J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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samedi 15 avril 2017

# 203 : The Heliocentrics "A World Of Masks"

En fait si j'ai cherché à partir en Martinique, c'est que je sentais la cinquantaine approcher, la routine m'endormir et le ras-le-bol de la société post-Charlie m'envahir. Etais-je encore capable de plier les gaules, tout lâcher pour partir ailleurs ? Laisser la belle maison et le jardin ombragé du Marais Poitevin ?

J'ai largué plein de choses, de disques surtout. Des trucs sans doute très bien, mais dont je n'avais, sur le long terme, que foutre (j'ai en mémoire les Raconteurs, des trucs du genre).

Je suis parti tout seul avec ma guitare et mon ordi, ma petite famille m'a rejoint six mois plus tard. On a eu un été d'enfer, la plage, les cocotiers...

Et puis je me suis chopé une pancréatite qui m'a séché. On m'a parlé de cancer à l'hôpital, je me suis vu et senti mourir. J'ai passé un an de diagnostics en maux de ventre, j'ai mes doses de scanners que même à Fukuchima il te faut un bail à long terme pour en profiter autant.

Je me suis soigné à grand coup de Grateful Dead, de manière complètement obsessionnelle (et ce blog en témoigne). J'ai perdu des amis (quand tu arrêtes de picoler, t'es moins drôle le samedi soir... va chier sale con).

Alors ce blog j'y reviens doucement. Je l'ai longtemps ignoré, comme j'ai ignoré les futilités de toutes sortes. Même pas acheté l'avant-dernier Dylan. Un truc de fou.

Aujourd'hui ma vie a changé. Je suis capable de n'acheter qu'un disque quand je suis de passage chez Gibert, deux fois l'an. Et la fibre optique est arrivée jusqu'à mon trou perdu, quartier Là-Haut, Rivière-Salée. J'en suis à mon deuxième disque dur d'1 To, et plus rien ou presque ne m'émeut. Peux plus m'émerveiller sur le dernier combo blues-rock (ça me fait bailler), le buzz m'ennuie plus qu'il ne m'énerve (tenez, les King Lizzard machin, euh... non mais sérieusement à part jouer les anthropologues de la fin des sixties, y'a quoi là-dedans ?).

Du temps où j'achetais des disques, l'effort de mettre la galette dans le lecteur me poussait à écouter au moins dix minutes du dernier Raconteurs. Malheureusement le glisser-déposer ne laisse presque plus aucune chance à l'industrie du disque. Même pas écouté le mix mono du premier Doors, et heureusement que le coffret ne prend pas la poussière sur l'étagère, ça fera ça de moins à déménager.

Et pourtant, il faut imaginer Jeepee heureux, comme Sisyphe : Téléchargement/excitation/écoute/corbeille, inlassablement. Et parfois le miracle. Le truc qui va devenir indispensable, que c'en est à peine croyable. Malgré un premier morceau pas terrible, le disque ne devenant palpitant qu'à la quatrième plage, A World Of Masks.  Comment a-t-il pu tenir jusque là ? Conjonction des astres ? Insomnie ? Quimbois ? Va-t-en savoir, mais en tout cas, me voilà accroc aux Heliocentrics.

Oh rien de bien tumultueux. Je serais dans un mauvais jour, je leur taillerais un costard comme aux King Lizzard, genre copie/conforme d'un truc déjà entendu mille fois. Sauf que, à ma connaissance, malgré la hype pour le krautrock, j'en connais pas des mille et des cents à aborder le rock par le versant Can, et à y arriver aussi magistralement. Toute ressemblance avec Egge Bamyasi ou Tago Mago est sans doute absolument faite exprès, n'empêche que c'est à la fois pas tout à fait pareil et presque pas différent. Rajoutez-y la voix jazzy d'une inconnue tchétchène se prenant pour Madeleine Peyroux, et la rythmique (forcément) obsessionnelle sur laquelle se greffent ici un accord de piano, là du bruit, parfois de la guitare, fontionne parfaitement.

