J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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dimanche 15 février 2015

#180 : John Scofield "Uberjam Deux"

Que diable vient foutre un album d'un vieux jazzman, guitariste de surcroît, et donc forcément sur le retour ? Soyons clairs d'emblée, la guitare dans le jazz, et les exploits en mode mixolydien altéré me foutent à peu près autant la trique qu'un hachis parmentier de Leader Price. John Scofield, donc, je connaissais de nom. C'est important, que de connaître de nom, ça évite des achats compulsifs déprimants pour cause de quatre étoiles Télérama, ou, on le sait bien, ils sont payés pour écrire des articles et non pour écouter de la musique ouencore regarder la télé, qu'ils détestent d'ailleurs. On peut dès lors s'interroger sur leur passion pour la musique. Ces gens-là sont dangereux.

Et puis, honnêtement, comment peut-on devenir guitariste de jazz ? Cela doit demander huit heures de travail quotidien pour astiquer son manche. Je ne vois guère cette passion naissante que dans l'esprit d'adolescents pré-pubères peinant à l'érection. Parce que leur maman leur mettait des jupes, ou que la vision de leur visage bourgeonnant devant le miroir les décourage à jamais de croire, ne serait-ce qu'un instant, que ces pustules turgescentes pourraient évoquer le moindre sentiment chez la voisine d'en face. Ils ont sans doute raison de se mettre au jazz, il n'y a pas de sot métier, et comme en général ils sont chétifs et bègues, ils ne peuvent envisager un CAP de tourneur-fraiseur.

Nul besoin donc de wikipedia pour me retracer le parcours de John Scofield. Je ne peux pas m'attendrir sur tous les malheurs du monde, et c'est très bien comme ça.

A l'inverse, moi, qui en suis resté à la pentatonique mineure durant mon adolescence (ce n'est pas une maladie, c'est juste la première gamme que vous travaillez si vous croyez, à cet âge-là, que pour devenir une rock-star et boire des bières à foison, il vous faut suivre des cours, comme pour votre CAP de tourneur-fraiseur). Je jammais donc avec effervescence (débouté par ma voisine d'en face) sur de longs morceaux du Grateful Dead, qui ne jouait pas speed, et qui donc permettait à ma piètre vélocité de s'exprimer avec grâce et (certes quelques) aléas. Aléas que je mettais sur le compte de mon penchant inné pour le jazz que je n'avais jamais écouté. Comprenez donc que j'étais un génie, incompris certes, mais un génie quand même. Miles Davis, dont j'avais dû lire une interview, vantait le less is more. Juste les bonnes notes, le silence faisant le reste. Aussi, même lorsqu'après avoir rétamé la gamme pentatonique en trois allers et retours de manche, mon silence relevait encore de ce génie inné chez moi. Je sais, c'est parfois dur à avouer à toute la blogosphère un talent que l'on sait intact mais pourtant si peu reconnu. Si je le fais, c'est pour la gloire de la musique. Uniquement. Pas parce que ma mère me mettait des jupes quand j'étais petit, ça n'a rien à voir et cela n'a aucune importance.

Ainsi donc, ma vie a constitué à écouter plein de disques de rock, que je méprisai aussitôt, en jazzman génial et inné que j'étais. Je me les commentais intérieurement, du style - tiens, moi j'aurais pas collé un solo à la fin de Stairway To Heaven, ça n'apporte rien aux arpèges du début - arpèges que je répétais minutieusement pour bien en saisir le thème, vous voyez ? Pascale m'avait même dit que je jouais super bien de la guitare. J'abandonnais ma reprise au bout d'une minute trente, justifiant qu'après cela devenait vulgaire et inintéressant, tu comprends, la guitare électrique, tout ça. Pascale m'avait de fait abandonné pour les mêmes raisons me concernant. Je devenais vulgaire et inintéressant au bout d'une minute trente.

