Je ne pouvais pas le passer sous silence. Vous trouverez ici un excellent article de la chose, après, moi, ce que j'en dis...
Ce que j'en dis, c'est que c'est peut-être la première fois que oui, pour de vrai, l'adage "J'en ai rêvé, Sony l'a fait" semble justifié. Je me le rêvais certes en quintuple CD, les bandes existent, et le raccourci Self Portrait -> New Morning avec un tracklisting plus pensé pour plaire au péquin moyen qu'au vieux fou hystérique laisse à désirer, mais la chose est là.
Alors, d'emblée, je vous fiche mon billet que le prochain Bootleg Series reprendra les concerts de 1979 en pleine époque cul-béni à Los Angeles, ou peut-être ceux de 1980, dont le fameux pirate au Massey Hall de Toronto, voire un mix des deux. Bien partis comme ils sont chez Columbia, il n'y a que ça à faire.
Bref, j'arrête de faire le Devin pour me concentrer sur l'objet qui vient d'arriver chez moi. Self Portrait, c'était quelque chose ! Une trahison, un blasphème, une honte. Que j'ai toujours secrètement chérie. Pas pour les bonnes raisons, c'était une bien étrange manière de découvrir les Everly Brothers ou Gordon Lightfoot, mais on faisait ce qu'on pouvait, quand on avait 12 ans en Alsace dans les années 1980. C'est pas Bashung qui me contredira.
Il y avait dans Self Portrait ce je-ne-sais-quoi de bordélique qui me fascinait. On sentait que les requins de studio faisaient ce qu'ils pouvaient, suaient sang et eaux pour suivre un Dylan en pilotage automatique. En pilotage automatique mais sans doute avec un dédain et un sens de la provocation rarement vue dans le rock. Ou dans la variété. Avec cette petite lumière qui continuait de briller et qui faisait que - n'en déplaise à Greil Marcus - ça le faisait grave. Alberta, c'est du JJ Cale avant l'heure et jamais Clapton n'aura été aussi laid-back, au hasard. Toujours un pet de travers, trop de cocaïne, trop nerveux. Là, c'est les sphincters ouverts à tous les étages, et ça chaloupe gentiment, dans un je-m'en-foutisme qui vire au chef d'oeuvre. Evidemment, on imagine Dylan lâcher la guitare, et laconiquement demander au producteur effaré d'y rajouter des violons et des cuivres. Histoire de pourrir tout le monde, à commencer par CBS. Particulièrement évident sur Belle-Isle. Et comment c'était poignant au départ...
Et puis il y a New Morning. Un des albums les plus étranges de Dylan. Un album unique dans son genre. Un album unique dans la carrière de Dylan. Je n'arrive pas, aujourd'hui encore à le cerner, savoir s'il s'agit d'un chef d'oeuvre (hormis l'énorme Time Passes Slowly) ou d'un simple disque baclé vite fait sur lequel il ne convient pas de s'attarder. Enfin, je dis ça, c'était avant d'entendre les chutes de studio, qui, comme souvent chez Dylan, sont largement supérieures aux versions originales. Sans doute parce que Dylan ne supporte pas la production, quelle qu'elle soit, Daniel Lanois ou Tom Wilson. Le brut de coffre lui va mieux.
Et rien que pour ça, c'est ici un véritable florilège. Monstrueux à 80%. Inutile à 10% (versions sans overdub, non mais franchement, on a autre chose à faire que d'écouter le remplissage des sbires de CBS), magique pour le vieux bootlegger que je ne suis plus (le concert de l'Ile de Wight, jamais réussi à récupérer une version décente, ça n'a jamais circulé jusqu'à ce jour). Tiens, parlons-en, du concert à l'Ile de Wight. On sent bien que le Band et Dylan ont dû répéter dans l'avion, au mieux. Tout ici est à l'opposé des concerts de 1966, mais bon sang, quand on tient un moment d'histoire (je vous épargne son absence à Woodstock et son pied-de-nez à Wight, ok ?), on est plutôt content de se le bichonner. C'est enfin sorti de la cave de CBS, ça n'y pourrira pas, et c'est très bien comme ça.
Et puis, hop, discrètement, la version cuivrée de New Morning apparaît ici. Faisant lumière sur un Dylan cherchant à sonner comme The Band plutôt que l'inverse. Hmm... je laisse réfléchir là-dessus. RIP Levon Helm, Richard Manuel, Rick Danko. Fuck off Robbie Robertson.
