir de grand retour. Comme s'il ressentait le besoin de payer son tribut à un diable quelconque rencontré à la croisée des chemins. Un diable en forme de foule bêlante lui réclamant depuis des lustres un tribut qu'il ne voulait pas payer pour ces quelques dollars et ces quelques amphétamines joyeusement gagnés au début de sa carrière.
Poussant le ridicule jusqu'à passer par la case Unplugged, il ne pourra s'empêcher de revenir la tête haute pour ce ténébreux Time Out Of Mind. Dans lequel, après avoir presque retrouvé Elvis, selon ses propres dires et suite à une infection pulmonaire carabinée, il chantait qu'il ne faisait pas encore noir, mais presque.
Ce coup-ci on y est. La nuit est tombée, il y croise des ombres. Des fantômes ? Lesquels ? Non plus les Blind Willie McTell, les Mississippi Sheiks d'antan, ni même les Hank Williams ou les Roscoe Holcomb du côté plus blanc que blanc. Non plus ceux-là même dont il s'est tant inspiré, dont il a su - s'il ne devait avoir qu'un seul talent - sucer jusqu'à la moelle les trois pauvres accords Mi-La-Si des gens rustres qui n'avaient jamais imaginé la couleur d'un do septième diminué. Au risque d'inspirer toute la folle épopée des Beatles, des Stones, mettant définitivement à l'écart Tin Pan Alley, le jazz et toutes ces musiques par trop savantes, complexes ou prétentieuses que la jeunesse des sixties comptait bien balayer à coup de mini-jupes, de Power To The People et autres conneries cool, aujourd'hui remplacées par l'ipad, l'iphone, l'itruc et autres tendances connectées.
Là, donc, ce qu'il nous chante, dans tous les sens du terme, c'est bien cette époque qu'il a mise à mal, volontairement ou non. Sans doute tout cela est-il très honnête (si l'on peut toujours considérer comme honnête un artiste ex-sulfureux qui chante le père Noël à 70 balais). Et pourquoi n'aurait-il pas le droit, lui aussi, d'ouvrir le Great American Songbook, comme un Rod Stewart ou un (aïe) Robbie Williams ?
Le vieux con que je suis ne peut pas s'empêcher d'essayer de comprendre. La musique n'aide en rien. Au chapitre des éloges, on pourra s'étonner de la qualité de son groupe, merveilles de pedal-steel onctueuse là où des violons auraient été indigestes, summum de délicatesse dans les guitares, bref, oui, tout amateur éclairé appréciera. Après, on a également le droit de rire en l'entendant nous chanter les Feuilles Mortes. Après tout, Iggy Pop nous l'a bien fait, et Dylan au moins évite Joe Dassin.
Indécrotable fan pressé que je suis, j'ai découvert l'album en téléchargement deux jours avant sa sortie. Et n'y ai rien compris.
Il m'a fallu l'acheter (certains donnent bien des sous pour le Téléthon) pour, en regardant la photo constituant le verso de la pochette, y voir plus clair. Terriblement plus clair :
Voyez-vous ce vieil homme bien habillé, comme s'il se préparait à un mariage, enlacer cette femme masquée, les deux regardant d'un air intrigué un vieux 45 tours de chez Sun ? La dame en noir a des airs de camarde ou je ne m'y connais pas en symbolisme. Le vieux grigou paie ses dettes avant d'aller voir ailleurs, et il semblerait qu'il ait un dû à payer : C'est ça que tu veux que je chante ? Oui, tu ferais bien de faire profil bas avant de t'en aller. Chanter, tel un bon chien-chien, tout cet establishment que tu as mis à mal. Vas-y, essaye de l'imiter, Frankie, avec ta voix en forme de balai de chiotte et ton indécrottable aura de folksinger qui t'a collé aux basques. Rien, tu n'as rien changé, tu le sais, tu dois payer.
