J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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dimanche 6 mars 2016

#175 : Gov't Mule "The Beacon Theatre, New-York, 31/12/15"

Si l'on devait retenir, dans une sorte de grimoire, les banalités qui offrent de l'espèce humaine une image parfois si terne et déprimante que Dieu lui-même regrette de ne pas avoir cessé ses expérimentations au stade teckel à poil dur, "bof moi Nouvel An c'est un jour comme les autres" figurerait en bonne place, sous les applaudissements fournis de Pascal, la Sainte-Inquisition, Daech et autres rabats-joie prompts à être convaincus qu'enfin l'homme reconnait la vanité de ce bas-monde face au Paradis que Steve Jobs s'emploie à connecter depuis peu.

Les mauvaises graines athées se joindraient à cette salve avec bonheur : qui sommes-nous pour attendre un quelconque miracle, pour penser qu'un rituel aussi con qu'on bouchon de champagne dans l'oeil de la cousine pourrait apporter un sens à notre vie ?

Les mystiques adeptes du complot, des Illuminati aux joueurs de l'Euro-Million savent pourtant que quelque chose se passe. D'aucuns éventrent des pucelles sous de vacillants candélabres, d'autres boivent un dernier petit blanc en se jurant que s'ils n'ont pas la gueule de bois demain c'est qu'ils vont toucher le pactole, et en réalité, bien peu de gens savent que chaque année, Gov't Mule offre un concert particulier - la New Year's Jam - le soir du 31 décembre.

Un coup c'est la fait à Hendrix, l'année d'après à AC/DC, celle d'avant à Neil Young, sans oublier Pink Floyd, les Stones ou un petit King Crimson en passant, mais peu importe, c'est à chaque fois le coup double de la nostalgie mêlée à l'énergie incroyable du groupe, petite flamme vascillante dans cette engeance qui fut jadis qualifiée de jam bands. J'en vois déjà qui sommeillent, cauchemardent ou s'en vont bougonnant. D'autres frétillent d'inquiétude en craignant le retour de l'inénarable solo de batterie, tribale tradition qui pert tout son sens dès lors que le Perrier Fraise remplace l'acide et la cigarette électronique le Cannabis indica.

Alors que certains construisent patiemment des chefs-d'oeuvre dont le génie n'égale que la concision (Melody Nelson ne dure que 28 minutes, mais quelles secondes !), les longues improvisations peuvent être entendues avec dédain : le risque de se sentir coincé au beau milieu du stand Gibson du dernier NAMM Show à Los Angelès ou l'agacement kilométrique de l'alignement du song-book hendrixien par un sous-fifre ma foi doué mais aussi inspiré qu'un buvard dans le désert de Gobi sont bien réels.

Je connais même des gens auprès de qui la formule cabalistique In-A-Gadda-Da-Vida produit un effet marathonien. Simulez l'action d'appuyer sur la touche play de votre bouzin à musique quel qu'il soit, et votre entourage, d'un seul coup d'un seul, se voit accablé de grand-mères agonisantes dans un lait sur un feu qu'il leur faut immédiatement éteindre.

Alors que dans les lointaines années 1970, il fallait à Chicago quatre vinyles vendus à prix d'or pour assommer son cher public, l'extensibilité des fichiers numériques et la sénilité du format CD ont pu venir à bout, pour le meilleur et pour le pire, des limitations de timing. Malgré l'agonie du concept "deux disques pour le prix d'un", la taille du téléchargement a bien entendu facilité l'augmentation de la note, et alors même qu'il fallait six bons mois pour fabriquer un CD ou un vinyle, il est aujourd'hui tout à fait possible de sortir n'importe quoi n'importe quand pour trois fois rien. Malheur sur nous, alors que Pearl Jam déjà nous bombardait de CD Live tous les deux mois, il leur est aujourd'hui possible de TOUT sortir immédiatement, pour le plus grand bonheur de Samsung et Toshiba qui face à la demande restent campés sur le prix du téraoctet depuis plusieurs années.

Ainsi donc, aujourd'hui, dans ce nuage de poussières, on n'est jamais certain de ne pas retrouver un live de Mark Knopfler tombé à l'insu de notre plein gré dans le répertoire download rien que du fait d'un clic de souris mal placé. L'ivraie germe à tout va, et sa végétation luxuriante voile les frêles pétales du bon grain, qui s'il ne dispose pas de facultés aquatiques, risque de s'y noyer.

J'irai même jusqu'à dire que tout ce boxon, sauf à être pathologiquement accoutumé à VOULOIR TOUT (de Dylan, Lou Reed, Grateful Dead et qu'importe), la notion d'album - bien conceptuelle même lorsque l'auteur ne nous narre pas systématiquement l'aventure des six femmes d'Henry VIII - au grand dam du Zornophage, est belle et bien en train de disparaître. Finis donc les track-listing murement réfléchis d'un Ziggy Stardust ou le culot monstrueux de l'album live "simple mais efficace et dans ta gueule" façon Stupidity version Dr Feelgood. Quand bien même le concept émet encore quelques borborygmes, il se voit systématiquement engraissé de Bonux tracks, comme la lessive, casseroles immondes dont la bêtise peut se résumer par cette brève sentence : il y a un morceau inédit sur l'édition limitée du nouvel album de Johnny.

