J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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samedi 7 novembre 2015

#166 : La Souris Déglinguée "Banzaï"


Le rock français.

Atchoum !

Quand j'y pense, je ne peux pas m'empêcher de revoir cette image de José Bové brandissant ses Roquefort AOC frondement pour dénoncer l'impérialisme américain. Se vouloir défenseur d'un rock français, c'est quelque part, avec la même fougue, faire semblant d'affirmer crânement que les "ze" à la place des "the" pour nos fringants gladiateurs anglophiles fôte d'être anglophones, ça t'a autant de panache que la moutarde à la place du ketchup dans les hot-dog. Il en faut, de la témérité et de la bravoure, je vous le dis.

Non, ce qui nous manque, c'est le drame shakespearien, c'est la noirceur de Faulkner. Quand un Jim Morrison nous refait le mythe d'Oedipe, chez nous un Christian Descamps nous refait le coup du "vite chéri, cache-toi dans l'armoire" de Feydeau ou Labiche (j'en perds mes références) et, désolé, ça n'a pas le même panache.

Quand un Kurt Cobain plie les gaules en s'enfournant une bastos dans la cervelle, qui plus est à l'âge mythique de 27 ans, ou quand un Jeff Buckley finit englouti dans le Mississippi, chez nous un Kent, ex-sale méchant petit trou-du-cul punk, finit par vanter les mérites de la campaaaaagne chez Drucker.

J'ai vu l'autre jour un docu sur Renaud (j'adore les documentaires animaliers, ça me repose après une semaine de boulot), dans lequel Jean-Louis Aubert, la grenouille à grande bouche, la larme à l'oeil, chantait Mistral Gagnant avec Coeur de Pirate. Et malgré ça, la vente de couches pour adultes à triplé cet été d'après l'INSEE suite à l'annonce d'une reformation de Téléphone. A l'heure de l'internet, avouez que c'est troublant. Comme quoi l'incontenance de nos vieilles biques semble forcer l'incontinence de leur public.

Vous me rétorquerez qu'un Sting, après avoir presque réussi le temps de deux albums à fusionner magistralement l'insolence du punk avec les infra_basses du dub de Lee Perry finit par nous chanter des niaiseries moyen-âgeuses sur Deutsche Gramophon, le constat n'est guère plus reluisant outre-manche.

Je vous répondrai sournoisement que c'est bien là le problème. A pert Dave et Jeane Manson, que je n'ai retrouvé dans aucune compile estampillée rock français parue chez Jimmy, personne ici n'a tenté le grand saut vers la musique lyrique. Et que, de fait, on ne comprendra jamais les anglais. Ni les américains d'ailleurs, parce que lorsqu'on brandit un roquefort pour alerter la planète sur les enjeux du lait cru face à un peuple qui, au même moment, s'amuse à torturer des bougnoules à Guantanamo ou à faire griller des nègres à coup de 380 volts au Texas, il me semble y percevoir un petit décalage, oh certes léger, mais quand même.

Et pourtant, face à un tel constat qui me pousserait aisément à demander l'asile politique au Groënland, il y a quelques exceptions - qui bien sûr, pour nos esprits cartésiens - ne font que confirmer la règle (dictée par Pascal Nègre ?). Tenez, en attendant que Kent et Jean-Louis Aubert nous sortent un album Tribute To Ringo, après quoi je resterai muet jusqu'à la fin des temps, je regarde avec nostalgie la pochette de cet album de La Souris Déglinguée : Taï-Luc nouant son bandeau de kamikaze pour illustrer ce Banzaï qui mérite largement son nom. Nous sommes en 1991, et les carottes du punk français sont en train de cuire à la mode de Vichy (une vieille habitude de chez nous). Dix ans très exactement sont passés depuis que Clash s'est atomisé dans un Combat Rock perdu d'avance, cédant aux sirènes du rock FM (choudaille steillore choudaille gaux, comme on chante chez nous). La France a peur, pour reprendre Roger Guicquel. La nouvelle garde reniflant les fesses putrides d'un Rage Against The Machine naissant (No One Is Innocent, Mass Hysteria) n'a pas encore réussi à pomper toute la merde nécessaire à carburer dans les charts, et Pigalle prend le relais des Garçons Bouchers, gardant précieusement le côté chiant de ces derniers et se débarassant du côté fun. Le rap français (autre sujet de dissertation) fait son entrée timide, mais côté comique (Je danse le Mia), un peu comme Fernandel à l'époque (qui ne reprendra d'ailleurs jamais Les Chaussettes Noires).

Et là, banzaï.

Un flot ininterrompu de groove, de guitares saignantes, de flow (comme on dit maintenant) sort des amplis de la Souris, qui accouche ici d'un éléphant de décibels, qui a tout compris et qui ne s'en remettra pas.