Et puis voilà un groupe qui privilégierait (et ça s'entend) l'approche live aux boucles post-modernes (Can je vous dis) et qui gagne en fraîcheur. En modernité. Autant que peut l'être (et le restera) un Sun Ra (écoutez-moi The Silverback !). Je ne les connaissais ni d'Adam ni d'Eve, ces larrons-là, mais me voilà hameçonné. Je les écoute, ils m'empêchent presque d'écrire. Paraît-il qu'ils ont tourné avec DJ Shadow (l'homme d'un seul album, Endtroducing, à mon avis mais bon...), n'empêche qu'ils évitent tous les pièges du trip-hop sous cellophane (vous ai-je déjà évoqué Can ? Non parce qu'écoutez-moi un peu Oh Brother !)

Alors arnaque ou pas, Canada Dry de l'année peut-être, n'empêche que ce disque sent bon la psilocybine et pas l'infusion bio de la superette du coin. C'est déjà suffisamment enivrant pour se le mettre très fort dans les oreilles.

Je serais vous j'essaierais. Y'a des liens par ici. S'ils ne fonctionnent plus je ferai un effort.

5 commentaires:

  1. C'est un très bonne question que tu poses là par l'intermédiaire de ce disque (et d'ailleurs Devant Hantoss se la pose un peu aussi sur son dernier sujet par l'intermédiaire de la Revue Magic RPM). A quoi sert de continuer d'écouter toute cette musique, nouvelle ou de moins en moins nouvelle, si nous ne nous y replongeons jamais.
    Et comme toi, il devient de plus en plus difficile de m'appater avec une nouveauté. Il m'arrive de les écouter, ou des les parcourir, parfois avec du retard, beaucoup de retard, ce qui, pour moi, n'a plus d'importance, parce qu'elle soit d'il y a 1 mois ou de 10 ou 30 ans, n'a plus d'importance. Cela reste à mes oreilles des nouveautés.

    Mais la musique actuelle reste souvent à la surface de mes oreilles. Non que ce soit forcément moins bon, mais il n'y a plus vraiment d'envie de ma part. Alors, j'essaie de rester fidèle à des noms, ou je me lance un défi (le dernier était de m'immerger dans le dernier Radiohead par ta faute!). Seulement, il suffit qu'on me cite une influence et je me dis que je connais déjà. Il suffit qu'on mélange deux noms de manière incongrue pour que je m dise que cela soit un plan marketing ou une facilité de journaliste. Bref, pas facile de nous faire rêver lorsqu'on n'a plus 20 ans...

    Pour revenir au Heliocentrucs, ta chronique m'a davantage donné envie de les écouter que tout ce que j'ai pu lire dans rock'n folk depuis des années en matière de nouveauté. Et pourtant, je l'ai sur mon disque, mais déjà, j'ai envie de l'oublier...

    Mais promis, je l'écoute dans les prochains jours et je te dirai si j'ai révisé Can à la place ou si le parfum de ton disque m'aura moi aussi charmée comme il l'a fait pour toi...

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    1. Je l'ai re-écouté, et re-apprécié. Ceci dit, je crois qu'avec la profusion de musique disponible, pour moi, c'est l'état dans lequel je suis dans l'instant où j'écoute un "nouveau" disque qui va le classer dans la corbeille/le répertoire de la 2ème chance ou la play-list...

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  2. J'ai écouté deux ou trois titres, ça ne m'a pas accroché, mais je vais retenter. Sinon, il y a un jeunot français qui nous fait le coup du nouveau "Pink Moon", j'en parlerai bientôt...

