Je sais, je sais, on est loin de la compile de Zappa annoncée, qui tarde faute de temps. Allez, ça viendra un jour... En attendant...
En attendant, il est de ces disques qu'on cherche toute une vie. Forément, pour des mauvaises raisons. Qui n'a jamais ressenti un coït interrompu à l'écoute d'un bootleg pourtant indispensable sur le papier ? La Liberté Brille Dans La Nuit, pourtant, après écoute des années plus tard, reste un disque tout à fait honorable, que la patine du temps n'a fait que polir avec émotion.
Parfois, le destin est taquin. C'est au fond d'un carton, dans un vide-grenier, que ma quête s'est achevée contre deux petits euros presque indécents, voire méprisants face à l'objet. Juste histoire, sans doute, de rappeler la vanité d'une telle quête, le peu d'importance que cela a ou devrait avoir pour moi aujourd'hui, après toutes ces années. Et pourtant, ce disque, c'est mon petit Kouign-Aman de Proust, certes un peu lourdingue, on parle de Gilles Servat quand même...
Mais laissons-là les souvenirs, de quoi est-il question ? D'un faux breton né à Tarbes, vaguement Nantais ayant fait ses études à Angers, le Gillou se découvre un passion et des racines Bretonnes dans les années 68, begaye dans la langue de Nolwenn Leroy et décroche un tube à faire rager Hugues Aufray, la fameuse Blanche Hermine pour laquelle il me prend à chaque écoute une envie sournoise d'imiter Du Guesclin dans ses batailles les plus sanglantes vis-à-vis des Bretons qui n'avaient rien demandé à personne. Apportez-moi les têtes de veau des Tri Yann en même temps, et le monde s'en portera mieux.
Sauf que, comme Dave un instant, dans son Doux Tam-Tam, le gros Servat eut quelques mois de génie. Durant la douce année 1975, notamment. Abandonnant momentanément les biniouseries folkloriques, sur cet album, Servat se cherche comme un Nougaro breton. Disque très électrique (enfin c'est pas du trash metal quand même, hein), influencé par la scène progressive de l'époque, La Liberté Brille Dans La Nuit montre l'artiste en poète, certes toujours coincé dans son époque (Chili T.T. a forcément vieilli), mais avec une volonté de dépasser les canons du genre bigouden. Et sur les onze chansons que compte l'album, une fois soustrait l'idiot C'est La Faute Au Pétrole, digne d'un chansonnier de bas étage aussi fin que Franis Lalanne dans un magasin de porcelaine, le reste est fort goûtu, et parfois même tout simplement beau. Tiens, pour vous dire, il semblerait que le gros ours des Mont d'Arrée ait même repris la Chanson Pour François Quenechou sur sa dernière galette, que je n'écouterai pas. Serait foutu d'y avoir collé du biniou derrière alors que l'originale brille par ses arrangements osés. Par un texte toujours engagé, mais enfin mature.
Qu'est-il donc arrivé à Servat sur ce disque ? Il suffit d'écouter Canal St Martin, poème surréaliste scandé sur fond d'arrangement assez free, pour se poser la question, et surtout s'interroger sur les raisons qui ont poussé l'auteur à abandonner cette veine au profit d'un retour au folklore nauséabond. Le fric, sans doute. Etait-il déjà présent lors de cette aventure ? Servat n'avait-il fait que de rentrer dans le moule d'une future nouvelle chanson française, aux côtés de Catherine Ribeiro et des autres ? Après tout qu'importe aujourd'hui, ce disque tient la route et fleure bon le jazz-prog par instants (Chili T.T. là encore, hmm... Servat a quand même beaucoup écouté Ferré dans sa période Zoo...), décolle dans la gwerz Planedenn (qui ressemble un peu beaucoup au E Parrez Langonned de Stivell, sorti l'année d'avant, sur un texte de l'anarchiste breton (pléonasme ?) Yann-Ber Piriou également repris sur ce même album... ça fait beaucoup...) et se clôt sur le superbe Je Dors En Bretagne Ce Soir aux arrangements somptueux.
Diversité, donc, mais cohérence de l'ensemble, et riches trouvailles. M'étonnerait pas que les Têtes Raides aient écouté La Ballade Des Parasites, là encore, l'arrangement carrément osé pour l'époque n'a pas pris une ride. Et puis ce morceau qui ouvre l'album, An Eostig Toulbac'het, dans lequel Servat invente littéralement le chanté-breton loin des ornières des tralala leno, Moderne, carrément, soulignée par un piano céleste, seule une cromorne (et pas une bombarde, s'il vous plaît) vient, telle un cheveu sur un kig-ha-farz, rappeler le breton dans le texte. C'est sans parler de l'attangement des cordes, à pleurer. Et puis, tout au long de l'album, des trouvailles musicales, des instruments venus d'ailleurs (que de Quimper) : darbouka, hautbois, clarinette basse, j'en passe...
Alors oui, avec ce disque, Servat aurait pu devenir le Nougaro des Cornouailles, et même d'ailleurs. Distribué par Phonogramme, l'homme avait du avoir les moyens. Et n'aura pas raflé la mise, sans doute par manque de tube, ici. Phonogramme le laissera tenter sa chance jusqu'en 1979, avec l'album Je Ne Hurlerai Pas Avec Les Loups, pas mal non plus d'ailleurs, suite auquel on le remerciera. Il lui faudra alors revenir à sa blanche hermine pour rafler la mise et l'héritage des celtes au passage. Quitte à représenter gauchement la calvitie de la culture Bretonne dans des Zéniths qui n'ont de solaire que le nom. Bien sûr, on le laissera s'énerver un peu, histoire de calmer les bardes rockers (ouh la je l'aime bien celle-là), mais plus jamais de liberté dans la nuit.
Ca aurait pu marcher. Il aurait pu se passer plein de choses. Je me souviens, il y a plus de 25 ans, quand j'écoutais cet album en boucle. Il aurait pu se passer plein de choses. Il reste des souvenirs, heureux et malheureux, de la nostalgie, des regrets, la peur du temps qui passe. Rien qui, finalement, ne vaille plus de deux euros sur un vide-grenier. Impossible de s'en débarasser.
Dernière Chanson
J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.
Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?
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mercredi 29 octobre 2014
#174 : Gilles Servat "La Liberté Brille Dans La Nuit"
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Je ne connais que "La Blanche hermine" que le borgne bas du front a essayé de récupérer sans comprendre un mot du texte. Merci donc pour cet album et ta prose toujours trop rare.
RépondreSupprimerMes condoléances : il m'est arrivé la même chose avec son album de 1972, sur lequel on trouvait "les prolétaires", que n'aurait pas renié Lavilliers.
RépondreSupprimerSi ça se trouve, Gilles Servat, ça veut dire Bernard Lavilliers en breton.
Un post par mois ne serait pas du luxe.
RépondreSupprimerUn fan