Le peuple de France a, un instant, failli tenir l'équivalent du Clash à sa grande époque, disons entre London Calling et Sandinista. De passer les titres en revue ne servirait à rien. On assiste tout simplement à l'explosion sublime d'un kamikaze sur le vieux paquebot du rock français. Ne m'appelez plus jamais France, comme disait l'autre. On tenait là un mètre-étalon pour la décennie à venir, mais le vieux navire déjà moribond ne fit qu'un flop en coulant, un prout à peine audible et inodore face à la sulfureuse concurrence qui l'ésgourdit au gaz moutarde.

Incroyable mais vrai, comme disait Jacques Martin, en 2015, ce disque est encore écoutable, la tête haute, les couilles en avant et les watts de la chaîne poussés au maximum. Qu'il sonne éventuellement comme un canard diabétique sur votre iTruc n'étonnera personne, à commencer par moi. Ce n'est pas la musique qu'il faut changer, c'est l'appareil bon dieu ! Enfin passons. A peine distingue-t-on quelques notes d'un sampler préhistorique un peu dépassées par les événements, mais sinon... Quelle riche idée, cette vraie batterie ! Qui a dit que les batteurs ne sauraient pas jouer du funk ou du hip-hop ? Qui a dit qu'il serait malveillant de balancer un riff bien senti quand un groove chaloupe vers les sirènes de Jamaïque ? Personne à ma connaissance, ni à celle de La Souris Déglinguée qui ici, au-delà de toute prouesse technique et de tout ambition commerciale commet la plus belle des choses qu'un groupe de rock, qu'il vienne de Millau ou de Detroit, USA, ait pu nous apporter : OSER.

Oui, oser.

Et là, les frontières disparaissent, et l'on se met à se rappeler de ceux qui ont osé : Keith Richards avec sa pédale fuzz sur Satisfaction, le MC5 ou Steppenwolf dans leurs élans militants submergés par le bruit, un Bowie flinguant son pantin glam pour mieux revenir, le nez dans la poudre berlinoise des années art-déco murales, un Dylan électrique devant des péquenots rétrogrades, les versets sataniques d'un Rimbaud face à l'académisme sclérosé d'un Victor Hugo, j'en passe, pas tant de meilleures parce qu'elles sont finalement assez rares, les meilleures, de nos jours évidemment comme déjà, en 1991, qui plus est en France.

Bien sûr, pour reprendre les termes de Marcel Proust, ce fut tout.

Dites-moi, est-ce que ça a vraiment existé, comme dirait Johnny ?

Cliquez sur lr lien, vous entendrez.


12 commentaires:

  1. Avec ce cris du (ro)cœur, mine de rien, on se prend quand même tous une petite claque dans la gueule — une claquounette, quoi ! — parce qu'on aime tous un peu Renaud, Jean-Louis et Christian et aussi No One et Mass !
    Ça picote un peu, mais on aime ça !
    Et pis qu'est-ce que t'as contre le roquefort ?!?!

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    1. Tu n'as pas cité Kent dans tes doléances. Aurions-nous un point commun ?

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  2. bravo pour ce post . On ne parle pas assez de La Souris sur le net, un des meilleurs groupes Francais de rock' n' roll de tous les temps , de leurs multiples influences et de leur longévité .
    Si Cochran vivait encore en 85, il les aurait certainement choisis comme backing band !

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  3. Encore un billet cinglant, drôlatique, qu'on dévore.... il y a juste cette histoire de "niaiseries moyen-âgeuses", qui le deviennent uniquement par le traitement qu'en fait Sting...

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  4. Il n'y avait ni Dave ni machine Mason dans les compiles postées à la maison, mais il y avait la Souris dans la mienne.
    Si tu n'as pas écouté le dernier, je te le conseille, il est excellent.

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  8. Fichtre, ça n'a vraiment pas pride !
    Je ne l'avais qu'en K7, usée jusqu'à la corde…

    Merci, Jeepeedee !

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  9. Gaspe ! je voulais écrire "pas pris une ride", évidemment !

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  10. J'aime voir évoquer la mémoire de Roger Guicquel.
    Attention : ça s'écrit et se prononce Gicquel.
    Il a fini alcoolo à France 3 Bretagne, l'émission s'appelait "En flânant avec Roger Gicquel", et les techniciens riaient sous cape en l'appelant "En giclant avec Roger Flanelle" (à cause de ses légendaires pantalons)
    Je suis d'accord avec ta conclusion: faut pas vieillir, comme disait ma grand-mère.
    Les meilleurs groupes sont ceux qui sont abattus en plein vol.
    Tu cites aussi un poète qui a fini trafiquant d'armes, on est 60 millions de poètes, c'est ça qui doit faire notre charme.

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  11. la souris c'est l'intégrité, la vérité, la réalité. Bien sur on peut leur reprocher de soi disants attitudes qui n'ont peut être à voir qu'avec l'age, mais dans la réalité ils restent vrais et honnêtes.

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