Vous me direz que je délire. Le Bob reprenait déjà Lucky Old Sun avec Tom Petty en 1986. Il a même ânonné son Restless Farewell au concert en hommage à Sinatra. Il a osé reprendre Charles Aznavour sur scène. Il parle même, au sujet de cet album, de ces chansons qu'il a toujours aimées. Et alors ? Je ne dis pas que le vieux Dylan serait victime de Belzébuth. Je pense même qu'il est conscient de toutes les mascarades qu'il a jouées, ceci dit cantonnées aux trois canoniques accords du rock'n'roll ou du folk, n'osant le jazz merdeux que dans les années 2000 (malgré une approche timide avec If Dogs Run Free dès 1970). Simplement, là, il explique les choses très clairement. A ceux dont les yeux se sont habitués à l'obscurité. Ou plutôt, à ceux qui n'ont pas voulu comprendre ce qu'il disait - même trop rarement - dans ses interviews : tout cela n'aura été qu'une mascarade, qu'une mauvaise farce. La nuit est tombée. Il y croise des ombres, celles qui avant lui sans doute pensaient avoir touché la grâce divine, ou plutôt qui avaient touché des coeurs aujourd'hui réduits en poussière, et qui errent dans un oubli qu'on espère reposant. Et qu'il sait devoir retrouver bientôt.
Etrange, que de se promener dans le brouillard. Tout le monde est seul (Hermann Hesse)
Why Try To Change Me Now ?
Pour cette chronique, tu mérites une Standing ovation !!!
RépondreSupprimerBof. Merci Keith. J'ai simplemement ma vision du Bob, en toute humilité...
RépondreSupprimerJe sens que tu pratiques l'adage 'qui aime bien châtie bien' et que le vieux Zim ne te laisse pas indifférent. Contrairement à toi je ne pense pas l'acheter (quoique d'okaz..). J'ai trop de Dylan en 33t, en Cd originels, remastérisés ou mono etc, car c'est ça le truc. Un jour il te rentre dans une oreille et il y fait son nid bien pépère, et toi, tu achètes les disques en te disant que ça va te passer. Bernache, il te colle comme un morpion, mais bienveillant. D'accord avec toi sur les feuilles mortes c'est dispensable (Iggy n'a pas fait mieux). Dans cet album on l'entend "chanter" comme il ne l'avait pas fait depuis des lustres et non pas poser sa voix vite fait pour retourner surveiller ses petits enfants en mangeant des tartines de Nutella. Le vieux renard arrivera toujours à nous surprendre, ça renforce le mythe et plait à la presse musicale. Comme toujours, il faudra attendre le prochain pour savoir si celui-ci était bien, ou mieux. C'est notre Never Ending Malédiction. Il Y a Pire... J'espère que la nuit n'est pas encore tombée. Bien à lui. Ph
RépondreSupprimerHa Ha ! Moi j'avais fait un rejet de Dylan durant toutes ces années par rapport à sa voix que je ne supportais pas, je l'avais donc totalement zappé.Je ne le découvre que depuis un an environ et les albums où il n'a pas cette voix nasillardes je les trouve vraiment très bon, donc pour moi c'est un nouveau terrain de jeu et ce nouvel album où je n'ai écouté que deux morceaux a l'air ma foi assez sympa mais.. à suivre je vais l'écouter entier dans la journée.
RépondreSupprimerSalutations
Sylvie
Hello,
RépondreSupprimerCela est bien agréable de lire un papier impertinent qui tranche avec l'habituelle béni oui oui pour les vielles stars talentueuses mais sachant tellement bien rentabiliser leur business. Merci de continuer et bonne suite.
J'aime bien ta vision assez juste de tout ce symbolisme si gros dans notre figure que ça nous laisse tous aveugle. Je trouve ce texte rassurant.
RépondreSupprimerA la nuit tombée, avec un feu de cheminée, un bon cigare et un excellent cognac, il est parfait, ce disque!
RépondreSupprimerMerci pour ton délicieux billet.
La vieille outre born again revient pour rendre hommage au vieux mafieux de Las Vegas, ça a du sens mais, ceci dit, on a le droit de passer son chemin. Beau billet cependant.
RépondreSupprimerBien vu l'article, ça me fait de plus explorer une partie de répertoire de Franck Sinatra (si tout a été interprété par M. Sinatra?) et puis depuis le temps que je voulais revenir sur le monsieur.