On pourrait continuer à pleurer sur cette situation pendant de longs parapgraphes encore, ou, faire contre mauvaise fortune bon coeur : ces choses-là sont ce qu'elles sont. Immatérielles, elles ont la faculté de disparaître dans la corbeille et diminuer la facture d'un déménagement bien plus facilement que l'intégrale de Yes. Immédiates, elles peuvent vous procurer l'adrénaline at the right time. No more waiting for my man, feu-Lou.

Et à mesure que mon enthousiasme renaît de ses cendres telle la maison Phénix de votre emprunt sur 15 ans, j'en reviens à ce foutu 31 décembre 2015, dont je ne garde pas un souvenir immémorial, mais dont je me console avec ce foutu grand concert du Gov't Mule. J'ai bien dit concert : ni album, ni concept. Juste un diaporama de la soirée, bien plus aguichant que celui des vacances en Norvège de mon oncle. Quelques 4h30 de musique - pardon - de rock'n'roll - bien envoyées, qu'on s'écoutera une ou des centaines de fois, en entier, par bribes, comme on veut. Juste le bon temps qui roule.

Gov't Mule, fier hérault de la catégorie des jam bands, maintenant que le Grateful Dead a officiellement fait ses adieux (il ne reste guère que Phish à lui tenir  la dragée haute), n'est pas le plus grand groupe du monde, loin s'en faut. Je vous chantonnerais même difficilement une de leurs propres compositions. Et pourtant, dès que la bande à Warren Haynes se lâche, seul l'instant présent compte, et la magie fonctionne. N'hésitant pas à s'entourer de gens comme John Scofield, Toots (des Maytals) ou Jack Casady selon l'humeur, assurant même des piges - pour ce qui concerne Warren Haynes auprès des moribonds (Allman Brothers ou,  encore le Dead), le groupe a cette force immense de pouvoir tout donner une fois les pieds sur scène au risque - calculé - de prendre un four à chaque nouvel album (tiens tiens...) studio qui ne laissera de mémoire que dans le catalogue des invendus de la FNAC de Poitiers.

Et, bon dieu, comme il eut été doux de se retrouver au Beacon Theatre le 31 décembre dernier. Durant la longue soirée, ce ne furent pas moins de trois tributes qui furent ainsi rendus, par pur plaisir - et ça se sent - auprès de trois dinosaures d'une espèce archi-convenue : Set 1 - le Grateful Dead, Set 2 - The Band, Set 3 - Allman Brothers Band. Et un dantesque Mountain Jam pour conclure - comme il se doit. Et bonjour chez vous.

Durant les quelques instants de votre soupir, laissez-moi quand même vous dire que Warren Haynes n'est ni Jerry Garcia, ni Robbie Robbertson, ni Duane Allman. Et c'est justement ça qui rend à ce concert tout son intérêt : cette humilité mêlée de plaisir à reprendre des choses légendaires, sans pour autant les dénaturer ni les photocopier. Ce concert, encore une fois, restitue le plaisir de jouer ces titres, et ce plaisir est communicatif au plus haut point. Les gars ne sont pas tombés de la dernière pluie, sachant titiller le Dead Head par les sentiments (oui, bien sûr qu'on enchaîne I Know You Rider à China Cat Sunflower) et la connivence (oui, on connait la Watkin Glens Jam, on est des vôtres), le Band avec respect (ces chansons taillées dans l'érable canadien ne se prêtent pas à de longues impros, dont acte) et les Allman Brothers avec déférence (le couplet "sans vous je ne serais rien", genre...). C'est bien joué, c'est jouissif, c'est parfait.

Vous me rétorquerez qu'avec le cachet de Raphaël lors du bal du 15 août dernier, les meilleurs éléments de l'école de musique de Guéret trouveront équipement, master-classes et autres moyens leur facilitant la faisabilité de ce type de manifestations au Palais des Sports de Limoges. Que votre voisin joue Jessica tout aussi bien sinon mieux que la version ici présente. Vous savez quoi ? Vous m'en voyez heureux. Mon seul problème étant d'habiter relativement loin de Limoges et de ne pas avoir la chance de connaître votre voisin. Autant de tracas que, là encore, ce concert vient adoucir.

Car, putain de bois, nous sommes là tout simplement face à un groupe - dont on se fichera jusqu'au nom - qui remet son égo dans son slip kangourou, prend les choses en main et nous rappelle - et je pense combien le besoin est - à quel point il est tout à fait vital, agréable et épanouissant, de savoir qu'il est encore possible, aujourd'hui, même s'il s'agit de scies aussi vieilles que celles qui sculptèrent l'arche dont ces chansons pourraient bien faire toutes partie, et comme disait Delpech, d'entendre des choses qu'on aime - et ça nous fait du bien.