C'est donc il n'y a pas très longtemps que je me suis acheté un magasine - Guitar Player je crois- pour essayer de voir ce que les amateurs non inspirés pourraient trouver comme riffs et licks à développer. J'ai eu beaucoup de mal à les reproduire. Je suis un créateur, pas un simple imitateur, et je méprise autant que je me protège des influences externes pouvant altérer mon potentiel créatif. Aussi ai-je intégré dans mes créations (dont Slow Blues For One Note), des boucles de boîte à rythme, des samples, voire même des licks de guitare issues de collections de boucles diverses et variées. J'appose mon génie minimaliste sur ces artefacts bien trop érudits pour être honnêtes. Ha ! si vous entendiez mon Fa # sur Still the Same Pitch, vous n'en reviendriez pas, c'est cette note qui colore tout le morceau !

Enfin bon, je ne peux pas me permettre de ne parler que de mon génie. Aussi quand j'ai eu connaissance de cet album de John Scofield, jouant avec - certes des musiciens - mais aussi des samples - cela m'a convaincu qu'il était temps pour moi enfin d'oser écouter ce guitariste merdeux, qui semblait enfin avoir compris la simplicité et la modernité des productions musicales actuelles. Un morceau - ou plutôt son titre - tel Boogie Stupid - ne pouvait que me confirmer que j'étais sur la bonne voie.

(...)

J'ai fait écouter ce disque à Pascale, qui depuis qu'elle souffre d'une infection de l'épiderme assez répugnante il est vrai consent à revenir me voir de temps en temps. Je pense qu'il se passe quelque chose d'émotionnellement très fort entre nous.

Ce qu'elle m'a dit m'a fait de la peine. En gros, je devrais moi aussi consentir à rajouter quelques notes à mes morceaux, même si, là, sur cet album, les thèmes sont plutôt orientés groove, que cela n'a rien de prétentieux, et que ma foi c'est un super album, qui dépote tranquillement (elle m'a même demandé de lui graver le CD, ce qu'elle n'a jamais fait pour mon quadruple album Still The Same But Life Goes On, sans doute par timidité).

Ce soir j'ai remis une jupe, je trouve que je joue beaucoup mieux déjà. Il n'y a pas que le sexe dans la vie.

Just Don't Want To Be Lonely

9 commentaires:

  1. C'est toujours un régal que de te lire...

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  2. On peut également avoir envie de devenir guitariste de jazz après avoir écouté Freddie Green, Charlie Christian ou Django. Cela dit juste en passant, il parait même que c'est arrivé à des gens très bien!

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  3. Bravo pour ton commentaire encore une fois.

    Je m'aperçois que le site laspikedeLycmusic demande maintenant un mot de passe.

    Est-ce quelqu'un pourrait m'indiquer comment se connecter pour l'obtenir ?

    Merci par avance

    Alex

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  4. Ah la vache, je prends tout d'un bloc... j'ai mon cerveau brumeux qu'a happé le retour de Djeep.. c'est parce que je viens de voir ton comm chez moi sur Neubauten... bon, du coup de remonte le courant, je prends tout et surtout tes mots.. et en plus j'écoute le nouveau Dylan depuis hier soir.. me suis endormi tellement c'est .... magnifique..ment... crémeux.
    Les passionnés de zic sont dangereux..tu l'as dit, affamé et ravagés..
    Du coup je reviens te lire à tète reposé.

    C'est toujours un régal de te lire.

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  5. Bien vu.
    Moi j'avais pas vu tout ça :
    http://jesuisunetombe.blogspot.fr/2015/01/les-aventures-metaphysiques-quantiques.html
    et encore, après ça je n'avais pas tout vu :
    http://jesuisunetombe.blogspot.fr/2015/01/les-tribulations-quantiques-de-john.html
    enfin, vaut mieux entendre ça que d'être sourd.

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  6. oui moi aussi fidèle lecteur du site laspikedelycmusic, je cherche le mot de passe pour se connecter. Quelqu'un en sait plus ? Merci.

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  7. Je me suis bien marré, la dessus je sais pouvoir compter sur toi... La jupe bien ample et la guitare, sur scène, bien chorégraphié... Ça doit donner;
    Scofield, depuis PascalGeorges je m'y suis mis, à l'écoute, hein! Moi jouer de la musique, me manque la qualité principale. Laquelle? Justement, c'est ça mon défaut, je n'en sais rien, mais elle manque.

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