RépondreSupprimerSinon, j'aime les violons.... on touche pas aux violons!!
Chouette chronique. Ces derniers disques ont de la tenue, mais difficile de ressentir de l'enthousiasme effectivement. Disons peut-être qu'on trouve ça bien mais il n'empêche qu'on baille ou on pense à autre chose...
RépondreSupprimerA la place vous devriez faire un tour chez Fracas qui propose un chouette live de 1998: http://fracas64.eklablog.com/recyclage-zimmy-time-bob-dylan-san-jose-98-a105950312
Je trouve que c'est assez triste de finir ainsi. Il avait certainement espéré plus de sa carrière.
RépondreSupprimerCe nouvel opus est un non sens et à mes yeux la déchéance d'un type qui a apporté pas mal de chose positive, mais aussi et objectivement beaucoup de merde...trivial mais bon.
RépondreSupprimerCela fait des années que le vieux Bob devrait se retiré au lieu de sortir des albums aussi nullissimes.Qui va écouté ça??'
Pour moi le pire rejet que j'ai eu de lui fut le concert au Vietnam à Hochiminhcity ou il n'était là que contractuellement en oubliant toutes ses valeurs passées.
A la retraite au plus vite ce sera mieux et nous pourrons rester sur une dizaine de perles.
Ce ne sont que mes propos et aucun est libre d’apprécier.
Je me disais que si on reproche à ce disque de sortir parce que Bob Dylan, c'est qu'un moins connu n'aurait peut-être pas pu le sortir, ta colère fonctionne aussi à ce contexte, tu te serais moins emportée - je pense? - si cela était fait par un artiste plus discret. Tu me diras, tu n'aurais peut-être pas connu l'existence du disque.
SupprimerDisque qui n'en mérite pas tant lui. De bonnes chansons et un traitement somme toute original (Moi, grand admirateur de Sinatra..)
Je ne reproche pas à Dylan de sortir ce disque, peut-être me suis-je mal exprimé, je le trouve très touchant, il m'émeut beaucoup mais me rend triste aussi. Par contre, à mon avis, personne d'autre que lui n'aurait pu songer à sortir un disque pareil, cela n'aurait eu aucun sens. Cela en a pour Dylan, c'est tout. D'où ma remarque sur les violons, qu'il a su éviter parce que ce n'est pas un disque de reprises "comme tout le monde en fait", et non pas du fait d'un mépris pour les violons (moi aussi, j'aime les violons).
SupprimerOups, pardon, je n'avais pas remarqué que tu répondais à quelqu'un d'autre... Mimercier, je pense que le sujet est plus complexe que l'analyse que tu en fais, du moins pour certains inconditionnels dont tu ne fais visiblement - et c'est ton droit - pas partie. La valeur musicale intrinsèque des disques de Dylan n'a jamais eu la moindre importance, à chaque époque, on a trouvé mieux "musicalement". Effectivement, Dylan semble n'en avoir rien à foutre de rien, du moins de tout ce qui peut être jugé au 1er degré (révolte, poésie, etc.). Je trouve - notamment - qu'il représente bien toute la perplexité et la complexité de "notre" époque (ou disons génération, des années 60 à ce jour.
Supprimerha ha, le coup des violons était de l'ordre de la taquinerie type relance pour la discuss. Tout arrangement confondu, il y a dans ses choix de grandes chansons qui ne demandent qu'à être reprises. Disons, je n'aurai pas su que Dylan en était friand à défaut d'être redevable. Et puis grâce à lui (et ton papier) j'ai découvert une nouvelle facette de Sinatra, même si - comme le précise Jimmi - la version de Billie est autrement plus touchante. Je ne l'ai pas encore écouté (Im fool ..)
SupprimerJ'aime bien ta version "herr Doktor Faustus"qui rend la monnaie , a tribute to Lucie Fair, entrer dans le jeu de la Dame comme une partie d'echec avec la mort...
SupprimerBon moi j'ai un peu de mal avec cette production du vieux zimmerman .. Bof Bof Bof
RépondreSupprimerBon continuation je retourne à mon Waterboys :-)