Pour faire dans le Dylan Thomas, quand même, on dira qu'on tient ici le Portrait d'un Jeune Homme en Vieux Chien. Galeux et avachi, mais prêt à mordre si on lui enlève sa pâtée. Par contre, les voisins peuvent cambrioler la maison, les Black Panthers peuvent faire trembler l'Amérique, rien à foutre le clébard. Presque qu'il te pisserait sur le tapis tellement il a la flemme de sortir. If dogs run free, then why don't we ?
Alors bien sûr, vient le moment d'être objectif. On pourra objecter lourdement sur l'absence quasi-totale de moments mémorables ici. Que de la bretzel en apéro, aucun buvard de LSD, et la bière est plutôt tiède. Et pourtant, derrière tout ça, un rien, un truc fait qu'on n'est pas ici en train d'écouter John Doe jouant ses chansons préférées en direct de l'Alabama sur Youtube. Un putain de quelque chose se passe. Un truc. La désabusion, comme dirait Nino Ferrer. Ou la vraie nature qui explose d'un pantin désarticulé par un accident de moto qui, franchement, n'a sans doute pas eu lieu, mais bon, hein, Liberty Valance... N'empêche que ces versions brutes, on y retrouve un peu la quête de l'Anthology Of American Folk Music, Dylan semble tenté de se la faire tout seul, et, mince, sur Little Sadie, au hasard, il y arrive presque. Par rapport aux Basement Tapes, il s'en rapproche. Sauf qu'à l'époque, il l'a fait transformer en opérette. Et qu'il n'a pas laissé sortir cette incroyable version de House Carpenter, dans laquelle in hurle comme à l'époque des microsillons, ou les fréquences aiguës captaient mieux l'attention du client, simple question technique.
Rajoute-moi des violons, Tom.
Parce que l'Amérique avait changé, on était à deux doigts de ne plus assurer la parité dollar/or à Fort Knox. Et ce message-là vaut bien plus que tous les Hard Rain's A-Gonna Fall. Et ça, qui pouvait le comprendre ? Certainement pas des hippies adulant Che Guevara.
J'en aurais presque oublié de conclure, mais il est impossible de conclure sur ce truc. Sony a fait un excellent boulot, maintenant, à savoir si vous n'écouterez plus que ça pendant dix ans (moi, ça va au moins me plomber la soirée) ou si l'intérêt historique rend la chose aussi sexy qu'une photo de De Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, je ne peux pas décider pour vous.
La seule chose qui est sûre, c'est qu'on ne peut pas ignorer De Gaulle ni même Colombey-les-Deux-Eglises, ni même Brie-Comte-Robert, car tout cela fait partie de notre vie, de notre histoire. Personne, aujourd'hui (enfin je pense), ne fouille les poubelles de Christophe Maé pour savoir s'il préfère Rihanna ou Lady Gaga. Toutes ces conneries ont cessé le jour où Kurt Cobain s'est fait exploser la cervelle.
Dylan, lui, a préféré se faire une côtelette au coin du feu avec sa guitare. Aujourd'hui, on verrait griller la côtelette sur Youtube, et tout le beau monde de l'industrie musicale se demanderait comment rémunérer Dylan. A l'époque, tout le monde cherchait les os de la côtelette.
Ils sont là.
Pour en savoir plus, allez faire un tour au supermarché.
J'étais pratiquement sûr que ce "nouveau Dylan" allait enfin te réveiller.
RépondreSupprimerEt c'est bien normal, le concert de l'Ile de Wight enfin écoutable plus des chutes de studio merveilleuses, voilà de quoi finir ce mois d'août en beauté et patienter jusqu'aux concerts de Paris en novembre (peut-être des versions "live" de certains titres)
Rêvons, Dylan le fera peut-être.....
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RépondreSupprimerIl n'est plus à Carrefour essayez Auchan :
RépondreSupprimerhttp://exystence.net/blog/2013/08/24/bob-dylan-the-bootleg-series-vol-10-another-self-portrait-1969-1971-2013/#more-113630
excellents commentaires merci!
Oui, le 4ème CD est la version remasterisée de Self Portrait... immense pied-de-nez quand même ! Bien vu !
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