Grateful Mule
The Mule
The AllMule Band (1)
The AllMule Band (2)

9 commentaires:

  1. Que dire après un tel sermon, sinon amen… et puis, quatre clics à la file !!!

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  2. J'acquiesce! J'ai d'ailleurs proposé il y a peu un album live des Gov't Stones très intéressant!

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  3. Ils nous ont aussi gratifiés d'un Dark Side of the Mule !

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  4. C'est qu'il les "vend" bien le bougre (si je peux me permettre cette familiarité) Car, les Grateful Dead ne représente pas grand chose pour moi, quelques musiques par ci apr là.... The Band, ça y est j'ai mes entrées. Et puis il y a le Allman. Donc OK, je charge, un peu comme tu l'as décrit la haut.
    Et puis il y a "In Memory Of Elizabeth Reed" Ce titre par les Allman m'a accompagné lors de ma mission à Memphis, sans voiture, Hôtel à 30 minutes à pied. Balladeur et casque audio (remember) Temps de chiottes, et comme l'Amérique c'est tout plus grand, la pluie était plus haute, les éclairs à l'horizontale.. et j'avais ce titre qui me faisait avec son suivant, le chemin. Et du coup, mes frissons, avec les envolées de guitares me rendaient heureux, même par temps pourri.
    Et maintenant? Je constate que tu ne nous avais pas menés en bateau (c'est que tu saurais le faire, mais le voudrais tu?) ce frisson est imprimé en moi et je lui fais confiance, il est sorti pour la version des Gov't, et ce frisson estampillé, on ne le trompe pas comme ça... il en a entendu d'autres sans dénier sortir (ceci dit j'en ai d'autres) mais là.... P'tain, ça swingue tout pareil, ce piano...

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  5. Ils ont raison de faire des live de reprises, ce qu'ils font très bien, les p'tits gars d'la Mule parce que leurs compositions... J'avais beaucoup aimé le Dark Side of the Mule qu'évoque Keith, pas forcément là où on les attendait mais satisfaisant avec juste ce qu'il faut de libertés pour ne pas être une copie carbone mal transcrite.

    Ha, et, JPD, si tu descendais de ton piédestal et répondait aux gens qui commentent chez toi, ce serait bien ! ^_^
    Et non, ce commentaire n'est pas une bête expression de revanche mais, lisant la diatribe que tu as laissé chez moi, je me suis souvenu que je ne passais plus chez toi depuis trop longtemps, c'est mal parce que j'aime bien ton style "perdu dans la nature mais comme tous les chemins mènent à Rome".

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    1. Bien vu Zorny, j'accepte la claque en retour. D'autant plus volontiers que je suis obligé d'admettre que le dernier Book Of Angels (enfin, le N°26) est la meilleure chose qui me soit tombée dessus depuis des lustres...

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  6. Il y a peu dans l'assez bon "magazine" XXI le portrait d'un cultivateur de cannabis le montrait écoutant Phish en boucle et j'avoue que si je ne cultive ni ne consomme le produit en question... je partage avec ce monsieur un certain amour de Phish. Je ne suis pas trop "rassemblement" de foule (à plus de 4 on est une bande de cons, a fortiori moins de deux c'est l'idéal disait le poète), le trip hippie j'ai arrêté d'y croire en voyant les déchets à la fin de woodstock et l’idolâtrie n'est pas mon genre... pourtant, j'ai un faible pour Phish, le grateful dead et, donc, gov't mule... c'est certain qu'il ne s'agit pas des meilleurs groupes du monde, mais j'y trouve un amour de la musique, un amour du partage de la musique. A ce jeu je préfère Phish et La mule parce que Phish me semble encore s'amuser (peut-être moins ces deux dernières années) et parce que la bande à Warren reste tonique et humble. De bons musiciens, qui font les choses en professionnels tout en donnant l'impression d'assister à un concert entre potes dans un bar (le meilleur concert de bar du monde). Alors, bien sûr le batteur (pourtant il est bon matt abs) a du mal sur led zep, bien sûr le choix sur ac.dc n'était pas au top, bien sûr on préfèrera les black crows pour leur compos, mais l'hommage à neil young était à tomber et inviter scolfield faut le faire et puis ce 31 décembre là c'était effectivement jouissif.

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    1. Je connais trop mal Phish pour en rajouter, mais ça ne saurait durer. Le gars Trey m'a fait trop bonne impression sur les concerts des 50 ans du Dead pour que je n'aille pas plus loin. Quant à savoir si ce ne sont pas les meilleurs groupes du monde, ils le peuvent : pour moi la technique instrumentale ou même le niveau des compos ne fait pas tout, et je me suis fait happer complet par des impros du Grateful Dead (ou plutôt des moments de communion) durant lesquelles pour rien au monde je n'aurais voulu écouter autre chose...

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