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  3. Pour qu'un cd nous embarque, il n'y a que trois solutions : il nous scotche et l'on crie au génie, il nous intrigue et pousse à la réécoute( comme pour moi le Gren Seme), ou il nous nostalgise et nous madeleine (l'heliocentics en fait partie en synthétisant krautrock, soul, et trip hop). Avant, mais ça c'était avant (le net), il y avait aussi la curiosité (suivre un artiste, imaginer un album sur une critique, découvrir un vinyle chez un pote )et l'envie de découvrir, d'explorer. Maintenant, tout est là, y a qu' à cliquer, cela a tué l'envie, tué l'émerveillement qui nous faisait oublier tous les trucs inommables qui ne passaient plus jamais sur la platine. Le trop de choses et cette boulimie initiale qu'à provoqué la profusion du net nous ont provoqué une indigestion de musique, que l 'on traite par cetet débile lecture rapide, le clic corbeille ... combien de fois j'ai repris des choses écartées quelques mois plutôt. Maintenant je ne cherche plus à mémoriser ce que j'ai déjà pris, je repars à zéro, et m'aperçois parfois que je l'ai déjà, souvent les mêmes morceaux disquedurés, parfois d'autres. J'ai repris le net au sens navigation, se laisser aller au fil de l'eau, moins névrotique, moins exclusif et exhaustif, et pardonnez moi bloggeurs avec moins de commentaires ... un besoin de distance et du coup un amour retrouvé pour aller flaner dans les rayons, et acheter des cd .. retour aux sources

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  4. « Un court instant, Elaine reste silencieuse. Puis, d’une voix calme, elle dit :
    - On a une bonne vie, mon chéri. C’est vrai.
    Bob se regarde les pieds.
    - Mon père, quand j’étais gosse, il passait toujours le même disque, j’sais pas où il avait foutre pu trouver ça, il avait juste acheté l’électrophone pour que m’man, moi et Eddie on s’en serve, mais il en avait un à lui, de disque, un quarante-cinq tours de Frank Sinatra, un truc qui s’appelait Enfant chéri de la destinée, une chanson complètement idiote. Mais il adorait ça ; il se tapait deux, trois bières et il se passait ce disque sans arrêt, jusqu’à ce que lui vienne cette espèce de regard rêveur, assis là dans son fauteuil à écouter cette chanson et à faire semblant d’être autre chose que ce qu’il était. Moi et Eddie, on le voyait faire ça et on s’marrait, tu vois ? On se fichait de lui, parce qu’on savait qu’on n’était pas pareils, qu’on ferait jamais rien d’aussi idiot que notre vieux, à travailler toute la journée dans une connerie d’usine pour rentrer le soir, boire une ou deux bières et se passer un disque à la con de Frank Sinatra, à se dire qu’on était les enfants chéris de la destinée. C’est vrai, quoi, bon dieu ! Je me disais : “Non, mais quel trou du cul !” J’étais qu’un gosse, j’allais à l’école à l’époque, moi et Eddie, mais vu qu’on était des joueurs de hockey tellement super qu’on causait de nous dans les journaux, on croyait que c’étaient nous les chéris de la destinée.
    Seulement voilà, maintenant il y a quinze ans qu’ont passé, et moi me v’là. Exactement comme mon vieux. Seulement au lieu de rentrer à la maison, de m’asseoir dans mon fauteuil et de me passer Enfant chéri de la destinée, je regarde Hart and Hart ou un truc comme ça à la télé. Et si mes gosses avaient quelques années de plus, elles se foutraient de moi. “Regardez-moi ce trou du cul”, qu’elles diraient, Ruthie et Emma ; elles seraient supercheerleaders au lycée, et tout : “Regardez-moi c’trou du cul, il se prend pour Robert Wagner ou je ne sais qui, qu’elles diraient, il s’aperçoit même pas qu’il est à moitié cuit, qu’il est plein de suie qu’il a ramassée dans les chaudières des autres, qu’il a même pas des chiottes à lui et qu’il en aura jamais. »

    Russell Banks, « Continents à la dérive. »

    Pour ne pas me reprendre l’effet "Enfant chéri de la destinée" dans la gueule, ça m’arrive de ne plus rien écouter pendant 3 mois.
    Avant d’arriver au cycle « Téléchargement/excitation/écoute/corbeille » et de choper une pancréatite de l’oreille.
    Je sais de quoi je cause : j’ai cessé de boire y’a 25 ans, et les seuls amis que j’ai perdus, c’est ceux que je ne reconnaissais pas dans le besoin.
    Merci pour le skeud.
    Bravo pour le changement de vie.

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